CRITIQUE CD, événement. VIVALDI / BACH. Concerto Italiano, R Alessandrini (2 cd naïve) – Naïve publie un programme réjouissant, qui rétablit la créativité exemplaire de Vivaldi, capable d’inspirer Bach : de l’un à l’autre une même passion et une même exigence. L’Estro Armonico est le premier recueil musical d’importance en Europe publié par l’éditeur Estienne Roger (Amsterdam, 1711). Vivaldi, 33 ans, directeur de la musique à la Pietà, exprime sa fougue artistique, sa fureur poétique qui dépasse l’imagination des auteurs de son temps. Le violoniste vénitien y compile une collection de (12) concertos pour 4, puis 2 enfin 1 violon, offrande majeure à un genre déjà illustré avant lui par Albinoni (opus 2), Corelli surtout, Torelli, Marcello… Tout en prolongeant le geste solaire et la vitalité apollinienne de Corelli, Vivaldi diversifie les formes, change en permanence les combinaisons, fait éclater le dispositif figé du concerto grosso (soli-tutti) ; atteste d’une conscience nouvelle du corps orchestral composé essentiellement de cordes : en génie de l’invention, Vivaldi alterne avec subtilité, cantabile soliste et cascades de doubles voire triples croches ; il peint déjà des paysages atmosphériques (annonçant ses Quatre Saisons, soit les 4 premiers des 12 Concertos d’Il Cimento dell’Armonia et dell‘inventione, composé en 1723), favorise la virtuosité en ce qu’elle suggère et évoque en couleurs et rythmes, des horizons nouveaux ; séduit immanquablement l’auditeur en lui servant des prodiges de séquences contrastées : frénétiques puis langoureuses, ou suspendues en détente mélodique. Le fameux Concerto pour 2 violons RV 578 dépasse tout ce qui fut écrit avant lui : sens de la syncope, passages harmoniques, surprises mélodiques, … tout indique ce génie poétique inscrit dans l’urgence et ici la légèreté comme la précision du geste (« adagio e spiccato » du début).
De Vivaldi à Bach,
une même ivresse poétique instrumentale…
Rinaldo Alessandrini montre comment JS Bach, 20 ans après Vivaldi renouvelle une même virtuosité poétique, en transcrivant les Concertos du Vénitien
C’est un hommage au creuset expérimental et foisonnant de Vivaldi, source princeps à laquelle se nourrit le jeune JS Bach à Weimar, puis à Leipzig ; ses 6 transcriptions pour diverses instruments montrent que dans l’adaptation l’analyste n’a rien atténué de l’inventivité vivaldienne ; la liberté imaginative a été transmise : Bach affirmant ce goût pour l’allant rythmique et l’énergie quand Vivaldi ajoute cette profonde langueur mélodique d’essence picturale dans la partie de violon.
Les Concertos « italiens » de Bach adaptent le modèle vivaldien aux possibilités expressives de l’orgue et du clavecin (sauf le BWV 976 qui sonne comme une transcription littérale). Dire alors – comme l’écrit Alessandrini dans la passionnante notice du livret- que les Concertos de Bach réalisés comme des défis, en concurrence, manifestent un génie plus profond et plus complexe encore que Vivaldi, … nous paraît excessif (et injuste) : le génie poétique vivaldien reste inégalé dans leur conception originelle pour violon et cordes.
Ainsi le programme des 2 cd alterne Vivaldi et Bach. En assurant la continuité entre les opus – tous les concertos sont joués dans le même diapason, le cycle fait ainsi dialoguer les originaux vénitiens et leurs « réponses » germaniques pour le clavecin et l’orgue (où perce ici la pensée musicale d’un Bach alchimiste des étagements sonores : superbe BWV 596 d’après le RV 565 vivaldien). Solaire lui aussi, le fabuleux Concerto BVW 1065, destiné aux instrumentistes virtuoses du café Zimmerman à Leipzig vers 1730, pour 4 clavecins – transcription du RV 580 vivaldien de 20 ans antérieur (joué juste avant) ; il éclaire l’autre sensibilité de Bach, généreux en effets sonores et surenchère contrapuntique ou comment le bavardage sur ornementé produit une toute nouvelle matière sonore d’une prodigieuse faculté expressive… En réalité, Bach ne dépasse en rien sa source italienne, mais la commente ou la prolonge dans le sens d’un volet complémentaire, comme les panneaux d’un polyptique. Les interprètes réussissent un tour de force instrumental, sachant cultiver la clarté et la précision sans jamais sacrifier l’élan, la souplesse ni la subtilité des nuances ; avec peut-être une finesse et sensibilité poétique supérieure chez le Vénitien : on aura rarement écouté une telle maîtrise dans l’éloquence ciselée des parties solistes, virtuoses et mélodiques, dans la transe ivre des tutti gorgés de volonté, de tension, d’urgence (admirable succession des séquences du Concerto pour 2 violons et violoncelle RV 565, chef d’œuvre absolu).
Dans le CD2, on remarque l’identité poétique, ce mystère langoureux proche de l’été du Largo si onirique du Concerto n°6 RV 356 (plage 12) : en particulier la formidable motricité solaire, colorée d’une ineffable mélancolie que le nerf des accents revivifie à chaque mesure. Cette incisivité du trait montre l’intelligence expressive des interprètes comme la conception globale, mais aussi contre les mots décalés de Stravinsky, la prodigieuse sensibilité imaginative d’un Vivaldi qui se renouvelle à chaque mesure, dans chaque nouvelle combinaison.
Le Concert n°7 RV 567 regorge de saine vitalité, d’une tension lumineuse, corellienne, opérant un équilibre souverain entre nervosité et souplesse grâce à une effectif réduit composé de solistes affûtés, d’une exceptionnelle complicité. L’allant s’est aussi être d’une rare élégance (dernier Allegro, énoncé comme un menuet français). Alessandrini excelle à calibrer ce dramatisme palpitant, obtenant toutes les nuances du Concerto Italiano : superbe respirations syncopées du Larghetto e spiritoso (RV522) ;
La même vibration et motricité rythmique circule d’un compositeur à l’autre : comme en témoigne les Concertos pour orgue de JS Bach d’une égale vitalité, où l’orgue édifie comme une dentelle lumineuse à l’échelle d’une cathédrale (allegro final du Concerto BWV 593 / plage 24). Réussite totale et nouvelle référence pour l’Estro Armonico.
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CRITIQUE CD, événement. VIVALDI : 12 Concertos opus 3 L’Estro Armonico / JS BACH : transcriptions, 6 concertos pour clavier / Keyboards arrangements / clavecin et orgue. Concerto Italiano, Rinaldo Alessandrini (2 cd naïve – enregistré à Rome en déc 2020) – CLIC de CLASSIQUENEWS printemps 2022.