COMPTE-RENDU CRITIQUE RĂCITAL NICOLAS STAVY, piano, FESTIVAL INTERNATIONAL DE PIANO DE LA ROQUE DâANTHĂRON, 27 juillet 2019. Liszt, Haydn . Le pianiste Nicolas Stavy aime aller vers des dĂ©couvertes. Sa curiositĂ© jamais assouvie nourrit sa carriĂšre et comble le rĂ©pertoire pianistique en soi considĂ©rable de partitions oubliĂ©es, injustement dĂ©nigrĂ©es, ou retrouvĂ©es. Le programme de son rĂ©cital donnĂ© le 27 juillet Ă lâAbbaye de Silvacane donnait justement Ă entendre une rare version pour piano des Sept derniĂšres paroles du Christ en croix de Haydn .
NICOLAS STAVY SUR LES CHEMINS SPIRITUELS DE LISZT ET HAYDN
Le cloĂźtre de lâAbbaye de Silvacane abrite comme il peut sous ses voĂ»tes de pierre le piano et les chaises disposĂ©es pour le public. Il pleut des cordes: une grosse pluie dâorage qui sâengouffre dans les gargouilles aux angles du cloĂźtre. Nicolas Stavy joue pour commencer, en pendant Ă lâĆuvre de Haydn, Von der Wiegen bis zum Grabe (Du berceau jusquâĂ la tombe) S. 107 de Liszt (1881), et nous sommes heureux dâentendre ce poĂšme symphonique transcrit par le compositeur franciscain lui-mĂȘme, si peu donnĂ© en concert. Lâeau qui dĂ©gringole des gargouilles est bruyante et contraint lâartiste Ă une lutte ardue pour avoir le maĂźtre mot. Mais bien quâil ait Ă forcer le son, cela nâentache en rien lâatmosphĂšre quâil donne Ă chaque partie: Le Berceau nait dâune douce Ă©closion sonore, nimbĂ© de sĂ©rĂ©nitĂ©, empreint de mystĂšre. Le combat pour la vie associe ici la lutte du musicien contre les Ă©lĂ©ments naturels Ă celle de lâhomme dans sa vie terrestre. Nicolas Stavy prend une posture hĂ©roĂŻque, nâhĂ©sitant pas Ă projeter la violence des rythmes obsessionnels, Ă timbrer les accords discordants dans toute leur brutalitĂ©, ces harmonies audacieuses qui dans la version piano prennent une acuitĂ© particuliĂšre. Le pianiste va au bout du Combat Ă une conclusion Ă dimension mĂ©taphysique, dans un trille lisztien de la plus belle Ă©lĂ©vation. La tombe: berceau de la vie future, reprend le thĂšme du Berceau, apaisĂ©, mais transformĂ©, et ferme le cycle.
Lâorage persiste, et la bataille humaine nâest pas terminĂ©e: les Sept derniĂšres paroles du Christ en croix nous sont familiĂšres dans leur version pour quatuor Ă cordes, un peu moins dans celle pour orchestre ou lâoratorio, et pas du tout pour piano solo! Une Ă©dition pour piano de la partition intĂ©grale est trouvĂ©e par hasard Ă Saint-Domingue. Une autre partition manuscrite est retrouvĂ©e Ă Vienne par Paul Badura-Skoda, qui fort de son expertise Ă©tablit le rapprochement avec lâĂ©dition de Saint-Domingue : un inconnu en a achevĂ© lâĂ©criture qui fut corrigĂ©e et dĂ©finitivement validĂ©e par Haydn, puis effectivement Ă©ditĂ©e par Ignace Pleyel. Câest cette partition que Nicolas Stavy interprĂšte. Il en tire le meilleur parti pianistique et expressif. Avec lâintroduction il installe le climat dramatique. « PĂšre, pardonnez-leur car ils ne savent pas ce quâils font »: cette premiĂšre parole il lâĂ©nonce sans imploration, mais avec la force dâune adjuration, par une main droite sonnante, dans un tempo mesurĂ© et juste sur les notes rĂ©pĂ©tĂ©es et statiques de la basse. LâĂ©vocation du Paradis (« Aujourdâhui tu seras avec moi au paradis ») est jouĂ©e dans la lumiĂšre de lâapaisement, le chant se dĂ©tachant sur la basse en base dâAlberti doucement enrobĂ©e de pĂ©dale. Le ton est tout aussi juste et posĂ© dans « Femme, voici ton fils, et toi, voici ta mĂšre », puis vire Ă la douleur dans « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mâas-tu abandonnĂ©? » oĂč le pianiste semble charger les silences du poids du nĂ©ant, soulignant le sentiment de solitude et de doute, et dans le cri de « Jâai soif », oĂč par les notes rĂ©pĂ©tĂ©es obstinĂ©ment, contrepoint et octaves, il accentue la force de la supplication. «Tout est consommé » et « PĂšre, je remets mon esprit entre tes mains » vont vers lâapaisement et lâacceptation: Nicolas Stavy donne une profondeur et une gravitĂ© spirituelle particuliĂšres Ă ces deux ultimes paroles, quâil conclut par le choral final dans une Ă©mouvante nuance pp, avant un sublime retour au silence. Enfin « Terramoto » (Tremblement de terre) secoue le clavier de part en part: quel contraste, quelle force! Au point que lâon nâimagine plus quâil fut Ă©crit Ă lâorigine pour quatuor Ă cordes, tant les rĂ©sonances du piano sont saisissantes! Elles viennent Ă bout des vellĂ©itĂ©s mĂ©tĂ©orologiques et le cadre spirituel de lâAbbaye retrouve comme par miracle le bleu cĂ©leste et ses chants dâoiseaux, aprĂšs avoir mis en accord lâascĂ©tisme cistercien et la fĂ©licitĂ© franciscaine. © crĂ©dit photo : Renaud Alouche
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FRANCE, MUSIQUE, Dim 14 avril 2019, 16h. FAUST-SYMPHONIE, LISZT. La Tribune des critiques de disque questionne lâĆuvre clĂ© de Franz Liszt, composĂ©e en 1854 Ă 43 ans. Le virtuose au piano impose son gĂ©nie de la couleur et de la construction orchestrale dans cet ample poĂšme symphonique avec tĂ©nor, créé Ă Weimar en 1857, structurĂ© en 3 portraits psychologiques qui campent dĂ©sirs et agissements des 3 protagonistes du mythe créé par Goethe : Faust, Marguerite, MĂ©phistophĂ©lĂšs.
Les 3 visages dâun mythe / Faust en triptyque
Liszt : lâorchestre psychologique
Un point de vue cinĂ©matographique dâune modernitĂ© absolue qui campe le regard de chacun sur les enjeux dâune mĂȘme situation. Liszt sâinspire du Fauts de Berlioz car ce dernier lui a rĂ©vĂ©lĂ© la force du sujet. La vision psychologique de Liszt permet Ă lâorchestre dâexprimer ce en quoi chacun des personnages est liĂ© aux autres , avec musicalement le principe des motifs rĂ©pĂ©tĂ©s dâune partie Ă lâautre et qui se rĂ©pondent en reliant les rĂŽles (et assumant de fait la cohĂ©sion interne de la partition tripartite). Liszt ajoute chez MĂ©phistophĂ©lĂšs un chĆur dâhommes et la voix du tĂ©nor solo qui cĂ©lĂšbre (avant Wagner et son Tristan de 1865), lâĂ©ternel fĂ©minin, comme source de rĂ©demption. Ainsi, ce labyrinthe des passions (et manipulations) terrestres sâaccomplit par lâapothĂ©ose finale, un volet spirituel qui Ă©videmment cite aussi lâarchitecture de la Damnation de Faust de Berlioz (laquelle sâachĂšve par lâapothĂ©ose de Marguerite). Liszt dĂ©die son Faust Ă ce dernier.
Le chant orchestral dessine ainsi le portrait de Faust (le plus long, le plus complexe, tiraillĂ© par ses dĂ©sirs et sa clairvoyance, espoir et renoncement, mais lâĂ©preuve essentielle demeure lâamour dont la force donne finalement le sens de sa vie) ; ensuite Marguerite dont le thĂšme innocent et angĂ©lique est Ă©noncĂ© au hautbois solo : andante soave, puis – quand Marguerite succombe Ă Faust-, soave con amore. Enfin MĂ©phistophĂ©lĂšs, qui niant tout, ne crĂ©ant rien, dĂ©forme et caricature tous les thĂšmes de sa victimes dont il se nourrit. Le volet est un vaste rire et ricanement, grimaçant et vide ; mais Ă la fin par le choeur dâhommes et le tĂ©nor solo, câest marguerite qui a triomphĂ© ; son amour pur a conquis lâĂąme de Faust, au dĂ©triment de toutes les intrigues du diable.
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FRANCE, MUSIQUE, Dim 14 avril 2019, 16h. FAUST-SYMPHONIE, LISZT. La Tribune des critiques de disque questionne lâĆuvre clĂ© de Franz Liszt, composĂ©e en 1854 Ă 43 ans: un sommet de lâinspiration symphonique et romantique qui tout en sâinspirant du Faust de Berlioz, renouvelle totalement la conception architecturale de lâĂ©difice orchestral.
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CD, critique. VERS LâAILLEURS. GASPARD DEHAENE, piano. Schubert, Liszt, Bruneau-Boulmier (1 cd Collection 1001 Notes – nov 2018). ITINERANCES POETIQUES ⊠Le pianiste Gaspard Dehaene confirme une sensibilitĂ© Ă part ; riche de filiations intimes. Câest un geste explorateur, qui ose des passerelles enivrantes entre Schubert, Liszt et la piĂšce contemporaine de Rodolphe Bruneau-Boulmier. Ce 2Ăš cd est une belle rĂ©ussite. AprĂšs son premier (Fantaisie – Ă©galement Ă©ditĂ© par 1001 Notes), le pianiste français rĂ©cidive dans la poĂ©sie et lâoriginalitĂ©. Il aime prendre son temps ; un temps intĂ©rieur pour concevoir chaque programme ; pour mesurer aussi dans quelle mesure chaque piĂšce choisie signifie autant que les autres, dans une continuitĂ© qui fait sens. La cohĂ©rence poĂ©tique de ce second cd Ă©blouit immĂ©diatement par sa justesse, sa sobre profondeur et dans lâĂ©loquence du clavier maĂźtrisĂ©, sa souple Ă©lĂ©gance. Les filiations inspirent son jeu allusif : la premiĂšre relie ainsi Schubert cĂ©lĂ©brĂ© par Liszt. La seconde engage le pianiste lui-mĂȘme dans le sillon qui le mĂšne Ă son grand pĂšre, Henri QueffĂ©lec, Ă©crivain de la mer, et figure inspirant ce cheminement entre terre et mer, « vers lâAilleurs ». En somme, câest le songe mobile de Schubert, – le wanderer / voyageur, dont lâerrance est comme rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©e et superbement rĂ©investis, sous des doigts complices et fraternels.
VERS LâAILLEURS
Les itinĂ©rances poĂ©tiques de Gaspard DehaeneâŠ
2Ăš cd magistral
Les escales jalonnent un voyage personnel dont lâaboutissement / accomplissement est la sublime Sonate D 959 en la majeur de Franz Schubert (avant dernier opus datĂ© de sept 1828). Au terme de la traversĂ©e, les champs parcourus, Ă©prouvĂ©s enrichissent encore lâexquise mĂ©lancolie et la tendresse chantante du dernier Schubert.
Les deux premiers Ă©pisodes dĂ©montrent le soin et lâaffinitĂ© de Liszt pour son devancier Schubert. Le premier a rĂ©alisĂ© les arrangements des morceaux pour piano. Grave et lumineux, « Aufenthalt  »ouvre le programme et amorce le voyage. Câest une gravitĂ© comme exaltĂ©e mais digne dans ses emportements que le pianiste exprime ; avec une respiration idĂ©ale, un naturel sobre et mĂȘme Ă©lĂ©gant, Gaspard Dehaene exprime la force et la puissance, lâivresse intĂ©rieure dâune partition qui saisit par son tragique intime. Dâune carrure presque Ă©gale, « Auf dem wasser zu singen  » fait surgir au cĆur dâun vortex allant, la langueur et la mĂ©lancolie dâun Schubert enivrĂ©, au lyrisme Ă©perdu. LâĂ©nonciation du piansite se fait fraternelle et tendre ; il transmet un chant Ă©perdu qui est appel au renoncement et dĂ©chirante nostalgie. LâacuitĂ© du jeu, souligne dans les passages harmoniques, d’un ton Ă lâautre, la douceur du fluc musical Ă la fois entĂȘtant et aussi salvateur ; Ă chaque variation, correspond un Ă©clat distinct, une facette caractĂ©risĂ©e que le pianiste sĂ»r, inscrit dans une tempĂȘte intĂ©rieure de plus en plus rageuse et irrĂ©pressible. DĂ©taillĂ©e et viscĂ©rale, lâengagement de lâinterprĂšte convainc de bout en bout.
Puis la MĂ©lodie hongroise sâaffirme tout autant en une Ă©locution simple et intimiste. Le pianiste affiche une Ă©lĂ©gance altiĂšre, celle dâun un cavalier au trot, souple et acrobatique auquel le jeu restitue toutes les aspĂ©ritĂ©s et les nuances intĂ©rieures. La gestion et le rĂšglages des nuances se rĂ©vĂšlent bĂ©nĂ©fiques : tous les arriĂšres plans et tous les contrechamps restituent chaque souvenir convoquĂ©. Le rubato est riche de toutes ses connotations en perspective ; le toucher veille au veloutĂ© de la nostalgie : chaque nuance fait surgir un souvenir dont le moelleux accompagne dans le murmure lâĂ©loquente fin pianissimo. Quel remarquable ouvrage.
Autant Schubert brille par lâĂ©clat de ses nuances intimes, pudiques et crĂ©pusculaires. Autant Liszt crĂ©pite aussi mais en contrastes plus dĂ©clamĂ©s.
Le Liszt recompose le paysage schubertien et sâĂ©loigne quand mĂȘme, de cette sublimation du souvenir qui devient caresse et renoncement ; ici, la digitalitĂ© se fait plus vindicative et vibratile ; le claviern dâorganique et dramatique, bascule dans une marche priĂšre qui peu Ă peu s’Ă©lectrise dans l’Ă©noncĂ© du motif principal. Evidemment lâĂ©criture rhapsodique revendique clairement une libĂ©ration de lâĂ©criture et un foisonnement polyphonique dont Gaspard Dehane exprime bien le chant plus martelĂ© et comme conquĂ©rant ; il en dĂ©fend le lyrisme des divagations ; Ă©clairant chez Liszt, ce dĂ©bordement expressif, sa verve dĂ©lirante dont la spiritualitĂ© aime surprendre, dans la virtuositĂ© de son clavier orchestre.
A 8’14, le chant libre bascule dans une sorte de rĂ©flexion critique, douĂ©e d’une nouvelle ivresse plus souple et lyrique, exprimant la quĂȘte des cimes dans l’aigu jusqu’au vertige extatique. Puis le final se prĂ©cipite en une course vertigineuse (11â38), jusqu’au bord de la syncope et d’une frĂ©nĂ©sie panique. Le jeu est d’autant plus percutant qu’il reste dans cet agitato que beaucoup dâautres pianistes exacerbent, clair, prĂ©cis, nuancĂ©, Ă©clatant.
AprĂšs la filiation Schubert / Liszt, Gaspard Dehaere cultive une entente intime avec le texte de son grand pĂšre, – Henri QueffĂ©lec, « quand la terre fait naufrage ». A cette source, sâabreuve lâinspiration du compositeur Rodolphe Bruneau-Boulmier qui reprend le mĂȘme intitulĂ© : fluide et sĂ©quentiel, et pourtant jamais heurtĂ© ni sec, le jeu du pianiste joue des transparences et des scintillements flottants, expression dâune inquiĂ©tude sourde qui se diffuse et se rĂ©tracte dans un tapis sonore qui croĂźt et se replie. AInsi sâaffirme le climat incertain dâintranquillitĂ©, propre Ă beaucoup dâĆuvres contemporaines dâaujourdâhui dont la nappe harmonique se rĂ©pand progressivement en crescendo de plus en plus forte, jusquâĂ son milieu oĂč le mystĂšre assĂšne comme un carillon funĂšbre, son murmure dans le noir et le nĂ©ant⊠de la mer. Ainsi se prĂ©cise comme seule bouĂ©e dâun monde en chaos, le glas dâune « cathĂ©drale engloutie », cri bien prĂ©sent et dâune morne voluptĂ©. Les couleurs et les nuances du pianiste se rĂ©vĂšlent primordiales ici.
A mi chemin de la traversĂ©e (au mi temps du cd), nous voici plus riches, dâune Ă©coute mieux affĂ»tĂ©e encore pour mesurer les tableaux intĂ©rieurs de la D 959  (prise live) : dâautant que lâinterprĂšte se montre dâune Ă©loquence intĂ©rieure, mobile, explorant sur le motif schubertien lui-mĂȘme, toutes les nuances du souvenir ou de climats imaginaires. Lâintelligence sensible est vive : elle ressuscite mille et un mouvement de lâintrospection rĂȘveuse, nostalgique, grave souvent, toujours ardente. Voici les temps forts de cette lecture profonde et riche, concçue / vĂ©cue tel un formidable voyage intĂ©rieur.
Le portique d’ouverture affirmĂ©, Ă l’assise parfaite inscrit ce premier mouvement dans une dĂ©claration prĂ©liminaire absolument sereine et dĂ©jĂ le pianiste en exprime les fondations qui se dĂ©robent, en un flux ambivalent, Ă la fois intranquille et comme prĂȘt Ă vaciller. Ce trouble en arriĂšre plan finit par atteindre le motif principal dont il fait une confession pleine de tendresse.
Le cantabile et le legato feutrĂ© captivent dĂšs ce premier mouvement ; le motif principal nây est jamais clairement Ă©noncĂ© ; toujours voilĂ©, dĂ©robĂ© tel le tremplin au repli et au secret, en une cantilĂšne aux subtiles Ă©clats / Ă©clairs intĂ©rieurs. Le compositeur cultive le surgissement de cette ineffable aspiration Ă l’innocence, la perte de toute gravitĂ©. C’est ce qui transpire dans la rĂ©itĂ©ration du motif rĂ©exposĂ© avec une douceur sublime inscrite dans lâabsolu de la tendresse.
Plus court, l’andantino peint l’infini de la solitude, un accablement sans issue et pourtant conçu comme une berceuse intĂ©rieure qui sauve, berce, calme. Le pianiste inscrit son jeu dans l’allusion et le percussif avec une intelligence globale des climats, sachant faire jaillir toute lâimpulsion spontanĂ©e, plus viscĂ©rale de la sĂ©quence plus agitĂ©e et profonde.
A 5’38, tout Ă©tant dit, la rĂ©exposition frĂŽle lâhallucination et le rĂȘve flottant. L’Ă©conomie du jeu restitue la charge Ă©motionnelle et la profondeur ineffable de la conclusion, entre retrait et renoncement, bĂ©atitude morne et dĂ©sespoir absolu
Quel contraste assumĂ© avec le Scherzo, plus insouciant et mĂȘme frĂ©tillant.
LâAllegretto final est enveloppĂ© dans la douceur, dans un moelleux sonore qui dit l’appel Ă la rĂ©solution de tout conflit. La lĂ©gĂšretĂ© et l’insouciance clairement affichĂ©es, assumĂ©es chantent littĂ©ralement sous les doigts caressants du pianiste. Il joue comme un frĂšre, la confession d’une espĂ©rance coĂ»te que coĂ»te. VoilĂ qui nous rend Schubert plus bienveillant, d’une humanitĂ© reconstruite, restaurĂ©e, enfin rĂ©conciliĂ©e. Dont le chant apaise et guĂ©rit. Superbe lecture.
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CD, critique. VERS LâAILLEURS. GASPARD DEHAENE, piano. Schubert, Liszt, Bruneau-Boulmier (1 cd Collection 1001 Notes – programme durĂ©e : 1h12 enregistrĂ© Ă Limoges en nov 2018). CLIC de CLASSIQUENEWS de fĂ©vrier 2019. Photos et illustrations : © Martin Trillaud – WAM
ENTRETIEN avec Gaspard DEHAENE, Ă propos de l’album “Vers l’Ailleurs”…
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ENTRETIEN avec le pianiste Gaspard Dehaene . Sur un Steinway, prĂ©parĂ© par GĂ©rard Fauvin, le pianiste  Gaspard Dehaene  livre pour le label 1001 Notes, son dĂ©jĂ 2Ăš album : un programme ciselĂ©, serti de pĂ©pites aux filiations choisies et personnelles oĂč rayonne lâesprit libre du voyageur, de Schubert Ă Liszt, et de lâexplorateur entre terre et mer, selon la passion de son grand-pĂšre, lâĂ©crivain Henri QueffĂ©lec avec la piĂšce de Bruneau-Boulmier.  Ce nouveau cd est une invitation au plus beau des voyages : par lâimaginaire et le songe. Entretien pour classiquenews afin dâen relever quelques clĂ©s. LIRE notre entretien avec Gaspard Dehaene, pianiste.
VIDEOS
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VOIR aussi le teaser du CD Vers lâAilleurs par Gaspard Dehaene :
https://www.youtube.com/watch?v=KoAlipMdBYQ
 VOIR le CLIP vidéo ANDANTINO de la Sonate D959 de Franz SCHUBERT par Gaspard Dehaere
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Programme VERS LâAILLEURS
FRANZ SCHUBERT (Arr. FRANZ LISZT)
« Aufenthalt »
« Auf dem Wasser zu singen »
FRANZ SCHUBERT
Mélodie Hongroise
FRANZ LISZT
Rhapsodie Espagnole
RODOLPHE BRUNEAU-BOULMIER
« Quand la terre fait naufrage »
FRANZ SCHUBERT
Sonate D 959 en la Majeur (Live)
Allegro / Andantino / Scherzo : allegro vivace / Allegretto
Prise de son, mixage et mastering : Baptiste Chouquet â B media
Photos : Martin Trillaud â WAM
Création graphique : Gaëlle Delahaye
Production : Collection 1001 Notes
Piano : Gérard Fauvin
CD – EnregistrĂ© en novembre 2018 Ă Limoges
www.gasparddehaene.com
PROCHAINS CONCERTS 2019
de Gaspard DEHAENE
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12 avril : Narbonne – Violoncelle et piano, avec le violoncelliste Damien Ventula
14 avril : Bruxelles, Belgique – Concert en sonate piano / alto, avec lâaltiste Adrien Boisseau
âšâš3 juin : Les Invalides, Paris – Concert partagĂ© avec Anne QueffĂ©lec
âšâš5 juin : Maison du Japon, Paris
23 juin : Festival de Nohant
âšâš12-14 juillet : Folle JournĂ©e Ă Ekaterinburg, Russie
25 septembre : Carnegie Hall, New York
âšâš2 octobre : Tokyo, Japon – RĂ©cital au Toyosu civic center hall
PLUS DâINFOS :
https://festival1001notes.com/collection/projet/vers-lailleurs
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COMPTE-RENDU, concert. PARIS, cercle France-AmĂ©riques, le 14 janvier 2019. VĂ©ronique BONNECAZE, piano. LISZT, DEBUSSY . Il fallait bien attendre la fin de lâannĂ©e Debussy (et donc au delĂ ) pour disposer enfin dâune main sĂ»re, dâune pensĂ©e entiĂšre capable dâen comprendre et la construction rĂ©volutionnaire et lâinfini poĂ©tique : si lâannĂ©e Debussy 2018 est bel et bien derriĂšre nous, janvier 2019 nous renvoie Ă cette (triste car timide) annĂ©e de cĂ©lĂ©bration du centenaire, mais ici revivifiĂ©e avec Ă©clat et pertinence grĂące Ă lâapproche de la pianiste VĂ©ronique Bonnecaze. LâexpĂ©rience du concert confirme la rĂ©ussite de son disque dĂ©diĂ© au grand Claude, que fait paraĂźtre le label Paraty, ce 25 janvier 2019 . Le cercle France-AmĂ©riques accueille son premier concert de lancement.
Pictural, poétique : le Debussy de Véronique Bonnecaze
Pour commencer, il faut chauffer le clavier et affiner la projection sonore du Bechstein dans la salle Ă©crin XVIIIĂš en blanc et or (salon central du premier Ă©tage de lâHĂŽtel le Marois) ; les Ćuvres de Liszt le permettent (3 extraits des AnnĂ©es de PĂšlerinage – La Suisse) : profondeur mĂ©ditative et intimitĂ© qui sâĂ©lectrise progressivement de La VallĂ©e dâObermann ; vitalitĂ© coulante, claire, secrĂȘtement allusive dâau bord dâune source⊠la voici cette sensation qui semble vĂ©cue sur le motif naturel et que Debussy explore aprĂšs Franz. Puis câest la puissance narrative et la force sonore quasi abstraite dâOrage qui fait imploser le cadre linguistique⊠LISZT, gĂ©nie Ă©loquent et dramatique dĂ©ploie une dramaturgie mystique, Ă force de dĂ©tails expressifs, autant dâĂ©lĂ©ments qui mettent en condition lâinterprĂšte. Et lui permettent de parcourir le clavier, dâĂ©prouver la mĂ©caniqueâŠ
VĂ©ronique Bonnecaze a bien raison de croiser les deux tempĂ©raments. Jouer Liszt puis Debussy nous paraĂźt excellent. Le premier, lyrique et dĂ©monstratif, compose le plus engageant des dĂ©buts de programme ; mais il nâest pas que virtuose : il est aussi poĂšte, et mĂȘme atonal, comme Nuage gris, dans sa matiĂšre flottante, Ă©vocatrice et suspendue, nous le rappelle. Câest en rĂ©alitĂ© une transition idĂ©ale vers le mystĂšre et les tableaux sensoriels dâun Debussy, absolument inclassable. Et Debussy lui-mĂȘme put Ă©couter le MaĂźtre, dĂ©tailler sa fabuleuse technicitĂ©, servante dâune ardeur spirituelle hors normes.
Câest tout le mĂ©rite de VĂ©ronique Bonnecaze que de nous livrer, et mieux, nous dĂ©voiler, Claude Debussy Ă la fois immĂ©diatement proche, et fabuleusement abstrait. La technique est sĂ»re, les mains dans le clavier, et la pensĂ©e dĂ©jĂ habitĂ©e par la poĂ©sie Ă©vanescente, suggestive du magicien Claude. La pianiste joue quelques piĂšces extraites de son nouvel album Ă paraĂźtre chez PARATY. Ce sont 5 joyaux qui composent la matiĂšre allusive des PrĂ©ludes. Tous paysages pianistiques dâun fini souverain, aux titres Ă©vocateurs, qui rappellent combien le compositeur fut amateur et connaisseur de poĂ©sie ; poĂšte, Debussy Ă©crit comme un peintre, maniant la couleur, en alchimiste. Liszt demeure Ă distance de son sujet, comme pour mieux contempler puis nous transmettre la noblesse de lâarchitecture. En esthĂšte idĂ©aliste, il contemple et cĂ©lĂšbre le grand dessein universel en exprimant lâextase souvent spirituelle voire mystique que cela suscite chez lui ; Ă lâinverse, en sensuel et dâune modernitĂ© picturale, Debussy, lui, palpite et vibre dans la matiĂšre de lâair, de lâeau ; tout respire chez lui la sensation organique des Ă©lĂ©ments : il est dans le sujet. Mais une matiĂšre aux vapeurs harmoniques qui enchantent, dont VĂ©ronique Bonnecaze rĂ©tablit le chant fluide et continu, les vibrations spĂ©cifiques, la constellation dâĂ©clats nuancĂ©s qui transforme le piano en théùtre naturel, oĂč se lovent amoureusement souvenirs et sensations.
« Le vent dans la plaine » est Ă la fois chant aĂ©rien et traversĂ©e dans lâespace ; « Les collines dâAnacapri » sont des rires, un appel Ă lâembarquement oĂč les rythmes crĂ©pitent comme des Ă©clairs finement ciselĂ©s ; le toucher fin et prĂ©cis, le sens des respirations, la justesse du rubato dĂ©taillent toute la magie de lâensevelissement et du secret dans « Des pas sur la neige », jusquâĂ la sensation de la matiĂšre neigeuse elle-mĂȘme⊠Impressionniste, Debussy lâest incontestablement ; comme Monet sur le sujet des NymphĂ©as, le compositeur se place dans le motif, en plein air, au cĆur du saisissement sensoriel qui en dĂ©coule.
Puis, aprĂšs la fureur flamboyante de « Ce quâa vu le vent dâOuest », (qui clĂŽt pour la soirĂ©e, le cycle extraits des PrĂ©ludes), avouons notre totale adhĂ©sion aux visions et sensations de « Poissons dâor » (extrait dâImages) dont la pianiste des mieux inspirĂ©es exprime jusquâĂ la suspension de lâanimal aquatique dans lâonde, jouant des transparences et des miroitements de lâĂ©criture. Eau, espace, temps fusionnent ; sâĂ©lectrisent.
Le rĂ©cital sâachĂšve sur la texture aĂ©rienne de « lâIsle joyeuse » et lâinfinie tendresse de « Clair de lune ». A-t-on mieux jouĂ©, a-t-on mieux compris la lyre poĂ©tique et Ă©nigmatique de Debussy ? Cette moisson de voluptueuses sensations qui fĂ©condent lâimaginaire confirme les affinitĂ©s de VĂ©ronique Bonnecaze avec les mondes picturaux de Debussy, et son disque Ă paraĂźtre le 25 janvier chez Paraty sâannonce comme lâĂ©vĂ©nement de lâannĂ©e Debussy 2018 en France, son couronnement Ă un mois prĂšs. A suivre.
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COMPTE-RENDU, concert. PARIS , cercle France-Amériques (HÎtel Le Marois, le 14 janvier 2019. Véronique BONNECAZE, piano. LISZT, DEBUSSY. Extraits du cd Debussy par Véronique Bonnecaze (Bechstein 1900), 1 cd Paraty à paraßtre le 25 janvier 2019.
LIRE aussi notre présentation du CD DEBUSSY par Véronique BONNECAZE
EnregistrĂ© Ă la Ferme de Villefavard en mars 2018 sur un piano Bechstein, le nouveau cd de la pianiste française VĂ©ronique Bonnecaze clĂŽt lâannĂ©e du centenaire Debussy 2018  et crĂ©e lâĂ©vĂ©nement en dĂ©but 2019, tant le geste pianistique, le choix des piĂšces et celui du piano (un Bechstein restaurĂ© pour lâoccasion) et leur enchaĂźnement suscitent lâadmiration. Pianiste et compositeur, Debussy rĂ©invente le langage pianistique au dĂ©but du XXĂš, en Ă©troite connivence avec les mondes poĂ©tiques et littĂ©raires. En ambassadrice inspirĂ©e, VĂ©ronique Bonnecaze dĂ©tecte les allitĂ©rations et connotations allusives de lâĂ©criture dâun Debussy poĂšte…
VOIR le TEASER vidéo DEBUSSY par Véronique BONNECAZE
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Compte rendu, rĂ©cital, Dijon, OpĂ©ra, le 15 janvier 2019. Chopin, Liszt, Schumann. Sophie Pacini, piano⊠Le programme, romantique, redoutable aussi, est dĂ©pourvu de surprises, sinon celle de lâinterprĂšte. Sophie Pacini germano-italienne, vient dâavoir 27 ans. MalgrĂ© ses rĂ©compenses, ses enregistrements, ses rĂ©citals et concerts, elle demeure peu connue en France, et câest bien dommage. AprĂšs la Seine musicale, avec un programme sensiblement diffĂ©rent, Dijon bĂ©nĂ©ficie de son apparition.
Fascinante, mais déconcertante
Imposante de stature, son jeu athlĂ©tique, musclĂ©, surprend autant par sa virtuositĂ© singuliĂšre que par son approche personnelle dâĆuvres qui sont dans toutes les oreilles. Câest la Fantaisie âimpromptu, opus 66 de Chopin , qui ouvre le rĂ©cital. Virile en diable, mĂȘme si sa lecture conserve un aspect conventionnel, câest du Prokofiev dans ce quâil y a de plus puissant, voire fĂ©roce, avec des rythmiques exacerbĂ©es, accentuĂ©es comme jamais, sans que Donizetti soit lĂ pour le cantabile. Les affirmations impĂ©rieuses lâemportent sur les confidences, la tendresse, la mĂ©lancolie, estompĂ©es, dâautant que les tempi sont toujours trĂšs soutenus. Lâample Polonaise-Fantaisie en la bĂ©mol porte la mĂȘme empreinte : la tristesse, la douleur sâeffacent devant lâexacerbation des tensions, de lâagitation, grandiose.
Les deux premiĂšres consolations de Liszt , singuliĂšrement, nous font dĂ©couvrir cette intimitĂ© que lâon attendait plus tĂŽt. Retenue pour la premiĂšre, fluide pour la seconde, elles respirent et leur poĂ©sie nous touche. La transcription de lâOuverture de TannhĂ€user est magistrale, servie par une virtuositĂ© inspirĂ©e, de la marche qui sâenfle pour sâĂ©puiser, avec Ă©motion, en passant par la dĂ©bauche folle du Venusberg, pour sâachever dans la douceur lumineuse du chĆur, qui se mue en exaltation jubilatoire. LâĂ©nergie, la maĂźtrise Ă couper le souffle donnent Ă cette piĂšce une force comparable Ă celle de la version orchestrale.
Le Schumann du Carnaval nous interroge encore davantage que les deux piĂšces de Chopin.  Il faut en chercher la poĂ©sie, le fantasque tant les mouvements adoptĂ©s, bien que contrastĂ©s, sont matiĂšre Ă une virtuositĂ© Ă©blouissante, dĂ©monstrative. Le flux continu, dĂ©pourvu de respirations, de cĂ©sures, de silences, substitue une forme dâemportement rageur aux bouffĂ©es dâĂ©motion, aux incertitudes. Lâurgence davantage que lâinstabilitĂ©. Les tempi frĂ©nĂ©tiques, le staccato altĂšrent ces « scĂšnes mignonnes » privĂ©es de sĂ©duction. Le piano est brillant autant que bruyant, mĂ©tallique, monochrome, et ne sâaccorde guĂšre aux climats quâappelle ce Carnaval. Au risque de sacrifier un instrument, il faudrait inciter Sophie Pacini Ă jouer sur un piano contemporain de ces Ćuvres : nul doute quâelle serait conduite  à substituer la force expressive au muscle et aux nerfs, pour une palette sonore enrichie.
Le bis offert (lâAllegro appassionato de Saint-SaĂ«ns) confirme quâelle est bien lĂ dans son Ă©lĂ©ment, avec une virtuositĂ© Ă©panouie.
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Compte rendu, récital, Dijon, Opéra, le 15 janvier 2019. Chopin, Liszt, Schumann. Sophie Pacini, piano. Crédit photographique © DR
CD Ă©vĂ©nement, annonce. HOMAGES : Benjamin Grosvenor, piano (1 cd Decca, Ă paraĂźtre le 9 septembre 2016) . Les Liszt et Franck sublimĂ©s du pianiste Benjamin Grosvenor. Benjamin Grosvenor , parmi la jeune colonie de pianistes Ă©lus par Deutsche Grammophon et Decca (Daniil Trifonov, Alice Sara Ott, Yuja Wang⊠sans omettre les plus fugaces ou plus rĂ©cents : Elizabeth Joy-Roe , ambassadrice de rĂȘve pour Field chez Decca, ou surtout Seong Jin Cho , dernier laurĂ©at du Concours Chopin de Varsovie  2015âŠ), fait figure Ă part, dâemblĂ©e, dâune somptueuse maturitĂ© interprĂ©tative qui illumine de lâintĂ©rieur ses Liszt et ses Franck. Le pianiste est nĂ© dans le comtĂ© dâEssex en 1992. Decca annonce son nouvel album intitulĂ© « HOMAGES », chapelet de compositeurs aussi virtuoses que profonds, constituant – emblĂšme des rĂ©flexions artistiques exigeantes, un programme magnifiquement conçu, entre Ă©clats et murmures, dĂ©monstration Ă©chevelĂ©e et surgissements de la psychĂ©. De fait dans le cas des Liszt quâil a choisis : Venezia e Napoli, S 162 (AnnĂ©es de pĂšlerinage II : Italie, 1839-1840), comme dans celui des non moins sublimes CĂ©sar Franck, magicien harmoniste, narrateur des mondes poĂ©tiques (trilogie synthĂ©tique et orchestrale de PrĂ©lude, Choral et fugue FWV 21, sommet esthĂ©tique de 1884), le jeune pianiste britannique affirme une sensibilitĂ© tissĂ©e dans la pudeur et lâintĂ©rioritĂ© ; un aperçu de son immense talent qui ne sâautorise aucun effet, mais recherche essentiellement la plĂ©nitude et lâallusion. Un poĂšte du clavier en somme infiniment douĂ© et certainement lâun des interprĂštes les plus passionnants Ă suivre aujourdâhui. Pour tous ses rĂ©citals discographiques, le pianiste sait construire un programme, agencer, combiner, associer ⊠pour un pĂ©riple musical dâune trĂšs grande force poĂ©tique.
HOMAGES est le dĂ©jĂ 4Ăšme recueil rĂ©alisĂ© par Benjamin Grosvenor chez Decca : aprĂšs ses programmes / rĂ©citals : Chopin / Liszt / Ravel en 2011 , date de sa signature avec le label dâUniversal ; “RHAPSODIE”, Saint-SaĂ«ns, Ravel, Gershwin en 2012 ; « Dances » enregistrĂ© en 2013 / CLIC de CLASSIQUENEWS d’aoĂ»t 2014⊠).
Programme enchanteur : prochaine grande critique et compte rendu complet de lâalbum 1cd Decca de Benjamin Grosvenor, « HOMAGES » (JS Bach arrangĂ© par Ferruccio Busoni, Mendelssohn, CĂ©sar Franck, Franz Liszt, Maurice Ravel), Ă venir dans le mag cd dvd livres de CLASSIQUENEWS , Ă la date de parution annoncĂ©e par Decca, soit le 9 septembre 2016. CLIC de CLASSIQUENEWS de la rentrĂ©e 2016.
CD Ă©vĂ©nement, annonce. TRANSCENDENTAL : Daniil Trifonov plays Franz Liszt (2 cd Deutsche Grammophon â Parution : le 7 octobre 2016) .  OcĂ©an oĂč se perdent les interprĂštes trop gourmands mais dĂ©passĂ©s, oĂč les tempĂ©raments sâaffirment aussi tout autant⊠Faisant table rase de toute virtuositĂ© gratuite, pourtant prĂ©sente dans la frĂ©nĂ©sie des premiers Ă©pisodes des Etudes d’exĂ©cution transcendante , Liszt sait aussi dĂ©construire pour organiser une nouvelle langue poĂ©tique qui Ă©lectrise par ses Ă©clairs de pure magie visionnaire et par les contrastes qui naissent par confrontation avec les gammes et arpĂšges vertigineuses qui se dĂ©versent aussi du clavier. DĂ©lire et extase sont au rendez vous⊠Il faut une technicitĂ© agile virtuose certes, surtout une vision qui dĂ©voile sous lâavalanche narrative (dramatique voire opĂ©ratique comme le souligne ici lâinterprĂšte), le sens dâune progression cohĂ©rente qui traverse le cycle et lâarchitecture des 12 Ătudes Transcendantes. Leur transcendance se rĂ©alise dans ce passage tĂ©nu (Ă partir du 8 Ăšme Ă©pisode, notĂ© « Wilde Jag » ?), de lâartificiliatĂ© dĂ©monstrative Ă … lâabandon allusif et poĂ©tique. Liszt magicien du temps et de l’espace ouvre ainsi des mondes invisibles, que la musique par son flux souverain, rend miraculeusement perceptibles.
Daniil Trifonov aborde le Liszt Ă©chevelĂ©, expĂ©rimental, dĂ©lirant, poĂ©tique des 12 Etudes dâExĂ©cution Transcendante S 139 de 1852.
Le jeune pianiste russe DANIIL TRIFONOV , vedette montante de lâĂ©curie Deutsche Grammophon , aux cĂŽtĂ©s de son confrĂšre britannique Benjamin Grosvenor (qui aborde lui aussi Liszt et Franck dans un disque remarquablement conçu : “Homages”, Ă paraĂźtre aussi en septembre 2016 â annonce et critique complĂšte Ă venir dans nos colonnes) aborde un programme particuliĂšrement ambitieux : Everest du clavier, tant par les dĂ©fis de pure technique que la maturitĂ© interprĂ©tative pour en organiser la vision globale⊠AprĂšs Rachmaninov, le Liszt du jeune Daniil Trifonov sâannonce donc passionnant.
« Transcendantal : Daniil Trifonov plays Franz Liszt », 1 cd Deutsche Grammophon à paraßtre le 7 octobre 2016 (enregistré à Berlin en septembre 2016). Compte rendu critique complet à venir sur CLASSIQUENEWS.COM, dans le mag cd dvd livres , à la date de parution du CD Liszt par Daniil Trifonov, le 7 octobre 2016.
QUI FUT MARIE JAĂLL ? En janvier 2016 sort un premier cycle d’enregistrements de ses Ćuvres qui soulignent l’ambition de la compositrice, aux cĂŽtĂ©s de la pĂ©dagogue mieux connue. CLASSIQUENEWS fait le point sur une personnalitĂ© atypique et parfois dĂ©concertante mais tempĂ©rament trempĂ© et dĂ©terminĂ©e d’une force crĂ©ative inĂ©dite Ă son Ă©poque. Au XIXĂš, il n’Ă©tait pas bon ĂȘtre femme artiste surtout compositrice et pianiste… PĂ©dagogue, pianiste virtuose, femme Ă©cartĂ©e mais compositrice engagĂ©e surtout thĂ©oricienne du jeu pianistique, Marie JaĂ«ll (1846 – 1925) a ressuscitĂ© lors du Lille Piano Festival 2012. Reportage vidĂ©o et grand portrait de la compositrice marquĂ©e par le modĂšle lĂ©guĂ© par Liszt et Schumann. RĂ©alisation : Philippe Alexandre Pham – durĂ©e : 23 mn  © CLASSIQUENEWS.TV 2012
LIRE aussi notre critique et prĂ©sentation complĂšte du livre cd Marie JaĂ«ll (musique symphonique, musique pour piano…) , publiĂ© en janvier 2016 … Extraits de la critique par notre confrĂšre Lucas Irom : ComposĂ©s dans les dĂ©cennies 1870 / 1880, les deux Concertos pour piano affirment de facto la pertinence dâune Ă©criture rĂ©flĂ©chie, mĂ»re, puissante, (la presse et les critiques de lâĂ©poque rĂ©pĂ©tĂšrent jusquâĂ lâuser, « virile »). La seule rĂ©serve que lâon peut Ă©mettre ici serait le culte entretenu dâun romantisme tardif et Ă©clectique, proche de Liszt et donc de Wagner, qui ne sâest jamais vraiment ouvert aux modernisĂ©s du dĂ©but du XXĂš dans le sillon des modernes, Debussy et Ravel. JaĂ«ll se concentre plutĂŽt sur Franck et Saint-SaĂ«ns, aux cĂŽtĂ©s de Liszt…
Marie JaĂ«ll pĂ©dagogue montre devant l’appareil photographique quelques exercices pour la main du pianiste – photo : © BNU Strasbourg
VOIR aussi le reportage sur YOU TUBE : qui fut Marie Jaëll ?
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CD, livre, compte rendu critique Portrait de Marie JaĂ«ll (1846-1925). Voici en janvier 2016, 3 cd pour ressusciter la pianiste lisztĂ©enne et compositrice alsacienne Marie JaĂ«ll (1846-1925) . AprĂšs deux prĂ©cĂ©dents Livres cd biographiques dĂ©diĂ©s Ă Gouvy et Dubois, voici une nouvelle monographie consacrĂ©e Ă une femme exceptionnelle, la pianiste Marie JaĂ«ll : La lĂ©gende des ours, le Concertos pour violoncelle, les deux Concertos pour piano n°1 et n°2 (1871, 1884), plusieurs piĂšces complĂ©mentaires pour piano seul, son instrument emblĂ©matique ⊠sont ici recréés avec lâenthousiasme et lâengagement des réévaluations prometteuses. LâaccĂšs du fonds de Strasbourg a permis enfin de rĂ©vĂ©ler la stature de la compositrice aux cĂŽtĂ©s de la pĂ©dagogue (mieux connue) qui reste apprĂ©ciĂ©e et dâune modernitĂ© visionnaire. Certes on peut ĂȘtre sĂ©duit par lâampleur symphonique de ses piĂšces dâenvergure tels La lĂ©gende des ours pour soliste et grand orchestre (la direction dâHervĂ© Niquet nâĂ©vite pas une dĂ©clamation parfois superfĂ©tatoire ; et la soliste demeure inintelligibleâŠ, sa caractĂ©risation dramatique uniforme et lisse, dommage), ou les deux Concertos pour pianos, immĂ©diatement Ă classer dans le prolongement de lâardeur et la fiĂšvre mystiques dâun Liszt plutĂŽt inspirĂ© et fidĂšle Ă lui-mĂȘme. Ons era nettement moins convaincus par le Concerto pour violoncelle qui lui aussi manque singuliĂšrement de caractĂšre comme de plan dramatique : il n’est guĂšre que la derniĂšre sĂ©quence du mouvement lent qui atteigne une subtilitĂ© de ton plus mordante. Certains enregistrement sont les bandes fixĂ©es lors du Piano Lille Festival 2012 (les deux Concertos pour piano, de loin les mieux dĂ©fendus du disque grĂące Ă deux interprĂštes pleinement investis : Romain Descharmes pour le n°1 et David Violli pour le 2).
La thĂ©oricienne et la pĂ©dagogue expriment mieux que la crĂ©atrice et la pianiste la force dâun tempĂ©rament fĂ©minin exceptionnellement original Ă son Ă©poque
Marie Jaëll était-elle vraiment bonne compositrice ?
ComposĂ©s dans les dĂ©cennies 1870 / 1880, les deux Concertos pour piano affirment de facto la pertinence dâune Ă©criture rĂ©flĂ©chie, mĂ»re, puissante, (la presse et les critiques de lâĂ©poque soulignĂšrent jusquâĂ en user le terme, sa carrure « virile »). La seule rĂ©serve que lâon peut Ă©mettre ici serait le culte entretenu dâun romantisme tardif et Ă©clectique, proche de Liszt et donc de Wagner, qui ne sâest jamais vraiment ouvert aux modernisĂ©s du dĂ©but du XXĂš dans le sillon des modernes, Debussy et Ravel. JaĂ«ll se concentre plutĂŽt sur Franck et Saint-SaĂ«ns, aux cĂŽtĂ©s de Liszt.
« Expression », « vĂ©locité », le piano de Marie JaĂ«ll comme lâĂ©criture de la compositrice manque parfois de profondeur comme de sobriĂ©tĂ©. On voudrait bien rapprocher ses deux cycles « Les jours pluvieux » et « Les Beaux jours  » des … Kinderszenen de Schumann⊠force est de constater que malgrĂ© lâeffort demandĂ© (la fine sensibilitĂ© de la pianiste Diana Ciocarli pour Les Beaux Jours, entre autres), et les qualitĂ©s de la compositrice, la versatilitĂ© vertigineuse, le double et le trouble, lâambivalence maladive, dĂ©pressive, exaltĂ©e si schumaniennes sont totalement absents chez la Française (qui paraĂźt quand mĂȘme trop doucereuses et parfois dĂ©monstrative voire rĂ©pĂ©titive). Le modĂšle LisztĂ©en, approchĂ© directement et Ă©coutĂ© Ă Rome en 1868, source de sa vocation intime (une confirmation musicale comme lâexpĂ©rience de Liszt Ă lâĂ©coute de la Symphonie Fantastique de Berlioz), demeure omniprĂ©sent mais guĂšre dĂ©passĂ© ou rĂ©gĂ©nĂ©rĂ©.
La Clara Schumann française ?
La vĂ©ritĂ© et le tempĂ©rament de Marie JaĂ«ll pourraient peut-ĂȘtre plutĂŽt ĂȘtre recherchĂ©s du cĂŽtĂ© de ses Ă©crits, aux interrogations multiples, souvent pertinentes, du cĂŽtĂ© de l’activitĂ© pĂ©dagogique de la pianiste effectivement prodigieuse (une Clara Schumann française ?) : le profil de la pĂ©dagogue se prĂ©cise avec une Ă©tonnante originalitĂ© dans une succession d’Ă©crits et de recueils d’une audace absolue : La musique et la Psychophysiologie (1896), Les Rythmes du regard et la dissociation des doigts (1901), La RĂ©sonannce du toucher et la topographie des pulpes (1912). Morte en 1925, Marie JaĂ«ll incarne une force individuelle pourtant admirable dans une sociĂ©tĂ© phallocratique voire misogyne, en particulier Ă lâencontre des femmes compositeures et crĂ©atrices. Elle aura traversĂ© lâidĂ©al nationaliste de la TroisiĂšme RĂ©publique, connu le symbolisme et le debussysme (en gardant ses distances), cultive ce celtisme gaulois (son poĂšme symphonique Ossiane de 1879, absent du livre cd en tĂ©moigne particuliĂšrement). Les amateurs d’un romantisme post lisztĂ©en applaudiront. Les autres plus rĂ©servĂ©s sur la question des rĂ©surrections lĂ©gitimes ou anecdotiques, Ă©couteront toutes ses oeuvres rĂ©vĂ©lĂ©es par le disque comme des curiositĂ©s, confirmant ce quâils pensaient dĂ©jĂ . Reste les programmateurs : oĂč pouvons-nous entendre du JaĂ«ll aujourdâhui? Force est de constater que depuis le festival de Lille 2012, bien peu de directeurs de salles ont “osĂ©” JaĂ«ll depuis… Le coffret triple a le mĂ©rite de poser la question : Marie JaĂ«ll Ă©tait elle vraiment une bonne compositrice, dans le domaine symphonique (en dĂ©pit de l’absence d’OcĂ©ane qui reste son oeuvre phare), dansel domaine pianistique…? A chacun de rĂ©pondre selon sa sensibilitĂ© grĂące Ă cette compilation opportune. Une rĂ©serve sans Ă©quivoque cependant : la laideur bien peu attractive de la couverture : oĂč ont-ils trouvĂ© une telle couleur ?!!! C’est bien peu cĂ©lĂ©brer le lyrisme colorĂ© et raffinĂ© de l’Ă©criture d’une Marie JaĂ«ll, inspirĂ©e par les champs lisztĂ©ens.
Livre cd, compte rendu critique. Portrait de Marie Jaëll (1846-1925). 3 cd Palazzetto Bru Zane PBZ . ISBN 978 84 608 3017-7. Collection « Portraits », Volume III.
LIRE aussi notre présentation des concerts Marie Jaell au festival Piano Lille Festival 2012
VOIR, approfondir le sujet en visionnant notre grand reportage vidéo dédié à la recréation des Concertos pour piano de Marie Jaëll au Lille Piano Festival 2012, grand sujet vidéo de 22 mn © studio CLASSIQUENEWS 2012  (réalisation : Philippe-Alexandre Pham)
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Livres, critique. Jean-Claude Menou : Le voyage-exil de Liszt et Marie d’Agoult en Italie, 1837-1839 (Actes Sud) . Pendant 2 annĂ©es (1837-1839), le jeune virtuose du piano, Franz Liszt et sa nouvelle compagne la Comtesse Marie dâAgoult, son aĂźnĂ©e scandaleuse, convolent avec lâinsouciance de jeunes amants enivrĂ©s. Ils partent faire leur tour dâItalie : lac majeur et lac de CĂŽme, Milan son Duomo, et la chartreuses de Pavie, Brescia, VĂ©rone et bien sĂ»r Venise : Liszt sâenthousiasme comme peu avant lui sur les peintres et les Ćuvres artistiques ainsi dĂ©couvertes. RaphaĂ«l lui inspire lo Sposalizio (Les noces de la Vierge), VĂ©ronĂšse et Leonard, surtout Titien et ses vertiges chromatiques. A Florence, le pianiste a la passion de Michel-Ange (et sa PensĂ©e) ; puis Ă Rome, chacun sâintĂ©resse Ă ce qui lâinspire, en particulier non les Ă©glises baroques mais les traces spectaculaires dâune AntiquitĂ© Ă©ternelle. Ils retrouvent le directeur de lâAcadĂ©mie de France : Monsieur Ingres (qui fera leur portrait et qui jouera son violon avec le cĂ©lĂšbre pianiste). Mais rien ne dĂ©passe le sentiment Ă©prouvĂ© avec Sainte-Beuve, en visitant les vestiges du domaine impĂ©rial dâHadrien Ă Tivoli : les cyprĂšs et la lumiĂšre du soir de la Villa Adriana comme lâon disait alors, inspireront alors Liszt devenu abbĂ©, prĂšs de 40 ans plus tard (1877 : Jeux dâeaux Ă la Villa dâEste âŠ). Naples fut envisagĂ©e mais jamais atteinte.
1837-1839: le duo scandaleux Liszt / d’Agoult visite l’Italie patrimoniale et culturelle…
Liszt : « vagabond infatigable », amoureux des arts
Entre temps (mai 1839), Marie accouche de Daniel, frĂšre de Cosima nĂ©e avant lui⊠Car la matiĂšre de ce formidable tĂ©moignage vient en partie du journal de dâAgoult, femme de caractĂšre et de tempĂ©rament (mariĂ©e Ă Charles dâAgoult, elle a tout quittĂ© pour suivre son jeune amant, bouleversant lâordre bourgeois et sacrifiant la respectabilitĂ© de son rang). Câest aussi une fĂ©ministe engagĂ©e que la liaison avec Liszt aiguille peu Ă peu, dĂ©voilant une sensibilitĂ© ardente, celle de lâamoureuse passionnĂ©e, celle de la femme ayant ses convictions (nombreuses et ardemment dĂ©fendues). De sorte quâau fil de la lecture et des tĂ©moignages sur les Ă©motions vĂ©cues sur le motif, se prĂ©cisent des divergences entre les deux voyageurs qui augurent de leur sĂ©paration Ă venir. Liszt semble avoir Ă©tĂ© aussi lĂ©ger et insouciant, « enfantin » ou Ă©ternel adolescent que Marie Ă©tait responsable donc exigeanteâŠIl est vrai quâils nâavaient pas le mĂȘme Ăąge. Ainsi Ă Venise, Marie « nâest que fiel. Et Liszt, enthousiasme ». Il prendra le premier prĂ©texte pour la laisser mariner dans son jus⊠puis revenir Ă elle, avec la premiĂšre Ă©nergie.
Le lecteur de ce fabuleux voyage culturel dĂ©couvre le choc des goĂ»ts et des sensibilitĂ©s, dont surtout celle de Liszt, lâun des rares pianistes et compositeurs qui eut sur la peinture et lâart en gĂ©nĂ©ral de vĂ©ritables affinitĂ©s, puisant dans lâĂ©merveillement ressenti, la source de ses inspirations musicales. « Raphael et Michel-Ange me faisaient mieux comprendre Mozart et Beethoven », Ă©crit il en frĂšre de tous les artistes, en humaniste ouvert, curieux et gĂ©nĂ©reux. Lâauteur sâappuyant sur une recherche livresque et touristique spĂ©cifique (il prĂ©cise avoir effectuĂ© 7 voyages sur le terrain!) offre ce monde imaginaire, hautement artistique, qui compose les paysages intĂ©rieurs et intimes de Franz Liszt. Câest aussi un guide particulier que lâamateur italophile pourra pratiquer in situ⊠sur les traces de Franz et Marie. Passionnant. Et donc naturellement CLIC de classiquenews.
Livres, critique. Jean-Claude Menou : Le voyage-exil de Franz Liszt et Marie dâAgoult en Italie (Actes Sud ). ISBN 978 2 330 04808 2. Parution : avril 2015.
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LIVRES. Philippe AndrĂ©. Les deux mages de Venise, roman. Editions Le Passeur (2015) . Wagner est mort Ă Venise en 1883, câest connu. Et il avait reçu, trois mois avant, la visite de son beau-pĂšre, Liszt, « installé » pendant deux mois au Palais Vendramin, la rĂ©sidence de Richard, Cosima et lâenfant Siegfried. Quâont-ils fait, hormis se retrouver et parfois se chamailler ? Philippe AndrĂ© leur invente de « nouvelles aventures » dans une Venise hivernale et fantasmagorique. Câest, adossĂ© Ă la science musicologique du spĂ©cialiste schumanno-lisztien, la nouveautĂ© des Deux Mages, un passionnant « romansonge ». Question et rĂ©ponse de la duchesse : « Aimez-vous Wagner ? », eĂ»t pu demander en toute fausse candeur la duchesse de Sagan. Câte question ! Naturlich, ma biche ! Jâinsiste, pourtant : aimez, et je souligne the question qui nâest pas to be or not to be. Bien sĂ»r quâil est, Wagner, dâune essence irrĂ©fragable, plus ĂȘtre que lui on nâen fait plus. Mais jâai demandé  : aimez. Il est permis de nuancer votre answerâŠAlors, vous me mettez plus Ă lâaise. Je sais ce que cette Oeuvre Totale apporte Ă lâhistoire de la musique et des arts. Et puis vous dites quâon a droit au clivage ? Lohengrin, Tannhauser, Tristan, Parsifal, trois fois oui. Pour la Bande des Quatre organisĂ©e en TĂ©tralogie, franchement, vous repasserez . And Herr Richard Wagner himself, pas mieux ? Encore plus franchement, danke schön ! MĂȘme quand il joue son ultime rĂŽle dans Der Tod in Venedig ? Faut ben mourir quĂ©qu â part !
R.W. Ă sa personne parlant
Donc si vous nâavez pas la foi wagnĂ©rienne, ne faites pas semblant de croire pour bientĂŽt super-croire. Mais laissez-vous convaincre dâaller faire un tour dans les quartiers les plus perdus de la SĂ©rĂ©nissime, en hiver 1882-83. GuidĂ© par R.W. Ă sa personne parlant â comme toujours â mais aussi adressant Ă sa chĂšre Cosima une sorte de journal-intime-jours-sombres, pour raconter lâincroyable bordĂ©e mĂ©taphysique quâil aurait menĂ©e lĂ -bas avec son beau-pĂšre, un certain Franz Liszt, lâĂ©blouissant compositeur- ami devenu curĂ©-sans-paroisse mais toujours en quĂȘte dâimaginaire.  Et devinez qui vous aurez pour guide et porte-parole ? Un lisztien par excellence, dont ici mĂȘme nous louĂąmes les ouvrages savants sur AnnĂ©es de PĂšlerinage et Suite, musicien au demeurant praticien-psy qui vient aussi dâinvestiguer sur la paralysie gĂ©nĂ©rale de Schumann. Le Docteur Philippe AndrĂ©, sans doute pour se dĂ©lasser du culte schumanno-lisztien, cĂšde aux dĂ©mons de la Fantasie hoffmanienne : Ă©tiquetant « mages » les deux » VĂ©nitiens » dâadoption au crĂ©puscule de leur prodigieuse vie, il les fait basculer de lâautre cĂŽtĂ© du miroir dans lâinquiĂ©tante Ă©trangetĂ© que se permet parfois lâĂ©criture scientifique dont la rigueur expĂ©rimentale aurait étĂ© mise en congĂ© payĂ© par un tour-operator de roman.
Le pâtit Siegfried
Le point de dĂ©part est on ne plus historique, et vous en trouverez le rĂ©cit au 4e chapitre de Nuages Gris (Ă©d.Le Passeur) : Liszt a bien sĂ©journĂ© « chez » les Wagner au Palais Vendramin, du 19novembre 1882 au 13 janvier 1883. Il y a jouĂ© au whist, au piano, Ă lâinĂ©puisable mais intermittente amitiĂ©, Ă la fonction grand-paternelle (le pâtit Siegfried, fruit dâamour fou entre Richard et Cosima qui avait ainsi envoyĂ© au dĂ©sespoir son exemplaire Ă©poux Hans de Bulow), et en cette famille recomposĂ©e tout nâĂ©tait pas que roses, donc on sâest chamaillĂ©, fait la gueule, rĂ©conciliĂ©âŠ. A partir de ce substrat non contestĂ©, Les Deux Mages dĂ©rape avec dĂ©lices en imaginaire. Les deux amis â bien que devenus beau-pĂšre et gendre, ils sont quasiment « du mĂȘme Ăąge » – entrent en « mentir-vrai » et « romansonge », comme titrerait la nĂ©buleuse aragonienne. « Câest moi qui rĂȘve. Jâai piquĂ© du pif au bout du compte. Je dors. Je rĂȘve. Tout cela câest moi qui le rĂȘve. Tout ceci ce nâest pas la vie de ThĂ©odore , câest ma mienne. Rien de tout cela nâa pu se passer en 1815âŠ. » : câest ce quâavouait en galopant avec GĂ©ricault son « historien » de 1959 dans La Semaine SainteâŠ
Tribu miltonienne et Nocturnes hoffmaniens
Certes on eĂ»t pensĂ© davantage Philippe AndrĂ© journalintimier du cĂŽtĂ© de son cher Franz. Eh bien non, câest en Wagner quâil sort dâun angle de la Piazzetta, faisant dâailleurs tenir Ă son petit protĂ©gĂ© la moins protocolaire des langues modernisĂ©es et lâentraĂźnant dans les aventures vĂ©nitiennes les plus saugrenues. Quitte Ă Â ce que R.W. soit menĂ© par le bout de la Fantasie, le beau-pĂšre « inventant » pour son gendre plus rĂ©ticent les buts de promenades qui accouchent de situations de plus en plus hallucinatoires. « Ici le temps devient espace », et vice-versa ; le rĂ©el moins vrai âet dĂ©sirable ? -que le fantasmĂ©. On rencontre sortie des pĂ©rĂ©grinations italiennes de lâAngleterre rebelle XVIIe une tribu miltonienne â dans la famille du Paradis Perdu, je demande le pĂšre et puis aussi les filles -, on dĂ©couvre une galĂšre « dĂ©carcassĂ©e » qui selon Franz ferait une merveilleuse salle de théùtre moderne, des allusions Ă un grand trou qui pourrait ĂȘtre un cercle infernal de Dante, et ce nâest que prĂ©face Ă lâembardĂ©e la plus folle, une entrĂ©e en « Nocturnes à la maniĂšre de Callot », oĂč le savant Spallanzani, recrĂ©ateur lisztien dâOlympia, « emprisonne » dans lâĆil de sa poupĂ©e diabolique une Cosima qui nâen demandait pas tantâŠ
Haarghh !
Richard se dĂ©mĂšne en Ă©rotisé hoffmannien (il est ultra-sensible aux deux « jolis globes » de lâautomate, voire Ă sa « coquille »), malgrĂ© lui ? ou pour mieux exciter la jalousie de sa Cosima ?), et surtout il mĂšne dialogue rĂ©itĂ©ratif avec un Kobold, figure du tourmenteur qui lui laisse bien peu de rĂ©pit du cĂŽtĂ© de lâangine de poitrine, ce dont il mourra bientĂŽt. Et lĂ , il se lĂąche dans le discours, parsemant ses phrases dâune interjection souffrante (« haarghh ! »,un Ă©cho du « hojoho walkyrien ? )qui nous ramĂšne aux temps de la BD-Dargaud, de formules familiĂšres (« à châŠ, aussi sec ,  câŠries », impact boom, du balai ! lefionâŠ, vacherie, dĂ©bectant ou  vioque » ) parfois teintĂ©es de rythme cĂ©linien⊠Le comble du paradoxe est atteint lorsque Richard « appelle » en un flux extasiĂ© (devenant parfois injurieux ou prosaĂŻque : « fous le camp dans ta cuisine, reste aux fourneaux ») son indispensable Cosima,(« ma passerelle pour lâĂ©ternitĂ©, mon anĂ©antissement en si majeur »âŠ),tout comme â peut-ĂȘtre ? â le romantique Kleist « rebaptisait » son Henriette Vogel (qui le lui rendait aussitĂŽt) dans les lettres quâils Ă©changĂšrent avant leur suicide en duoâŠĂ moins que ce ne soit aussi une allusion à « LâUnion Libre » oĂč Breton gĂ©ographise les blasons du corps de la femmeâŠ.
Filochard et Croquignol
De mĂȘme oscille-t-on entre ces visions poĂ©tisĂ©es du parcours vĂ©nitien et les silhouettes rigolotes de la virĂ©e Filochard (R.W.)- Croquignol (F.L.), la rĂ©fĂ©rence sublimissime de la Femme Eternelle de R.W. et la vie embourgeoisĂ©e Ă Vendramin, cette grande Villa-Cosima-pieds-dans-lâeau, les Ă©clairs de luciditĂ© richardiens (« la boucler est peut-ĂȘtre le plus grand dĂ©fi fait Ă moi-mĂȘme dans cette suite dâĂ©vĂ©nements ») et la surditĂ© de qui ne comprend rien au minimalisme pianistique du beau-pĂšre en train dâinventer une autre « musique de lâavenir ». Car les rapports au rĂ©el dâhistoire musicale sont aussi lĂ Â : du PromĂ©thĂ©e dĂ©chaĂźnĂ©, des « nuages gris », du parlĂ©-chantĂ©, « disastro », du « lancer mon javelot dans les espaces indĂ©finis », des csardas macabres, des lugubres gondoles qui ne peuvent faire illusion. De mĂȘme que les manifestations dâun amour-haine perpĂ©tuel entre un beau-pĂšre et un gendre peu avare de considĂ©rations inactuelles sur le vieux Liszt, « échassier hydropique », ses cigares et ses verrues, et qui dĂ©barque du train en pleine odeur de « Wanderer Ă nuisances olfactives 2nde classe ».
Retrouvailles lyriques
 Mais cela cĂšde Ă du pur lyrisme de retrouvailles entre « amis sublimes », au dĂ©tour dâune promenade dans Venise embrouillardĂ©e. Et puis il y a le rĂ©cit â les musiciens en tournĂ©e de banlieue en sortiront « m.d.r » ! â de Liszt qui dĂ©zingue les affĂ©teries bondieusardes dâun jeune organiste en mal de complimentsâŠ.(« jamais je nâai entendu rythmes plus appropriĂ©s aux hĂŽtels de prostitution et claques somptueuxâŠ. ») . Curieux blocages â superstitieux ? â aussi de Richard avouant Ă son « Isolde de vie ou de mort » que justement il ne prononcera plus ce dernier mot, lui qui en veut au beau-pĂšre dâavoir « sombrĂ© dans les bigoteries qui lâont perdu comme homme et surtout comme musicien ».
Le Wanderer a-t-il perdu la mémoire ?
Tiens, en chemin, le Wanderer, il a perdu la mĂ©moire de ses barricades bakouniniennes en 1849, quand il militait Ă Dresde pour la rĂ©volution ? Ensuite, de ses errances pourchassĂ©es par les polices « anti-terroristes » de lâOrdre Monarchique, mais oĂč tout de suite il trouve Ă Weimar refuge fraternel auprĂšs de Liszt  ? De sa soumission (1864), genou en terre, Ă Â son Ange bavarois Louis II , et de « ce qui sâen suivit », comme intertitrent les romans de gare au XIXe : lâargent et lâor pour Ă©difier le Temple de Bayreuth, oĂč se cĂ©lĂšbrera le culte monothĂ©iste de RW ? ? Sans oublier ses vaticinations-libelles mortifĂšres (1850 ; puis sans remords ni retour en arriĂšre) sur « le judaĂŻsme dans la musique » ? Bref, il ne sâagirait plus Ă Vendramin-House que des « considĂ©rations dâun apolitique » rangĂ© des voitures, dans une Venise la Rouge oĂč pas une gondole ne bouge ? Quant Ă lâinconscient projeté comme javelot dans les espaces du futur, nây-a-t-il pas absence de prĂ©monition pour une Ă©poque oĂč son (prĂ©) nom de Venise, Riccardo, ne sera plus dans Bayreuth un temps dĂ©sert (Ă©) par lâĆuvre Totale ? Mais on ne va tout de mĂȘme pas lui reprocher, à cet « inconscient-là  », le formatage de  son pâtit Siegfried pour mariage(1915) avec une Frau Winifred tombant raide-dingue du Moustachu de Berchtesgaden-sous-Walhalla ! (Quel malheur, parfois, dâavoir un(e) gendre(sse) ! Mais au contraire futur, quel bonheur pour un VĂ©nitien comme Luigi Nono de se marier (1955) avec Nuria Schoenberg et dâavoir ainsi un sacrĂ© beau-pĂšre !)
Carnets du sous-sol et Bavard
Bon, permis Ă un mal-wagnero-compatible de dĂ©bloquer sur le divan, Dr. André ? Et repassons Ă lâessentiel : avec les Deux Mages, nous tenons un « roman musical » de la plus haute et exigeante qualitĂ© en imagination et Ă©criture. Ce long et parfois imprĂ©visible monologue rappellera, en son  principe dâivre flux parolier, les Carnets du sous-sol dostoievskien, ou le plus proche Bavard de L.R. des ForĂȘts. Et malgrĂ© les sautes dâune humeur provocatrice tirant aussi vers la rigolade, la coda (« Je me penche et je vois des Ă©toiles qui scintillent au fond du trou. Je plonge la tĂȘte la premiĂšre en poussant un lĂ©ger criâŠUn cortĂšge dâĂ©toiles mortes ondule dans le noir. ») signale, mine de rien, quâun mois aprĂšs le dĂ©part du beau-pĂšre, le gendre aura rejointâŠmais quoi, le nĂ©ant ? CâĂ©tait â miroir de lâĂ©blouissante lumiĂšre solaire du Turner en couverture â le dernier cadeau de la SĂ©rĂ©nissime et aussi « tempĂ©-tueuse » CitĂ© des Doges à ses hĂŽtes. On vous le disait, il y aura toujours de la Mort Ă Venise ! Mais encore : « mort(s) Ă jamais » ?âŠ
LIVRES. Philippe AndrĂ©, Les Deux Mages de Venise , Ă©ditions Le Passeur (2015). Livre papier : 18,90 âŹ, 140×205 mm, 256 pages. Date de parution : 12 fĂ©vrier 2015. LIRE aussi la critique du livre prĂ©cĂ©dent de Philippe AndrĂ© : « Robert Schumann, folies et musiques » (Le Passeur, 2014), CLIC d’octobre 2014 sur classiquenews.
Illustrations : Wagner, Liszt (DR)
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CD. Cyril HuvĂ©, piano. Liszt : Carnets d’un PĂšlerin (1 cd La Grange aux pianos). Programme dense mais Ă©quilibrĂ©, en 7 stations, qui puise ces bornes expressives dans deux recueils : “Seconde annĂ©es de pĂšlerinage – Italie” et “Harmonies poĂ©tiques et religieuses” (pour BĂ©nĂ©diction de Dieu dans la solitude et FunĂ©railles). EnregistrĂ© dans son antre, au Pays de Georges Sand, dans la Grange aux pianos en aoĂ»t 2011 (oĂč il organise et accueille un festival de PentecĂŽte aussi), Cyril HuvĂ© exprime les dĂ©lices suggestifs souvent Ă©noncĂ©s dans un murmure Ă peine articulĂ©, portĂ© et comme traversĂ© par un frĂ©missement soudain, celui produit par une rĂ©vĂ©lation. Cheminement promis Ă des visions de plus en plus spirituelles, chaque sĂ©quence dit ici, effectivement, le poĂ©tique et le religieux. Le pianiste joue sur l’ampleur symphonique du piano Steinweg requis pour l’enregistrement. SonoritĂ© puissante mais jamais dure, ronde et mordante Ă la fois qui assure la carrure et l’aspiration mystique de chaque Ćuvre. Le doute haletant (Il Penseroso), la volontĂ© de l’indicible et le lugubre ensorcelant qui cultive l’Ă©tat d’endormissement souhaitĂ©. Cyril HuvĂ© balance d’un Ă©tat de conscience Ă un autre, en un jeu qui enveloppe et berce (rĂ©sonances dĂ©jĂ wagnĂ©riennes du mĂȘme Penseroso).
L’amour et ses brĂ»lures innerve l’itinĂ©raire plus choatique, exaltĂ©, passionnel du Sonnet de PĂ©trarque n°104 : ivresse panique du transi amoureux dĂ©muni, dĂ©pendant totalement de sa chĂšre et inaccessible Laura… l’interprĂšte cultive la rĂ©sonance des accords, laissant un temps d’incertitude mais aussi d’accomplissement et d’inĂ©luctable dans un jeu profond et intĂ©rieur qui sait respirer.
Pour le premier disque de son propre label, Cyril Huvé se révÚle convaincant
Mystique lisztéenne
La conception est claire et structurĂ©e pour BĂ©nĂ©diction de Dieu dans la solitude au calme spirituel progressif. L’Ă©tape la plus dĂ©veloppĂ©e (plus de 16mn) avec AprĂšs une lecture de Dante (presque 18mn) permet au jeu de s’Ă©panouir pleinement rĂ©alisant une somptueuse plĂ©nitude qui inspire un toucher de plus en plus doux et vaporeux pour exprimer le scintillement aĂ©rien grandissant qui s’achĂšve en un ruissellement liquide immatĂ©riel. Les signes tangibles vers la lĂ©vitation. Le choix du Steinweg de 1875 paraĂźt particuliĂšrement bĂ©nĂ©fique grĂące Ă sa sonoritĂ© charpentĂ©e et structurĂ©e, ronde et puissante, ses harmonies naturelles, ses aigus crĂ©pitants.
MĂȘme pĂ©nĂ©tration suggestive particuliĂšrement pour le lugubre vaporeux de FunĂ©railles qui envoĂ»te littĂ©ralement par son balancement harmoniquement presque irrĂ©solu…, son allure de marche inexorable et dĂ©sespĂ©rĂ©e et sa lente priĂšre dĂ©chirĂ©e, dĂ©chirante. L’approfondissement spirituel y Ă©clate en Ă©clairs et tempĂȘtes, dĂ©voilant les climats paniques du PĂšlerin dĂ©muni. La lutte intĂ©rieure que Cyril HuvĂ© exprime, rĂ©ussit particuliĂšrement ici. Le pianiste se fond dans l’esprit insatiable et insatisfait de Liszt, portĂ©e par une ardente et dĂ©vorante quĂȘte spirituelle.
Le dernier morceau de ces Carnets d’un PĂšlerin se referme sur la houle tout autant prenante d’AprĂšs une lecture de Dante… Cyril HuvĂ© sait enflammer l’Ă©nergie brute que suscitent les images dantesques. Jaillissements de gravitĂ©, ombres mouvantes, sorte de tourbillon en implosion, bain primaire qui concentre les forces primordiales et les contient sans les contenir, voici le grand chaudron magique et fantastique Ă la(dĂ©)mesure du grand Liszt, conteur en diable, capable seul, de faire jaillir d’un tumulte, un murmure enchantĂ© criblĂ© de nouveaux scintillements Ă©perdus. Aucun doute Cyril HuvĂ© confirme dans ce premier cd inaugurant son propre label, ses affinitĂ©s lisztĂ©ennes dans ce rĂ©cital trĂšs abouti.
Franz Liszt : Carnets d’un PĂšlerin. Cyril HuvĂ©, piano Steinweg 1875. EnregistrĂ© en aoĂ»t 2011 dans le Berry, 1 cd La Grange aux pianos GAP01
CONCERT Ă Paris
Cyril HuvĂ© fĂȘte le centenaire Alexandre Scriabine, salle Gaveau, mardi 3 mars 2015, 20h30.
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Livres, roman, compte rendu critique. Christophe Bigot : Les premiers de leur siĂšcle (Ăditions de La MartiniĂšre). Roman historique dont l’Ă©criture inspirĂ©e d’une trĂšs fine Ă©loquence restitue l’intimitĂ© des artistes romantiques français et europĂ©ens (Liszt) telle qu’elle a pu se rĂ©aliser en particulier Ă Rome Ă l’Ă©poque oĂč le “grand homme” : entendez Monsieur Ingres, Ă©tait le directeur de la Villa Medicis (1835-1840).
Le couple Liszt Marie d’Agoult vu par Henri Lehmann
Rome, dans le salon de Monsieur Ingres
Le tĂ©moin privilĂ©giĂ© de leur quotidien demeure ici le peintre Henri Lehmann (1814-1882) dont le sens de la ligne, la virtuositĂ© du dessin lui permettent de devenir le disciple prĂ©fĂ©rĂ© d’Ingres, au sein de l’atelier qui compte aussi Amaury Duval son aĂźnĂ©, surtout ChassĂ©riau, assez infect et discourtois malgrĂ© son absolu talent. Dans la proximitĂ© du couple Marie d’Agoult et Franz Liszt de passage Ă Rome aprĂšs leur pĂ©riple suisse, “Clear placid ” (Lehmann), ainsi que la Comtesse d’Agoult a surnommĂ© le hĂ©ros narrateur, se passionne Ă la vue de ce couple lĂ©gendaire : elle, mĂ©disante et arrogante mais fine et intelligente, lui pianiste flamboyant d’une captivante beautĂ© : son rĂ©cital Beethoven improvisĂ©, alors qu’ils sont les invitĂ©s de monsieur Ingres dans le salon de musique de la Villa Medicis est l’une des sĂ©quences captivantes du texte (chapitre X). De cette pĂ©riode heureuse et stimulante pour chacun oĂč les artistes sociabilisent dans des Ă©changes productifs mĂȘlĂ©s d’affection, Lehmann reçoit naturellement la commande du fameux portrait de Franz Liszt (1839) : icĂŽne du romantisme le plus sensible, figuration de l’humain et du divin, le tableau qui en rĂ©sulte reprĂ©sente la fiertĂ© virile d’un pianiste adolescent, adulĂ© : nouvel Adonis des salles de concerts, d’une sobre mise comme les meilleurs portraits de son maĂźtre Ingres (robe noire sur fond vert). La lumiĂšre y accroche le visage tendre et dĂ©terminĂ©, comme les doigts de la main gauche, instruments du tempĂ©rament promĂ©thĂ©en.
Lehmann ne fait pas que peindre son ami admirĂ© (comme il le fera de Gounod en une tĂȘte sublimement dessinĂ©e de profil) : il devient un proche, et le parrain tuteur du jeune fils nĂ© du couple Liszt/d’Agoult : Daniel (au destin tragique).
Les relations amicales, les dĂ©testations courtoises et intelligemment entretenues (d’Agoult / Sand), les jalousies, les espĂ©rances, la triste rĂ©alitĂ© destructrice (fin des amours entre la Comtesse et le Pianiste) vĂ©cues par le protagoniste animent un tableau historique dont la sensation du familier et de la vĂ©ritĂ© titille en permanence la curiositĂ© du lecteur. On savait Liszt, ĂȘtre exceptionnel : par le regard du jeune peintre Henri Lehmann, son visage nous est dĂ©peint avec une acuitĂ© renouvelĂ©e. L’Ă©vocation ciselĂ©e fait vivre chaque personnage historique tout en cĂ©dant au dĂ©faitisme le plus sage, signe d’une intelligence qui a vĂ©cu : les exaltations romaines se dĂ©litent bientĂŽt et le revers de la vie, entre dĂ©ception, aigreur, amertume, tristesse, sacrifice, solitude et nostalgie, prend peu Ă peu le dessus. Car Lehmann a toujours aimĂ© Marie d’Agoult, c’est son secret au point, devenant son homme Ă tout faire, de lui sacrifier son accomplissement de peintre… c’est l’option la plus romanesque du livre.
Sainte-Beuve, Delacroix croisent aussi l’itinĂ©raire du peintre trĂšs en vogue Ă Paris : il dĂ©core nombre de monuments officiels parisiens (Palais du Luxembourg actuel SĂ©nat, salle du trĂŽne ; chapelle des jeunes aveugles, actuel INJA…) et devient mĂȘme membre de l’Institut en 1864. Dans son atelier se forme nĂ©anmoins Georges Seurat (comme Rouault avait suivi l’enseignement de Gustave Moreau). Au terme de sa trĂšs convenable carriĂšre comme tenant de la tradition classique telle que dĂ©fendue par Ingres (et donc admirĂ©e par Delacroix), Henri Lehmann prend cependant en fin de texte, la posture d’un auteur dĂ©passĂ© par les soubresauts violents d’un siĂšcle devenu barbare et raciste, oĂč la culture et l’Ă©ducation ayant Ă©tĂ© sacrifiĂ©es inexorablement, ne peuvent plus maintenir l’Ă©quilibre d’une sociĂ©tĂ© plus apaisĂ©e. Un parallĂšle avec la France de ce dĂ©but 2015 ?
Roman historique certes mais surtout mĂ©moires recomposĂ©es au diapason d’une sensibilitĂ© attachante qui avait un goĂ»t pour le sacrifice. Henri Lehmann portraitiste des “premiers de leur siĂšcle”, dont Liszt, Chopin, Gounod… mĂ©ritait bien ce roman historique en forme de mĂ©moire. Passionnant.
Livres, roman. Christophe Bigot : Les premiers de leur siĂšcle (Ăditions de La MartiniĂšre) . 130 x 205 mm – 416 pages. Parution : janvier 2015 – 9782732470092. 20.90 âŹ
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Livres. Philippe AndrĂ© : Nuages gris (le dernier pĂšlerinage de Franz Liszt). Le Passeur Editeur. Au cĆur des piĂšces pour piano de Liszt, plusieurs Livres des AnnĂ©es de PĂšlerinage, commencĂ©es pendant les voyages en Suisse et Italie avec Marie dâAgout, mais augmentĂ©es et retouchĂ©es jusquâĂ la fin dâune vie si riche de celui qui Ă©tait devenu « lâabbĂ© Liszt ». De 1881 Ă 1886, Liszt compose « autrement », en « Nuages gris » pour reprendre le titre le plus « paysagiste » de cette ultime sĂ©rie au langage moderniste et mĂȘme prophĂ©tique. Philippe AndrĂ© clĂŽt par un dernier volume son Ă©tude lisztĂ©enne, aux accents bien plus larges que ceux dâune musicologie traditionnelle.
3e et 4e Ăąges novateurs
« Ce siĂšcle avait deux ans », disait Victor Hugo pour dater sa naissance au dĂ©but du XIXe ; avec Liszt, le siĂšcle en avait onze ; mais ils moururent Ă quelques mois dâintervalle (1885, 1886), le poĂšte français dans lâexaltation dâun sur-pouvoir mĂ©diatique ( deux millions de personnes Ă ses funĂ©railles nationales !), le musicien hongrois et europĂ©en, dans le relatif effacement dâune retraite quâil avait voulue plutĂŽt discrĂšte. Tous les deux avaient su conquĂ©rir leur Ă©poque en une activitĂ© torrentielle⊠Mais on ne saurait trop se mĂ©fier des immenses crĂ©ateurs parvenant au 3e, voire 4e Ăąge, tel, en ce XIXe post-romantique, un Verdi qui, Ă 80 ans, par un coup de jeune Ă©blouissant, inventera son Falstaff novateur et dĂ©chaĂźné⊠Si Hugo, en approchant du terme, insĂšre du prĂ©-impressionnisme (Le matin, en dormant) dans son Art dâĂȘtre grand-pĂšre et parachĂšve sa LĂ©gende des SiĂšcles, Liszt ne ressemble plus alors Ă aucun autre, et dâailleurs qui pourrait lui ressembler ?
Hors temps et prophétique
AprĂšs avoir passĂ© sa Glanz(Eclat)-Periode en flamboyants combats pianistiques, sâĂȘtre fixĂ© Ă Weimar, puis avoir « trifurquĂ© sa vie » (Rome, Weimar, Budapest) comme il le dit joliment, le voilĂ qui en ses cinq derniĂšres annĂ©es se consacre (sâenferme ? se confine ? jugent ceux qui ne comprennent pas) Ă une sĂ©rie â pas encore sens XXe, mais le mot est venu sous la plume ! â dâĆuvres courtes pour le clavier, oĂč lâart dâĂ©crire se fait minimaliste, hors-temps mais aussi prophĂ©tique. ConfortĂ© par sa Foi catholique, « lâabbé » nâaura dĂšs lors, et le moment venu, plus besoin dâimplorer les « Seigneurs de la Mort : ayez pitié de moi, voyageur dĂ©jĂ de tant de voyages sans valisesâŠÂ »
Rien de péremptoire
Câest cet ultime parcours dâun Voyageur que le 3e livre consacrĂ© aux AnnĂ©es de PĂšlerinage Ă©crit par Philippe AndrĂ© commente, mĂ©dite, et nous donne Ă entendre. Lâauteur de cet opus lisztien a triple vocation et mĂ©tier : musicien, sĂ»rement ; dans le « charme discret de la musicologie », aussi ; psychiatre et psychanalyste, indubitablement, Ă la ville comme Ă la campagne (languedocienne). Sa mĂ©thode dâinvestigation ne semble pas changĂ©e depuis 2010, mais la façon de cerner de «plus  petits objets Ă la limite de lâabstraction » resserre le propos. Lâapproche est toujours en recherche et en sympathie, sans rien de pĂ©remptoire, malgrĂ© la science Ă©vidente et multiple de celui qui nous guide. Les deux premiers tomes Ă©taient vouĂ©s Ă la figuration et Ă lâambulation amoureuses : Marie dâAgout, mĂȘme quand « avec le temps, va, tout sâen va », et quâil ne reste plus que « des chouettes souvenirs », suisses, italiens, picturaux ou poĂ©tiquesâŠ
Un nouveau Franz Liszt
Mais « Nuages gris » paraĂźt concerner un nouveau Franz Liszt, pour lequel le poĂšte portugais Pessoa eĂ»t trouvĂ© quelque « hĂ©tĂ©ronyme » ironique et affectueux. Et pas seulement parce quâaprĂšs Marie la flamboyante amante (et la mĂšre de trois enfants) il y avait eu avec la princesse Sayn-Wittgenstein – un rien mystico-rĂ©actionnaire â course finalement infructueuse au mariage bĂ©ni par lâEglise, puis entrĂ©e de Liszt dans son rĂŽle dâabbĂ©-sans-lâĂȘtre-tout-Ă -fait⊠Et en prime virage Ă droite de lâex-libĂ©ral-dĂ©mocrate, (qui avait Ă©tĂ© partisan dâun Printemps des Peuples europĂ©ens), sous la houlette dâune papautĂ© en collage avec la monarchie (la parenthĂšse dâaggiornamento social de LĂ©on XIII nâinterviendra quâaprĂšs la mort de Liszt⊠). Le dernier chapitre compositionnel est ainsi une sorte de finistĂšre, presquâĂźle avancĂ©e vers le large des morts, poussiĂšre dâĂźlots peu habitables pour des contemporains qui ne risquaient pas de saisir le « sens » de cet avenir. « Ce nâest pas pour vous, avait ironisĂ© Beethoven en parlant de ses derniĂšres Ćuvres, câest pour le temps Ă venir ! » Et on se rappelle que Schoenberg parla plus tard de « Brahms le progressiste » : la formule nâeĂ»t-elle pas encore mieux convenu au « dernier Liszt », qui avec son sans-trop-de-tonalitĂ©, son abandon du dĂ©veloppement pour des processus juxtaposĂ©s ou incertains de rĂȘve, sâavançait en mystĂ©rieux devenir de lâart quâil avait si Ă©loquemment cĂ©lĂ©bré ? P.AndrĂ© rappelle au passage lâusage-leitmotive de ces Nuages quâen feront Kubrick dans lâerrance de Eyes wide shut, ou des piĂšces de Ligeti et de Kagel.
Dernier pĂšlerinage
« Nuages gris », sous-titre Philippe AndrĂ© pour « PĂšlerinage de Franz sur la terre ». Câest en effet la piĂšce la plus connue â la moins inconnue ? â de la SĂ©rie, et dâailleurs la seule qui par son titre puisse se rattacher aux « paysages » antĂ©rieurs (Suisse, Italie). Le reste est plutĂŽt « état de lâĂąme » (selon la formule de lâintrospectif Suisse H.F. Amiel). Lâensemble â dâailleurs non rĂ©uni en un cycle â « parle » de vie et de mort, les entrelaçant parfois. Et parcourant cette Ă peine-heure de musique, la « mĂ©thode Philippe André », jamais dogmatique, perdure, depuis les rives des trois PremiĂšres AnnĂ©es (Suisse, I ; Italie, II ; et III, qui dĂ©jĂ tend au « philosophique ou mystique »). Ici, en « dernier pĂšlerinage », on retrouve â plus resserrĂ© avec la rĂ©duction temporelle de lâobjet dâĂ©tude â un appel cordial vers le lecteur, pour lâinciter Ă une dĂ©couverte en commun.
Les concepts philosophiques
P.AndrĂ© nâassĂšne pas la vĂ©ritĂ© unique, dâune chaire professorale que ses mĂ©rites dâĂ©rudition lui vaudraient certainement. Ses schĂ©mas dâinterrogation textuelle sont prĂ©cis, fouillĂ©s, mais ils continuent Ă questionner en avançant, comme on imagine que Liszt lui-mĂȘme improvisait, cherchait, calibrait. Si lâanalyse â le versant professionnel de lâauteur ! â conduit la dĂ©marche, celui qui est devenu lâabbĂ© Liszt, ci-devant tzigane « traĂźnant tous les cĆurs aprĂšs lui » et aussi franciscain, nâest pas mis dâautoritĂ© sur le divan : au chapitre pathologie, Schumann et ses abĂźmes cĂŽtoyĂ©s ont suffi au Dr André ! Simplement, la culture philosophique Ă©claire lâinvestigation musicienne, et rĂ©apparaissent les concepts des deux premiers tomes : lâApeiron (lâIllimitĂ©), lâHybris (la DĂ©mesure), lâespace originaire de « lâOuvert » et la Physis â Nature â de la relation Ă la mĂšreâŠ
Le chemin mĂšne vers lâintĂ©rieur
Ainsi, en se confrontant au texte musical de la SĂ©rie, est-il fait justice expĂ©ditive des imbĂ©cilitĂ©s naguĂšre pĂ©rorĂ©es sur une quelconque dĂ©gradation des facultĂ©s intellectuelles du vieillard Liszt ; Dieu ( ! ) merci, des « pianistes visionnaires » avaient au second XXe repris le chemin et montrĂ© son caractĂšre autonome, voire prophĂ©tique : « Brendel, Pollini, Zimmerman, Bonatta, RankiâŠÂ » On songe aussi au « lĂąchage » par Zola de son ami CĂ©zanne quâĂ partir dâun certain point de rupture il ne comprend plus, et travestit dans « LâĆuvre ». Et auparavant, nây avait-il pas eu Balzac pour sâinterroger sur la folie (Ă©ventuelle) de son compositeur italien exilĂ© et maudit, Gambara ? A travers lâonirisme de ces pages, et comme lâavait indiquĂ© Novalis, « le chemin mĂšne vers lâintĂ©rieur ». Et pour commencer chez Liszt ĂągĂ©, retourne au « berceau » (lors dâun voyage au village natal), Ă cette « berceuse dont la monodie est tressĂ©e en chacun de nous, en nos propres racines (oubliĂ©es) de la musique⊠et pour le bĂ©bĂ©, Ă lâinstant du bercement, ce qui le relie Ă ce qui deviendra sa transcendance originelle : sa mĂšre ».
La non-étoile
De lĂ , on ira « jusquâĂ la tombe », et le compositeur en fera poĂšme symphonique, avec Ă©pisode intercalĂ© de « chasse sauvage », oĂč le vieux Liszt « ne renĂącle pas devant le combat ». En face, le terrible Unstern (littĂ©ralement : non-Ă©toile), DĂ©sastre (mauvais astre), qui « fait pĂ©nĂ©trer dans la lumiĂšre noire » (tiens Hugo , en mourant, avait aussi parlĂ© de « lumiĂšre noire »âŠ), Ă moins que ce ne soit « le soleil noir de la mĂ©lancolie » (nervalienne), ou encore « le trou noir dâanti-matiĂšre » cher aux fantasmes dâaujourdâhui ⊠Un anti « nuages gris » en quelque sorte, oĂč « une syntaxe radicale, un paysage sans coordonnĂ©es, au seuil mĂȘme de lâirreprĂ©sentable » entraĂźnent vers « lâĂ©trange familier, qui permet de toucher Ă la rumeur de notre espace originaire »âŠOn peut songer aussi aux gravures et peintures dont alors Odilon Redon peuple lâunivers mental des Français qui savent se consacrer Ă leurs rĂȘvesâŠ
Le sublimissime gendre
Bien sĂ»r, il y a lâĂ©tape de la tombe, et au cĆur du pĂšlerinage, « la mort Ă Venise » de « R. W. », le balancement des deux Gondoles FunĂšbres. Occasion pour Philippe AndrĂ© de conter, dâune plume alerte, le sĂ©jour au Palazzo Vendramin, Ă lâinvitation de la « chĂ©rissime fille », Cosima, et du « sublimissime gendre », Richard, qui dâailleurs dĂ©clare en douce quâil ne comprend rien Ă la « folie en germe » dans les derniĂšres Ćuvres de son beau-pĂšre, surnommĂ© aussi « le roi Lear »⊠Brouilles, chamailleries, jalousie quand lâautre⊠gagne trop au whist, rĂ©conciliations autour de la Musique-malgrĂ©-tout, et puis Liszt exaspĂ©rĂ© sâen va, et puis R. W. sâen va pour toujours, « mort Ă jamais ?». Alors demeurent, en « son nom de Venise dans Bayreuth dĂ©sert », deux Gondoles, la premiĂšre, « terrible, nĂ©e sous le sceau de la fermeture », et la Seconde qui, en son espace central et « avant que lâespace se rĂ©duise Ă rien, nous raconte que lâOuvert est quelquefois plus proche que les extrĂ©mitĂ©s de la galaxie oĂč nous dĂ©sespĂ©rons de le rencontrer ».
Philosophes (et) poĂštes
Sans tapage ni solennitĂ©, voilĂ bien Philippe AndrĂ© nous rendant par son Ă©criture Ă lâespace quâil fait sien de la poĂ©sie, lui qui salue au fil des pages Hölderlin, RenĂ© Char, Michaux, AndrĂ© du Bouchet, et chez les philosophes « en langue française », ceux qui sont non moins poĂštes, Jankelevitch ou MaldineyâŠOn retrouvera le « beau, premier degrĂ© du terrible » selon Rilke, dans la description de lâĂ©nigmatique Schlafoss (Sans sommeil), mais lâapaisement sâaccomplit dans Recueillement, – rĂ©visĂ© en 1884 Ă Budapest, oĂč Liszt est malade et craint la cĂ©citĂ© â et lâultime «En RĂȘve », que P. AndrĂ© dĂ©crit sous le signe de la « pure durĂ©e » bergsonienne : Ćuvre issue dâun mouvement de sublimation, « comme nĂ©e dâune Ă©vanescence des nocturnes, sâĂ©levant au-dessus dâeux pour dire la nostalgie de leur nostalgie. »
Est-ce moi qui rĂȘve la nuit ?
En un dernier chapitre (Coda, bien sĂ»r), lâauteur rĂ©ausculte le Temps si particulier de cette fin du PĂšlerinage, – « sous lâemprise dâune circularité » ? -, un Temps, « susceptible de faire perdre Ă OrphĂ©e la notion de temps lui-mĂȘme, avec la permanence dans notre prĂ©sent du monde originaire oĂč le vĂ©cu essentiel est celui de lâespace ». Celui des synesthĂ©sies, (alias Correspondances) de Baudelaire (lui qui appelait : « O mort, vieux capitaine, il est temps, levons lâancre ! Ce pays nous ennuie, ĂŽ Mort ! Appareillons »), et aussi des discordances, des recouvrements dans la mĂ©moire (il nous revient aussi, selon le palimpseste â le « grattĂ© Ă nouveau » – de la couche des souvenirs que les « affichistes », Hains ou VilleglĂ©, ont explorĂ© depuis les annĂ©es 60)âŠ
La conception de lâOuvert
Et selon cette conception de lâOuvert pour laquelle P. AndrĂ© « milite » discrĂštement, invitant le lecteur Ă prolonger la dĂ©marche, il nous importe quâun maĂźtre-livre comme celui dâAlbert BĂ©guin, LâAme romantique et le RĂȘve- 1937 ! -soit citĂ© ici, en sa magnifique Introduction : « Est-ce moi qui rĂȘve la nuit ?… Faut-il croire que jâassiste Ă la danse incohĂ©rente, honteuse, misĂ©rablement simiesque des atomes de ma pensĂ©e ? », reliant ainsi (via Armin : « Les Ćuvres poĂ©tiques ne sont pas vraies de cette vĂ©ritĂ© que nous attendons de lâhistoire ») lâimmense Liszt rĂȘveur Ă un romantisme allemand oĂč se ressourcent aussi, malgrĂ© la distance temporelle et culturelle, ses « derniĂšres Ćuvres pianistiques ». Tout autant que celles-lĂ envoient, comme le disait le compositeur, « un javelot dans lâavenir », un avenir « dĂ©livré » non seulement de lâordre tonal , mais de la conduite « ordinaire » des pensĂ©es dĂ©veloppĂ©es, prĂ©-Ă©tablies, Ă©chappant Ă la magnifique libertĂ© onirique.
Philippe AndrĂ© : « Nuages gris », le dernier pĂšlerinage de Franz Liszt, collection Sursum Corda, Editeur Le Passeur. ( 165 p. ; 2014 ) Les deux premiers tomes des AnnĂ©es de pĂšlerinage (dâabord Ă©ditĂ©s en livre chez AlĂ©as) sont disponibles en e-books, Alter-Ă©ditions.
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