Festivals, compte rendu critique. Pas de Calais. Festival Contrepoints 62, le 27 septembre 2015. Les lumiĂšres du Nord : 10 ans de Contrepoints 62. Un rĂ©veil insolite se produit quand on arrive dans les villes et villages patrimoniaux du Pas de Calais. Chaque rue silencieuse, chaque bois, chaque prairie est arrosĂ©e d’une lumiĂšre Ă©tonnante. L’Artois du blĂ© et des guerres anciennes et le Calaisis couvert du drap d’or du soleil d’automne. Pour sa dixiĂšme Ă©dition, le festival Contrepoints 62, fait Ă nouveau revivre la voix des orgues de ce Pas de Calais riche et mĂ©connu. Pour cette fois, c’est l’Espagne qui s’invite et fait retentir ses musiques dans les villes qui jadis la composĂšrent. Lointain passĂ© mais ancrĂ© encore dans la mĂ©moire des façades et des orgues, qui font retentir Ă la fois les douces mĂ©lopĂ©es de la guitare et le martial canon des combats.
Raquel Andueza et La Galania
Chapelle St Jacques de l’Aire sur la Lys.
“Yo soy la locura”
La GalanĂa
Raquel Andueza â soprano
JesĂșs FernĂĄndez Baena â thĂ©orbe
Pierre Pitzl â guitare baroque
Al tiempo que El sol se pone⊠Dans le cĆur de La Chapelle baroque du Saint de Compostelle, au pied du RĂ©dempteur Universel, quelques flaques d’or venues du ciel ont accueilli l’Espagne. La Soprano Raquel Andueza et l’ensemble La Galania ont invoquĂ© la grĂące du XVII Ăšme siĂšcle, dans ses soupirs, dans ses complaintes, dans sa sensualitĂ© exubĂ©rante. Passant du tragique au comique et du charnel Ă l’Ă©thĂ©rĂ©e, Raquel Andueza convoque les muses profanes. Dans sa voix, on saisit le palpitant, le passionnant, le diaphane. Nous avons Ă©tĂ© littĂ©ralement saisis par « Credito es de mi decoro », le lamento de la nymphe Canente, de la zarzuela Pico y Canente de Juan de Hidalgo. Dans cet air, la nymphe se mĂ©tamorphose petit Ă petit en nuage et la musique s’Ă©vapore note par note. Une surprenante Ă©motion dans cette dĂ©couverte. Il faut dire que Raquel Andueza est une interprĂšte incomparable dans l’Ă©motion et le sens de la musique. AprĂšs un lĂ©ger rayon de soleil et une belle dĂ©couverte des lieux patrimoniaux de l’Aire sur la Lys, la somptueuse nef de la CollĂ©giale allait ouvrir ses portes pour le concert du soir.
CollĂ©giale de lâAire-sur-la-Lys
Bach, Liszt, Messiaen, Saint-Saens
Vincent Warnier – orgue
Orchestre National de Lille
Dir. Jean-Claude CasadesusÂ
L’art de la mĂ©tamorphose
Dans ces temps de crises, certains se rĂ©fugient dans le sacrĂ©, d’autres s’en rĂ©clament pour lâiniquitĂ© et la barbarie. Mais quand la musique est le calice dâune communion entre lâart et lâhomme, ce nâest que pour lâĂ©lĂ©vation de ceux qui en tĂ©moignent. Au sein de la nef immense de la CollĂ©giale de lâAire-sur-la-Lys, juste au pied de lâorgue, lâOrchestre National de Lille sâapprĂȘtait Ă nous offrir un programme fastueux. Entre lâorgue, tel un vaisseau majestueux et les phalanges, un dialogue Ă©leva son message vers des hauteurs inusitĂ©es. En effet, lâorganiste Vincent Warnier, dĂ©veloppant lâagilitĂ© et la maĂźtrise de lâinstrument et du rĂ©pertoire, nous offre Ă la fois la rigueur et la contemplation du PrĂ©lude et fugue en la mineur de Bach. De mĂȘme, la virtuositĂ© de son jeu, avec une solide prĂ©cision dans le PrĂ©lude et fugue sur le nom BACH de Liszt. Mais lâĂ©panouissement total se produit lors de la conjugaison parfaite de lâorgue et lâorchestre dans la Symphonie n°3 de Camille Saint-SaĂ«ns avec orgue. En une comprĂ©hension naturelle de lâĂ©nergique style de Saint-SaĂ«ns, Jean-Claude Casadesus mĂšne lâOrchestre National de Lille vers lâapothĂ©ose Ă chaque mouvement. Vincent Warnier rĂ©pond de lâorgue, dans la couleur et la sophistication sans faillir Ă aucun moment Ă lâĂ©quilibre et Ă lâunivers construit par Jean-Claude Casadesus.
Dans la vie dâun chroniqueur, dans le tourbillon des concerts et musiques, il est des moments uniques. Ce concert est, sans hĂ©sitation, lâun des plus marquants de ma vie. La nuit tomba sur les rumeurs secrĂštes de la Lys, au cĆur des pierres de la ville, on sentit encore vibrer les orgues comme un murmure lointain.
Dimanche 27 septembre 2015
NIELLES LES ARDRES
Eglise
Pas loin de Calais, se situe la petite ville dâArdres, et dans sa conurbation se trouve le charmant village de Nielles-lĂšs-Ardres. Au cĆur des champs et entre les souvenirs des tombes anciennes se dresse lâEglise â grange. Quand on pĂ©nĂštre dans ses entrailles, on dĂ©couvre des beautĂ©s insoupçonnĂ©es. Et notamment un orgue remarquable datant de 1692. Tout en bois et aux motifs marins, le bois sculptĂ© fit jaillir des dauphins et des sirĂšnes, dont le chant parmi les jeux, allait nous Ă©mouvoir.
11h – LâORGUE ESPAGNOL ET FLAMAND
Daniel Oyarzabal â orgue
Il est toujours rare dâentendre le rĂ©pertoire ibĂ©rique et dĂ©couvrir sous les doigts experts de Daniel Oyarzabal. Le son acĂ©rĂ© et aigu de cet instrument permet de rendre un parfum quasiment espiĂšgle Ă ces musiques, pour la plupart sacrĂ©es.
15h â IN PARADISO â Musiques sacrĂ©es du baroque
Raquel Andueza & La Galania
Daniel Oyarzabal â orgue
LâaprĂšs-midi, au pied de lâorgue marin de Nielles, on retrouve la sirĂšne Raquel Andueza pour un programme sacrĂ©. Du Lamento della Maddalena de Monteverdi au Stabat Mater de Sances, Raquel Andueza Ă©voque avec bonheur le recueillement dramatique des Ćuvres baroques dĂ©diĂ©es au culte Marial. La soprano perpĂ©tue avec ce programme, lâinterprĂ©tation splendide du rĂ©pertoire quâelle maĂźtrise ostensiblement. Sans tomber dans le pathos extrĂȘme et en montrant une solide capacitĂ© de coloriste, Raquel Andueza nous surprend par lâĂ©motion et le talent.
TOURNEHEM-SUR-LA-HEM
Eglise
Dans les pĂ©rĂ©grinations des orgues, notre route nous mena vers le site perchĂ© de Tournehem-sur-la-Hem. On arrive au cĆur dâune joyeuse localitĂ©, avec une belle petite Ă©glise dominant les toits. Comme une caverne de merveilles, lâintĂ©rieur de lâĂ©glise de Tournehem-sur-la-Hem Ă©blouit par la profusion dâart sacrĂ©. Du bois, des ornements en stuc dorĂ©, des tableaux pieux et un orgue baroque monumental.
17h15 â HOSANNA TO THE HIGHEST
Musique sacrĂ©e Ă trois voix dâhommes de Henry Purcell
Jeffrey Thompson â tĂ©nor
Marc Mauillon â baryton
Geoffroy BuffiĂšre â basse
La RĂȘveuse
Florence Bolton & Benjamin Perrot
Pierre Gallon – orgue
Passer de lâEspagne Ă lâAngleterre dans cette rĂ©gion est tout aussi habituel que les nuĂ©es qui Ă©voluent sur son ciel lumineux. Pour conclure notre voyage au cĆur du patrimoine du Pas de Calais, câest lâĂ©mouvante voix de la piĂ©tĂ© britannique qui nous offrit un beau corollaire. Les psaumes et hymnes sacrĂ©s de Purcell sont parmi les plus belles manifestations du rĂ©pertoire religieux. Dans le bel Ă©crin de lâĂ©glise de Tournehem, chaque note frissonna dans les sculptures, dans les dorures et les boiseries.
La magie de la trans substantation sâopĂ©ra grĂące Ă la splendide Ă©quipe artistique. Tout dâabord La RĂȘveuse qui, dans ce rĂ©pertoire offre une rĂ©elle maĂźtrise et une richesse dans lâornementation. Les solistes se complĂštent trĂšs bien dans les nuances. Ceux qui ont Ă©bloui lâaudience sont Marc Mauillon avec un timbre contrastĂ©, et riche et le dramatisme hallucinant de Jeffrey Thompson. Geoffroy BuffiĂšre en revanche pĂšche par un certain retrait et quelques faiblesses dans les nuances. La fin du concert rĂ©vĂ©la, Ă lâextĂ©rieur, un crĂ©puscule de feu sur les prairies vallonnĂ©es de Tournehem.
Visiter Contrepoints 62, nous a offert lâoccasion de dĂ©couvrir les palpitants tĂ©moignages de lâHistoire dans un territoire abreuvĂ© de la passion de la musique. Chaque orgue nous a contĂ© dans chaque nervure du bois ancien, et dans le souffle de leur voix, un rĂ©cit venu dâailleurs. La richesse du Pas de Calais est dans sa culture, dans la sensibilitĂ© de son patrimoine. En quittant les riches terres dâArtois, encore empreints du chant des brillants contrepoints, on fait le vĆu de revenir suivre la route des orgues qui mĂ©riterait bien devenir plus que lâapanage des terres flamandes, mais le patrimoine reconnu de toute lâhumanitĂ©.