France 5, France Musique ce soir: Symphonie des mille n°8 de MAHLER

MAHLER-gustav-symphonie-5-orchestre-national-de-lille-Alexandre-Bloch-annonce-concert-classiquenews-critique-concertFRANCE MUSIQUE, ce soir, le 29 juil 2019. MAHLER : Symphonie n°8 des mille / France Musique en direct dès 20h45 – France 5 à 22h30. Créée à Munich au moment de l’Exposition Internationale, le 12 septembre 1910, la Symphonie des Mille ou Symphonie n°8 de Gustav Mahler est un immense chant d’espoir qui marque aussi la pleine maturité d’une écriture enfin apaisée, après les tourments plus ou moins contrôlés et assumés des Symphonies n°5, n°6 et surtout n°7, symphonies autobiographiques où le conflit, la noirceur, la présence de forces cosmiques insurmontables, les blessures liées à son destin personnel et sa vie sentimentale, sont le sujet principal. Ici rien de tel, sinon, une arche grandiose dont les tensions canalisées convergent vers une prière de réconciliation, une aspiration profonde à la paix éternelle.

Si Mahler n’a pas écrit d’opéras, cette fresque grandiose à l’échelle du colossale nécessite un plateau artistique impressionnant : triple choeur (femmes, hommes, enfants), grand orchestre, solistes dont les airs sont dignes d’un drame lyrique.

L’odyssée mahlérienne de la 8ème doit son unité à la constance attendrie, exaltée mais toujours élégante des interprètes. D’autant plus que les deux parties sont d’un étonnant contraste : premier volet construit autour du Veni, Creator Spiritus, selon le texte médiéval de l’archévêque de Mayence, Hrabanus Maurus. Le compositeur a reçu la révélation de cette hymne au Créateur, d’autant plus bienvenue pour son âme inquiète et de plus en plus mystique. Tout le développement est une variation sur le thème de cette fulgurance personnelle dont il souhaite nous faire partager l’intensité.

PLAN

Le volet 1 qui reprend la traduction de l’hymne médiéval : Hymnus : Veni Creator, est un immense chant de prière et d’espérance, dans une écriture contrapuntique des plus maîtrisée, qui cite toutes les messes et oratorios qui l’ont précédé. Mahler exprime la tendresse des croyants récepteurs du miracle, témoins d’une vision sidérante partagée. Durée : circa 30 / 35 mn.

Dans le second volet,  d’après Schluss-szene aus « Faust » (Scène finale du Faust) de Goethe, pendant littéraire au premier volet d’origine sacrée, mais non moins extraordinairement exalté, solistes, chÅ“urs et orchestre façonnent une superbe peinture de la foi, soit un véritable opéra spirituel où l’évocation du mystère, grâce à des épisodes suggestifs, un sens évident de l’articulation et des nuances (bois somptueux, cuivres grandioses, cordes amples et suspendues) donne le format de cette seconde Passion. Comme une réponse moderne aux Passions de JS BACH, Mahler orchestre un remarquable drame sacré où se précisent plusieurs profils Pater Profundis, Maria Aegyptica, lesquels en intercesseurs, accompagnent le croyant vers l’étreinte finale que lui réserve, ô comble du bienheureux, Maria Gloriosa.
Rien ne manque à l’évocation de ce diptyque religieux. Ni l’élan fervent, ni la sensibilité. Le chef doit veiller aux détails comme à l’architecture de cette cathédrale orchestrale et lyrique. Ici Homme et univers ne font plus qu’un : le but ciblé, espéré, exaucé d’un Mahler enfin en paix avec lui-même, est atteint. Plan : adagio, scherzo, finale agitato - Durée : circa 1h.

 

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FRANCE MUSIQUE, lundi 29 juillet, 20h45. MAHLER : Symphonie n°8 des Mille.
EN DIRECT sur France MUSIQUE, – en différé sur FRANCE 5 à 22h30
depuis les Chorégies d’Orange 2019 (150è anniversaire en 2019)

Magna Peccatrix: Meagan Miller
Una poenitentium: Ricarda Merbeth
Mater gloriosa :Eleonore Marguerre
Mulier Samaritana: Claudia Mahnke
Maria Aegyptica: Gerhild Romberger
Doctor Marianus: Nikolaï Schukoff
Pater ecstaticus: Boaz Daniel
Pater profondus: Albert Dohmen

Orchestre Philharmonique de Radio France
Orchestre National de France

Choeur de Radio France
Choeur philharmonique de Munich
Maîtrise de Radio France

Jukka-Pekka Saraste, direction

 

 

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CRITIQUE, Zarzuela. ORANGE, Chorégies, le 6 juil 2019. NUIT ESPAGNOLE, TOUJOURS DIMANCHE AVEC DOMINGO… Domingo, Ballet A. Gades

CRITIQUE, Zarzuela. ORANGE, Chorégies, le 6 juil 2019. NUIT ESPAGNOLE, TOUJOURS DIMANCHE AVEC DOMINGO… Même le samedi. Dans la nuit provençale, la rigueur caniculaire apaisée, pour fêter son cent-cinquantième anniversaire de plus ancien festival de France né en 1869, apogée de la zarzuela, les Chorégies d’Orange, pour leur flamboyante ouverture, se paraient du rouge et or —non sang et or à réprouver— d’une Espagne à approuver dont les Espagnols, éprouvés par l’exil d’une Histoire récente sombre, pouvaient se sentir fiers, son bel étendard lyrique défendu mondialement par des étoiles de première grandeur, les Kraus, Los Ãngeles, Berganza, Caballé, Carreras, María Bayo et, bien sûr, comme je le lui disais, Plácido Domingo qui en a fait un passage obligé de son concours de chant international Operalia, depuis 1993, la rétablissant dans ses belles lettres de noblesse : populaire.
La zarzuela a bercé mon enfance, apaisé des nostalgies de la distance natale. Dès que je l’ai pu, à côté de mes cours magistraux sur l’éthique et l’esthétique du Baroque, de philosophie, de rhétorique, j’ai pu imposer à l’Université, dès les années 70, des cours plus légers sur la musique espagnole, sur la zarzuela, dont se sont nourris aussi de mes étudiants, certains devenus chanteurs, et même chercheurs en la matière. Matière chère à mon cœur, qui fera pardonner, je l’espère, ces aveux personnels, sur laquelle j’ai aussi multiplié des écrits, des conférences, des émissions de radio.
D’où la joie de partager collectivement, avec ce public si nombreux, cette émotion si intime, si personnelle, si nichée au fond de moi. Un critique peut, ou doit, être aussi sentimental dès lors que la raison n’est pas la dupe du cœur : un public si heureux, si enthousiaste, fut comme l’aval rationnel, objectif, de ce bonheur subjectif.

Zarzuela
Ce terme, il ne faut pas s’y tromper, désigne aussi un plat qui mêle poissons et fruits de mer liés par une sauce. Ce mot dérive de zarza (qui signifie ronce), donc, zarzuelaest un lieu envahi par les ronces, une ronceraie. Ce nom fut donné au Palais de la Zarzuela, résidence champêtre d’abord princière puis royale (c’est la résidence actuelle du roi Philipe VI et de sa famille), aux environs de Madrid.

Au XVIIe siècle
Le roi Philippe IV, qui avait fui l’Escorial austère de son aïeul Philippe II, et habitait un palais à Madrid, venait s’y délasser avec sa cour, chasser et, disons-le, faire la fête, donner des fêtes somptueuses, des pièces de théâtre agrémentées de plus en plus de musique, qu’on appellera « Fiestas de la zarzuela », puis, tout simplement « zarzuela ». C’est pratiquement, d’abord, un opéra baroque à machines, d’inspiration italienne mais entièrement chanté en espagnol ou, plus tard, avec des passages parlés à la place des récitatifs.
En France, il faudra attendre 1671 pour le premier opéra français, la Pomone, de Robert Cambert, livret de l’abbé Pierre Perrin. En Espagne, environ cinquante ans plus tôt, en 1627, une de ces fêtes musicales de la zarzuela est, en fait, un véritable opéra à l’italienne. Bien sûr, on ne l’appelle pas « opéra » puisque ce mot tardif, italien, signifie simplement ‘œuvre’, les ouvrages lyriques de cette époque n’étant appelés que dramma per musica, ‘drame en musique’, Monteverdi n’appelant son Orfeo que ‘favola in musica’, fable en musique. En Espagne, on l’appellera donc zarzuela. C’est La selva sin amor, ‘La forêt sans amour’, avec pour librettiste rien de moins que le fameux Lope de Vega, pour lors le plus grand dramaturge espagnol, qui serait auteur de près d’un millier de pièces de théâtre. La musique de Filippo Piccinini, italien établi à la cour d’Espagne, est malheureusement perdue. La mise en scène, fastueuse, extraordinaire, du grand ingénieur et peintre florentin Cosimo Lotti frappa les esprits et on en a des descriptions émerveillées.La zarzuela est donc, d’abord, le nom de l’opéra baroque espagnol aristocratique, fastueux.

Au XVIIIe siècle
On appelle toujours zarzuela une œuvre lyrique baroque à l’italienne, parlée et chantée, parallèlement au nouveau terme « opéra » qui s’impose pour le genre entièrement chanté, qui mêle cependant, à différence de l’opera seria italien, le comique et le tragique. Cependant, l’évolution du goût fait qu’il y a une lassitude pour les sujets mythologiques ou tirés de l’histoire antique qui faisaient le fonds de l’opéra baroque.
L’Espagne avait une tradition ancienne d’intermèdes comiques, deux saynètes musicales insérées entre les trois actes d’une pièce de théâtre, la comedia (dont la réunion des deux en un seul sujet donnera dans la Naples espagnole l’opera buffa). Au XVIIIe, ces intermèdes deviendront de brèves tonadillas populaires qui alternent danses et chants typiques ; étoffées, elles s’appelleront plus tard encore zarzuelas, avec des sujets de plus en plus populaires, puis nettement inspirées des coutumes et de la culture du peuple.

XIXe siècle
Du XIXe au XXe siècle, ce nom de zarzuela désigne définitivement une œuvre lyrique et parlée qui, donc, peut aller de l’opéra à l’opérette, dramatique ou comique. Les compositeurs tels que Francisco Barbieri, ou encore Tomás Bretón en ont illustré un versant pittoresque bouffon, typiquement espagnol. C’est souvent, pour la zarzuela grande, un véritable opéra (Manuel de Falla appellera d’abord « zarzuela » son opéra LaVida breve (1913). Mais la plupart mêlent toujours, par tradition, le parlé et le chanté.
L’opéra-comique, c’est un opéra qui est « comique », non parce qu’il fait rire, mais, comme le dit le dictionnaire de Littré au premier sens du mot, « Qui appartient à la comédie », bref au théâtre. Donc, un opéra-comique est un opéra qui admet des passages parlés, comme la zarzuela qui l’a précédé de beaucoup. À Paris, le théâtre de l’Opéra-Comiqueétait le lieu consacré, au XIXe siècle, à ce genre d’ouvrage. Il faut le rappeler, Carmen n’est pas un opéra pur mais un opéra-comique puisqu’il y a des passages parlés. Ce genre de l’opéra-comique, en France, naît dans le milieu du XVIIIesiècle. Mais en Espagne, il apparaît un siècle et demi auparavant. C’est justement ce qu’on nomme zarzuela, même si les sujets en sont très différents.
Le XIXe siècle sera l’âge d’or de la zarzuela. Mais qui subit la concurrence de l’opéra italien qui règne en Europe avec Rossini, Bellini, Donizetti et bientôt Verdi. Vers le milieu du siècle, un groupe d’écrivains et de compositeurs rassemblés autour de Francisco Asenjo Barbieri (1823-1894), grand compositeur et maître à penser musical de l’école nationale renoue et rénove le genre, lui redonne des lettres de noblesse dans l’intention d’affranchir la musique espagnole de l’invasion de l’opéra italien, la zarzuela grande prétendant au titre d’opéra national : bataille perdue, la bourgeoise préférant l’italianisme lyrique international. L’éventail des sujets est très grand, du drame historique à la légère comédie de mœurs. Cependant, dans la zarzuela qui perdure, toute l’Espagne et ses provinces est présente dans sa variété musicale de rythmes vocaux et de danses.Madrid devient le centre privilégié de la zarzuela urbaine brève en un acte, avec ses madrilènes du menu peuple, son accent, ses fêtes, ses disputes de voisinage.

Zarzuela et nationalisme
C’était l’une des conséquences des guerres napoléoniennes qui ont ravagé l’Europe, de l’Espagne à la Russie, le nationalisme commence à faire des ravages : le passage des troupes françaises a éveillé une conscience nationale, pour le meilleur quand il s’agit d’art, et, plus tard, pour le pire comme on l’a, hélas, vu et voit encore. Pour le moment, il ne s’agit que de musique dont on dit qu’elle adoucit les mœurs. Partout, d’autant que les gens ne comprennent pas forcément l’italien, langue lyrique obligatoire, il y a des tentatives d’opéra national en langue autochtone, même si les opéras italiens se donnent en traduction.
Des expériences naissent un peu partout, en Allemagne avec Weber et son Freischütz (1821), premier opéra romantique, en langue allemande (avec des passages parlés comme dans les singpiel de Mozart, L’Enlèvement au sérail, La Flûte enchantée), suivi de Wagner qui en signe les chefs-d’œuvre germaniques. La France a sa propre production lyrique. Mais jugeons de la vanité des nationalismes : l’opéra à la française a été créé pour Louis XIV (fils d’une Espagnole, petit-fils d’Henri IV le Navarrais, qui descend d’un roi maure espagnol) par le Florentin Lully. C’est Gluck, Autrichien, maître de musique de Marie-Antoinette, qui recrée la tragédie lyrique à la française dans cette tradition ; c’est Meyerbeer, Allemand, qui donne le modèle du grand opéra historique à la française ; ce sera Offenbach, juif allemand, qui portera au sommet l’opérette française, et l’opéra le plus joué dans le monde, dû à Bizet, c’est Carmen, sur un sujet et des thèmes espagnols. Fort heureusement, l’art, la musique ne connaissent pas de frontière et se nourrit d’un bien où on le trouve comme dirait Molière.

L’Espagne
Dans ce contexte européen, l’Espagne est plus mal lotie. Elle est plongée dans le marasme de la décolonisation, résultat des guerres napoléoniennes et de la Révolution française, car les colonies refusent de reconnaître pour roi Joseph Bonaparte imposé en Espagne. Il en sera chassé après une terrible Guerre d’Indépendance qui sonne le glas de l’Empire de Napoléon : rappelons non pas les heureuses peintures de Goya des temps de la tonadilla, mais ses sombres tableaux sur la guerre, ses massacres, ses gravures sur les malheurs de la guerre. En dix ans, entre 1810 et 1820, l’Espagne perd le Mexique, l’Amérique centrale et l’Amérique du sud dont elle tirait d’énormes richesses. Elle ne garde que Cuba, Porto-Rico et les Philippines, qui, à leur tour, s’émanciperont en 1898, année qui marque la fin d’un Empire espagnol de plus de trois siècle.
Et paradoxalement, ces années 1890 sont l’apogée de la zarzuela, avec le género chico (‘le petit genre’), en un acte, qui connaît un essor sans précédent.
Indifférente aux aléas de l’Histoire contemporaine, la zarzuela chante les valeurs traditionnelles d’une Espagne qui continue à se croire éternelle avec ses valeurs, courage, héroïsme, honneur, amour, religion, patrie, etc, tous les clichés d’un nationalisme d’autant plus ombrageux qu’il n’a plus l’ombre d’une réalité solide dans un pays paupérisé par la perte des colonies et les guerres civiles, les guerres carlistes qui se succèdent, trois en un siècle, entre libéraux et absolutistes, la terrible Guerre de 1936, en étant qu’une suite en plein XXe siècle.
La zarzuela devient une sorte d’hymne d’exaltation patriotique, de nationalisme auto-satisfait où l’espagnolisme frise parfois l’espagnolade. Cela explique que le franquisme, isolé culturellement du monde, tourné vers le passé, cultiva avec dévotion la zarzuela, la favorisa de même qu’un type de chanson « aflamencada », inspirée du flamenco, comme une sorte de retour aux valeurs traditionnelles d’une Espagne le dos tourné à la modernité.
Après un rejet de la zarzuela, et du flamenco, récupérés et identifiés à l’identité franquiste, il y a un retour populaire apaisé vers ces genres typiques, d’autant qu’ils avaient toujours été défendus et cultivés, sur les scènes mondiales par tous les plus grands interprètes lyriques espagnols déjà nommés. Domingo par ailleurs, né de parents chanteurs de zarzuelas, a imposé la zarzuela comme genre lyrique dans le fameux concours qui porte son nom et des chanteuses aujourd’hui célèbres comme Inva Mula, albanaise, ou Elina Garanca, lettone, s’y sont illustrées, entre autres.Sans oublier Rolando Villazón.

Musique espagnole : du typique au topique
La musique espagnole traditionnelle, typique, a une identité si précise en rythme, tonalités particulières, mélismes, qu’elle s’est imposée comme un genre en soi, si bien que rythmiquement, certaines de ses danses picaresques, même condamnées par l’Inquisition comme licencieuses, la chacone, la sarabande, la  passacaille, le canari, la folie d’Espagne, le bureo (devenu sans doute bourrée), se sont imposées et dignifiées dans la suite baroque. Quant à ses modalités et tonalités, elles ont fasciné les grands compositeurs, de Scarlatti à Boccherini, par ailleurs bien intégrés à l’Espagne, de Liszt à Glinka et Rimski-Korsakof, de Verdi à Massenet, de Chabrier à Lalo, Debussy, Ravel, en passant par la Carmen de Bizet qui emprunte son habanera à Sebastián Iradier et s’inspire du polo de Manuel García, père de la Malibran et de Pauline Viardot, etc, pour le meilleur d’une « vraie » et digne musique espagnole « typique », écrite hors de ses frontières.
Mais le typique trop défini finit en topique, en cliché avec l’espagnolade, qui a ses degrés, pas tous dégradants, et qui tiennent plus à une surinterprétation, à un excès coloriste de la couleur locale dans la musique, mais, surtout, à des textes, pour la majorité de musiques chantées, qui surjouent un folklore hispanique où règne le cliché pas toujours de bon aloi, une Espagne plurielle réduite abusivement à une Andalousie de pacotille, qui agace et humilie les Espagnols, caricaturée au soleil, au faux flamenco, aux castagnettes et à l’abomination de la corrida.

Nuits des Espagnes aux Chorégies
C’est l’Espagne, en fait, dans son unité et variété, fortement une par sa puissante tradition musicale et sa pluralité de chants et de danses de ses diverses régions évoquées, du nord au sud : Andalousie, Aragon, Castille, Estrémadure, Pays basque, etc.

La Boda de Luis Alonso symbolique ?
Bel exemple, symptomatique, symbolique ici, l’ouverture du spectacle, l’intermède célèbre de La Boda de Luis Alonso (1897) de l’enfant prodige puis compositeur prodigue Gerónimo Giménez qui a composé plus d’une centaine de zarzuelas en un acte dont un ‘Barbier de Séville’ El barbero de Sevilla (1901). Il dépasse le cadre du genre avec La tempranica (1900), véritable opéra-comique, très lyrique, dont s’inspire Manuel de Falla pour sa Vida breve, puis Turina, Torroba en faisant un opéra en mettant en musique les parties parlées. Un des airs de La tempranica, le zapateadode la tarentule, mis en faveur par Teresa Berganza, est désormais un tube pour nombre de cantatrices, dont Patricia Petibon, qui le chante avec espièglerie et parfait accent andalou. Le succès de sa précédente zarzuela, El baile de Luis Alonso (1896) lui avait suggéré non une suite mais un épisode antécédent de la vie de son héros, Luis Alonso, maître à danser à Cadix, son mariage avec une jeunesse, perturbé par l’ex jaloux de la mariée qui, par une ruse brutale et bestiale, un lâcher de taureaux, rendra compliquée —ou impossible— la nuit de noces du quinquagénaire maître à danser —sur un mauvais pied.

Ballet Antonio Gadès
La musique est brillante, joyeuse, élégante et condense des rythmes et des motifs musicaux autant andalous que du reste de l’Espagne, dont un thème populaire aragonais que Glinka avait utilisé dans sa Jota et Liszt dans sa Rhapsodie espagnole. Un maître à danser et une musique si dansante, rien de mieux pour mettre en valeur le Ballet Antonio Gadès, six hommes en noir, huit femmes en jupes blanches, corolles inversées de lis aux pétales des volants de dessous en rouge, vert, bleu… Le ballet, dans l’élégance de ses figures, déploie le meilleur de l’École bolera, le ballet classique national espagnol, épuré au XVIIIesiècle au contact de la danse française et italienne de cour, mais nourri, comme toute musique en Espagne, de rythmes, de danses populaires. La rencontre, au XIXesiècle avec le flamenco balbutiant sera fructueuse : celui-ci s’affine à son contact et l’École bolera, en raffine des traits, en adopte et adapte des figures, castagnettes et zapateado virtuoses, grâce et dignité des figures, allures, postures. En noir et blanc, avec ces envolées des volants de jupons discrètement colorés, c’était toute l’élégance sans arrogance qui présidait la soirée, menée de main de maître, à la tête du bel Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, par Óliver Díaz (qui corrigera, en seconde partie, un niveau sonore excessif, notamment des cuivres, dans ce vaste espace qui n’en a pas besoin).

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Autre interlude, celui des Goyescas (1916), opéra d’Enrique Granados inspiré plastiquement des tableaux de Goya et, musicalement, de sa suite pour piano (1911) dont le succès à Paris lui avait valu cette commande. La création, à cause de la Guerre mondiale, se fera à New-York en présence du compositeur malheureusement : après le triomphe, il rentrait à Barcelone sur le Sussex qui fut torpillé pas un sous-marin allemand ; Granados, voulant secourir sa femme, se noya avec elle. L’interlude, majestueux, s’ouvre lentement, très lentement comme un rideau de scène dont le chef Óliver Díaz, qui s’était déployé en joyeuse frénésie rythmique avec Luis Alonso, semble étirer et retarder à l’infini du rêve l’ouverture, faisant planer d’irréelle façon le motif vaporeux si nostalgique, si caractéristique du néoromantisme mélancolique Granados. La chorégraphe Mayte Chicoa l’intelligence, la pudeur de ne pas parasiter cette parenthèse méditative, si chargée de deuil par l’Histoire, par des danses : une femme seule, en noir, erre rêveusement sur le plateau, interrogeant sans doute, pour nous, l’ironie cruelle de la vie, succès et mort.
Un autre intermède donnera lieu à des danses de toute beauté, ensembles, quadrilles, pas de deux, celui, fameux aussi, de La leyenda del beso (1924) de Sotullo y Vert, avec pour thème central une zambragitane d’une fière noblesse. En seconde partie, extrait du ballet de Manuel de Falla, El sombrero de tres picos, ‘Le tricorne’, la farruca, la danse virile du meunier, est dansée par un soliste dont le nom méritait d’être cité, avec l’aristocratique hiératisme fougueux du vrai flamenco, loin des vulgarités scéniques racoleuses qui, aujourd’hui, se prodiguent trop. Enfin, dernière parenthèse de danse pure qui scande le spectacle, c’est le prélude du Niño judío (‘L’enfant juif’), 1918, de Pablo Luna qui, arrachant la zarzuela à ses frontières nationales, fait voyager de Madrid en Syrie puis aux Indes sans rien perdre de son espagnolisme puisque on y trouve l’air célèbre « De España vengo » (‘Je viens d’Espagne’), fleuron lyrique fleuri de mélismes et roulades typiques du flamenco crépitant de castagnettes, qui est, en fait, orchestral, l’ouverture, où la voix est celle de clarinettes et flûtes. Couleurs d’orchestre et couleurs virevoltantes des figures chorégraphiques sont d’un dynamisme communicatif, roboratif.

Chant espagnol
Accueilli par une longue ovation dès son entrée en scène, sa grande silhouette chenue, un peu courbée, saisi d’une visible émotion, vedette de la soirée, Plácido Domingone tire pas pour autant la couverture à soi dans ce concert bien équilibré : quatre airs et une chanson en bis pour lui ; trois airs pour le ténor Ismael Jordiplus trois duos corsés avec Ana María Martínez, qui avec ses trois duos avec Domingo et quatre airs solistes, est bien la soprano disputée entre le baryton et le ténor de la tradition lyrique.

Ismael Jordi
On retrouve avec plaisir, nouveau à Orange mais déjà invité à Avignon, cet élégant et athlétique ténor à la voix ample, égale sur toute sa tessiture, au timbre d’argent raffiné, capable de subtiles nuances d’expression, à l’impeccable ligne et phrasé. Son premier air est tiré de El trust de los tenorios, ‘Le Syndicat des Don Juan’ (1910) de José Serrano, une leste zarzuela où un séducteur en panne, mis en demeure par ses congénères, sous peine d’amende, de séduire la première femme qui passe, dinDon/Juan de la farce, réussira non à l’emporter mais à faire emporter par un troisième larron l’épouse du Président du club. Il chante la jota « Te quiero morena », avec toute la franchise vocale et la saine puissance que demande cet air aragonais large, direct et gaillard, mais sans rudesse aucune. En deuxième partie, il chante l’air généreux du jeune Javier de Luisa Fernanda (1932) de Federico Moreno Torroba, «De este apacible rincón de Madrid»,évoquant avec une belle envolée son départ et retour en ce coin de Madrid, poussé par l’ambition de la gloire militaire claironnée en final par une fanfare brillante de cuivres. En bis (les bis ne seront jamais annoncés) c’est avec une rêverie nostalgique pleine de nuances délicates qu’il donne la romanza (dénomination de l’air dans la zarzuela) « Sueño de amor », ’Rêve d’amour’, bien nommé de la zarzuela El último romántico(1928) des duettistes compositeurs Soutullo y Vert, qui évoque avec précision des coutumes du peuple et de l’aristocratie du Madrid du dernier tiers du XIXe siècle agité par des remous révolutionnaires.

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Mais, dans un duo d’une grande violence avec Ana María Martínez, il sera d’abord un l’effrayant gitan amoureux de La leyenda del beso qui,à défaut de la séduire en prétendant « Amor, mi raza sabe conquistar », ‘ma race sait conquérir l’amour’, il en vient à la menace ouverte de l’amour à la haine et de la haine à la vengeance. Sans forcer son accent andalou, ce natif de Jérez à nom catalan d’une Espagne sans frontières, est tout aussi crédible dans le duo comique avec la soprano de l’opéra en trois actes et non zarzuela El gato montés (1917) de Manuel Penella, entonnant le pasodoble fameux, musique pleine de vie devenue malheureusement appel de torture et de mort dans les corridas.
Ana María Martínez, la portoricaine, de cette hispanité ressoudée, qui se moule sans peine dans tous les accents hispaniques des zarzuelas régionales, du madrilène à l’andalou, a affaire, et beaucoup à faire, avec les deux péninsulaires Espagnols dans des duos qui sont aussi des duels ! Ces mâles dominants ont du mal à séduire ou conquérir des femmes, aussi rebelles que Carmen, guère enclines, les coquines, à se laisser dicter un choix.

Mâles en échec
Vaines menaces du gitan, inutiles séductions, d’un Domingo redevenu ténor aragonais dans El dúo de La Africana (1893), ‘Le duo de l’Africaine’ de Fernández Caballero qui veut convaincre la prima donnasévillane d’une pauvre troupe d’opéra, répétant l’Africainede Meyerbeer, d’abandonner son pingre de mari impresario pour la suivre en Aragon pour y chanter la jota avec lui : « No cantes más la Africana »,’Ne chante plus l’Africaine’, intime-t-il vainement,avec véhémence,l’air ayant une strette en contrepoint véloce très rossinien sur le rythme de la jota : « No me da la gana » , ‘Je n’en ai pas envie’. Le même Plácido, puissant propriétaire d’Estrémadure, se faisant fort d’obtenir ce qu’il veut, se voit opposer un ferme « ¡Adiós, Vidal ! » par Luisa Fernanda.
En effet, voix ferme et agile, aux séduisantes couleurs, égale sur toute la tessiture, soprano passant sans peine au mezzo, avec les aigus déchirants du pur lyrique nostalgique des illusions fanées de la romanza« No corté más que una rosa », ‘Je n’ai cueilli qu’une rose’de La del manojo de rosas (1934) de Pablo Sorozábal, ‘Le bouquet de roses’, boutique où travaille une noble demoiselle ruinée après la chute de la monarchie à l’avènement de la Seconde République, zarzuela avec des traits sociaux réalistes, pressentant la guerre. Composée presque à la fin de la Guerre Civile,en trois actes et en prose, La marchenera (1938), est d’une élégance typique andalouse, dont les pétillantes petenerasflamencas, «Tres horas antes del día ». de Federico Moreno Torroba qui en composa quelque cinquante, genre qu’il défendit jusqu’en 1960. Ami du père de Domingo, en1980, il composa un opéra, El poeta, ‘Le poète’, avec Plácido, mais sans succès.
En bis, toujours sans annonce, avec encore une grâce andalouse des plus piquantes, Ana María Martínez, animée d’une vélocité à couper le souffle sauf le sien, se lance dans «Al pensar en el dueño de mis amores »,les virtuoses carcelerasde Las hijas del Zebedeo (1889), ‘Les filles du Zebedeo’, air plein d’humour brodé de roulades dont elle enchaîne les cadences flamencas sans coupure, œuvre du grand compositeur d’opéras et de zarzuelas Ruperto Chapí, qui a laissé un chef-d’œuvre absolu comique du genre bref, La revoltosa (1897).
En fin de première partie, elle avait partagé le pasodoble en duo , « Hace tiempo que vengo al taller», tiréde la zarzuela réaliste de Sorozábal, La del manojo de rosas, avec un Domingo, faux ouvrier mais vrai amoureux, seul rôle de la soirée où Plácido sera heureux héros en amour.

Plácido Domingo, héros en échec amoureux
En effet, notre Domingo, la voix d’or devenue de bronze bruni, sans tricher sur son âge, a-t-il malicieusement placé toute cette nuit espagnole sous le signe du barbon joué comme le héros de La Boda de Luis Alonso qui ouvrait le programme ? En tous les cas, ici, le ténor devenu ou redevenu le baryton qu’il fut à ses débuts, loin de se la jouer en vieux jeune homme, laisse élégamment la place de vainqueur amoureux, explicitement ou implicitement par le choix des œuvres, au jeune premier Ismael Jordi. Certes, c’est la tradition lyrique que de faire du baryton l’empêcheur de tourner rond les amours de la soprano et du ténor. Mais, même reprenant la tessiture de ténordans El dúo de La Africana, c’est un refus qu’il reçoit de la diva andalouse rétive. Son premier air soliste d’entrée de La del soto delParral (Sotullo y Vert, 1929),« Quiero desterrar de mi pecho el temor»,évoque dramatiquement « les heures heureuses perdues », « la désillusion, » l’amertume du temps qui passe.Son second air, « ¡Mi aldea ! », ‘Mon village !’ de Los gavilanes (1923), ‘Les éperviers’, de Jacinto Guerrero, exprime la joie, le bonheur éclatant du retourtriomphant sur la terre natale de l’indiano,l’émigrééconomique revenu riche des Amériques,au sommet de sa puissante maturité. Mais la suite, malgré sa lucidité : « Je n’espère plus être aimé »et son cynisme misant l’amour sur le « sublime talisman de la richesse », lui prouvera que l’argent ne peut pas tout et le prédateur, aspirant à épouser la fille de la femme vieillie autrefois aimée, devra renoncer à sa proie. Vidal, le puissant propriétaire terrien sûr de lui et de ses désirs, même au moment du mariage, renoncera à la jeune Luisa Fernanda mieux assortie en âge et sentiment à Javier.

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En fin de première partie, tiré de la réaliste La tabernera del puerto (1936) de Sorozábal, ‘La tavernière du port’, sur fond de trafic de cocaïne, son air « No puede ser », ‘C’est impossible’, dont son charisme a fait un passage obligé dans les récitals de ténors, chante de façon intense, déchirante, véhémente et intimiste à la fois, toutes les interrogations d’un homme aimant passionnément une femme mal perçue de l’opinion publique. Mais, quand on connaît l’ouvrage, on sait que son amour sera enfin couronné de succès.
Succès, échec ? Son bis, toujours pas annoncé, est la superbe surprise de la soirée : une chanson célèbre sur la forcément éphémère nuit d’amour d’une prostituée et de son client.
Ojos verdes (1935). Ces ‘Yeux verts’ ont pour auteur du texte un aristocrate, Rafael de León, comte et deux fois marquis, poète de ladite fameuse Génération de 27, dont faisait partie Federico García Lorca, dont il fut ami. Préférant aux salons de la noblesse les cafés chantants, en trio avec l’auteur dramatiqueAntonio Quintero et le musicien Manuel Quiroga, il deviendra célèbre et ils enregistreront plus de cinq milles chansons populaires dont certaines sont devenues des classiques du patrimoine espagnol. Narrée à la première personne,Ojos verdes traite du troc banal entre une prostituée et un beau client mais la poétise par l’élégance indirecte de l’échange :

« Appuyée contre la porte du bordel,
Je regardais s’allumer la nuit de mai.
Les hommes passaient et je souriais
Et tu t’arrêtas à cheval devant moi. »
Le cavalier demande, non le prix mais, avec courtoisie :
« Ma belle, me donnerais-tu du feu ?
— Mon beau, viens le prendre sur mes lèvres,
Je te donnerai du feu. »
S’ensuit, pour la femme une inoubliable nuit illuminée par les yeux de son amant de passage,
« Yeux verts comme le basilic, verts comme le vert citron, avec des reflets de poignard à jamais cloué dans mon cœur. »
À l’aube de la séparation, encore l’élégance courtoise du client qui ne laisse pas le « petit cadeau » gênant, le prix de ce qui est plus qu’une passe, mais dit :
« Ma belle, je veux t’offrir de quoi t’acheter une robe ».
À quoi, la prostituée, arrêtant son geste, répond avec la même dignité :
« Nous sommes quittes, tu n’as rien à me donner. »
La bêtise de la censure postérieure franquiste, époque de prostitution hypocrite à grande échelle, interdisait, sous peine d’amende, de prononcer le mot mancebía, ‘bordel’, choquant ses chastes oreilles et imposait de dire à la place un día , ‘un jour’, ce qui donnait :
« Appuyée contre ma porte un jour
Je regardais s’allumer la nuit de mai.
Les hommes passaient et je souriais… »

Bref, transformant la pute, dont c’est le métier, en quotidienne ménagère racolant devant sa porte. La créatrice du rôle, Concha Piquer, républicaine, préféra toujours payer les amendes plutôt que de changer la parole.
Domingo, comme d’autres interprètes masculins épris de cette musique, de ce texte superbe, s’est emparé de la chanson, la mettant à la troisième personne, au prix de quelque absurdité : ces yeux verts (de la femme dans cette version), cloués à jamais au cœur, inoubliables, il est toujours loisible à l’homme, au client, de les retrouver, pas à elle. La musique auréole les paroles, les mots importants brodés, bredouillés, fredonnés, frissonnés, même du bord des lèvres, de délicats mélismes andalous, impossibles certes à exécuter dans l’immensité du plein air et dans la pleine puissance de cette voix mythique, mâle et tendre : mais, une danseuse flamenca, jouant avec son immense châle de Manille, semble jouer, dessiner physiquement pour nous ce que le texte dit et orne avec une souveraine élégance physique : avec ce sublime parao, cet arrêt, brusque et graphique, châle déployé comme une aile immense, ce digne refus du prix, le foulard frangé symbolisant à la fois la robe proposée et la dignité de la femme, qui transcende la vénalité par la noblesse du geste gratuit.
Des projections murales d’images de l’Espagne, quelques tables de taverne, des chaises sur scène stylisent lieux et ambiances d’une nuit d’Espagne.
On ne peut que remercier les Chorégies d’Orange d’avoir offert à Plácido Domingo et ses amis, cette carte blanche, qui a pris les couleurs d’un rêve espagnol par la grâce, la magie de ce grand artiste qui, traversant et transcendant tous les genres musicaux, fait vivre la Musique pour tous.

CRITIQUE, Zarzuela. ORANGE, Chorégies, le 6 juil 2019. NUIT ESPAGNOLE, TOUJOURS DIMANCHE AVEC DOMINGO…

Chorégies d’Orange
Théâtre Antique
Samedi 6 juillet à 21h30

Direction musicale, Óliver Díaz
Ana María Martínez, soprano
Ismael Jordi, ténor
Plácido Domingo, baryton
Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo / 
Les ballets d’Antonio Gades

François Thoron, lumières,
Mayte Chico, chorégraphies

Photos Philippe Gromelle
1 . Ballet Antonio Gadès ;
2. Gitan jaloux : Ismael, Martínez ;
3. Domingo :  “Ojos verdesâ€.

Diffusion
sur France 5 samedi 27 juillet, 22h30

On trouve quelques zarzuelas intégrales et de très nombreux extraits sur Youtube par les plus grands interprètes espagnols. Brefs exemples :
Ataulfo Argenta – Intermedio (La Boda de Luis Alonso)

https://www.youtube.com/watch?v=FFkleozk0xk

La leyenda del beso, Intermedio :

El niño judío.Compañía Sevillana de Zarzuela. Direction d’orchestre : Elena Martínez:

https://www.youtube.com/watch?v=7wZy3Dwfqi8

Musiques en Fête : les 150 ans du Théâtre antique d’Orange

france3 logo 2019 2019FRANCE 3, merc 19 juin 2019, 21h. MUSIQUES EN FETE. Depuis le théâtre antique d’Orange dont 2019 marque les 150 ans, France Télévisions met les petits plats dans les grands et nous offre une soirée lyrique sous les étoiles, et dans l’un des sites patrimoniaux les plus anciens de France, légué par l’occupation romaine : le théâtre antique d’Orange qui est le lieu du festival des Chorégies d’Orange. Son acoustique continue de surprendre et de convaincre, et même si le spectacle ce soir est sonorisé, l’architecture antique constitue un décor majestueux qui est absolument télégénique. Pour fêter la musique, France 3 invite de nombreux chanteurs, lyriques et de variété ; devant huit mille spectateurs, se produisent les solistes habitués à la performance : Roberto Alagna, Kévin Amiel, Thomas Bettinger, Sara Blanch Freixes, Erminie Blondel, Jérôme Boutillier, Florian Cafiero, Chloé Chaume, Patrizia Ciofi, Fabienne Conrad, Thomas Dear, Armelle Khourdoian, Angélique Kidjo, Florian Laconi, Valentine Lemercier, Amélie Robins, Marc Scoffoni, Béatrice Uria-Monzon (la mezzo qui chante soprano à présent).
200 musiciens, composant les orchestres régional Avignon-Provence et régional de Cannes-Provence-Alpes-Côte d’Azur, dirigés par les chefs Luciano Acocella et Didier Benetti interprètent les plus grands airs d’opéra, d’opérette, de comédies musicales, ainsi que des musiques traditionnelles et des chansons françaises.
De Bizet à Donizetti, de Massenet à Puccini, plusieurs airs et mélodies incontournables sont interprétés en direct sur France 3 et en simultané sur France Musique, au cœur du plus ancien festival d’art lyrique de France.
Avec également :
Les Artistes du Chœur de Parme dirigés par Stefano Visconti
La Maîtrise de l’Opéra d’Avignon dirigée par Florence Pogemberg
Les Danseurs de l’Opéra d’Avignon, sous la direction d’Éric Belaud
Les jeunes talents de Pop the Opera, réunissant une centaine de collégiens et de lycéens issus d’établissements scolaires de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur (dans une séquence unique, où ils réinterprètent un succès de la musique  populaire.



Soirée animée par Cyril Féraud et Judith Chaine – 9è édition de Musiques en fête.

 

 

 

 

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PROGRAMME INDICATIF

Georges Bizet
Carmen ; Ouverture

Charles Aznavour
La bohème
(Par Roberto Alagna)

Giuseppe Verdi
La Traviata
Sempre libera
(Par Erminie Blondel et Florian Cafiero)

Giuseppe Verdi
La Traviata
Dite alla giovine
(Par Armelle Khourdoïan et Marc Scoffoni)

Giuseppe Verdi
Aïda
Gloria all’Egitto
(Chœur)

POP OPERA
Extraits de chansons
Ruggero Leoncavallo
I Pagliacci ; Vesti la giubba
(Par Roberto Alagna)

Vincenzo Bellini
I Capuleti e i Montecchi
Oh quante volte
(Par Patrizia Ciofi)

Franz Lehar
Le Pays du sourire
Je t’ai donné mon cœur
(Par Kévin Amiel, Erminie Blondel, Marc Scoffoni)

Giacomo Puccini
Tosca ; E lucevan le stelle
(Par Florian Cafiero)

Giacomo Puccini
Gianni Schicchi ; O mio babbino caro
(Par Chloé Chaume)

Jacques Offenbach
La Vie parisienne
Le Brésilien
(Par Roberto Alagna)

Johann Strauss
La Chauve-Souris
Mon cher marquis
(Par Amélie Robins)

Giuseppe Verdi
Nabucco
Come notte
(Par Thomas Dear/Chœur)

Jules Massenet
Le Cid
“Ô Souverain, Ô juge, Ô père …”
(Par Roberto Alagna/Choeur)

Leonard Bernstein
West Side Story
Mambo
(Danseurs de l’Opéra d’Avignon)

Leonard Bernstein
West Side Story
Tonight
(Par Fabienne Conrad et Florian Laconi)

Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor
Finale de l’acte II
(Patrizia Ciofi, Valentine Lemercier, Kévin Amiel, Thomas Bettinger, Jérôme Boutillier, Thomas Dear/Choeur)

Pietro Mascagni
Cavalleria rusticana
Ave Maria
(Par Béatrice Uria-Monzon)

Lucio Dalla
Caruso
(Par Florian Cafiero)

Michel Legrand
Hommage à Michel Legrand
(Par Jérôme Boutillier, Erminie Blondel, Valentine Lemercier, Amélie Robins, Kévin Amiel, Thomas Bettinger/ Danseurs de l’Opéra d’Avignon)

Vincenzo Bellini
Norma
Casta Diva
(Par Fabienne Conrad/Chœur)

Gaetano Donizetti
Lucia di Lammermoor
Quando rapito in estasi
(Par Sara Blanch Freixes)

Michel Berger
Starmania
Le blues du businessman
(Par Florian Laconi)

Giacomo Puccini
La Bohème
Che gelida manina
(Par Kévin Amiel)

Giacomo Puccini
La Bohème
Quando men vo’
(Par Armelle Khourdoïan)

Jacques Offenbach
La Grande Duchesse de Gerolstein
Ah que j’aime les militaires
(Par Valentine Lemercier)

Jacques Offenbach
Les Contes d’Hoffmann
La chanson de Kleinzach
(Par Florian Laconi/Choeur)

Franz Lehar
La Veuve joyeuse
Heure exquise
(Par Armelle Khourdoïan et Marc Scoffoni)

Ennio Morricone
Il était une fois dans l’Ouest
(Par Amélie Robins/Maîtrise de l’Opéra d’Avignon)

Jules Massenet
Werther
Pourquoi me réveiller
(Par Thomas Bettinger)

Georges Bizet
Carmen :
Air du toréador
(Par Jérôme Boutillier/Choeur)

Georges Bizet
Carmen :
Scène finale
(Par Béatrice Uria-Monzon et Roberto Alagna)

Célia Cruz
La vida es un carnaval
(Par Angélique Kidjo/Chœur)

Jacques Offenbach
Orphée aux Enfers
Ce bal est original
(Tutti/Chœur/Danseurs de l’Opéra d’Avignon)

Giuseppe Verdi
La Traviata
Libiamo ne’ lieti calici
(Par Patrizia Ciofi et Roberto Alagna/Chœur)

La Maîtrise de l’Opéra d’Avignon, direction : Florence Pogemberg
Les Artistes du chœur de Parme, direction : Stefano Visconti

Avec L’Orchestre régional Avignon-Provence
et l’Orchestre régional de Cannes-Provence-Alpes-Côte d’Azur
Direction musicale : Luciano Acocella et Didier Benetti

Compte-rendu Opéra ; Orange, Chorégies 2016 ; Théâtre Antique, le 6 aout 2016 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, Mise en scène : Louis Désiré ; Violetta Valery, Ermonela Jaho ; Direction musicale : Daniele Ruston

Compte-rendu Opéra ; Orange, Chorégies 2016 ; Théâtre Antique, le  6 aout 2016 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, Mise en scène : Louis Désiré ;  Violetta Valery, Ermonela Jaho ; Direction musicale : Daniele Ruston. La Traviata au festival d’Orange, cela suffirait à remplir les 8000 places du Théâtre Antique tant cet opéra est aimé du public. La démocratisation de l’opéra passe par Orange car la télévision lui est fidèle sans défections depuis les origines. Le public d’Orange est unique car beaucoup plus jeune et décontracté qu’ailleurs, très amateur de belles voix également. Les Chorégies doivent se renouveler pour offrir des versions captivantes des éternels chefs d’œuvre, toujours repris en boucle. Mais la magie du lieu ne se dément jamais ou si rarement que le mauvais temps devient simple broutille. Ce soir a été venteux, très venteux, mais a été un grand soir d’opéra, un grand soir pour les Chorégies qui signent leur meilleure Traviata et l’un de leurs meilleurs spectacles. Et je n’ai pas été avare les autres étés dans mes descriptions des belles soirées sous les étoiles. Ma voisine qui comme moi n’en est pas à sa première dizaine de Traviata, amoureuse de l’ouvrage et comme critique en a été d’accord : c’est la plus belle Traviata jamais vue ! Et pourtant celle de Ponnelle, Malfitano et Lombard  n’a été détrônée que de justesse…

 

 

 

Orange, Chorégies 2016 : la sublime Traviata d’Ermonela Jaho

 

 

Violetta Valery est un personnage sublime et inoubliable. Mais hélas trouver une très belle femme, fine et gracieuse évoquant la fragilité des phtisiques est rarissime. Et la plupart des Traviata vocalement acceptables ne le sont pas du tout physiquement… Et quand l’actrice bouscule tout (Natalie Dessay), la voix n’est pas là dans chacun des trois actes. Dirons nous que nous avons tout gagné avec la défection de Diana Damrau ? Ce serait une muflerie mais cela pourrait être vrai…
Si la voix d’Ermonela Jaho n’a pas la rondeur et la beauté de certaines (Georghiu avec Solti ou Caballe au firmament avec Prêtre), si elle n’a pas l’angélisme dans la rédemption

 

 

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que certaines parviennent à suggérer (De Los Angeles, Stratas, Cotrubas ), si le brillant n’a pas le pur diamant des soprano agiles (Gruberova, Moffo, Sutherland, Damrau), ce soir Ermolena a tout, absolument tout pour le rôle. La beauté de la femme, avec des bras d’une grâce inouïe, la franchise de l’actrice, la mélancolie sous les atours de la fête : tout cela tient de l’incarnation majeure. La désolation rendue par un jeu minimaliste, la maigreur du visage et l’oeil vide à l’acte trois avec la transe finale est d’un génie qui n’est pas sans évoquer Callas. Cette Traviata ne peut se quitter des yeux et son absolu zénith est à l’acte dernier qui est tout simplement anthologique.
L’évolution du personnage relève une grande actrice aux facettes multiples. Femme de vie brillante mais désespérée au prologue, amoureuse apaisée et digne à l’acte un, femme du monde détruite a l’acte deux et femme faite Amour à l’acte trois.

Vocalement Ermonela Jaho a les trois voix de la Traviata. Vocalises et trilles précis avec aigus mais sans l’inutile contre-mi pour le prologue. Mais ce sont surtout les couleurs, les nuances et le phrasé qui sont de grande classe belcantiste. Son slancio verdien, fait d’un phrasé ample et souple sur un souffle infini résiste ce soir au mistral à l’acte un. Son « Amami Alfredo » nous glace le sang. La manière royale dont elle domine sans efforts le grand final de l’acte deux appartient aux grands sopranos verdiens. Puis à l’acte trois, c’est le drame fait voix, le jeux avec les voiles blancs et le vent, la fusion avec le chef et l’orchestre qui atteignent au sublime. Des sons filés aériens, ceux qui faisaient se pâmer les callassiens du paradis de la Scala, une longueur de souffle qui fait se distendre les phrases, abolissant le temps et l’espace. « Se una pudica vergine » est un moment magique, sous la nuit étoilée avec un vent enfin apaisé. Le piano flotte jusque sur la colline, et envahit le cÅ“ur de la plus noire tristesse, inouïe sensation de beauté sublime…
Le travail pourtant très court (8 jours !) avec le chef a du être un coup de foudre musical tant maestro Rustoni a porté au firmament du beau son d’orchestre pour cette Traviata là.

Le dernier acte, et je le redis, tient du miracle. L’orchestre de Bordeaux-Aquitaine a été magnifique en tout. Il se pourrait bien en effet que ce très jeune chef, que l’opéra de Lyon va s’attacher à la rentrée, ait des qualités de brillant et de sérieux, un enthousiasme proche de la transe qui en fasse le meilleur chef verdien à venir. Dirigeant pas cœur, ce qui est bien utile dans le tempête venteuse de ce soir,  il dit toutes les paroles, a l’œil sur chaque instrumentiste, ne semble pas lâcher un seul instant les chanteurs ou le chœur. L’élégance de sa direction et son charisme, sont ceux d’une très grand chef. Son sens du tempo exact avec toute la liberté à donner au chant, mais sans aucune complaisance ou mollesse, la manière dont il chauffe les nuances au plus loin, celle dont il obtient de l’orchestre des couleurs d’une richesse incroyable. Tout cela  très loin, de la grande guitare que de pauvres fous entendent dans le verdi de jeunesse. Il obtient une tension dramatique toujours entretenue et un rythme impeccable. Une Traviata de chef et de soprano au sommet aurait déjà suffi à notre plus grand bonheur. Il faut bien dire pourtant que tout le reste a été à cette hauteur.

La mise en scène de Louis Désiré est intelligente et sobre, les costumes de Diego Méndez Casariego  sont de toute beauté ; ils prennent bien le vent. L’unique décor représente un grand miroir symbole dans lequel Violetta se cherche un avenir et miroir de ses sentiments. Les projections sont pleines de symboles et peu nombreuses. Des gouttes d’eau comme des larmes pour la fin, un arbre tout feuillu qui meurt après l’intervention de Germont père et des lustres pour le luxe des fêtes mondaines.
Francesco Meli  est un Alfredo élégant et bien chantant, capable de tendresse comme d’emportements sans brutaliser son beau timbre. Annina, Anne-Marguerite Werster, émeut par une belle compassion ainsi que le docteur Grendvilles de Nicolas Teste d’une très belle présence vocale et scénique. Placido Domingo a toujours le même plaisir à chanter ; il a une formidable présence sur scène. Lui qui a été un Alfredo de rêve est un Germont-père singulier. Il en remontre à bien des barytons tout en gardant la lumière de son timbre. Dans les ensembles, le brillant lui permet de faire entendre très clairement sa ligne. Troublante écoute car le père Germont est très proche d’Alfredo. Il incarne une parole populaire : l’enfer est pavé de bonnes intentions. Il est en effet un père plus qu’un bourreau mais accélère le drame sans s‘en rendre compte. Placido Domingo obtient un succès personnel très important de son public. Son charisme reste intact.
Les chœurs sont beaux tant scéniquement que vocalement. Ce qui est toujours impressionnant à Orange, c’est l’homogénéité obtenue par le mélange de trois chœurs, Avignon, Nantes et Marseille, et l’absence de décalage sur toute la largeur de cette immense scène.

Un très beau spectacle avec en vedette une Traviata proche de l’idéal vocal et surtout scénique en la sensationnelle Ermonela Jaho, portée par un grand chef, Daniele Rustoni.
Signalons qu’Ermonela Jaho a été la Diva Assoluta des Chorégies 2016. Sa Butterfly ayant ravi tous les cœurs au mois de juillet qui a précédé. Vivement l’été prochain à Orange !

Compte-rendu Opéra ; Orange, Chorégies 2016 ; Théâtre Antique, le  6 aout 2016 ; Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata, opéra en trois actes et un prologue sur un livret de Francesco Maria Piave d’après le roman d’Alexandre Dumas fils, la Dame aux camélias ; Mise en scène, Louis Désiré  ; Assistants à la mise en scène, Jean-Michel Criqui et Didier Kersten ; Scénographie et costumes, Diego Méndez Casariego ; Assistants à la scénographie et aux costumes, Nicolo Cristiano ; Eclairages, Patricc Méeüs ; Avec : Violetta Valery, Ermonela Jaho ; Flora Bervoix, Ahlima Mhamdi ; Annina, Anne-Marguerite Werster ; Alfredo Germont, Francesco Meli ; Giorgo Germon, Placido Domingo ; Gastone di Letorières, Christophe Berry ; Il Barone Duphol, Laurent Alvaro ; Il Marchese d’Obigny, Pierre Doyen ; Il Dottore Grenvil, Nicolas Teste ; Guiseppe, Remy Mathieu ; Chœur d’Angers-Nantes Opéra, chef de chœur : Xavier Ribes ; Chœur de l’Opéra Grand Avignon, chef de chœur : Aurore Marchand ; Chœur de l’Opéra de Marseille, chef de chœur : Emmanuel Trenque ; Orchestre National Bordeaux-Aquitaine ; Direction musicale : Daniele Rustoni.

Compte rendu, opéra. Orange, Chorégies, le 3 août 2016. Verdi : La Traviata par Ermonela Jaho. Triomphe de la soprano albanaise au Théâtre Antique d’Orange…

Compte rendu, opéra. Orange, Chorégies, le 3 août 2016. Verdi : La Traviata par Ermonela Jaho. Triomphe de la soprano albanaise au Théâtre Antique d’Orange…

TENDRE ET TRAGIQUE … Comme dans le cas de Butterfly ou Tosca, c’est toujours la musique qui fixe dans l’imaginaire collectif une œuvre tirée du roman ou du théâtre, ici, des deux. Remarquons que, même avec Greta Garbo et Robert Taylor, le film de George Cukor, Le Roman de Marguerite Gautier, de 1936, considéré comme un chef-d’œuvre, n’est plus qu’une curiosité pour cinéphiles. En revanche, le fameux air du champagne, « Libiam ! » et l’air de Violetta « Sempre libera… » sont sûrement connus même de gens ne mettant jamais les pieds à l’opéra. Puissance de la musique qui a donné une forme définitive au drame humain de la fille de joie à grand prix achetée, perdue et sauvée, rachetée par l’amour.

 

 

 

La courtisane historique

 

 

VERDI_402_Giuseppe-Verdi-9517249-1-402Fatalité des reprises des Å“uvres phare du répertoire lyrique, nous voilà encore à reprendre, mais enrichie, l’aventure de cette traviata, ‘dévoyée’, sortie de la voie’, de la bonne voie s’entend, de cette Violetta Valéry verdienne tirée du roman autobiographique La Dame aux camélias (1848) d’Alexandre Dumas fils : il en fera un mélodrame en 1851, qui touchera Verdi. C’est sa musique qui fixe dans l’imaginaire collectif le drame humain de la courtisane rédimée par l’amour. De son vrai nom Rose Alphonsine Plessis dite Marie Duplessis (1824-1847),puis tout de même comtesse de Perrégaux par son mariage à Londres, un an avant sa mort, avec un jeune amant noble qui ne l’abandonnera jamais, et lui offrira même, arrachant son corps à la fosse commune des indigents, le tombeau, toujours fleuri, que l’on peut voir au cimetière de Montmartre, inspire à Dumas fils, amant de cÅ“ur, le personnage de Marguerite Gautier qu’il fait entrer dans la légende. Après une enfance misérable et divers petits métiers, déjà célèbre à seize ans, contrairement à tant d’autres de ses consÅ“urs, elle avait appris à lire et à écrire, s’était éduquée mondainement et cultivée et tenait même un salon fréquenté par des artistes et des écrivains, dont Gautier et pas moins que Liszt, elle fut sa maîtresse, il envisageait de vivre avec elle : dans une lettre elle le supplie de la prendre avec lui dans une de ses tournées qui l’amenait en Turquie. Par sa grâce et ses grâces, c’était une maîtresse que l’on pouvait afficher sans honte dans le demi-monde sinon le monde, entretenue luxueusement par des amants qui se la disputaient, arborant dans ses cheveux dans sa loge au théâtre ou en calèche au Bois, dit-on, le fameux camélia blanc, signal des jours « ouvrables » pour les clients et rouge pour les jours d’indisposition féminine, ou pour les amateurs. Elle meurt à vingt-trois ans de tuberculose, criblée de dettes, et le roman de Dumas fils commence par la vente aux enchères de ses biens, ses meubles (il lui en restait assez) pour défrayer ses créanciers. Le jeune et (relativement) pauvre Alexandre, son amant durant un an, offrira plus tard à Sarah Bernhardt, pour la remercier d’avoir assuré le triomphe mondial de sa pièce, sa lettre de rupture avec celle qu’on appelait la Dame aux camélias, dont il résume l’un des aspects cachés du drame vécu :

«  Ma chère Marie, je ne suis pas assez riche pour vous aimer comme je voudrais, ni assez pauvre pour être aimé comme vous voudriez… »

Ne pouvant ni l’entretenir, ni être entretenu par elle, il deviendra célèbre et riche avec son drame qui raconte le sacrifice de la courtisane ruinée, exigé par le père de son amant, redoutant que les amours scandaleuses de son fils avec une poule de luxe ne compromettent le mariage de sa fille dans une famille où la morale fait loi. Et l’argent : on craint que le fils prodigue ne dilapide l’héritage familial en cette époque, où le ministre Guizot venait de dicter aux bourgeois leur grande morale : « Enrichissez-vous ! » Bourgeoisie triomphante, pudibonde côté cour mais dépravée côté jardin, jardin même pas très intérieur, cultivé au grand jour des nuits de débauche officielles avec des « horizontales », des hétaïres, des courtisanes ou de pauvres grisettes ouvrières, affectées (et infectées) au plaisir masculin que les messieurs bien dénient à leur femme légitime.

 

 

 

RÉALISATION

 

 

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Déjà « vériste », naturaliste par un sujet contemporain qui fit scandale, réaliste donc par le thème mais déréalisée par une musique belcantiste virtuose et une langue littéraire dont les tournures concises et recherchées frôlent la préciosité baroque, bourrée d’hyperbates, des renversements de l’ordre syntaxique naturel (« D’Alfredo il padre in me vedete », ‘D’Alfred en moi le père voyez’ , « Dunque in vano trovato t’avró », ‘Donc, en vain trouvé je t’aurai’, « Conosca il sacrifizio/ Ch’io consumai d’amore », ‘Qu’il connaisse le sacrifice/ Que je consommai d’amour’, etc), La traviata, malgré deux scènes de fête, est un opéra intimiste et semble s’opposer aux grands déploiements exigés par le gigantisme du théâtre antique. Diego Méndez Casariego qui, avec de sobres et funèbres costumes noirs, en signe la scénographie, s’en tire par une élégante solution : un miroir, symbole de l’intime, de l’interrogation sur soi, de l’introspection, d’autant plus chez une femme dont les appas sont le fonds de commerce, est porté ici à l’échelle du lieu, immense, occupe sans encombrer le fond de la scène, le fameux mur. Brisé comme un rêve trop grand dont les débris jonchent le sol, avec un centre obscur pour une traversée des apparences, un passage symbolique de l’autre côté du miroir, de la vie, il a un cadre doré également ruiné, dont des morceaux, en perspective de fuite, figurent une scène dans la scène, théâtre du monde, du demi-monde et sa vanité des vanités : des lustres luxueux projetés sur la glace et les murs sont la mesure des fastueuses fêtes, juste des reflets donc, mais, à jardin, un vrai lustre écroulé au milieu de chaises Second Empire dorées au siège de velours rouge occupées par des hommes en noir et, à cour, un massif, un parterre de fleurs blanches (des camélias?), est comme une tombe future autour de laquelle tournoient des femmes aussi en noir. Au milieu du plateau trône une méridienne noire, lit de repos déjà éternel : cercueil. Cet ensemble épuré et symbolique semble, à l’échelle près, un allégorique décor d’austère autocramental espagnol, une Vanité baroque. Des projections d’arbres allègeront la charge funèbre globale pour l’acte II et le rêve de survie de la fin. De simples écharpes rouges pour les dames et des éventails égayeront la fête de l’acte III, évacuant avec élégance le ridicule habituel de la scène des grotesques toreros. C’est d’un raffinement d’épure.

La mise en scène de Louis Désiré s’y glisse, s’y coule, avec la beauté sans surcharge d’une élégance noble, sans simagrées ni gestes outrés, qui joue avec une émotion contenue, sur la tendresse qui lie les personnages, même le père odieux en général, ici émouvant d’affection filiale pour elle qui pourrait être sa fille. Leur compréhension mutuelle est touchante, humainement vraie dans un juste jeu d’acteurs, comme la caresse et la gifle au fils.

Dès l’ouverture animée, la foule noire se presse et oppresse Violetta seule dans « ce populeux désert appelé Paris », singularisée par sa robe rouge, désignée victime d’un sacrifice à venir. Même le fameux et joyeux « brindisi » enserre les héros qui ne semblent jamais échapper, hors la parenthèse de la campagne, à l’omniprésent et pesant regard du monde sur leur intimité. Le monologue troublant de Violetta, « È strano… », devant le seuil de ce miroir brisé, le passage à l’acte de la rupture avec l’ancienne vie, est finement figuré par l’abandon respectif des amants dont elle refuse cette toujours présente fleur au profit de celle offerte à Alfredo qu’il rapportera fanée mais florissante de l’éclosion de l’amour.

 

 

 

INTERPRÉTATION

 

 

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Dès le prélude, cette douce et poignante brume qui semble se lever et ne devoir jamais finir, est étirée vers un infini insondable, tissée comme une douce soie par le jeune chef Daniele Rustioni. Pour la première fois aux Chorégies, il ne cède pas au piège du grossissement dans le gigantisme du lieu : d’entrée on sent qu’on est dans une direction musicale d’une qualité supérieure. Il estompe avec délicatesse les « zin-zin /boum-boum » d’un accompagnement de facile fête foraine de Verdi dans la deuxième partie de cette ouverture. À la tête des remarquables ChÅ“urs des Opéras d’Angers-Nantes, Avignon et Marseille, dirigeant avec ardeurl’Orchestre National Bordeaux-Aquitaine, il en transcende avec finesse les pupitres, exaltant la palette des timbres et attache une attention que l’on dirait amoureuse aux solistes, les accompagnant en finesse sans jamais les mettre en danger, tout adonné, engagé en actions physiques expressives dans la musique, la mimique et le jeu. Il faudrait réentendre comme il enfle le son au gré de la messa di voce de l’exceptionnelle Ermonela Jaho qui augmente le volume passionnel de sa voixdans son déchirant « Amami Alfredo ! » : c’est une vague, une houle musicale et émotionnelle qui déferle sans noyer l’interprète où tant d’autres se perdent.

À l’évidence, il y a eu beaucoup d’intelligence et de travail entre le plateau et la fosse pour donner à cette Å“uvre tragique toute la tendresse humaine dont elle ne déborde pas à première vue dans ce monde cynique et cruel d’un plaisir pas toujours très raffiné. Tout est traité, scéniquement et musicalement, dans la nuance. Tous les personnages, même éphémères, sont bien campés (Giuseppe, Rémy Matthieu, Annina, la fidèle et douce servante, Anne-Marguerite Werster, le fidèle aussiGrenvil à belle voix sombre de Nicolas Testé) ; Flora et le Marquis ne sont pas seulement un couple de comédie, mais des amis attentifs aux leurs, à Violette et Alfredo (Ahlima Mhandi , Christophe Berry)
; même le Baron (Laurent Alvaro), le protecteur officiel de Violetta, s’il empoche (pour elle, pour lui?) l’argent qu’Alfredo lui a gagné au jeu et n’a pas jeté au visage de son amante mais plus élégamment remis entre ses doigts, paraît être solidaire de celle qui l’avait pourtant abandonné et pour laquelle il sera blessé en duel.

Dans cette prestigieuse distribution, la découverte, ce fut le ténor Francesco Meli en Alfredo, amant choisi, heureux mais se croyant trahi, fils potentiellement prodigue puis contrit, homme entretenu sans le savoir et désespéré de le savoir. La voix est large, passant aisément la rampe orchestrale et la distance, le timbre chaud et, malgré un vibrato très vite corrigé, il cisèle tout en douceur les nuances de ce rôle, semblant se chanter à lui-même et non triomphalement tonitruer son air ardent mais intérieur comme une confidence d’un jeune homme élu, émerveillé par l’amour d’une femme que tous désirent. C’est du grand art au service non du chanteur mais d’un rôle.

On ne découvre pas Plácido Domingo, légende vivante du monde lyrique que cinéma, télévision ont popularisé mondialement et « divinisé », s’il n’était si attentivement humain aux jeunes talents qu’il favorise, par ailleurs directeur d’Opéras, chef d’orchestre en plus de demeurer le grand ténor aux cent-cinquante rôles qu’il a tous marqués et qui, en Espagnol fidèle au répertoire populaire hispanique trop méconnu, comme Kraus, Caballé, Berganza, los Ãngeles, Carreras et autres grands interprètes espagnols, a porté aux quatre coins du monde les charmes de la zarzuela ibérique, dont il a même imposé certains airs comme passage obligé des ténors d’aujourd’hui. Créateur donc autant qu’interprète exceptionnel. On le retrouvait en baryton, tessiture de ses débuts, et qu’il a toujours fréquentée de près dans les grands rôles de fort ténor au médium corsé comme Othello ou Canio, où sa couleur et puissance faisaient merveille. Ici, en baryton verdien tirant vers l’aigu, il était un Germont père, démarche lourde sous le poids autant de l’âge que de l’expérience, décidé à régler une affaire mais vite freiné par les scrupules, la compassion et même la complicité avec son interlocutrice : il s’attend à trouver une courtisane vulgaire et avide et trouve cette jeune femme fragile et forte aux bonnes manières, amoureuse d’un fils qu’il aime et quelque chose passe entre eux. Tout cela est sensible dans le jeu, les hésitations, les gestes ébauchés (remarquable travail d’acteur). S’il donne aux fioritures de son air sur la beauté éphémère de Violetta le tranchant cruel des évidences, il fait des appoggiatures de la sorte de berceuse à son fils, « Di Provenza, il mare il sol… », de véritables sanglots dans le passage  « Ah , tuo vecchio genitor, tu non sai quanto sofri ! »

On ne cesse de découvrir Ermonela Jaho : Micaela, Butterfly, déjà à Orange, Mireille, Manon, Marie Stuarda, Anna Bolena, ailleurs, etc, elle m’a toujours confondu d’admiration par ce qui semblait l’identification exacte, vocale, physique et scénique à un rôle. Or, les rôles changent et le même bonheur d’adéquation s’impose à l’écouter, la voir. Sa Butterfly paraissait unique et bouleversait par son sacrifice intime et grandiose. En Violetta, dans la première partie de l’acte I, courtisane adulée, brillante, légère, coquette, la voix brille, s’élève, badine, cocotte, cascade de rires face à Alfredo avec une joliesse irrésistible, l’émission facile farde délicatement toute la technique : l’art, caché par l’art semble tout naturel. Gagnée par l’amour enveloppant des phrases du jeune homme, elle change de tessiture en apparence, plonge dans le grave du soprano dramatique, médium moelleux, malléable de l’introspection et bondit dans le vertige virtuose de la frivolité. Elle nous épargne le faux contre mi bémol inutilement surajouté à la partition par des voix trop légères et s’en tient aux quatre contre ré bémols vocalisants vraiment voulus par Verdi, vraie couleur du morceau et vérité d’une femme qui n’est pas un rossignol mécanique, mais un tendre oiseau à l’envol vite brisé. Nous sommes au théâtre, à l’opéra : tout y est vrai et tout est faux. Mais Ermonela Jaho, sans rien sacrifier de la beauté de la voix expressive, est tellement crédible, si douloureusement vraie en mourante que, pris par l’intensité de son jeu, on s’étonne ensuite, aux bravos, qu’elle réapparaisse si vivante.

Sauvant la production en remplaçant au pied levé Diana Damrau souffrante, après son inoubliable aussi Butterfly, elle est sacrée Reine des Chorégies 2016 dont le succès couronne sans faille le flair de l’autre triomphateur qui les aura programmées : Raymond Duffaut.

Compte rendu, opéra. Orange, Chorégies, le 3 août 2016.  VERDI : La Traviata par Ermonela Jaho. Daniele Rustioni, direction

A l’affiche des Chorégies d’Orange, les 3 et 6 août 2016

Orchestre National Bordeaux-Aquitaine, ChÅ“urs des Opéras d’Angers-Nantes (Xavier Ribes), Avignon (Aurore Marchand) et Marseille (Emmanuel Trenque) – Direction musicale : Daniele Rustioni
Mise en scène : Louis Désiré ; Scénographie et costumes : Diego Méndez Casariego ; Lumières : Patrick Méuüs.

Distribution :

Violetta Valéry : Ermonela Jaho ;
Flora Bervoix : Ahlima Mhandi  ;

Annina : Anne-Marguerite Werster.

Alfredo Germont : Francesco Meli ; Giorgio Germont : Placido Domingo ;
Gastone di Letorières : Christophe Berry
:Il barone Douphol ; Laurent Alvaro :Il marchese d’Obigny : Pierre Doyen ; Il Dottore Grenvil : Nicolas Testé ; Giuseppe, Rémy Matthieu.

Illustrations : © Philippe Gromelle, sauf première photo : Anne-MargueriteWerster (Annina) au chevet de Ermonela Jaho (Violetta) / © Abadie Bruno & Cyril Reveret

ORANGE, Chorégies 2016 : La Traviata, 2ème défi pour Ermonela Jaho aux Chorégies 2016

JAHO Ermonela-Jaho-La-TraviataORANGE, Chorégies. 3, 6 août 2016. La soprano Ermonela Jaho remplace Diana Damrau, souffrante, dans La Traviata de Giuseppe Verdi aux Chorégies d‘Orange les 3 et 6 août 2016. Julia dans La (rare) Vestale de Spontini (en 2013 à Paris, TCE), – puis très récemment puisque cet été même en juillet, à Orange également, Madama Butterfly, incandescente et nuancée, la soprano albanaise Ermonela Jaho (née en 1974) relève un nouveau défi : chanter ce soir (3 août) puis le 6 août, La Traviata de Giuseppe Verdi, rôle central pour toute soprano car en plus de la puissance et de l’expressivité dramatique, il exige la perfection technique d’une vraie coloratoure, agile, virtuose, enivrante (en particulier à l’acte I). Face aux contraintes du plein air, compensées cependant par la qualité de projection du Mur du Théâtre Antique, Ermonela Jaho composera à Orange une Violetta, riche de sa grande expérience du rôle, c’est à dire : ardente et libre, qui découvre le pur et véritable amour (incarné par le jeune Rodolfo) au I; amoureuse mais contrainte à se sacrifier au nom de la morale bourgeoise, puis humiliée sur la scène sociale au II ; enfin fragilisée, mourante mais d’une vérité encore lumineuse au III. Soit 3 visages de femmes déchirantes et passionnelles que sa recherche de vérité portera vers une nouvelle conviction. Ermonela Jaho comme c’est le cas de Madama Butterfly n’en est pas à sa première Traviata : elle a chanté le rôle de la courtisane parisienne, inspiré par Alphonsine Duplessis (elle-même l’héroïne de La Dame aux camélias de Dumas fils) : à Marseille, à Paris (Opéra Bastille), … Il aura fallu du temps et une remise en question totale de sa technique, en apprenant entre autres la phoniatrie, pour que la jeune chanteuse devienne aujourd’hui à force de travail et de discipline, la diva qui nous bouleverse tant sur scène (saisissante par sa couleur spécifique, des pianissimi ténus, impeccables, des sons filés d’une vérité absolue). Violetta Valéry, héroïne de La Traviata de Verdi incarne le miracle d’une “dévoyée” (pécheresse condamnée illico par le puritanisme social), qui au moment de se sacrifier, est purifiée par le pur amour qu’elle rencontre et auquel elle doit, sublime sacrifice, renoncer…

Après sa Butterfly précédemment applaudie (vraie incarnation de dentelle), La Traviata de Verdi marquera-t-elle un double adoubement pour Ermonela Jaho aux Chorégies 2016 ? C’est tout ce que nous souhaitons à l’interprète, fine actrice, musicienne née, d’une sensibilité qui confine souvent à la grâce… Réponse ce soir mercredi 3 août puis le 6 août 2016. 

VISITER le site des Chorégies d’Orange 2016, page dédiée à La Traviata de Verdi

LIRE notre présentation du dernier numéro d’OPERA MAGAZINE avec la soprano Ermonela Jaho à la Une (juillet 2016)

 
 
 

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Sincère, sobre mais palpitante et sensible, la Violetta d’Ermonela Jaho devrait rayonner ce soir le 3 août puis le 6 août, sur la scène du Théâtre Antique d’Orange… (DR)

Compte-rendu concert. Orange,Chorégies 2016, Théâtre Antique, le 16 juillet 2016. Verdi: Messa da Requiem… Calleja, Sokhiev

Vague verdienne en juin 2014Compte-rendu concert. Orange,Chorégies 2016, Théâtre Antique, le 16 juillet 2016. Verdi: Messa da Requiem… Calleja, Sokhiev. LE TRIOMPHE DE TUGAN SOKHIEV et de JOSEPH CALLEJA. Les Chorégies 2016 ont programmé une interprétation théâtrale et émouvante du si beau Requiem de Verdi. A deux soirs de la tuerie de Nice, ce Requiem a été dédié aux victimes voisines mais il avait d’abord été question d’annuler ce concert. La vie reste notre bien le plus précieux, la culture le clame très fort et tout concert annulé est une victoire des oppresseurs de la vie libre. Ce concert a été débuté dans un immense recueillement. L’acoustique inouïe du Théâtre Antique est bien connue de Tugan Sokhiev aussi a-t-il pu obtenir des sonorités évanescentes des cordes et un chant pianissimo du magnifique chÅ“ur Orfeón Donostiarra dès les premières mesures. L’apparition des images de la voie lactée sur l’immense mur a proposé un voyage dans l’imaginaire si riche du dessinateur et scénariste de bande dessinée Philippe Druillet. Ses dessins ont été projetés et animés sur les reliefs du mur du Théâtre antique. Les différentes Å“uvres, telles  “Nosferatu†et “Lone Sloaneâ€, ont ainsi accompagné le récit du spectaculaire Requiem de Verdi.

Pour certains la distraction engendrée par la beauté si particulière des dessins, leur violence et leurs couleurs envahissantes, a nui à l’émotion musicale. Concert et spectacle à la fois, il est dommage d’avoir eu à choisir entre les projections sur le mur et la vision d’artistes engagés et tout particulièrement la direction à mains nues d’une grande beauté de Tugan Sokhiev. France 3 offre à partir du 27 juillet ainsi que Culture Box le film qui en a été réalisé en une solution hybride que nous souhaitons plus satisfaisante.

DIRECTION MAGISTRALE et TENOR EN GRÂCE. Musicalement le théâtre verdien de la Missa da Requiem a été porté à son apogée par la direction magistrale de Tugan Sokhiev. L’Orfeón Donostiarra est un chœur d’une ductilité totale et d’une beauté confondante, du pianissimo le plus infime au forte le plus spectaculaire du Tuba Mirum. Le RRR roulé des basses dans le Rex tremendae Majestatis précédant la note est un exemple de cette terrible théâtralité. Le dosage parfait des nuances poussées à leur maximum a été de bout en bout le fil rouge de l’interprétation. Les couleurs ont également été d’une grande richesse dans le chœur comme dans l’orchestre. Chaque tempo choisi a été habité et a semblé évident. Le chœur et l’orchestre ont été ainsi modelés à main nue, par un chef inspiré dans des phrasés amples et généreux. Cuivres brillants, cordes soyeuses ou victorieuses, bois d’une grande délicatesse chaque pupitre a brillé, jusqu’aux timbales et grosse caisse ! L’Orchestre du Capitole si riche en couleurs peut les exalter dans cette acoustique chatoyante.
Las, les solistes ont eu pour certains du mal à habiter aussi bien leurs parties. La soprano italienne Erika Grimaldi,  venue en remplacement in extremis, ne bénéfice pas d’une voix idéale pour cette terrible partie. Le timbre assez ingrat est affublé d’un large vibrato. La voix n’est pas homogène et les graves sont trop sourds. Dans le Libera me final, c’est son engagement qui lui a permis de conquérir in fine le succès public. La mezzo soprano Ekaterina Gubanova a un timbre agréable et a su nuancer ses interventions avec art. Tout particulièrement le début du Lacrymosa très émouvant. La Basse Vitalij Kowaljow a été le seul à délivrer un texte parfaitement compréhensible. Avec aplomb, il a tenu parfaitement sa partie d’une voix très homogène et agréable jusque dans les emportements terribles. C’est Joseph Calleja, ténor extrêmement attachant, qui a su trouver appui sur les vastes phrases proposées par Tugan Sokhiev, les habitant toutes jusqu’au fond de l’expressivité. Engagé, concentré et d’une voix très touchante, le ténor, véritable star vénérée dans son pays natal, Malte-, a su rejoindre l’orchestre et le choeur dans une émotion musicale poignante. La beauté du timbre, sa clarté ont fait merveille tout du long et son Ingemisco a été un moment de pure grâce, comme la manière dont il aborde Hostias également.
Les Chorégies 2016 ont programmé une magnifique interprétation théâtrale et émouvante du si beau Requiem de Verdi. L’Orfeón Donostiarra et l’Orchestre du Capitole n’ont fait qu’un avec la direction de Tugan Sokhiev. Cette musique si forte est apte à accompagner la tristesse de notre époque dans les attaques faites à notre mode de vie tout en mobilisant notre désir de vie et d’accès à la beauté.

Compte-rendu, concert. Orange.Chorégies 2016, Théâtre Antique, le 16 Juillet 2016 : Giuseppe Verdi (1813-1901) : Messa da Requiem ; Solistes: Erika Grimaldi, soprano ; Ekaterina Gubanova, mezzo-soprano ; Joseph Calleja, ténor ; Vitalij Kowaljow, basse ; Chœur de l’Orfeón Donostiarra, chef de choeur : José Antonio Sainz Alfaro ; Orchestre National du Capitole de Toulouse. Tugan Sokhiev, direction.

Ermolena Jaho, bientôt diva acclamé d’Orange ?

DIVA D’ÉTÉ. Ermonela Jaho… la diva dont on parle. Certains en France ne la connaissent pas encore vraiment : Ermonela Jaho, né en Albanie en 1974. Sa prochaine performance en Cio Cio San dans Madama Butterly de Puccini à Orange (9 et 12 juillet 2016, sous la direction de l’excellent Mikko Franck, actuel directeur musical du Philharmonique de Radio France) pourrait bien être une opportunité pour se faire connaître du grand public et des mélomanes en général.

 

 

ERMONELA JAHO, une CIO CIO SAN ATTENDUE

 

 

Ermolena Jaho chante Butterfly à Orange

 

 

Pourtant la soprano albanaise s’est déjà produite aux Chorégies d’Orange (Michaëla dans Carmen en 2008 c’était elle). Ermonela Jaho connaît bien le rôle de la jeune geisha trompée sacrifiée et finalement suicidaire : elle l’a chanté dès 2015 à l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Bob Wilson.  Une vision pourtant statique, et peut-être trop distanciée qui n’a pas empêché la diva d’exprimer avec une rare intensité la jeunesse, la douceur, la tendresse désarmante d’une amoureuse sincère à laquelle le monde des hommes ment en permanence… Car c’est une jeune femme, adolescente encore (16 ans)…. comme Manon Lescaut (de Puccini, un rôle qu’elle vient d’aborder en avril 2016 à Munich) ou encore La Traviata (Violetta Valéry), autant d’héroïnes tragiques et irrésistibles à l’opéra, qui sont de très jeunes idoles.  Le chant tout en ciselure et finesse vocale devrait convenir à la soprano particulièrement exposée les 9 et 12 juillet prochains : un nouveau défi dans sa carrière, et certainement une revanche à prendre pour celle à qui on avait dit qu’elle y laisserait sa voix. Pourtant après les Tebaldi, Scotto, Freni… Ermonela Jaho ne s’en laisse pas compter et chante toujours en 2016, un rôle taillé pour elle; un rendez vous à ne pas manquer cet été 2016 à Orange.

 

Après Cio CIo San, Ermonela Jaho revient à Paris, Opéra Bastille, pour y chanter Antonio des Contes d’Hoffmann (3-27 novembre 2016). Rappelons que la soprano albanaise a fait ses débuts à l’Opéra Bastille dans La Traviata en 2014 déjà.

 

Applaudir aux Chorégies d’Orange, Théâtre Antique, les 9 puis 12 juillet 2016, 21h.
ECOUTER : sur France Musique le 12 juillet 2016, dès 20h30; en direct d’Orange
VOIR : sur France 5 et culturebox, le 13 juillet 2016, 20h30

 

LIRE aussi notre présentation complète de “Geisha  tragique, Madama Butterfly à Orange avec Ermolena Jaho, soprano

 

 

 

 

Diana Damrau chante La Traviata aux Chorégies d’Orange 2016

france3 logo 2014France 3. Verdi : La Traviata, mercredi 3 août 2016,21h30. En direct d’Orange, Diana Damrau se confronte au plein air et à l’immensité du Théâtre Antique pour exprimer l’intimité tragique d’un destin sacrifié : celui de la jeune courtisane parisienne Alphonsine Duplessis, devenue d’Alexandre Dumas fils à Verdi à l’opéra, Violetta Valéry. La diva germanique a déjà chanté à maintes reprises le rôles écrasant de La Traviata (la dévoyée) : à la Scala, et récemment dans la mise en scène finalement très classique et sans poésie de Benoît Jacquot, sur les planches de l’Opéra Bastille : un dvd en témoigne (ERATO, live de juin 2014 : lire notre critique du dvd La Traviata avec Diana Damrau).

GLEYRE-dessin-academiqueTRAVIATA, UN MYTHE SACRIFICIEL… Verdi construit le drame par étape, chacune accablant davantage la prostituée qui entretient son jeune amant Alfredo. L’acte I est toute ivresse, à Paris, dans les salons dorés de la vie nocturne : c’est là que Violetta se laisse séduire par le jeune homme ; au II, le père surgit pour rétablir les bienséances : souhaitant marier sa jeune fille, le déshonneur accable sa famille : Violetta doit rompre avec Alfredo le fils insouciant. A Paris, les deux amants qui ont rompu se retrouvent et le jeune homme humilie publiquement celle qu’il ne voit que comme une courtisane (il lui jette à la figure l’argent qu’il vient de gagner au jeu) ; enfin au III, mourante, au moment du Carnaval, retrouve Alfredo mais trop tard : leur réconciliation finale scelle le salut et peut-être la rédemption de cette Madeleine romantique. En épinglant l’hypocrisie de la morale bourgeoise, Verdi règle ses comptes avec la lâcheté sociale, celle qu’il eut à combattre alors qu’il vivait en concubinage avec la cantatrice Giuseppina Strepponi : quand on les croisait dans la rue, personne ne voulait saluer la compagne scandaleuse. La conception de l’opéra suit la découverte à Paris de la pièce de Dumas en mai 1852. L’intrigue qui devrait se dérouler dans la France baroque de Mazarin, porte au devant de la scène une femme de petite vertu mais d’une grandeur héroïque bouleversante. Figure sacrificielle, Violetta est aussi une valeureuse qui accomplit son destin dans l’autodétermination : son sacrifice la rend admirable. Le compositeur réinvente la langue lyrique : sobre, économe, directe, et pourtant juste et intense. La grandeur de Violetta vient de sa quête d’absolu, l’impossibilité d’un amour éprouvé, interdit. Patti, Melba, Callas, Caballe, Ileana Cotrubas, Gheorghiu, Fleming, récemment Annick Massis ou Sonya Yoncheva ont chanté les visages progressifs de la femme accablée mais rayonnante par sa solitude digne. L’addio del passato au II, qui dresse la sacrifiée contre l’ordre moral, est le point culminant de ce portrait de femme à l’opéra. Un portrait inoubliable dans son parcours, aussi universel que demeure pour le genre : Médée, et avant elle Armide et Alceste, puis Norma. Femme forte mais femme tragique.

damrau-diana-traviata-bastille-575Le timbre rond et agile de la coloratoure doit ici exprimer l’intensité des trois actes qui offre chacun un épisode contrasté et caractérisé, dans la vie de la courtisane dévoyée : l’ivresse insouciante du premier acte où la courtisane déjà malade s’enivre d’un pur amour qui frappe à sa porte (Alfredo); la douleur ultime du sacrifice qui lui est imposé au II (à travers la figure à la fois glaçante et paternelle de Germont père); enfin sous une mansarde du Paris romantique, sa mort misérable et solitaire au III. Soit 3 visages de femme qui passent aussi par une palette de sentiments et d’affects d’un diversité vertigineuse. C’est pour toutes les divas sopranos de l’heure, – et depuis la création de l’opéra à la Fenice de Venise en mars 1853, un défi autant dramatique que vocale, dévoilant les grandes chanteuses comme les grandes actrices. La distribution des Chorégies d’Orange 2016 associe à Diana Damrau dans le rôle-titre, Francesco Meli (Alfredo), Placido Domingo (Germont père). Daniele Rustioni, direction musicale. Louis Désiré, mise en scène.

En direct sur France 3 et culturebox, mardi 3 août 2016 à 21h30. A l’affiche du Théâtre Antique, également le 6 août 2016 à 21h30.

Ermonela Jaho chante Madame Butterfly sur France 5

pucciniFRANCE 5. Le 13 juillet 2016, 20h55. Mikko Franck dirige Madama Butterfly de Puccini, aux Chorégies d’Orange.  Un événement suffisamment important pour être diffusé en direct sur France 3, France 5 et culturebox simultanément. Il est vrai que le chef finnois sait embraser un orchestre, insufflant une puissance irrésistible sans jamais sacrifier la ciselure instrumentale : une attention parfaite d’autant plus adaptée à la palette orchestrale du Puccini, immense orchestrateur dont les couleurs et les atmosphères, dans Madama Butterfly ou dans Turandot (son autre opéra oriental, mais celui-ci se déroulant en Chine) égalent les meilleurs peintres de son temps. Madame Butterfly, l’opéra japonais de Giacomo Puccini fait les beaux soirs du Théâtre antique d’Orange, par l’Orchestre philharmonique de Radio France, accompagné des chÅ“urs des opéras d’Avignon, Nice et Toulon sous la direction de l’excellent Mikko Franck, – chef charismatique taillé pour le souffle lyrique et qui a précédemment marqué les esprits à Orange déjà, dans une Tosca (du même Puccini), à la fois grandiose et psychologique. Nagasaki, 1904. Un jeune officier américain de passage, Benjamin Franklin Pinkerton épouse une geisha de quinze ans, Cio-Cio-San (en japonais « Madame Papillon »). Simple divertissement exotique ou parodie nuptiale sans conséquence pour lui, le mariage est pris très au sérieux par la jeune Japonaise. D’autant qu’après la cérémonie, Cio Cio San tombe rapidement enceinte… mais l’insouciant jeune officier repart en Amérique. Espérant son retour, elle lui reste fidèle et refuse de nombreuses propositions de mariage. Trois ans plus tard, Pinkerton revient au Japon avec sa nouvelle épouse américaine. Quand Cio-Cio-San comprend la situation, – Pinkerton est mérite à une autre et l’a donc tout simplement abandonnée, elle leur abandonne son enfant et se donne la mort par jigai en se poignardant.

 

 

 

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Dans le rôle-titre de la tragique et bouleversante geisha, la soprano albanaise Ermonela Jaho incarne les blessures d’une héroïne sacrifiée ; en elle, se cristallise les contradictions d’une société conquérante au fort parfum colonialiste, s’autorisant ainsi ce qui pourrait être assimilé à de la prostitution organisée ou au tourisme sexuel… l’officier américain prend du bon temps sans penser à conséquence ; c’est pourtant tout un destin qui se joue pour la jeune femme. Le jeune ténor Brian Hymel chante la partie de l’officier américain Pinkerton. Rares les chefs capables de finesse orientaliste, et sous la couleur exotique, de profondeur psychologique. La sincérité du rôle de Butterfly, la vérité qui émane de façon bouleversante de la fameuse scène de son suicide est l’un des temps forts de l’opéra italien parmi les plus intenses jamais écrits pour la scène. Avec Liù (Turandot), Mimi (La Bohème), Cio Cio San éclaire dans l’écriture de Puccini, ce souci de vérité psychologique dédié aux femmes spécifiquement, figures angéliques et tragiques et sacrifiées mais d’une grandeur morale sans pareille. La soirée du mercredi 13 juillet 2016 est le temps fort des Chorégies d’Orange 2016.

France 5, en direct d’Orange. Puccini : Madame Butterfly. Mercredi 13 juillet 2016 sur France 5 à 20h30 et sur culturebox.fr/choregies

logo_france_3_114142_wideGENESE… Au cours de l’été 1900, Puccini tombe en admiration devant la pièce de David Belasco, Madame Butterfly, adaptée d’une nouvelle de John Luther, plagiat du roman de Pierre Loti, Madame Chrysanthème. Les librettistes attitrés de Puccini, Illica et Giacosa, transposent pour la scène lyrique, ce drame exotique. Le compositeur tenait à un drame en deux actes, mais Giacosa était persuadé qu’une articulation en trois actes était préférable. L’opéra fut présenté en deux actes à la Scala de Milan en février 1904. Ce fut un échec retentissant pour Puccini. L’œuvre disparut, détruite par la critique. Puccini tint compte néanmoins des avis exprimés et des réserves des auditeurs ; il remania son opéra en trois actes et le présenta dans sa version revisitée en mai 1904 à Brescia. Dans sa seconde version, l’ouvrage connut cette fois un triomphe qui n’a jamais faibli.

France 5 et culturebox le 13 juillet 2016 — en direct d’Orange sur France Musique, mardi 12 juillet 2016, 20h30. Puccini : Madame Butterfly. Durée : 2h20mn- Présentation : Claire Chazal – Direction musicale : Mikko Franck – Mise en scène : Nadine Duffaut – Scénographie : Emmanuelle Favre

A voir ensuite sur France 3, deux soirées spéciales consacrées aux Chorégies d’Orange avec notamment la diffusion du Requiem de Verdi et de La Traviata de Verdi.

Ermonela Jaho… la diva dont on parle. Certains en France ne la connaissent pas encore vraiment : Ermonela Jaho, né en Albanie en 1974. Sa prochaine performance en Cio Cio San dans Madama Butterly de Puccini à Orange (9 et 12 juillet 2016, sous la direction de l’excellent Mikko Franck, actuel directeur musical du Philharmonique de Radio France) pourrait bien être une opportunité pour se faire connaître du grand public et des mélomanes en général.

 

 

ERMONELA JAHO, une CIO CIO SAN ATTENDUE

 

 

Ermolena Jaho chante Butterfly à Orange

 

 

Pourtant la soprano albanaise s’est déjà produite aux Chorégies d’Orange (Michaëla dans Carmen en 2008 c’était elle). Ermonela Jaho connaît bien le rôle de la jeune geisha trompée sacrifiée et finalement suicidaire : elle l’a chanté dès 2015 à l’Opéra Bastille dans la mise en scène de Bob Wilson.  Une vision pourtant statique, et peut-être trop distanciée qui n’a pas empêché la diva d’exprimer avec une rare intensité la jeunesse, la douceur, la tendresse désarmante d’une amoureuse sincère à laquelle le monde des hommes ment en permanence… Car c’est une jeune femme, adolescente encore (16 ans)…. comme Manon Lescaut (de Puccini, un rôle qu’elle vient d’aborder en avril 2016 à Munich) ou encore La Traviata (Violetta Valéry), autant d’héroïnes tragiques et irrésistibles à l’opéra, qui sont de très jeunes idoles.  Le chant tout en ciselure et finesse vocale devrait convenir à la soprano particulièrement exposée les 9 et 12 juillet prochains : un nouveau défi dans sa carrière, et certainement une revanche à prendre pour celle à qui on avait dit qu’elle y laisserait sa voix. Pourtant après les Tebaldi, Scotto, Freni… Ermonela Jaho ne s’en laisse pas compter et chante toujours en 2016, un rôle taillé pour elle; un rendez vous à ne pas manquer cet été 2016 à Orange.

 

Après Cio CIo San, Ermonela Jaho revient à Paris, Opéra Bastille, pour y chanter Antonio des Contes d’Hoffmann (3-27 novembre 2016). Rappelons que la soprano albanaise a fait ses débuts à l’Opéra Bastille dans La Traviata en 2014 déjà.

 

 

 

 

Musiques en fête : l’opéra à la télé

france3 logo 2014France 3, le 20 juin 2016, 20h. Musiques en fête, en direct des Chorégies d’Orange. C’est le rendez-vous lyrique et médiatique le plus important de l’année, quand l’opéra et la musique classique plus habitués à combler des fin de grilles aux heures indues, de la nuit et du petit matin, occupent enfin les feux de la rampe en prime time. Le service public réduit de plus en plus la visibilité de la culture classique à la télévision et même Arte ne diffuse plus autant de docus comme de programmes de musique classique qu’auparavant. Alors félicitons France 3 de jouer la carte de l’émotion en directe, diffusant à une heure de grande écoute et à l’adresse de tous les publics, un programme qui met les chanteurs français lyriques à l’honneur…

Musiques en fête sur France 3 répond à l’attente des téléspectateurs en manque d’émotions lyriques…

L’Opéra en messe cathodique

Lancée en juin 2011 et pour une tête unique, exceptionnelle, non renouvelable, la soirée de télévision Musiques en tête n’était pas destinée à se pérenniser.  Elue émission préférée des français en 2014, le programme s’est depuis enraciné dans l’imaginaire populaire concrétisant enfin un vrai grand concert de musique classique, accessible au plus grand nombre. Pour sa réalisation, ce sont toujours les forces vives locales et régionales qui sont sollicitées : cette année, pour ce 20 juin 2016, les ChÅ“urs des Opéras de Toulon, Avignon, Marseille et le ballet de l’Opéra d’Avignon. Le profil des solistes déjà conviés à la tête indique le ton et le niveau artistique : Ruggero Raimondi, Annick Massis, Inva Mula, Patrizia Ciofi, les ténors Vittorio Grigolo ou le maltais Joseph Calleja (à quand Jonas Kaufmann?), sans omettre les talents de la relève : Julie Fuchs, Florian Sempey, Vannina Santoni, Alexandre Duhamel, Julien Behr … Le 20 juin 2016, place au partage, à l’idée d’une fraternité à reconstruire, d’une société réellement solidaire…

 

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Programme annoncé :

Ouverture de Carmen (Bizet)
Qu’est-ce qu’on attend pour être heureux ? », entonné par toute la troupe de chanteurs, comme l’emblème de la soirée qui se déclare surtout festive et populaire…
Grands airs d’opéras (solos, duos, ensembles…)
Grand choeur
Transcription de chansons de variétés…

Avec l’Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, les Chœurs des Opéras de Toulon, Marseille et Avignon
Luciano Acocella et Didier Benetti, direction musicale.

Programme animé par Claire Chazal et Alain Duault.

Direction musicale assurée par Luciano Acocella et Didier Benetti.

POLITIQUE. Chorégies d’Orange. Démission du directeur général Raymond Duffaut

duffaut-raymond-centre-francais-de-promotion-lyriquePOLITIQUE. Chorégies d’Orange. Démission du directeur général Raymond Duffaut. Le premier festival lyrique du Vaucluse vivrait-il ses heures les plus sombres ? Raymond Duffaut, jusque là directeur général des Chorégies d’Orange depuis 1981, a annoncé sa démission depuis la démission précédente du Président du Festival, Thierry Mariani survenue en janvier 2016. Ce dernier avait choisi de partir après que Jean-Louis Grinda (directeur de l’Opéra de Monaco) ait été choisi à la succession de Raymond Duffaut à partir de 2018, au poste de directeur général. Depuis cette date, c’est Marie-Thérèse Galmard, adjointe à la vie sociale de la mairie d’Orange qui assure la présidence par intérim, selon les dispositions des statuts de l’association des Chorégies. La municipalité d’Orange est aujourd’hui dirigée par le parti d’extrême droite auquel appartiennent le maire actuel Jacques Bompard (actuel président de la Ligue du Sud) et Marie-Thérèse Galmard. De plus en plus tendues avec les représentants de la Mairie, les relations ont conduits au départ coup sur coup des dirigeants des Chorégies, lesquels en avaient assuré la continuité et la cohérence depuis plus de 30 ans. A l’heure où le parti de Marie Lepen souhaite montrer un visage « normalisé », cette rupture avec les représentants de l’une des places culturelles les plus prestigieuses de France, tombe mal. L’équation « Culture et extrême droite » est-elle inéluctablement vouée aux scandales et aux rebondissements ? L’avenir nous le dira à commencer par les prochaines éditions des Chorégies d’Orange, désormais et jusqu’à l’arrivée de Jean-Louis Grinda, soit en 2018, sous la tutelle de la politique Marie-Thérèse Galmard.

De son côté, le démissionnaire Raymond Duffaut, qui incarnait la mémoire vive comme l’intégrité artistique des Chorégies d’Orange, assurant aussi sa large notoriété grâce entre autres à l’obtention de directs télévisuels devenus réguliers chaque été, dénonce « le coup de force » de la Ligue du Sud sur les Chorégies d’Orange. A son arrivée, Marie-Thérèse Galmard a immédiatement retiré au directeur général, sa délégation de signature, prétextant d’une nouvelle orientation financière prenant en compte le déficit d’un million d’euros des Chorégies.  Les tensions entre Jacques Bompard et la direction des Chorégies ne datent pas d’aujourd’hui : depuis son élection en 1995, le Maire après avoir constaté l’échec de son élection comme président, avait suspendu la subvention municipale. Aujourd’hui, le festival des Chorégies est autofinancé à 80%. Mais il est fragilisé par le non versement des subventions, ce à 3 reprises, et depuis précisément 1995 : soit une perte dans son budget courant de 450.000 euros.

Selon les statuts de l’association des Chorégies, la présidente par intérim l’est de droit jusqu’à la fin du mandat courant, mais en cas d’empêchement, « pas en cas de démission » comme le précise Raymond Duffaut. A suivre.

ECOUTER aussi notre PODCAST AUDIO, entretien avec Raymond Duffaut à propos de la prochaine création lyrique portée par le CFPL (Centre Français de Promotion Lyrique dont il est président), Venceslao de Martin Matalon, à l’affiche à partir d’octobre 2016

 

 

 

Compte rendu, opéra. Chorégies d’Orange. Giuseppe Verdi , Il Trovatore. Samedi 1er août 2015. ONF, chœurs et solistes, direction B. de Billy ; mise en scène, Ch.Roubaud

VERDI_402_Giuseppe-Verdi-9517249-1-402Verdi est sans doute le compositeur dominant (en nombre d’ouvrages représentés) l’histoire des Chorégies, et 2015 offre sous le Mur Romain une reprise du Trovatore, cet opéra dont le récit dramaturgique rend perplexe si la musique emporte d’enthousiasme. C’est justement la direction très subtile  de Bertrand de Billy qui mène le jeu, au-delà d’une mise en scène inventive-mais-sans-trop de Charles Roubaud, et permet à  Hui He, Roberto Alagna et Marie-Nicole Lemieux  d’exalter leur chant verdien.

 Mur et Limes d’hier et aujourd’hui

Ah le Mur d’Orange ! (Et celui-là ne « repousse » pas, suivez mon regard vers les antiques « limes » type Hadrien ou Muraille de Chine , sans oublier les modernes suréquipés-flingueurs, style Berlin-89, filtre-hispanique d’Etats Unis, et collier de perles-israéliennes  en terre de Palestine)… Ah les fins d’après-midi incertains, où malgré la météo locale si sophistiquée on craint jusqu’au dernier moment quelque orage  qui n’ait un remords, à moins que ce fou de mistral ne se lève car longtemps il n’a de (bonne) heure pour s’aller coucher… !  En cette soirée du 1er d’août, la canicule ayant fait courte relâche, c’était  idéal : pas de nuit torride, plus de peur d’averse attardée, juste un soupçon de brise fraîche (et en observant bien les bases du podium, on y pouvait  saluer  le courage des deux  jeunes femmes en situation de suppliantes antiques qui, du bras droit ou gauche douloureusement  tendu, tenaient chaque page tournée par le dieu-chef), en somme le meilleur  d’une soirée Chorégies.

Anthropologie du spectacle d’opéra 

Il est vrai aussi  que dans la conque des gradins adossée à la colline on se sent aggloméré d’esprit sinon de corps à un public de huit mille âmes (comme on dit), et donc parfois un peu emprisonné par la spontanéité souvent intempestive de certains  spectateurs d’opéra qui, parmi la nébuleuse Mélomane, mériteraient  une étude anthropologique très particulière. Je me souviens qu’à l’orée des années 70, quand à Lyon Louis Erlo voulait imposer (tenace,  il y arriva) son éthique d’Opéra Nouveau (donc le XXe mais aussi le Baroque dans tous leurs états), ce moderniste architecte de(s)Lumières raillait le lobby d’une « Clientèle du souvenir » qui lui menait la vie dure  en Triple Alliance avec les Fan-clubs wagnériens  et  les Addictés du contre-ut. Et des T.(roubles) O.(bsessionnels) C.(ompulsifs), dieux savent que cela  subsiste dans les Maisons d’Opéra fermées ou à ciel ouvert. Une part du public –d’ailleurs peu intéressée par tout autre art que « lyrique »,  sacrifie…parfois  la continuité d’une pensée musicienne  au déversoir de l’enthousiasme (ou son contraire), air par air, performance vocale par exploit calibré, comparaison mécaniste par échelle routinière des valeurs… Telle vocalise imparfaite ou simplement laborieuse peut y entrainer  protestation borderline grossière, telle interprétation techniquement adéquate mais sans rayonnement scénique susciter la tempête des bravos, ainsi qu’on le vécut ici à propos de Roberto Alagna et de George Petean.

Présence d’un démiurge musicien                      .

Alagna Roberto-Alagna-350Mais revenons aux faits, justement d’après une conception  dramaturgique plus complexe, telle que  celle dont nous avions indiqué la lecture  dans l’article d’Alberto Savinio. Il est exact et déterminant que la trame du récit-livret, fort bourrée d’invraisemblances et tarabiscotée,  tient comme support d’un parcours où le mélodrame se nourrit d’une  rhétorique exaltée des passions amoureuses, « patriotiques »,guerrières, familiales. Et peut tout emporter dans son torrent, pourvu qu’une paradoxale unité y impose sa loi du visible et de l’audible. On songe donc d’abord à celle-là pour juger de la beauté d’ensemble. Ici pourtant, c’est celle-ci  qui prime, enveloppe et ne quitte plus. Grâces en soient rendues à celui qui se fait démiurge sans tonitruer ou gesticuler, émeut sans larmoyer. Bertrand de Billy a un sens magnifique des volumes sonores, des grandes lignes qui armaturent un discours tantôt héroïque,  tantôt attendri  jusqu’au plus profond, voire inattendu, de l’intime. Il rejoint ainsi – mais a-t-il lu ces textes du grand  Savinio ?- les intentions prêtées à Verdi devant le livret réellement lyrique de Cammarano, adaptateur de l’Espagnol  Guttierez : « moins livret d’opéra que texte d’oratorio, ce qui a permis au compositeur de créer une libre succession de tableaux sonores… Verdi, toujours avare de polyphonie, est particulièrement économe de notes, il faut le traiter avec la même délicatesse, la même prudence qu’une statue exhumée dans des fouilles. »

Mélodies de timbres

En effet,  Bertrand de Billy conduit le bel et  délicat Orchestre National de France selon la maxime novalisienne, « le chemin mystérieux mène à l’intérieur » : non qu’il néglige les « scènes musicales d’action », voire de tumulte   constituant la part qui dans cet opéra de mouvement demeure « premier »(et plus évident) « moteur ». Mais on sent que l’attirent encore davantage ces moments précieux (acte I, sc.2, 3 ; acte II, instants de la 4 ; acte III, moments de la sc.4 ; acte IV, sc.1), où une esthétique de l’attente, de la suspension du temps (les choeurs de religieuses et de moines) puis  de la menace dévoilent  une poésie (du) nocturne. Et où on croit entendre surgir le pré-écho d’une « mélodie de timbres » (ah les magnifiques sonorités des bois, les murmures des cordes !) qui eussent pu faire dire à Schoenberg : Verdi  le progressiste ! Il en va de même dans ce qui est bien mieux qu’un accompagnement instrumental des airs et des ensembles, une manière pour les solistes vocaux d’approfondir leur rôle, et d’en ourler l’ombre projetée par la lumière et la violence mêmes.

Naturalisme, poésie et rantanplan

On ne voit  pas de contradiction trop  fondamentale entre cette vision où le mystère ne s’absente pas et ce qui est donné à voir par la mise en scène de Charles Roubaud,  assez  efficacement partagée entre l’évocation d’hier et les ouvertures sur un proche d’aujourd’hui, l’action collective et le repliement plus économe sur duos, trios et quatuors où rayonnent  d’abord les vocalités affrontées. Ainsi lui sait-on gré de « concentrer » le 4e  Acte dans un quasi-huis clos de prison, sans les débordements de châtiments et punitions  qui sont seulement suggérés « derrière les portes », et en se servant d’une façon plus générale de « la matière noire » en fond de scène, à l‘aide minimaliste du plan diagonal très ombreux, quitte à « autoriser » en contrepoint fugitif de la musique  une frémissante vidéo d’arbres dans le vent (Camille Lebourges). Côté naturaliste, on pouvait d’emblée tout craindre, avec l’installation préparatoire d’une chambrée où les gardes du palais d’Alifiera  font bataille de polochons  et déambulent en « marcel » (« sous » le mystérieux roulement de timbales de l’ouverture !). D’ autres scènes plus proprement rantanplan  qui suivront (avec, dit Savinio, « certains roulements inutiles de timbales, certaines harmonies misérables, certains unissons de fer blanc ») appellent l’irrésistible formule de Clémenceau : « la musique  militaire est à la musique ce que la justice militaire est à la justice »…

Les guerres civiles

Jusque dans l’habillement, on croit comprendre  que C.Roubaud a voulu chercher des « correspondances » d’Histoire entre XVe et XXe, via l’évocation probable du temps de la Guerre Civile : mais outre que les casquettes plates et les calots ont été employés – si on regarde les photographies d’époque -  aussi bien chez les républicains que dans le camp franquiste, il faudrait que cela repose sur une interprétation moins improbable  du « conflit de succession à la couronne d’Aragon » : des « pré-fascistes » figurés par les troupes de la famille de Luna et des « plus sympathiques », soutiens du « Comte d’Urgel », intégrant des partisans bohémiens (alias tziganes), faction de  « rebelles » à la tête de laquelle  Manrico semble avoir été (ou s’être) placé. Comprenne qui  pourra s’y retrouver en cette (fausse ?) bonne idée de modernisation, que d’ailleurs je force peut-être sans autorisation, faute d’explication sur  les intentions portées par le livre-programme ! En tout cas, le meilleur d’une mise en scène réaliste et bien vivante se donne à voir dans les montagnes de Biscaye, grâce à un cortège bohémien haut en couleurs et fort bien joué-chanté-dansé (l’enfant au premier plan) par les trois Chœurs d’Avignon, Nice et Toulon.

Un Bohème romantique et son rival de caserne

Tiens, le seul interprète qui échappe à cette remise en costumes « historique» décalée, c’est le Trouvère, qui avec sa chemise ouverte paraît plutôt sorti d’une Bohème… romantique. Roberto Alagna a gardé sa triomphante jeunesse, vaillante dans les décisions et les réalisations du combat individuel ou collectif,  «préparé » subtilement de l’espace extérieur,  mais si ardent  avec  la belle Leonora,  et d’une tendresse bouleversante avec sa  « mère » Azucena. L’engagement scénique et vocal est superbe, on y  prend des risques (dont parfois un éclat virtuose- dont Verdi aurait dû se dispenser !- fait…heureusement les frais ) pour imposer la noble image d’un chanteur-et-acteur jamais lassé ou guidé par la routine, en somme un Gérard Philipe du lyrique. Et le contraste est ravageur avec le rival Luna (George Petean), dont certes on ne  contestera pas  la compétence musicale (nous ne disons pas forcément: musicienne), mais qui au début ressemble à un scrogneugneu de ligne Maginot pour se mettre ensuite à évoquer tout bonnement celui que le surréaliste G.Limbour nommait  « le cruel satrape fessu », alias Francisco Franco. Histoire de se faire mieux détester ? Et dire que la bio nous évoque sans rire les débuts de cet artiste roumain en …Don Giovanni, mille e tre volte impossibile identificazione (à moins qu’il n’ait muté depuis vingt ans !)…

L’irrémédiablement seul des héros verdiens

Une telle erreur de casting (puis de travail sur le terrain) a évidemment le « mérite » de faire rejaillir les protagonistes de la tragédie, non seulement donc Manrico mais avant tout l’obscur et frénétique objet du désir « lunesque », une Leonora, figure de la pureté aimante jusqu’au sacrifice  au début masqué en  trahison. Hui He, peut-être initialement  un peu réservée – mais qui n’aurait crainte et tremblement  à ses débuts devant le Mur ? -, épanouit ensuite une grande vision du rôle, elle vraiment musicienne, et entrant sans vanité virtuose – au contraire, une humilité supérieure -  dans ce que l’excellent « prière d’insérer » du programme confié à Roselyne Bachelot nomme « l’irrémédiablement seul »  des héros verdiens, leur confrontation  aussi  avec  « l’atmosphère nocturne et maléfique, où tourments et passions résonnent en nous avec  une force étrange ». La part d’ombre, elle, affleure et en quelque sorte  s’épanouit dans le tragique – voix grave, éclats de fureur, sentiment rendu lisible du destin – dont  Marie-Nicole Lemieux conduit avec  admirable rigueur mais abandon à cette injustice qu’écrivent les « méchants » sous la dictée de Là-Haut.

On y ajoute les interventions fort justes  des interprètes « adjoints » au récit (Ludivine Gombert, Nicolas Testé, Julien Dran, Bernard Imbert), et on amasse la mémoire d’une soirée  certes sans « révolution » scénique, mais dont le « chant général » invite à l’approfondissement  pour mieux rejaillir, comme écrit Savinio, « en affectueuse apothéose, vers la poésie extraordinaire d’un tel opéra ».

Chorégies  d’Orange. Giuseppe Verdi (1831-1901), Il Trovatore. Samedi  1er août  2011. Orchestre National  de France, Chœurs, solistes sous la direction de Bertrand de Billy. Mise en scène de Charles Roubaud.

Compte rendu critique, opéra. Orange, Chorégies. Le 1er août 2015. Verdi : Il trovatore. Roberto Alagna… Bertrand de Billy, Charles Roubaud.

Que dire encore du Trovatore que je n’aie déjà dit de cette œuvre très fréquentée, superbement revisitée déjà aussi par Charles Roubaud, notamment à Marseille et à Orange en 2012 ? On ne peut tout renouveler sinon redire une fois de plus qu’il est plus facile de ricaner, d’ironiser sur le livret prétendument incompréhensible que de prendre la peine de le lire et de consulter l’œuvre originale dont il est tiré.

L’œuvre : légende de sa fausse confusion

photo_144-512x382Verdi a dévoré avec passion, en langue originale, le drame El trovador, du dramaturge Antonio García Gutiérrez (né la même année que lui : 1813-1884), créé triomphalement à Madrid en 1836 et qui lance au firmament du théâtre ce jeune homme inconnu jusque-là. Il tirera encore un opéra d’une autre pièce du même, Simon Boccanegra (1857) et, plus tard, La Forza del destino (1862) de Duque de Rivas, autre drame marquant du théâtre romantique espagnol. Comme avec Victor Hugo (Rigoletto), Alexandre Dumas fils (Traviata) ou Shakespeare (Macbeth, Otello et Falstaf), l’avisé compositeur au sens dramatique aigu, ne prend ses sujets que dans des pièces à succès et il est absurde d’imaginer une erreur de jugement ou de goût dramatique dans le choix du Trovador/ Trovatore (en réalité ‘troubadour’ et non « trouvère » selon  l’impropriété traditionnelle du titre français) pour accréditer le foisonnement compliqué d’une pièce qui ne l’est guère plus que le théâtre goûté à cette époque-là.
Verdi s’enthousiasme pour le sujet médiéval, les passions affrontées, ce conflit amoureux (entre le Comte de Luna et Manrico le « trouvère » bohémien apparemment, amoureux de Leonora, amoureuse de ce dernier), qui redouble le conflit politique, situé dans l’Aragon du XVe siècle, déchiré en guerres civiles. Dans la pièce, par ailleurs, s’ajoute le conflit de classe entre des Bohémiens, dans le camp des rebelles, et celui des nobles légitimistes et le désir de vengeance de la Bohémienne Azucena dont la mère a été injustement brûlée vive au prétexte qu’elle aurait jeté un sort sur le fils du Comte de Luna. Quant à Léonore, éprise du fils d’une bohémienne, elle trahit sa classe et prend parti pour les rebelles.
Certes, les simplifications du librettiste Cammarano, qui meurt d’ailleurs sans terminer le livret, obligées par la nécessaire condensation qu’exige la musique, réduisent de beaucoup la complexité psychologique et dramatique de l’œuvre originale. Par ailleurs, comme dans le théâtre classique et ses règles de bienséance, le librettiste confie à deux grands récits (de Ferrando et d’Azucena) certains événements passés essentiels à la compréhension du drame présent qui déterminent l’action, le jeu et ses enjeux, sans compter des ellipses temporelles de faits passés en coulisses (la prise de Castellor, la défaite des rebelles, la capture de Manrico), dites en passant qui, dans la complexité du chant, rendent difficile en apparence la linéarité de l’intrigue. Dans la tradition baroque, le récit, le récitatif qui explicite la trame du drame sur un accompagnement minimal secco ou obligato, avec simplement un clavecin ou un minimum orchestral, permettait de suivre parfaitement l’action, traitée ensuite en ses effets et affects par les arias les plus complexes. Le problème, ici, c’est que Verdi, confie ces narrations essentielles qui exposent le nœud de l’action à des airs compliqués de vocalises qui en rendent confuse l’intellection, ainsi l’essentiel récit de Ferrando en ouverture, orné d’appogiatures (notes d’appui) haletant, haché de soupirs (brefs silences entre les notes) tout frissonnant de quartolets (quatre notes par temps). Expressivité musicale extraordinaire qui joue contre le sémantisme ordinaire du récit d’exposition. Défauts du livret, donc, mais compliqués par un chant lyrique où librettiste et compositeur ont leur part mais que la musique sublime transcende largement et que les surtitres aujourd’hui permettent largement de dépasser pour peu qu’on y veuille prêter attention. On met au défi le spectateur de comprendre Rodogune de Corneille, Britannicus de Racine, s’il n’a pas compris les immenses tirades historiques, précises ou allusives, bourrées de noms propres, du premier acte d’exposition. Bref, Il trovatore, contrairement aux sottes et rapides affirmations sempiternellement ressassées, n’est pas plus invraisemblable qu’Hernani de Victor Hugo où l’on voit Charles Quint rival en amour d’un hors-la-loi, ou Ruy Blas, le valet devenu ministre tout-puissant et amant de la reine d’Espagne et le liste serait longue des libertés prises avec la vérité historique sur la scène, comme le Don Carlos de Schiller repris aussi par Verdi au mépris de la réalité des faits. Mais la vraisemblance des situations n’est pas ce qui règle ce théâtre romantique.

La réalisation
photo_151Familier de l’œuvre et du lieu, où il l’avait déjà monté en 2007, après une autre version à Marseille en 2012, Charles Roubaud joue avec aisance du texte et du contexte grandiose, en renouvelant relativement ce qui peut l’être d’une écriture scénique personnelle dont on reconnaît l’élégance : spatialisation efficace des grandes masses chorales en opposition de clair-obscur, subtilement mises en lumière ou ombre par les éclairages de Jacques Rouveyrollis : ordre et désordre du lever d’un casernement militaire avec la chambrée ordonnée et encombrée de lits de camps de soldats en caleçons ou, sortant de la douche matinale serviette autour des reins ou négligemment sur l’épaule pour le récit de Ferrando ; sur le plan incliné (scénographie de Dominique Lebourges), longue procession fantomale des moniales de blanc vêtues, et leur envol de colombes effarouchées aux fracas du combat ; sentinelles en pente déclinante arrachées de la nuit par un éclairage rasant. En contraste avec la rigide discipline d’une armée de métier, les Bohémiens d’une libertaire marche et couleurs de vêtements (toujours l’élégance et fantaisie des costumes de Katia Duflot), avec leur roulotte, leurs danses familiales. En somme deux mondes sociaux affrontés, en guerre, dans le respect du texte. En contraste aux effets de masse, il y a les duos de la tendresse maternelle et amoureuse très touchants entre la mère et le fils et l’amante et l’amant, aimantés par le danger. On regrette cependant deux choses : le duel entre le Comte et Manrico est plutôt un jeu d’évitement entre les deux rivaux, mais quand le troubadour le narre à sa mère, il dit avoir terrassé et fait grâce au Comte (prémonition du lien de sang qui les unit) dans ce combat que nous n’avons pas  vu. De même, on sourit que Manrico arrive seul pour arracher Leonora des bras du Comte à la tête d’une armée et que ce dernier ne se saisisse pas immédiatement de lui bien avant que ne surgissent les hommes du rebelle, certes contrainte de la musique  qui retarde leur entrée.
Les projections vidéo de Camille Lebourges habillent adroitement le grandiose mur de scène d’un nocturne jardin, de vagues éléments d’architecture  discrètement gothico-mudéjare pour les portes, de sinistre salles d’un vaste couvent et de forteresses indistinctes avec, pour Castelor, de nébuleuses peintures religieuses.
Le renouvellement scénique, c’est encoreune modernisation de l’action que les uniformes des soldats renvoient presque explicitement aux uniformes franquistes. Argumentant contre la contextualisation du Trovatore de Roubaud monté à Marseille, situé à l’époque des Guerres carlistes du XIXe siècle, le 3 mai 2012, j’écrivais :

« Tant qu’à moderniser à tout prix, comme je l’ai écrit autrefois, il y aurait eu, peut-être, de la pertinence à situer cette action, où deux hommes politiques et guerriers se disputent la même femme qui pourrait symboliser l’Espagne, à l’époque de la Guerre civile de 1936/1939 (qui finalement est la quatrième guerre carliste espagnole en un siècle), les Gitans étant les libéraux, les « Rouges », les rebelles, face à un pouvoir réactionnaire, totalitaire, d’autant que Franco voulait rétablir l’Inquisition, le fascisme s’y connaissant en bûchers… Beau diptyque espagnol pour Roubaud qui avait ramené avec succès le Cid tout aussi médiéval à l’époque de la transition du franquisme avec la monarchie libérale actuelle. »

On n’est jamais mieux convaincu que par ses propres arguments, bien sûr, et si, Roubaud nous fait grâce de drapeaux rouges et noirs de l’anarchie et des Rouges pour symboliser les Gitans libertaires, réflexion qui semble prolonger (et anticiper chronologiquement) sa vision du Cid de Massenet avec le même Alagna, on est heureux que l’introduction télévisuelle de la retransmission du 4 août, avec ces magnifiques et terribles affiches de la Guerre civile espagnole, soit une franche et claire explicitation historique et politique d’un contexte : arrachée au Moyen-Âge, l’œuvre montre ainsi qu’il est, hélas, toujours à l’œuvre, dans ses horreurs, dans notre prétentieuse modernité.

Interprétation
La qualité des interprètes, orchestres, chœurs, chanteurs solistes, soigneusement choisis par Raymond Duffaut, laisse rarement à désirer, à contester, la part la plus sensible étant la liberté laissée au metteur en scène qui offre matière à commentaire dans ce théâtre musical que ne cesse d’être l’opéra, en plus quand on sait l’exigence théâtrale de Verdi. Et l’on sait le soin que Duffaut met à distribuer même le rôle le plus infime, qu’il convient donc de ne jamais oublier, comme la silhouette de Vieux Bohémien du Marseillais Bernard Imbert
, nouveau venu à Orange ; de  même, on se plaît à saluer toujours la place faite aux jeunes dont on sait, grâce à lui, qu’il deviendront sûrement grands chanteurs, comme le ténor Julien Dran, désormais un habitué du lieu, qui campe le fidèle Ruiz. Dans un rôle peu développé, Inès, Ludivine Gombert déploie une belle et prometteuse voix et une sûre présence physique.
Sans doute vétéran par rapport à ces jeunes, la basse Nicolas Testé, dans le rôle de Ferrando qui ouvre l’opéra par son fameux récit haché d’ornements subtils, nous épargne le pénible jappement de certains interprètes qui savonnent la finesse belcantiste de ces délicates vocalises : sa diction, son articulation sont exemplaires, d’une grande beauté vocale autant qu’expressive au service d’un personnage plein d’allure, noble, finalement aussi obsédé par le passé qu’Azucena, voix d’ombre répondant à la sombre vocalité de la Bohémienne. En Comte de Luna, par contre, le baryton roumain George Petean, pèche paradoxalement, malgré ses mouvements et son agitation, par un jeu statique dramatiquement, mais avec une voix impressionnante, égale sur toute sa tessiture, monochrome cependant, qui, dans son grand air (« Il balen dell’ suo sorriso… »), plane sur le sol attendu sans même qu’on s’y attende et même, à en croire nos oreilles, sur un la superfétatoire, stupéfiant d’aisance et de puissance vocale.
La mezzo québécoise Marie-Nicole Lemieux incarne une Azucena hallucinée, très intériorisée : son premier air « Stride la vampa », sur un rythme de séguedille, est pris dans un tempo sans doute trop rapide du chef pour en exprimer la corrosive obsession qui la ronge. Mais elle bouleverse par sa grande voix d’ombre et de feu dans le second, très large, ample, au risque d’une certaine instabilité. Nouvelle venue à Orange, la soprano dramatique Chinoise Hui He, dans son premier air (le trac, sans doute) paraît accuser une limite dans un aigu tendu. Cependant, dans son grand air (« D’Amore sull’ali rose… »), elle bouleverse par la beauté d’un timbre chaud, charnu dans le médium, moiré dans   l’aigu, une voix bien conduite, demi-teintes, sons filés, trilles, dont la technique maîtrisée est au service de la poésie et de l’émotion.
Non, on ne l’attend pas méchamment au tournant comme certains, ce grand artiste qu’est Roberto Alagna en Trovatore souvent introuvable ailleurs. Mais il est juste de dire que, dans le premier acte, la voix accuse une sécheresse dans l’aigu manquant d’onctueuse couverture. Dans les passages moins tendus, on admire toujours sa magnifique ligne, son phrasé, et l’émotion aussi, notamment dans les deux duos avec sa mère, dont le second et ultime avant la mort (« Riposa, o madre… », qui renvoie à la tendresse de Verdi pour ces moments déchirants  d’adieux à la vie avoués ou non comme Violetta et Alfredo (« Parigi, o cara… ») ou Aïda et Radamès (« Addio terra… »). Il est acteur autant que chanteur. Mais on est en droit de regretter qu’avec sa notoriété et la sympathie acquise (et justement conquise) sur son public, il n’impose pas, dans son grand air  « Di quella  pira » (type de séguedille) la vérité textuelle de Verdi : l’air est en do majeur, dans la tradition, depuis le Baroque, des airs héroïques ou de chasse, culminant sur un solaire sol aigu. Or, une tradition abusive impose un redoutable contre ut non écrit par Verdi, certes pour surmonter la masse chorale et orchestrale paroxystique du moment. Donc, au contre ut, nul ténor n’est tenu face à la vérité de la partition. Ici même, récompensé par des vivats, Jonas Kaufmann donnait en pianissimo exigé par Bizet le si bémol de son grand air que les ténors sortent prudemment en forte. Alagna choisit donc, au détriment de la tonalité de do majeur, de faire transposer cet air un demi-ton plus bas pour sans doute vouloir donner à son public l’illusion d’un contre ut qui ne sera qu’un si bécarre. Or, le malheur veut qu’après tout ce passage héroïque qu’il offre avec panache, il donne ce sommet en une sorte de voix mixte entre poitrine et fausset de fâcheux effet. Le 4 août, il est vrai, il chantera ce si, mais visiblement à l’arraché, alors qu’il pouvait s’en tenir à ce sol de la partition, toujours ensoleillé chez lui. On ne juge pas, bien sûr, un chanteur de cette trempe sur une seule note mais, justement, cela détone à cette échelle.
Sous la direction de Bertrand de Billy, très attentif aux chanteurs, l’Orchestre National de France sonne comme un magnifique instrument au service d’une partition qui alterne les grandes masses sonores (beaux chœurs) rutilantes de couleurs et de fureur, avec des moments d’intimité, de douceur et de grâce poétique. Pas une faille mais une tenue remarquable du début à la fin.

Compte rendu critique, opéra. Orange, Chorégies. Le 1er août 2015. Verdi : Il trovatore. Roberto Alagna… Bertrand de Billy, Charles Roubaud.

Verdi : Il Trovatore / le troubadour
Opéra en 4 actes (1853),
Livret de Salvatore Cammarano, d’après le drame espagnol
d’Antonio García Gutiérrez (1836)
Chorégies d’Orange. Les 1 et 4 août (en direct sur Antenne 2 et en replay)

Bertrand de Billy, direction.
Charles Roubaud, mise en scène
. Scénographie : Dominique Lebourges
. Costumes : Katia Duflot
. Eclairages : Jacques Rouveyrollis
. Vidéo : Camille Lebourges.

Distribution
Leonora : Hui He ; Azucena : Marie-Nicole Lemieux; Inès : Ludivine Gombert. Manrico :  Roberto Alagna; Il Conte di Luna :  George Petean ; 
Ferrando : Nicolas Testé; Ruiz : Julien Dran; Un Vecchio Zingaro : Bernard Imbert. Orchestre National de France.Chœurs des Opéras Grand Avignon, de Nice et de Toulon Provence-Méditerranée.

Compte rendu, opéra. Orange, Chorégies. Bizet : Carmen. Le 14 juillet 2015. Orchestre Philharmonique de radio France. Chœurs des Opéras d’Angers-Nantes, du Grand Avignon et de Nice. Maîtrise des Bouches-du-Rhône. Direction musicale : Mikko Franck. Mise en scène, décors, costumes : Louis Désiré.

5 carmen_philippegromelle2Les Espagnols, nous ne détestons rien tant que l’interprétation hyper coloriste de notre couleur locale, surtout de cette Andalousie que, par une synecdoque abusive autrefois imposée par le franquisme, on a longtemps donnée comme la partie pour le tout d’une Espagne plurielle et diverse. Aussi applaudit-on à cette vision de Carmen, épurée d’espagnolisme de façade, d’espagnolade pour caricaturales « fiestas » bachiques et sanglantes, que nous offre la mise en scène de Louis Désiré, dont les somptueux et sombres éclairages de Patrick Méeüs mettent, paradoxalement, en lumière, la profonde noirceur hispanique, l’âme tragique au milieu de la fête, la célébration de la vie au bord du précipice : allure et figure jusqu’à la sépulture. Incarnée par l’Espagnole Carmen qui, si « elle chante  de la musique française », ce dont on donne acte à Louis Désiré dans sa note, n’enchante pas moins par une musique qui emprunte à l’Espagne certains  de ses rythmes, comme la séguedille, le polo prélude à l’Acte IV inspiré du Poeta calculista du fameux Manuel García, père andalou de la Malibran et de Pauline Viardot García qui venait d’en éditer des œuvres et, surtout, l’emblématique habanera, « L’amour est un oiseau rebelle », que Bizet reprend du sensuel et humoristique El arreglito de son ami espagnol Sebastián Iradier, auteur de La paloma, professeur de musique de l’impératrice espagnole Eugénie de Montijo, qu’il a l’élégance de citer. Mais l’art n’a pas de frontières, les génies prennent leur bien où ils le trouvent et, d’après un texte très justement espagnol de Mérimée, la française et hispanique Carmen de Bizet est universelle, figure mythique sur laquelle nous nous sommes déjà penchés, et, personnellement, sur son clair-obscur sexuel .

Carmen au Théâtre Antique : nocturne goyesque à Orange

Héros déracinés et ligotés, illusion de liberté

Je ne reviendrai pas sur tout ce que j’ai pu écrire sur les personnages, déracinés, ligotés par la société, condamnés à une errance, à la fuite : Don José, nobliau navarrais, arraché à sa contrée par une affaire d’honneur et de meurtre, réduit à être déclassé, soldat, dégradé, emprisonné puis contrebandier contre sa volonté, aux antipodes nationaux de chez lui, dans cette Andalousie où il reste fondamental étranger ; sa mère qui l’a suivi dans un proche village, conscience du passé, du terroir, des valeurs locales, et cette Micaëla, orpheline venue d’on ne sait où, escortant la mère et suivant José ; ces contrebandiers, passant d’un pays (Gibraltar anglais) à l’autre, sans oublier ces femmes, ces ouvrières, sans doute fixées dans l’usine, par la nécessité esclavagiste du travail, mais peut-être bientôt enracinées par un mariage donnant au mâle nomade la fixité contrainte du foyer : la femme soumise ne peut que procréer des fillettes dans le rang sinon des filles soumises, des fillettes déjà esclaves, avant d’être l’objet de la convoitise brutale de la troupe des hommes, dont seule Carmen, avec son art de l’esquive, se tire un moment. Les petits garçons sont aussi formatés par l’ordre social, « comme de petits soldats », avant d’être des grands, gardiens de l’ordre corseté et oppressif.

Don José est d’entrée l’homme prisonnier, ligoté : de ses préjugés, de sa chasteté, de son uniforme. Fils soumis à la Mère, dont la maternelle Micaëla apporte le message,  à la Mère église, à la Mère Patrie: homme enfant malgré les apparences. Carmen, apparemment prisonnière et ligotée par lui, lui offrira l’occasion de la liberté mais oiseau rebelle, papillon insaisissable, elle sera finalement épinglée, fixée par le couteau d’une implacable loi.

RÉALISATION

Cartes sur table, sur scène : la donne du destin

Dans une obscurité augurale, sans doute du destin indéchiffrable, vague lumière qui fait hésiter entre rêve et éveil, ou goyesque cauchemar plein de formes inconnues qui envahissent la scène, une foule grouillante se précise, femmes en peu seyantes robes orange ou marron (Louis Désiré), soldats en uniformes noirs, et, au milieu, se détache la lumineuse blancheur de l’habit de Carmen, un bouquet de roses sanglantes de rougeur à la main. L’ouverture sonne, lancée par un enfant et s’anime déjà du drame : José, seul, cartes à la main, Carmen s’avance vers lui comme la fatalité, déjà voile de deuil sur la tête, lui jetant les fleurs sur le thème du destin. D’avance, tout est dit, écrit. L’on comprend ces cartes géantes posées comme au hasard, comme en équilibre instable, de guingois, contre la solidité du mur antique : la vie comme un fragile château de cartes dont on sent le possible et inéluctable écroulement sur les héros confrontés, pour l’heure vide de sens, à l’envers, simples somptueux tapis de sol qui ne s’éclaireront qu’à l’heure fatale décidée par un destin obscur qui échappe aux hommes et à Carmen même qui le connaît : pique et carreau. Ces cartes se déclineront, mises en abîme, en éventails et cartes en main, à jouer, de tous les personnages : chacun a la main, mais aucun l’atout décisif : « Le destin est le maître », reconnaîtra Carmen. Tout converge intelligemment vers l’air fatidique des cartes où la clarté impitoyable du destin s’éclaire tragiquement à leur lecture.

Autre lumière dans cette ambiante obscurité, le magnifique effet solaire des doublures dorées des soldats fêtant Escamillo ou, moins réussi, trop clinquant, le défilé des « cuadrillas » en habits de lumière éclairant heureusement le ridicule des faux héros de la virilité et du courage que sont les toreros.

On admire d’autres trouvailles : les lances des dragons plantées sur le sol à la fois herse, défense, agression possible et prison pour Don José, habité déjà du rêve de la taverne de Pastia, traversé par l’ombre, les ombres de Carmen robe d’une sobre élégance espagnole, en mantille, devenant filet, rets d’un sortilège jeté sur le pauvre brigadier, Carmen signifiant aussi, en espagnol, ‘charme’, ‘magie’.  La corde, également, circulera comme signe des liens de l’amour, du destin, de l’impossible liberté sauf dans la mort, et même de l’évasion plaisante du quintette qui a un rythme de galop digne d’Offenbach. Il y a aussi cette magnifique idée, enchaînant la fin du III avec l’acte IV, la cape de matador (‘tueur’, en espagnol) dont Escamillo couvre galamment Carmen, devenant sa parure de mort prochaine. Enfin, la fleur se dissémine aussi dans le parcours, offerte d’abord par Zúñiga à Carmen, par Carmen à Don José depuis l’ouverture, avec son acmé, son sommet dans l’air de la fleur, puis par le torero à la gitane, finalement traces de sang sur son corps sacrifié par José sur la carte fatidique.

Le privilège des proches places de la presse se retourne, hélas, contre la vision d’ensemble : effet de la perspective, toute cette foule nourrie de choristes semble s’accumuler, s’écraser sur l’avant-scène, occupant ou saturant l’espace étroit laissé par les superbes cartes adossées contre le fond. Mais, vu à la télévision, le dispositif, en plongée, prend son sens, a une indéniable beauté plastique et picturale qui saisit et séduit. Les cartes révélées par la lumière font rêver. Et, ce que la distance semblait diluer du jeu des chanteurs se magnifie par des gros plans qui émeuvent par la beauté et le jeu intense et nuancé des interprètes, dignes du cinéma. Cette production télé aura bénéficié d’un exceptionnel réalisateur qui a capté l’essence de cette mise en scène, Andy Sommer.

INTERPRÉTATION

mikko frank dirigeantCe début avec tout ce monde serré sur l’obscurité du plateau, forcément contraint dans ses mouvements, ne pouvait donner au chef Mikko Franck l’occasion de faire briller une ouverture en discordance avec la tonalité ombreuse du plateau. Quelques malotrus, tous à jardin et groupés, donc dirigés, se permettront des huées inconvenantes. Sortant d’une excessive tradition coloriste, quelques tempi sont lents aux oreilles de certains, mais quelle mise en valeur du crescendo, partant d’une lenteur inquiétante de l’abord de la chanson gitane qui, de sa contention première, éclate en folle rage festive sur les cris des trois danseuses ! Et le quintette mené à un train d’enfer ! Cette approche, impressionniste, impressionne par la mise en valeur des timbres, des couleurs d’une délicatesse toute mozartienne de l’instrumentation plus que de l’orchestration de Bizet. Le problème est, peut-être, que la mise en scène symbolique avec ces cartes matérialisant le destin, visant le mythe, demandait sans doute plus de simplification des lignes que de rutilance des détails. Les chœurs, malgré des craintes sur l’encombrement de la scène, tirent leur épingle du jeu et les enfants, très engagés, se paient, bien sûr, un triomphe.

On nous a épargné, par des chanteurs étrangers même à la parfaite diction, les passages parlés de cet opéra-comique à l’origine, guère intéressants (qui comprend aujourd’hui l’histoire de l’épinglette qui justifie le moqueur « épinglier de mon cœur de Carmen à José ?). Les récitatifs de Guiraud sont concis et percutants (« Peste, vous avez la main leste ! »), ou sonnent comme des maximes : « Il est permis d’attendre, il est doux d’espérer ». C’est bien vu et bien venu.

Comme toujours à Orange, le plateau est d’une homogénéité digne de mention. En Remendado truand rapiécé selon son nom, on a plaisir à retrouver Florian Laconi, faisant la paire, inverse en couleur de voix, lumière et ombre, avec le tonitruant et truculent Dancaïre d’Olivier Grand, couple symétrique et antithétique avec  ces coquines de dames : la fraîcheur lumineuse de la Frasquita d’Hélène Guilmette contrastant joliment avec la chaleur du mezzo sombre de Marie Karall. Armando Noguera campe un fringant Morales, perché sur sa belle voix de baryton comme un coq sur ses pattes pour séduire Micaëla. Le Zuñiga de Jean Teitgen est tout séduction aussi par un timbre sombre, profond, et une allure de « caballero » élégant et humain.

Humaine, si humaine, le miel  de l’humanité est distillé, avec l’inaltérable grâce qu’on lui connaît et que l’on goûte, par la Micaëla tendre d’Inva Mula, maternelle et protectrice messagère de la Mère, mère en puissance et, pour l’heure, amante blessée mais compatissante et courageuse. La voix, moelleuse, apaisante, se déploie en lignes d’une aisance céleste mais aux pieds sur la terre de la piété et pitié.

Dans le rôle à l’ingrate tessiture d‘Escamillo, trop grave pour un baryton, trop aigu pour une basse, nouveau venu à Orange, Kyle Ketelsen est foudroyant de présence physique et vocale, amplitude, largeur, couleur et incarnation, il remporte avec justice tous les suffrages.

Que dire de Jonas Kaufmann qu’on n’ait déjà dit ? Il sait déchirer le tissu de sa superbe voix pour rendre les déchirures rauques de ce héros passionné meurtri, un Don José d’abord rêveur ou prostré par le passé sur sa chaise, interloqué par l’audace de la femme, de cette femme, de cette Carmen qui fait son chemin en lui, jusqu’à l’air à la fois intime et éclatant de la fleur. Il le commence en demi-teinte, comme se chantant à lui-même, en tire des couleurs et nuances d’une frémissante sensibilité et sensualité et en donne le si bémol final en double pianissimo, comme il est écrit dans la partition, en voix de poitrine, qui prend tout son sens : la voix du cœur. Il est bouleversant.

Face à lui, face à face, effrontée et affrontée, Kate Aldrich entre dans la catégorie moderne des Carmen que Teresa Berganza rendit à la fidélité de la partition et à la dignité féminine et gitane sans grossissement de féminisme ou gitanisme outrancier. Elle est d’une beauté qu’on dirait du diable si ce sourire éclatant ne lui donnait une humanité fraternelle et une fraîcheur parfois angélique : sûre sans doute de sa séduction mais sans se laisser abuser par elle, elle donne au personnage une distance avec la personne qui dit, sans dire, sa profondeur et une sorte de détachement désabusé du monde. La voix répond au physique, élégante, souple, satinée, raffinée, n’escamotant pas les nuances, n’accusant aucun effet dans la grandeur démesurée de l’espace qu’elle habite sans effort. Il faudrait des pages pour détailler la finesse de son jeu heureusement capté par la télévision : rieuse, railleuse, blagueuse (Carmen a des mots d’esprit des plus plaisants), enfin, tragique. Élégante même dans ces gestes pour chasser, comme mouches importunes, tous ces hommes bavant de désir, écartant d’une main la fleur de l’officier dans la taverne, la photo dédicacée de l’arrogant torero, passionnée avec José et plus grave, déjà, avec Escamillo. Est-elle la figure mythique de l’héroïne ? Les mythes ne sont plus de ce temps. Elle me semble plutôt une femme du nôtre, qui a conquis sa liberté et qui en a accepté le prix : ce qu’allégorise sans doute la mort de Carmen au nom de toutes les femmes autrefois sacrifiées sur l’autel de l’honneur des hommes.

Compte rendu, opéra. Orange, Chorégies. Bizet : Carmen. Le 14 juillet 2015. Orchestre Philharmonique de radio France. Chœurs des Opéras d’Angers-Nantes, du Grand Avignon et de Nice. Maîtrise des Bouches-du-Rhône. Direction musicale : Mikko Franck. Mise en scène, décors, costumes :  Louis Désiré.

Distribution : Carmen : Kate Aldrich ; Micaëla : Inva Mula; Frasquita : Hélène Guilmette
Mercédès : Marie Karall ; Don José :  Jonas Kaufmann ;  Escamillo : Kyle Ketelsen ;
Zuñiga :  Jean Teitgen ; le Dancaïre Olivier Grand; le Remendado : Florian Laconi
; Moralès : Armando Noguera. Illustration : Philippe Gromelle

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  1. Voir Benito Pelegrín « Carmen, entre chien et loup de la sexualité », entre autres études, in Carmen, Édité par Élisabeth Ravoux-Rallo, Figures mythiques, Éd. Autrement, p.50-75, 1986.

Festival des Chorégies d’Orange (84). Carmen, Il Trovatore, concerts. Du 7 juillet au 4 août 2015

theatreOrange-aOrange.Chorégies. Carmen, Il Trovatore, concerts. Du 7 juillet au 4 août 2015. Un scandale absolu ? Carmen causa-t-elle un scandale analogue à celui de Pelléas (Debussy) puis du Sacre (Stravinsky) et de Déserts (Varèse) ? On aimerait le penser, pour que nous fussions pleinement … scandalisés par la sotte incompréhension des publics, et puisque comme le disait un polémiste du XXe, « la colère des imbéciles remplit le monde ». Tout était réuni en cet opéra-« comique », – et on ne relit pas sans sourire amertumé le sous-titre de « classement » à travers lequel ce chef-d’œuvre de la tragédie lyrique fut en son temps catalogué !- pour susciter le plus violent des refus, à commencer par l’ histoire racontée et son « héroïne »-repoussoir pour une société avide de conventions et de respectabilité.

Musique cochinchinoise
Et certes une partie de la critique se surpassa dans l’invective, comme nous le rappelle le musicologue Hervé Lacombe en citant un article d’Oscar Commettant dans le Siècle du 8 mars 1875 : « Peste soit de ces femelles vomies par l’enfer, et quel singulier opéra-comique que ce dévergondage castillan ! …Délire de tortillements provocateurs, de hurlements amoureux, de dans es de Saint-Guy graveleuses plus encore que voluptueuses… Cette Carmen est littéralement et absolument enragée. Il faudrait pour le bon ordre social la bâillonner et mettre un terme à ses coups de hanche effrénés, en l’enfermant dans une camisole de force après l’avoir rafraîchie d’un pot à eau versé sur sa tête. » Ou d’un magistral jugement esthétique qui mérite que le nom de son auteur, Camille du Locle (co-directeur de l’Opéra Comique), passe à la postérité : « C’est de la musique cochinchinoise, on n’y comprend rien. »

Doublement immigrée
Mais au fait, qui donc là était en cause ? Le musicien capable d’illustrer « le dévergondage castillan, le délire et les hurlements amoureux » de la demoiselle forcenée, l’écrivain qui avait fourni aux librettistes une histoire terrifiante ? On dirait a priori que Prosper Mérimée, le « nouvelliste » demeurait le plus coupable. Pourtant en 1875, il était en quelque sorte « mort en odeur de sainteté », (1870), ayant effacé par ses fonctions officielles (Les Monuments Historiques, ou comme on dirait aujourd’hui, le Patrimoine) au service d’une Monarchie de Juillet et surtout d’un Second Empire qu’il admirait comme remparts contre la Subversion sociale, la scélératesse de sa Carmen (d’ailleurs écrite en 1845). Carmen, cette double immigrée : gitane, donc déjà en situation plus ou moins régulière pour « son pays d’origine », l’Espagne, et devenue pour les Français lecteurs de la nouvelle l’exotique et volcanique rebelle qui mène les hommes à leur perte, choisissant un représentant de l’Ordre (le subalterne Don José) comme instrument du destin pour vivre… sa triade « l’amour-la liberté-la mort ».

Foutriquet le Fusilleur
Cinq ans après la mort de l’auteur, la France profonde, qui choisit quasiment par surprise la République (l’amendement Wallon, voté par une voix de majorité !), est encore sous le coup du séisme idéologique et politique de la Commune, impitoyablement réprimée dans le sang devant l’œil goguenard des Prussiens occupants, liquidée par les troupes de Monsieur Thiers, alias le Fusilleur, alias Foutriquet. Symboliquement considérée comme inspiratrice des pétroleuses( les femmes accusées par la Répression Versaillaise d’avoir mis le feu aux bâtiments en réalité incendiés dans les combats au centre de Paris, pendant « la Semaine Sanglante »), Louise Michel vient d’être déportée en Nouvelle Calédonie, d’où cette féministe et révolutionnaire ne reviendra qu’en 1880…

Le théâtre des entrevues de mariage
bizet georgesEn tout cas, si la Carmen de Mérimée a déjà connu son absolution , et même si « le plus âgé des directeurs de l’Opéra-Comique s’effraie de voir sur sa scène : «  ce milieu de voleurs, de bohémiennes, de cigarières arrivant au théâtre des familles qui organisent là des entrevues de mariage – cinq ou six loges louées pour ces entrevues –, non c’est impossible ! », des concessions sur l’histoire et certains personnages, la bonne réputation des librettistes Meilhac et Halévy emportèrent « le marché » en faveur de ce Georges Bizet dont la lyrique Djamileh avait eu un vif succès. « Prima la musica, e poi le parole », le rassurant adage devait « couvrir par son bruit harmonieux » les messages de la gitane révoltée… « Malheureusement », le génie de Bizet – se servant de l’alternance des parties dialoguées et du socle musical – transcende aussitôt les petits arrangements qu’on pouvait espérer d’un compositeur a priori non « révolutionnaire », en tout cas sans idéologie reconnaissable, et porte à l’incandescence l’histoire et la personne de Carmen, femme libre.
Tout comme Mozart était « fait » pour créer avant tout Don Giovanni, Beethoven Fidelio, Berg Wozzeck, Bizet « reste Carmen », pour une éternité qui lui rend presque aussitôt justice et fera de Carmen l’opéra français le plus joué au monde (selon le livre Guinness des Records). Sa mort cruellement précoce (37 ans !), qui suit de quelques mois la venue au monde du chef d’œuvre, contribue à « sanctuariser » l’opéra dans l’histoire musicale…

Nietzsche désaddicté
Et aussi à en faire un symbole d’ « art français » – clarté-cruauté racinienne du discours, vérité naturaliste et tragique de ce qui est montré – contre « l’autre côté du Rhin », englué dans son brouillard métaphysique… On pense évidemment à Nietzsche « désaddicté » de son Wagner, et allant chercher dans la lumière méditerranéenne des Cimarosa ou Rossini, mais surtout celle de Carmen, une vérité supérieure, « la profondeur du Midi » : « Je viens d’entendre quatre fois Carmen, écrit-il en janvier 1888 à son ami Peter Gast, c’est comme si je m’étais baigné dans un élément plus naturel. »(Et suit la demi-phrase désormais chère à tout écho » vendeur » de comm culturelle : « la vie sans musique n’est qu’une erreur (, une besogne éreintante, un exil) ».

La poésie dans la vie
Mais au XXe, on ira surtout du côté de chez Alberto Savinio – peintre comme son frère Giorgio de Chirico, compositeur, critique et littérateur – des clés pour mieux saisir la grandeur de Bizet : « Le secret de Carmen tient peut-être à ce qu’elle est si proche de nous et en même temps si lointaine, sincère et directe, en même temps si retorse et chargée de fatum (destin). Je ne vois pas d’autre exemple, même chez les Grecs, de ce fatum dans le « trio des cartes ». Avec autant de grâce mélancolique les pleurs de l’air, de la lumière, de la vie qui devra continuer que le thème du 4e acte par lequel Frasquita et Mercédès murmurent leurs funèbres mises en garde…On a tant parlé de la rédemption dans les finales de Dostoievski : et de la rédemption du finale de Carmen, qui a jamais parlé ? » Et de citer les trois « rapprocheurs » qui ont amené au XIXe « la poésie dans la vie : Baudelaire, Manet, Bizet… ».

Sous le Haut Mur
Alors, comment faire passer sous le Haut Mur cette modernité, ce climat d’intuition, cette passion violente, ce mouvement perpétuel d’aventures, et les huis clos tragiques ? C’est Louis Désiré – « costumier et scénographe » – qui a en charge la mise en espace de cette Carmen dont ne peut savoir si elle jouera la rupture avec la tradition, y compris « orangienne » ; ce spécialiste de l’opéra XIXe (Werther de Massenet lui est cher…) a déjà ici fait décors et costumes pour Rigoletto. Le chef finlandais Mikko Franck – évidemment hyper-spécialiste de Sibelius, et aussi de son compatriote Rautavaara – est un habitué de «  sous le mur » – Tosca en 2010, Vaisseau Fantôme en 2013 -, et c’est un mois après son Trouvère orangeais avec le « Philhar » de Radio-France qu’il en prend la succession de Myung-Whun-Chung à la direction musicale…Kate Aldrich arrive ici en Carmen, de même que Kyle Ketelsen en Escamillo, et très spectaculairement Jonas Kaufman incarne Don José, Inva Mula étant la douce Micaela.

Au cœur de la Trilogie
11 ans après Nabucco, 6 après Macbeth, 2 après Rigoletto. Et encore, pour ceux qui aiment le chiffrage dans la vie : 2 ans après la mort de la mère, 15 après celle de Margherita l’épouse, 5 après le début de la vie commune avec la cantatrice Giuseppina Strepponi… Ainsi va Giuseppe Verdi en 1853 (il a 40 ans), au cœur d’une Trilogie qui marque son évolution et l’histoire de l’opéra italien : avec Rigoletto, Traviata et Le Trouvère, c’est, écrit P.Favre-Tissot, « le fruit d’un cheminement progressif, un point d’équilibre atteint dans une quête de la perfection au terme d’une évolution réfléchie et non comme un miracle artistique spontané. » Adaptation de Victor Hugo (Le Roi s’amuse) pour Rigoletto, d’Alexandre Dumas fils (La Dame aux Camelias) pour Traviata : deux origines très « pro », comme on dirait aujourd’hui, et du beau travail. Mais pour le Trouvère, on peut avoir oublié la pièce théâtrale espagnole, El Trovador, et surtout son auteur, A.G.Gutierrez.

Rocambolesque ?
Etant admis qu’on n’est nullement ici dans l’historique, fût-il très transposé – Don Carlos, Un bal Masqué – , il est pourtant rare qu’un livret propose un tel cocktail d’invraisemblance et de complication. Certes, le genre « croix de ma mère » – comme on le disait pour symboliser les artifices lacrymaux du mélo – a largement sévi en cette période pour alimenter les « scenars » à coups de théâtre, objets-colifichets symboliques et autres attrape-badauds du feuilleton lyrique. Et comme avait concédé le bon Boileau, héraut du XVIIe français classique en terre encore baroque, « le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable ». C’était aussi en France le temps où le roman-feuilleton s’inventait une légitimité, d’Eugène Sue et ses Mystères de Paris à Ponson du Terrail à qui on attribue l’introuvable « elle avait les mains froides comme celles d’un serpent » et dont le Rocambole s’est  adjectivé. (La littérature « industrielle » du XIXe a bien eu sa descendance au XXe chez Guy des Cars ou Maurice Dekobra, et de nos jours dans le binôme des jumeaux-rivaux Musso-Lévy…).

Une nuit à l’opéra
Giuseppe VerdiPour Il Trovatore, une gitane (encore ) et sorcière brûlée vive, sa fille Azucena qui l’aurait vengée en faisant disparaître l’un des fils du comte de Luna, la princesse d’Aragon Léonora qui devient folle d’amour d’un Trouvère, Manrico, alors que le fils du comte de Luna… « et ce qui s’en suivit », ainsi qu’on le lit dans certains sous-titres de romans populaires. A vous, spectateur, de jouer – slalomer ?- entre les péripéties toutes plus troublantes et inattendues les unes que les autres.(P.Favre-Tissot note que « le caractère rocambolesque de l’intrigue poussa les Marx Brothers à choisir Il Trovatore pour leur désopilant film Une nuit à l’opéra « !). Mais surtout de vous relier à une musique dont nul ne semble contester la force émotive – la première elle-même fut un triomphe, à la différence d’une Traviata incomprise car porteuse de scandale social, comme sa « descendante » …Carmen -, et le tourbillon des affects. « Une des musiques les plus étincelantes nées de la plume de Verdi, dit encore P.Favre-Tissot. Ce torrent sonore continu, charriant impétueusement les passions romantiques, emporte tout sur son passage. Le traditionalisme des formes rassure le public (pour) un sujet que Verdi a qualifié de sauvage. Et à un orchestre plus élémentaire répond une écriture vocale paroxystique. »

Les chants sont des cerfs-volants solitaires
Echo contemporain de ce que notre Alberto Savinio écrivait dans une de ses critiques  : «  Il Trovatore, c’est le chef-d’œuvre de Verdi. Dans aucun autre de ses opéras, l’inspiration n’est aussi élevée. Aucun autre ne peut se vanter de posséder des chants aussi solitaires, purs, verticaux…Chants d’une espèce singulière, qui ouvrent une fenêtre soudaine, par laquelle l’âme prend son envol violemment et en même temps très doucement, dans la liberté infinie des cieux. Chants qui sont des cerfs-volants solitaires, dans un étrange calme, dans un ciel sans vent, montant tout droit dans la nuit infinie… » L’inspiration du poète Savinio semble ici appeler non le lieu clos d’une « maison d’opéra » mais bien le « ciel ouvert » sous les étoiles. Charles Roubaud – un familier d’Orange – devra trouver le mélange d’ardeur et de lyrisme, de surprises théâtrales et « cheminements » sous le Mur pour le chef-d’œuvre aux paradoxes. C’est au chef français – et quasi-autrichien, tant une partie de sa carrière a été viennoise – Bertrand de Billy qu’il convient de porter à incandescence l’Orchestre National de France, des chœurs « français-méditerranéens », et des solistes à prestige : retour attendu de Roberto Alagna ( Manrico) et de Marie-Nicole Lemieux–(Azucena) -, arrivée de Hui He (Leonora) et George Petean (Conte de Luna).

Lyrique et symphonique
argerich_alix_Laveau_emi_pianoEt puis les Chorégies ne seraient pas tout à fait elles-mêmes si on n’ajoutait pas aux « deux-fois-deux opéras » l’accompagnement des concerts lyriques et symphoniques. Cela permet aussi à certains orchestres de faire leurs premières armes dans l’immense acoustique du Théâtre Romain, ainsi pour le National de Lyon qui « débute » ici tout comme un chef (pour lui invité), Enrique Mazzola, une soprano, la Russe Ekaterina Siurina, en duo avec le plus habitué ténor Joseph Calleja : airs extraits pour l’essentiel du trésor lyrique italien XIXe. Le Philhar de Radio-France connaît bien Orange, où il a aussi joué avec Myung Whun Chung : mais deux « petits nouveaux » solistes du clavier, Martha Argerich et Nicholas Angelich, dans Poulenc, à côté de la grandiose « Avec orgue » de Saint-Saëns (3e Symphonie, Christophe Henry).Enfin, en même temps que Trovatore, l’O.N.F. et Bertrand de Billy explorent la 9e de Dvorak et le Concerto en sol de Ravel (avec Cédric Tiberghien).

Festival des Chorégies d’Orange (84). Du 7 juillet au 4 août 2015. Georges Bizet (1838-1875), Carmen : mercredi 8, samedi 11, mardi 14 juillet , 21h45 ; Giuseppe Verdi (1813-1901), Il Trovatore : samedi 1er août, mardi 4 août, 21h30. Mardi 7, 21h45, Concert lyrique ; vendredi 10, 21h45, concert symphonique ; lundi 3, 21h30, concert symphonique. Information et réservation : T. 04 90 34 24 24 ; www.choregies.fr

Compte rendu, opéra. Marseille, Opéra. Le 24 avril 2015. Wagner : Le Vaisseau Fantôme. Der Fliegende Holländer. Lawrence Foster, direction. Charles Roubaud, mise en scène.

Wagner portraitMarseille reprend en avril 2015,  la production présentée aux Chorégies d’Orange en juillet 2014. De coupe encore traditionnelle, l’opéra a des airs facilement mémorables (couplets du marin, ballade de Senta, marche de Daland, etc, et une ouverture saisissante que presque tout le monde connaît sans le savoir). La trame est dramatiquement habile dans sa construction : exposition et présentation nette des personnages (Daland, le Hollandais, Senta, Erik), nÅ“ud de l’intrigue (deux amours de Senta en compétition), péripéties (crise et méprise) et dénouement tragique, mêlé habilement de scènes chorales de genre (les marins, les fileuses). Les deux héros sont l’âme même du romantisme : Senta, c’est une autre Tatiana romanesque qui a forgé dans ses rêves l’amour idéal, total, sacrificiel, qui l’arrachera à la banalité du quotidien (l’atelier de filature) et au prosaïsme cupide de son père et à l’esprit terrien, sans doute terre à terre de son fiancé Érik, chasseur et non marin. Le Hollandais maudit en quête de rédemption, est une sorte d’Hernani et il pourrait dire aussi :

 

 

 

De la légende du Vaisseau fantôme à un vaisseau fantôme de légende…

 

 

Je suis une force qui va !

Agent aveugle et sourd de mystères funèbres !

Une âme de malheur faite avec des ténèbres !

Où vais-je ? Je ne sais. Mais je me sens poussé

D’un souffle impétueux, d’un destin insensé.

Je descends, je descends et jamais ne m’arrête.

 

Mais à l’inverse du héros de Victor Hugo (1830), c’est une force qui s’en va, qui voudrait s’en aller, qui désire couler doucement vers le gouffre apaisant, le repos éternel qui lui est refusé par Dieu et que seul peut lui octroyer l’amour d’une femme fidèle : face aux Éva pécheresses qu’il a connues dans son errance au long cours, Senta sera enfin, dissipé le malentendu, l’ « Ave », la rédemptrice, l’Éros bénéfique ouvrant la délivrance de Thanatos, la mort par l’amour. Ne pouvant vivre ses rêves, elle rêve sa vie jusqu’au sacrifice final qui donnera corps et vie au songe.

L’Å“uvre. Des personnages à la fois archétypaux, humains et surhumains. Du romantisme de son temps, Richard Wagner hérite et cultive le goût des légendes. Dans cet opéra en trois actes de 1843 dont il écrit le livret, il s’inspire de quelques pages du poète Heinrich Heine qui vient de publier Aus den Memoiren des Herrn von Schnabelewopski en 1831, ‘Les mémoires du Seigneur Schnabelewopski’ où est relaté une version de la légende ancienne du Hollandais volant et de son vaisseau fantôme.

Vaisseau fantôme

La mer a ses fantasmes, l’océan, ses fantômes, les deux, ses légendes. Une court les flots et les tavernes des marins réchappés aux vagues et tempêtes des vastes espaces marins, l’existence d’un bâtiment hollandais dont l’équipage est condamné par la justice divine qu’il a bafoué à errer sur les mers jusqu’à la fin des siècles. En effet, son capitaine, malgré une tempête effroyable au Cap de Bonne Espérance bien nommé, a décidé de prendre la mer un Vendredi saint, jurant qu’il appareillerait, dût-il en appeler au diable, qui le prend au mot.

Hollandais volant

Un capitaine hollandais aurait accompli en trois mois un voyage de près d’un an normalement, d’Amsterdam à Batavia (Djakarta), grâce au diable. Cela se passe au XVIIe siècle, époque où les Hollandais ont créé la Compagnie des Indes, courant les océans. La rencontre de ce vaisseau fantôme est considérée comme un funeste présage.

Une première version écrite de la légende est parue dans un journal britannique en 1821. La première version française a été publiée par Auguste Jal, Scènes de la vie maritime, Paris, 1832. Cela inspira, en 1834, la nouvelle de Heinrich Heine : Les Mémoires du Seigneur de Schnabelewopski qui servit de thème de l’opéra de Wagner quelques années plus tard. Victor Hugo cite aussi cette histoire dans La Légende des siècles :

C’est le Hollandais, la barque

Que le doigt flamboyant marque !

L’esquif puni !

C’est la voile scélérate !

C’est le sinistre pirate


De l’infini. 

 

 

 

À notre époque, un film légendaire d’Albert Lewin en 1951 réactualise le mythe du Hollandais volant le mêlant à celui de Pandora, la femme maléfique qui ouvre la fameuse boîte de Pandore des vices, Pandora and the Flying Dutchman, avec la mythique Ava Gardner dans le rôle de l’héroïne qui, par son sacrifice, trouve à la fois sa rédemption et celle du capitaine maudit. Un film plus récent, Pirates des Caraïbes, en 2003, s’en tient au strict vaisseau fantôme.

Mais Heine, à la damnation éternelle du Hollandais ajoute un élément sentimental essentiel : le Hollandais damné a le droit de faire port tous les sept ans et seule la fidélité absolue d’une femme peut lui apporter la rédemption malheureusement, il a toujours été trahi dans son amour lorsqu’il met ses espoirs de rachat dans la dernière, rencontrée, après la tempête, dans le havre inespéré d’un port norvégien. Chez Wagner, c’est Senta, déjà vaguement amoureuse du portrait du capitaine de la légende, qu’elle rêvait ou inventait, fille d’un capitaine norvégien, Daland, qui n’hésite pas d’emblée à l’offrir en mariage contre les richesses du mystérieux Hollandais, bien qu’il l’ait déjà promise à Erik, désespéré.

 

 

 

LA RÉALISATION MARSEILLAISE

 

Transposée du cadre grandiose d’Orange dans la salle plus intime de l’Opéra de Marseille, cette production passe d’une échelle mythique, épique, à une dimension domestique, poétique : du grand large à l’horizon borné du port de la salle. Il faut, certes, évacuer les images d’Orange pour resituer à sa place, sur le plateau marseillais, cette immense étrave de navire (Emmanuelle Favre), comme trouée des deux yeux des écubiers, cette proue, proie des flots rejetée sur la rive, d’abord éperon rocheux inquiétant. Occupant, accaparant tout le champ du regard, sa démesure, ici, donne malgré tout la mesure extraordinaire de l’histoire, sa dimension onirique, rêve ou cauchemar, témoin omniprésent, fantasme de l’héroïne en proie à son délire lyrique, érotique et sentimental, à ses visions. Son obsédante présence trop centrée ne laisse qu’un mince espace à jardin, comme une impossible évasion, à une vue de mer en furie puis apaisée, ensuite à un fond de bâtiment industriel pour l’acte II des fileuses, à un ponton en perspective de fuite à la fin. La maîtrise de cet espace resserré est à la mesure de celle de Charles Roubaud, à l’aise dans l’immensité d’Orange, intimiste ici pour cerner au mieux ces personnages humains dans l’inhumanité d’une légende ou tragédie de la révolte d’un homme contre le silence éternel et cruel de la divinité, avide toujours de sacrifices.

Les lumières ombreuses plus que ténébreuses de Marc Delamézière, créent une troublante hésitation des formes grouillant vaguement dans les ombres, foule au mouvements de houle, marins vivants et viveurs dans une obscure clarté, et, dans l’indécision du clair-obscur, de fantomatiques spectres alentis à l’assaut de la carcasse morte. Dans cette indétermination de la lumière variant de la nuit à un jour douteux, Katia Duflot estompe d’une gamme brumeuse les costumes gamme brumeuse des hommes mais les robes années 50 des femmes, rose, vert, jaune, bleu, gris clair, carreaux, dans la grisaille généralisée, semblent un rêve de couleur dans un monde qui l’aurait perdue. Le Hollandais, long manteau d’époque indéterminée, et Senta robe jaune clair de jeune fille sage, sont les deux seuls auréolés d’une vague lumière, avec Mary, robe souple à col blanc sur le gris du corsage, comme personnage intermédiaire finalement entre l’ombre du marin dont elle a apparemment chanté la ballade, et la sacrificielle clarté de la jeune fille romantique.

Interprétation. Des chœurs, préparés minutieusement par Pierre Iodice aux pupitres de l’orchestre, apprêtés soigneusement par le chef, en passant par le plateau, on sent, sans nulle faille, l’engagement de tous au service de cette œuvre qui, sans rompre les amarres avec l’opéra de son temps, lui rendant même un amoureux hommage, usant de formules de grands compositeurs lyriques, préfigure l’œuvre nouvelle à venir de Wagner. Capitaine, pas encore au long cours dans cette relativement courte traversée wagnérienne, Lawrence Forster est le timonier qui guide savamment son orchestre à travers les écueils nombreux de l’opéra, récifs romanticoïdes, sacralisation excessive de cette musique, tyranniquement imposée plus tard par Wagner lui-même à ses spectateurs, au risque de l’emphase frôlant le pathos pâteux, le pompeux, le pompier : le pompant en somme. Il nous rend donc cette musique, telle quelle, naturelle, bien dans son temps, pleine de charme, de sourire même, mouvante et émouvante. Il est le thaumaturge qui, d’un coup de baguette, déchaîne les tempêtes de la mer et en apaise les flots, suivi par un orchestre ductile, aux cordes soulevées de vent, aux cuivres tempétueux ou étrangement nimbés de lointaine brume.

Tout le plateau joue le joue avec un sensible plaisir, pour notre bonheur.

Le ténor Avi Klemberg, surgi de l’ombre, éclaire de sa lumineuse voix le rôle apparemment ingrat du pilote, auquel il donne une qualité poétique, une jeunesse touchante dans sa réitération à l’invite du vent du sud. Si la grande voix de Kurt Rydl fait quelques vagues dans les notes tenues du premier acte, dans son air de basse bouffe donizettienne, il est inénarrable, en barbon cupide mais père aimant, heureux, joyeux et nous avec lui, qui le retrouvons égal à nos souvenirs. Pour la première fois à Marseille, le ténor Tomislav Muzek prête au personnage d’Erik, fiancé, blessé, la beauté d’un timbre lumineux et la dignité expressive d’une victime injustement sacrifiée.

Marie-Ange Todorovitch donne au rôle de Marie sa prestance et son aisance scéniques, la chaleur d’un timbre velouté qu’elle rend à la fois maternel et angoissé face aux bouffées délirantes, diraient les psychanalystes, de Senta. Clytemnestre grandiose, elle retrouve, sa Chrysothémis, une Ricarda Merbeth, applaudie à ses côtés, ovationnée ici pour la tenue impeccable d’un chant se jouant des gouffres et sommets des intervalles comme des crêtes de vagues  monstrueuses, sans rien perdre de la beauté blonde d’une voix sans faille, rendant sensible la ferveur, la fièvre, l’exaltation de sa névrose sacrificielle. Comme l’a voulu le metteur en scène, on la sent entre rêve, délire et hallucination. À ses côtés, révélation à Marseille, Samuel Youn, superbe baryton-basse, déploie la beauté vocale d’un timbre d’airain, aux aigus acérés, peut-être trop pour un Hollandais sensible, maudissant sa malédiction, attendri par l’amour et prêt à tous les naufrages.

Opéra de Marseille, les 21, 24, 26 et 29 avril 2015
Die fliegende Holländer de  Richard Wagner

ChÅ“ur de l’Opéra de Marseille et Orchestre de l’Opéra de Marseille
Direction musicale : Lawrence Foster
Mise en scène : Charles Roubaud (Assistant : Bernard Monforte).

Décors : Emmanuelle Favre (Assistant :  Thibault Sinay).

Costumes : Katia Duflot.

Lumières : Marc Delamézière (Assistant : Julien Marchaisseau).

Distribution :

Senta : Ricarda Merbeth ; Marie : Marie-Ange Todorovitch ; Le Hollandais :  Samuel Youn ;  Erik : Tomislav Mužek ; Daland : Kurt Rydl ; Seuermann : Avi Klemberg.

Roberto Alagna chante Otello à Orange, les 2,5 août 2014.

Alagna Roberto-Alagna-350Orange, Chorégies 2014 : Roberto Alagna chante Otello, les 2,5 août 2014. Le rôle d’Otello demeure le plus grand défi pour un ténor lyrique, capable de puissance comme de ciselure dramatique. Interprète prêt à relever le défi en une prochaine performance délicate à Orange au Théâtre Antique, Roberto Alagna chante Otello, les 2,5 août 2014. Avant celui de Jonas Kaufmann, confondant verdien et avant sa prise de rôle sur scène, épatant et bouleversant dans un album Verdi édité par Sony, l’Otello du ténor français Roberto Alagna crée l’événement des Chorégies d’Orange 2014, les 2 et 5 août 2014. Pour le maure de Venise, rongé par le soupçon et manipulé dans sa folie destructrice par Iago, Alagna dont l’évolution de la voix récente, a permis de conquérir une couleur nouvelle sombre, se dédie tout entier au rôle le plus passionné du théâtre verdien : songez à la scène ultime où le jaloux possédé assassine sa bien-aimée la trop tendre Desdemona. La partition qui s’inscrit dans la dernière manière de Verdi – orchestralement contrastée, audacieuse, d’une exceptionnelle efficacité dramatique et expressive, profite de la collaboration du compositeur avec Boito : les deux créateurs revisitent avec une rare intelligence le drama shakespearien dont il font un huit clos romantique, sombre, crépusculaire où les instruments brillent de couleurs fauves et de climats mystérieux énigmatiques d’une irrésistible puissance poétique. Après Faust (Gounod), Calaf (Turandot), cet Otello nouveau est pour Alagna un défi à suivre absolument. Alagna fera t il aussi bien que son confrère l’excellent et si troublant Jonas Kaufmann ? Réponses les 2 puis 5 août 2014.

Aux côtés de Roberto Alagna dans le rôle-titre : Inva Mula (Desdemona), Seng-Hyoun Ko (Iago), Florian Laconi (Cassio) … Philharmonique de Radio France. Myung-Whun Chung, direction.  Nadine Duffaut, mise en scène.

Verdi : Otello. Orange, Chorégies (Théâtre antique). Les 2 et 5 août 2014. Diffusion sur France 2, le 5 août 2014 à 21h50.

Lire notre présentation des Chorégies d’Orange 2014.

Compte rendu, opéra. Orange. Choregies, le 9 juillet 2014. Verdi : Nabucco (1842). Jean-Paul Scarpitta, Pinchas Steinberg.

verdi_yeux_bandeau_535Vent, orages, rage justifiée des intermittents, inclémence de la température, sans pré-générale et générale la veille même du spectacle, exposant la générosité des chanteurs, au pied du mur, le Nabucco d’Orange aura triomphé de tous les obstacles. L’œuvre : conflit au Proche-Orient. Premier succès d’un Verdi malheureux, frappé par l’insuccès et le deuil familial, la perte de femme et enfants, mais prémices des chef-d’œuvres à venir : Nabuchodonosor, à l’origine, raccourci en Nabucco, créé en 1842 à la Scala de Milan. L’ouvrage est fondé sur le conflit, hélas toujours brûlant, entre Israël et les peuples voisins, en l’occurrence, ici, les  puissants Chaldéens et leur monarque Nabuchodonosor, qui prend d’assaut Jérusalem, et déporte à Babylone les Juifs : une déportation, déjà… Épisode biblique très romantiquement romancé par une invraisemblable histoire amoureuse entre la fille de Nabucco, Fenena, otage des Hébreux et amoureuse de l’un d’eux, Ismaele, connu, symétrie forcée oblige, quand il était prisonnier à la cour de Babylone, lieu de toutes les impossibles rencontres : en somme, une version  nouvelle, inter communautaire et raciale de Pyrame et Thisbé, tragiques amants babyloniens, anticipation de Roméo et Juliette.

L’œuvre : conflit au Proche-Orient

verdi-nabucco-scarpitta-steinbergS’ajoute la passion frustrée pour le même Hébreux d’Abigaille, sœur supposée et rivale de Fenena, pour qu’une fois au moins la soprano perturbe les amours de la mezzo avec le ténor, par ailleurs ambitieuse concurrente de son soi-disant père Nabucco, auquel elle ravit un moment le trône, alors qu’elle n’est qu’une esclave. C’est le seul vrai caractère de l’opéra, ambitieuse pratiquement jusqu’au régicide, au parricide, au déicide, puisque Nabucco est son roi, son père et un dieu tel qu’il s’est décrété. Un conflit d’autorité brutale Père/Fille qui renverse d’avance le duo Rigoletto/Gilda trop poli pour être honnête : père emprisonné ici pour fille séquestrée là. Invraisemblances romantiques contre vérité profonde de la musique. C’est en effet le chœur, célèbre d’emblée, chanté par les Hébreux déportés et esclaves à Babylone, qui assura le succès de l’œuvre : « Va pensiero… », évoque tendrement et doucement, avec une poignante nostalgie, le pays lointain et perdu (« Ô, ma Patrie, si belle… »). Il devint vite l’hymne national révolutionnaire d’une Italie non encore unifiée, sous la coupe autrichienne : VIVA VERDI ! écrivaient sur les murs les Milanais insurgés contre l’Autriche, qu’il fallait lire comme « Vive Vittore Emmanuelle Re D’Italia », le monarque qui fera l’unité italienne. Spontanément, les milliers d’Italiens suivant le cortège mortuaire de Verdi en 1901 entonnèrent ce chant devenu une sorte d’hymne national, sinon officiel, du cœur.

Nabuchodonosor : colosse aux pieds d’argile.    Il s’agit de Nabuchodonosor II, régnant à Babylone, entre 604 et 562 avant J. C., héros paradoxal. C’est le roi bâtisseur des fameux jardins suspendus de Babylone, l’une des sept merveilles du monde de l’Antiquité. Il est immortalisé par la Bible, par le Livre de Daniel. Son prestige demeure si grand que Saddam Hussein se considérait lui-même comme un successeur héritier de la grandeur de Nabuchodonosor et avait placé l’inscription « Du roi Nabuchodonosor dans le règne de Saddam Hussein » sur les briques des murs de l’ancienne cité de Babylone (près de la Bagdad d’aujourd’hui) qu’il rêvait de reconstruire : tant de ruines dans cette Syrie d’aujourd’hui, Assyrie d’hier…

Selon la Bible, (Da 1 :1-3), vainqueur des Juifs, Nabuchodonosor amena captifs, « Daniel, Ananias et Misael, qui étaient de race royale, et que le roi de Babylone fit élever à sa cour dans la langue et les sciences des Chaldéens, afin qu’ils pussent servir dans le palais. » On voit que ce monarque traite bien ses captifs, ses otages sans doute. Daniel, qui le raconte lui-même dans ce livre biblique, gagne la confiance de Nabuchodonosor, devient pratiquement son conseiller : un jour, au réveil, il lui explique le songe qui l’épouvante de la fameuse statue immense, d’or, d’argent, d’airain, mais aux pieds d’argile qu’une petite pierre tombée de la montagne, réduit en poudre. (Da 1 :1-44). D’où l’expression « un colosse aux pieds d’argile ».
Le roi conquérant, maître du monde, dans sa superbe ville de Babylone, près de laquelle déjà fut érigée aux origines du monde la présomptueuse tour de Babel qui prétendait escalader le Ciel, méprisant la leçon de son rêve sur la statue colossale aux pieds d’argile, se fait construire une immense statue d’or, toujours selon Daniel, se déifiant lui-même :
Il « fit publier par un héraut que tous ses sujets eussent à adorer cette statue […] sous peine, contre ceux qui y contreviendraient, d’être jetés dans une fournaise ardente. »

Mais face au miracle des trois enfants juifs refusant de renier leur Dieu et de l’adorer, sauvés des flammes,

« Alors Nabuchodonosor rendit gloire au Dieu [des enfants dont il] reconnut []a puissance et [l]a majesté, et ordonna que quiconque aurait proféré un blasphème contre le Seigneur, le Dieu des Hébreux, serait mis à mort, et sa maison changée en un lieu souillé et impur. Il éleva en dignité les trois Hébreux dans la province de Babylone, et donna un édit dans lequel il publia la grandeur du Dieu des Juifs, et raconta ce qui lui était arrivé ensuite du songe. »

Ce Nabuchodonosor biblique reconnaissant la grandeur du Dieu des Hébreux était le thème et sujet bien connu de pièces sacrées et d’oratorios baroques. Ainsi, ce Nabucco, dialogo a sei voci (Messine, 1683) de Michelangelo Falvetti (1642–1692),  livret de Vincenzo Giattini récemment redécouvert et enregistré(Falvetti: Nabucco, 1683. Leonardo Garcia Alarcon, direction).

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La réalisation à Orange

On a d’abord un peu peur à lire la « Note », notable de longueur, exaltée de points d’exclamation, de Jean-Paul Scarpitta, qui signe mise en scène, décor et costumes, tant les intentions déclarées répondent souvent peu à l’attention éclairée du résultat. Mais la sobriété de l’ensemble, traité justement en oratorio eu égard à la faiblesse dramaturgique rassure vite.
Devant le mur vide de toute décoration, l’équerre noire du plateau en bitume, signifiante matière locale du lieu supposé de l’action, puisque c’est le lac Asphaltite des Anciens, ou mer Morte, qui donne son nom à l’asphalte, que les extraordinaires lumières d’Urs Schönebaum font miroiter en flaques argentées : ombre et lumière incertaine, grisaille picturale entre rêve et réalité, sombre terre de deuil  et de cendre d’une ville assiégée et vite vaincue, envol, vol éperdu de mouettes blanches et grises, les femmes, et les noirs corbeaux, les hommes, châles, foulards rayés de gris, de rayures noires sur le blanc des vêtements flottants d’affolement et de vent d’une foule apeurée, prise au piège du Temple de Salomon par les assaillants. On connaît, bien plus tard, la terrible injonction de Foulque de Marseille aux croisés hésitant entre cathares et catholiques réfugiés dans la cathédrale de Béziers :

« Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens. »

Temps peut-être moins barbares que le Moyen-Âge soi-disant chrétien, ou nécessités de la main-d’œuvre pour travaux colossaux dans la capitale chaldéenne, les Juifs prisonniers seront déportés —déjà la déportation comme inscrite dans des gènes par la cruauté de l’Histoire— à Babylone, sans doute pour les fameux et gigantesques jardins suspendus où on les retrouvera plus tard pour leur fameuse déploration de la patrie perdue. Pour l’heure, dos alternativement tourné, dans une discrimination hommes/femmes vers ce qui est devenu Mur des lamentations, avec des mouvements d’ailes de leurs bras impuissants, ils interpellent un Ciel muet, sans doute un Dieu absent, au pied de ce monument sans autre transcendance que la culture des hommes, et l’on pense à Vigny :

Le juste opposera le dédain à l’absence
Et ne répondra plus que par un froid silence
Au silence éternel de la divinité.

Certes, on ne peut attendre de silence des chœurs, si animés ici. C’est peut-être la plus belle réussite de Scarpittaque son art de faire évoluer, voler dirait-on, en musique les grandes masses chorales et chromatiques dans ce clair-obscur, mélange d’ombre et de lumière à la Rembrandt, soudain éclairé par la tache rose de la robe de Fenena, la dorure du corsage vert d’Abigaille, d’abord vierge guerrière virile cuirassée de haine puis adoucie de la féminité de voiles volant au vent, devenant ténébrisme/luminisme caravagesque dans une lumière rasante, tranchante, qui isole l’onirique couple du Lévite et du Grand Prêtre de Juda. Les lumières d’Urs Schönebaum sont si dramatiquement belles et autosuffisantes qu’on en regrette presque les projections vidéos, pourtant intéressantes de Christophe Aubry et Julien Cano, et nécessaires pour situer les lieux de l’action, dont les briques qui habillent le mur pour signifier le palais chaldéen coloré après la grise austérité hébraïque.
La même nécessité dramatique de contraste explicatif régit le choix des costumes des Chaldéens, luxueux d’un faste oriental, bleu des céramiques de la Grande Porte d’Ishtar à Babylone que l’on peut voir au musée Pergamon de Berlin, sur du vert acide, la rigidité des lances des soldats évoquant les fameuses fresques. L’ensemble a la simplicité narrative et manichéenne des bandes dessinées.

L’interprétation

La distribution, comme toujours à Orange est soignée, même dans les « seconds plans », dont on peut être assuré qu’ils seront ou ont été au premier plan et y reviendront. Ainsi,Marie-Adeline Henry est une belle Anna qu’on reverra avec plaisir, tout comme Luca Lombardo, dont on n’a plus à dire les qualités vocales et scéniques, en Abdallo épisodique. Dans cette œuvre, qui ne répond pas au schéma vocal habituel de l’opéra romantique, le couple traditionnel de jeunes premiers, généralement ténor/soprano, devient ténor/mezzo, mais n’occupe pas le premier plan dramatique, n’ayant qu’un rôle anecdotique sentimental sans grande effusion lyrique, mais permet à Piero Pretti de déployer un beau métal ardent en Ismaele et à Karine Deshayes de séduire par la souplesse de sa voix d’ambre et d’ombre en Fenena. Dans le rôle terrible Abigaille, dont la tessiture embrasse le do grave et le do, le contre ut, aigu, avec un médium corsé de soprano dramatique et d’agilité, Martina Serafin assume et assure avec panache sa prise de rôle avec d’orageuses et rageuses vocalises et des aigus acérés sans acidité, avec d’une grande prestance scénique. Le contraste n’est est que plus grand, et peut-être plus dramatique entre cette fille virile au sens guerrier antique, avide de pouvoir, et le père impuissant, faible, désemparé, héros déchu, pris de folie, qu’est Nabucco : le baryton George Gagnidzé a une voix qui n’a pas le corps de sa corpulence, malgré une grande sensibilité, une sensible musicalité, un beau velours. D’emblée, il est touchant sans avoir été terrifiant, dieu à son crépuscule sans avoir connu d’aurore ou de zénith. À côté, l’apparemment vaincu Grand Prêtre hébreux, Zaccaria, est campé par un Dmitry Beloselskiy, triomphant, insoumis, indomptable,  qui se joue des abîmes et pics de sa partition, passant du fa grave au fa dièse aigu sans difficulté, sans perte de volume et de couleur. Digne basse adverse, Nicolas Courjal, en Grand prêtre de Baal, avec moins d’interventions vocales, impose la noirceur de sa magnifique voix et de ses desseins avec tout le talent scénique qu’on lui connaît.

Mais Nabucco, rompant avec la tradition romantique lyrique, est déjà un opéra orchestral et choral et Pinchas Steinberg , à la tête de l’Orchestre National de Montpellier Languedoc-Roussillon y donne toute sa mesure, faite de précision au cordeau et de nuances infimes qu’il sait faire surgir des divers pupitres. Déjà, l’ouverture, inhabituellement longue, ménage, tout en annonçant des thèmes, un suspense musical et annonce les conflits : accords feutrés des cuivres (malgré un flottement) comme un passé brumeux nostalgique, puis éclats de fureur, rythme haletant et explosant de l’ambition, galop effréné… Les chœurs, si nombreux, sont excellents et honorent leurs chefs respectifs. Pierre de touche attendu, le chœur « Va pensiero… », universelle déploration des exilés, est tout en douceur intime, déchirante, comme une déploration qui s’adresse moins au ciel qu’au plus secret du cœur.

Compte rendu, opéra. Orange. Chorégies, le 9 juillet 2014. Verdi : Nabucco (1842). Opéra en quatre actes. Livret de Temistocle Solera, d’après Nabuchodonosor (1836), drame d’Auguste Anicet-Bourgeois et Francis Cornue.

 

Illustrations : Verdi (DR). Nabucco et Fenena © B.Abadie / C. Reveret 2014