Compte-rendu critique. OpĂ©ra. PARIS, OFFENBACH, Madame Favart, 22 juin 2019. Orchestre de Chambre de Paris, Laurent Campellone. Jamais reprĂ©sentĂ© dans la salle qui porte son nom, Madame Favart est pourtant lâune des partitions les plus abouties du « petit Mozart des Champs-ĂlysĂ©es ». La production de lâOpĂ©ra-Comique est une rĂ©ussite exemplaire qui rend justice Ă lâart du comĂ©dien, dans un rythme effrĂ©nĂ©, sans temps mort ; une drĂŽlerie de tous les instants, magnifiĂ©e par une distribution et une direction Ă©lectrisante.
Madame Favart enfin chez elle
Sur scĂšne le dispositif peut surprendre : nous sommes dans lâatelier de couture de lâopĂ©ra-comique, distribuĂ© par deux galeries latĂ©rales Ă©lĂ©gantes oĂč se situent Ă©galement les chambres de lâauberge qui sert de cadre Ă lâintrigue de la piĂšce. Le thĂšme du travestissement, omniprĂ©sent dans ce qui fut le dernier grand succĂšs dâOffenbach, justifie pleinement cette transposition somme toute efficace. On se rĂ©jouit que, pour une fois, le livret nâait pas subi les coupes souvent de mise dans les adaptations modernes : les dialogues parlĂ©s, essentiels pour la bonne intelligibilitĂ© de lâĆuvre, sont respectĂ©s. Il en ressort une parfaite cohĂ©rence du propos, mĂȘme si le texte dâAlfred Duru et Henri Chivot peut sembler Ă des moments quelque peu⊠« dĂ©cousu ». Madame Favart est bien un concentrĂ© du gĂ©nie dâOffenbach, en mĂȘme temps quâun magnifique hommage rendu au genre mĂȘme de lâopĂ©ra-comique. Justine Favart, lâune des plus cĂ©lĂšbres comĂ©diennes du XVIIIe siĂšcle, est convoitĂ©e par le MarĂ©chal de Saxe (qui nâapparaĂźt pas sur scĂšne), puis par le libidineux gouverneur Pontsablé ; ingĂ©nieuse et espiĂšgle, elle finit par devenir tour Ă tour servante du gouverneur, fausse Ă©pouse dâHector, amant de Suzanne, qui brigue le poste de lieutenant de police, vieille rombiĂšre et vendeuse tyrolienne. Ses talents de comĂ©dienne lui feront obtenir du roi, venu assister Ă une reprĂ©sentation théùtrale, le chĂątiment de PontsablĂ© et la nomination de son Ă©poux Ă la tĂȘte de lâOpĂ©ra-comique. Les scĂšnes de quiproquo sont lĂ©gion et les morceaux musicaux irrĂ©sistibles : airs campagnards plutĂŽt lestes, duo tyrolien, arias onomatopĂ©iques (lâair de la sonnette Ă lâacte II), on succombe Ă la lĂ©gĂšretĂ© de lâair de Favart (« Quand du four on le retire »), dont lâaccompagnement orchestral semble suggĂ©rer un aĂ©rien soufflĂ© au fromage, et surtout au sublime menuet de Madame Favart (« Je pense sur mon enfance »), dont le thĂšme apparaĂźt dans lâouverture, sans doute le plus bel air de lâopĂ©ra, qui est un peu le « menuet antique dâOffenbach, et, cette fois, un superbe hommage Ă la musique du XVIIIe siĂšcle.
Bien quâannoncĂ©e souffrante ce soir-lĂ , Marion LebĂšgue incarne le rĂŽle-titre avec la fougue et la subtilitĂ© nĂ©cessaires (elle donne admirablement le change en composant une fausse comtesse de Montgriffon), et si lâon pouvait attendre un chant plus nuancĂ©, notamment dans le magnifique menuet, sa prĂ©sence scĂ©nique, son engagement dramatique et sa diction exemplaire, compensent les quelques faiblesses vocales. Anne-Catherine Gillet campe une merveilleuse Suzanne, tout en lĂ©gĂšretĂ©, au timbre flĂ»tĂ©, dĂ©licieusement acidulĂ©. Chez les hommes, la distribution est plus inĂ©gale : François Rougier est un Hector pas trĂšs raffinĂ©, mais lĂ encore, la diction et le jeu théùtral rattrapent largement le manque de nuances dans le chant. Et si Christian Helmer incarne un Charles-Simon Favart idĂ©alement en retrait eu Ă©gard Ă son Ă©pouse, la voix bien projetĂ©e semble parfois en difficultĂ© quand la tessiture est sollicitĂ©e dans lâaigu (mais dans le duo tyrolien, ce dĂ©faut accentue le comique de la situation). Toutefois, la palme revient incontestablement au PontsablĂ© dâĂric Huchet. Il joue avec verve ce personnage infatuĂ© Ă souhait sans jamais sacrifier la fluiditĂ© et mĂȘme une certaine noblesse du chant, essentielle dans ce rĂ©pertoire. Dans les deux rĂŽles moins dĂ©veloppĂ©s de Cotignac et Biscotin, Franck LeguĂ©rinel et Lionel Peintre remplissent parfaitement leur mission et nous livrent des personnages hautement truculents.
Dans la fosse, Laurent Campellone dirige lâOrchestre de Chambre de Paris comme un cocher fouettant ses poulains : le rythme est grisant, parfois dĂ©calĂ©, et le manque de nuance apparaĂźt notamment dans les passages plus Ă©lĂ©giaques (dans la section centrale de lâouverture notamment), mais son sens du théùtre, jamais pris en dĂ©faut, nous vaut une captatio benevolentiae du public de tous les instants. Une mention spĂ©ciale au chĆur de lâOpĂ©ra de Limoges, trĂšs souvent sollicitĂ©, dâune intelligibilitĂ© constante. Les festivitĂ©s du bicentenaire dâOffenbach peuvent sâenorgueillir de cette nouvelle pĂ©pite.
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Compte-rendu. Paris, OpĂ©ra-comique, Offenbach, Madame Favart, 22 juin 2019. Marion LebĂšgue (Madame Favart), Christian Helmer (Charles-Simon Favart), Anne-Catherine Gillet (Suzanne), François Rougier (Hector de BoisprĂ©au), Franck LeguĂ©rinel (Le major Cotignac), Ăric Huchet (Le marquis de PontsablĂ©), Lionel Peintre (Biscotin), RaphaĂ«l BrĂ©mard (Le sergent Larose), AgnĂšs de Butler (Babet), AurĂ©lien PĂšs (Jeanneton), Anne Kessler (Mise en scĂšne), Guy Zilberstein (Dramaturge), Andrew D. Edwards (ScĂ©nographie), Bernadette Villard (Costumes), Arnaud Jung (LumiĂšres), Glyslein Lefever (ChorĂ©graphie), Jeanne-Pansard-Besson (Assistante Ă la mise en scĂšne), Marie Thoreau La Salle (Cheffe de chant), Orchestre de Chambre de Paris, Laurent Campellone (direction). Illustrations : © Stefan Brion / OpĂ©ra Comique 2019