Compte-rendu critique. OpĂ©ra. INNSBRUCK, HAENDEL, Ottone, 22 aoĂ»t 2019. Orchestre Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura. AprĂšs trois productions « jeune » dâun trĂšs haut niveau, cette nouvelle production dâOttone déçoit un peu sur le plan scĂ©nique, mais rĂ©vĂšle une belle galerie de chanteurs trĂšs prometteurs. En raison du mauvais temps⊠qui finalement Ă©tait plutĂŽt beau, le concert a dĂ» se replier dans la nouvelle salle de la Hausmusik, Ă lâacoustique un peu sĂšche. Comme souvent, dans ces productions destinĂ©es aux laurĂ©ats du Concours Cesti, la mise en scĂšne vise Ă lâefficacitĂ© et Ă la concentration dramatique avec une grande Ă©conomie de moyens. Dans cet opĂ©ra superbe de Haendel, le premier composĂ© pour le Kingâs Theater, saturĂ© de considĂ©rations politiques, la lecture de lâactrice et metteuse en scĂšne de théùtre Anna Magdalena Fitzi, est allĂ©e Ă lâessentiel, en gommant notamment les rĂ©fĂ©rences au contexte politique (la conquĂȘte de lâItalie par un souverain allemand) ; exit ainsi les scĂšnes spectaculaires et pittoresques de la bataille du premier acte, dans les jardins nocturnes au bord du Tibre, dans la prison, au second acte, ou la scĂšne de la tempĂȘte du 3e.
Ottone en demi-teintes
Les dĂ©cors et les costumes sobres et Ă©lĂ©gants de Bettina Munzer renvoient davantage Ă un huis-clos presque abstrait et atemporel, une sorte dâhĂŽtel lorgnant davantage vers un sommet de dirigeants du G7 que dâune confrontation entre souverains du Bas-Empire. Ă cela sâajoutent trois figurants, un barman et deux policiers gardes du corps, qui accompagnent de leurs dĂ©placements le dĂ©roulement plein de pĂ©ripĂ©ties de lâintrigue. Sur scĂšne, une simple bĂątisse blanche Ă trois Ă©tages, dont le niveau infĂ©rieur est constituĂ© dâarcades permettant dâentrevoir la circulation des personnages Ă lâarriĂšre-plan de la scĂšne ; quelques fauteuils sur le cĂŽtĂ©, une table au centre oĂč le repas est servi, et lâarrivĂ©e des protagonistes avec leurs bagages, achĂšvent de planter le dĂ©cor. Cette transposition efficace mais guĂšre originale, aurait pu davantage fonctionner si la partition nâavait pas Ă©tĂ© autant amputĂ©e dans ses rĂ©citatifs, qui seuls, dans le dramma per musica des 17e et 18e siĂšcles, permettent Ă lâaction dâavancer. On perd ainsi en clartĂ© et lisibilitĂ© ce quâon gagne en concentration musicale, mais la cohĂ©rence de la dramaturgie sâen ressent.
Heureusement, sur scĂšne, la distribution, extrĂȘmement homogĂšne, compense largement ces dĂ©fauts de mĂ©canique théùtrale. Dans le rĂŽle-titre, la mezzo Marie Seidler incarne Ă merveille le souverain allemand, tiraillĂ© entre lâoptimisme de sa rĂ©cente victoire militaire et lâincapacitĂ© manifeste Ă maĂźtriser ses affects. Voix sonore, dâune belle amplitude, Ă lâĂ©locution irrĂ©prochable, la chanteuse allemande campe un souverain tour Ă tour langoureux (« Ritorna, o dolce amore ») et dĂ©pitĂ© (« Dopo lâorrore »), Ă©pris dâune Teofane qui ne le connaĂźt quâĂ travers un portrait. La princesse impĂ©riale, vĂ©ritable moteur de lâintrigue, a les traits de la soprano française Mariamelle Lamagat, 3e prix au Concours Cesti 2018. Nous avions assistĂ© Ă ce concours et sa prestation ne nous avait pas pleinement convaincu, malgrĂ© une voix solidement charpentĂ©e, mais qui privilĂ©giait davantage la performance vocale que la clartĂ© de lâĂ©locution, dĂ©faut perceptible Ă nouveau dans cette production. En revanche, la jeune mezzo Valentina Stadler, en Gismonda, veuve du tyran Berengario, impressionne par sa puissance vocale et son autoritĂ© quâelle manifeste dĂšs son air dâentrĂ©e (« La speranza Ăš giunta in porto »). En Matilda, sans doute le personnage le plus touchant de lâopĂ©ra, lâautre mezzo, bolivienne, Angelica Monje Torrez, est encore plus convaincante, par la chaleur et le moelleux de son timbre, et les multiples nuances quâelle apporte dans le phrasĂ©, tant dans la dĂ©clamation des rĂ©citatifs que dans les termes pathĂ©tiquement chargĂ©s des arias (« Diresti poi cosÏ » au premier acte, en est un exemple Ă©loquent). Les deux autres voix masculines nâappellent que des Ă©loges, aussi bien le contre-tĂ©nor espagnol Alberto MoguĂ©lez Rouco, voix fine et acidulĂ©e, mais non sans un abattage certain qui sied bien au personnage falot dâAdelberto (son chant Ă©merveille dans les airs Ă©lĂ©giaques : « Bel labbro » ou de colĂšre : « Tu puoi straziarmi »), que la magnifique basse allemande Yannick Debus, corsaire qui ne rĂ©vĂšlera quâin fine son identitĂ© royale. Ses graves caverneux (« Al minacciar del vento »), sa diction impeccable (« No, non temere »), et sa prĂ©sence trĂšs expressive sur scĂšne, ont Ă©tĂ© lâune des rĂ©vĂ©lations de cette soirĂ©e.
Dans la fosse (qui nâen est pas une, lâorchestre se situant au mĂȘme niveau que les chanteurs), Fabrizio Ventura dirige sa phalange de La Chimera â bien rĂ©duite eu Ă©gard Ă lâorchestre opulent du Kingâs Theater â avec prĂ©cision et intelligence, confĂ©rant un bel Ă©quilibre entre les voix et les instrumentistes.
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Compte-rendu opĂ©ra. Innsbruck, Festwochen der Alten Musik, Georg Friedrich Haendel, Ottone, 22 aoĂ»t 2019. Marie Seidler (Ottone), Mariamielle Lamagat (Teofane), Valentina Stadler (Gismonda), Alberto MiguĂ©lez Rouco (Adelberto), Angelica Monje Torrez (Matilda), Yannick Debus (Emireno), Anna Magdalena Fitzi (mise en scĂšne), Bettina Munzer (dĂ©cors et costumes), Accademia La Chimera, Fabrizio Ventura (direction) – Illustrations : Mariamielle Lamagat © Rupert Larl / Marie Seidler, Alberto MiguĂ©lez Rouco© Rupert Larl.