COMPTE-RENDU, critique. PARIS, le 15 déc 2019. Récital Cecilia Bartoli : FARINELLI (Musiciens du Prince / G Capuano).

farinelli cecilia bartoli fall septembre 2019 annonce cd review critique classiquenews DECCA cd critiqueCOMPTE-RENDU, critique. PARIS, le 15 déc 2019. Récital Cecilia Bartoli : FARINELLI (Musiciens du Prince / G Capuano). A Paris, la mezzo romaine Cecilia Bartoli incarne le légendaire Farinelli, accompagnée de ses « Musiciens du Prince » sous la baguette du chef baroque, Gianluca Capuano (lequel avait réalisé avec le duo Caurier / Leiser, un Couronnement de Poppée / Incoronazione du Poppea de Monteverdi, mémorable à l’Opéra de Nantes oct 2019).

La diva ne paraît pas grimée en homme barbu, – testostéronée telle qu’elle pose en couverture de son cd FARINELLI édité début novembre 2019 chez Decca… Dommage. Mais pour mieux exprimer la charge hautement dramatique de chaque rôle, la diva comédienne, sait changer de costumes selon les airs sélectionnés, profitant des « pauses » purement instrumentales, qui rythment aussi le récital parisien.

La majorité des épisodes lyriques sont extraits du cd Farinelli : ils ont tous été chanté par le divo au XVIIIè signés des compositeurs les plus importants dans l’histoire des castrats : Haendel, Porpora, Caldara Vinci, Hasse, les moins connus Caldara et Giacomelli. Castrat oblige, la manière napolitaine triomphe : toujours plus haut, toujours plus rapide ; la virtuosité bataille avec l’agilité ; la versatilité des sentiments, avec la souplesse parfois contorsionnée de la ligne vocale.

 

 

 

PARIS, BARTOLI, FARINELLI

 

 

 

Bartoli engage un récital passionnant avec ses moyens actuels : moins agiles, moins naturellement brillants, mais plus rauques parfois, avec une couleur sombre générale qui enrichit son médium et rend ses aigus d’autant plus intenses, voire tendus, toujours d’une fragilité maîtrisée, comme sont ses phrasés, et sa compréhension du legato, souverains. Travestie (Imeneo de Porpora), la chanteuse trouble par ce grain vocal d’une mâle et souple expressivité qui exprime l’enivrement amoureux.
Elle joue avec sa voix, mais jamais ne perd le fil dramatique ni le sens et le caractère de chaque personnage comme de chaque situation ; elle est, tragique et noble, Cléopâtre (Hasse et Haendel) ; tendre et d’une douceur caressante et pastorale (« Augeletti », Rinaldo de Haendel) ; saisissante et frissonnante dans l’ample prière sombre de « Sposa, non mi conosci » (Merope de Giacomelli, vraie révélation entre autres).
La future directrice de l’Opéra de Monaco (à partir de 2023) démontre l’intelligence vocale et dramatique, l’attention au texte, le souci de la cohérence et du sens de l’intonation que peu de divas actuelles maîtrisent avec autant de nuances. Aujourd’hui, l’évolution de la voix de la diva correspond au choix des airs de ce programme : Farinelli castrat soprano était connu pour sa couleur étonnamment sombre, riche et percutante dans les airs de langueurs funèbres, les prières tragiques et intérieures, supposant souffle et perfection de la ligne. Même constat et diagnostic pour Cecilia Bartoli dont l’intelligence du chant subjugue toujours. Jusqu’au jeu des instrumentistes dont la tenue (Concertos et Sinfonie) est impeccable, en fluidité comme en rebonds.
La caresse enveloppante « vivaldienne » de Merope de Broschi (Riccardo, frère de Farinelli qui s’appelait aussi Carlo Broschi) s’avère ici des plus bouleversantes, à la fois implorante et d’une tendresse déterminée.
Les interprètes sont riches en bis, à la mesure de leur complicité et de leur talent vers le public : tous communient enfin avec Haendel (Ode for St. Cecilia’s Day et surtout,  « Dopo notte » de l’opéra Ariodante), et l’époustouflante et trépidante aria de Porpora (Adelaide). Avec ses consœurs Vivica Genaux et récemment Ann Hallenberg, Cecilia Bartoli s’impose comme l’une des meilleures voix farinelliennes de l’heure. Un nouveau succès pour son dernier disque.

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COMPTE-RENDU, critique. PARIS, Philharmonie (Salle Boulez), le 15 déc 2019. Récital Cecilia Bartoli : FARINELLI (Musiciens du Prince / G Capuano)

LIRE aussi nos premières impressions critiques du cd FARINELLI / Cecilia BARTOLI (Decca)
http://www.classiquenews.com/cd-evenement-premieres-impressions-farinelli-cecilia-bartoli-1-cd-decca/

 

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VIDEO Farinelli Cecilia Bartoli

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CD, événement, premières impressions. FARINELLI : CECILIA BARTOLI (1 cd DECCA)

farinelli cecilia bartoli fall septembre 2019 annonce cd review critique classiquenews DECCA cd critiqueCD, événement, premières impressions. FARINELLI : CECILIA BARTOLI (1 cd DECCA). Annoncé début novembre 2019, c’est le cd de tous les défis pour la mezzo italienne qui s’affiche en double de Conchita Wurst, ou du Christ barbu … accusant le travestissement que suppose son emploi comme ses nouveaux « exploits » : retrouver la couleur vocale des castrats du XVIIIè, ces chanteurs castrés à Naples dont les effets de gorges ont ébloui les opéras baroques signés Porpora, Broschi, Haendel et autres… Sur les traces du castrat Carlo Broschi dit Farinelli (1705 – 1782), la diva Bartoli met l’accent sur la virtuosité, le timbre spécifique – ambivalent et droit-, la faculté à incarner un personnage… Ici, avec des moyens plus réduits, une émission moins brillante (et des aigus plus tendus), la diva romaine, Cecilia Bartoli réussit néanmoins à convaincre grâce à la justesse de l’intonation, la profondeur convaincante de ses incarnations, une fragilité dans la tenue du timbre. Son chant intense et sombre brille en particulier dans les emplois tragiques (Cléopâtre…). Un air nous semble se distinguer par sa force dramatique et la coloration tragique infinie que l’interprète est capable d’y déployer (« Lontan… Lusingato dalla speme », extrait du Poliphemo de Porpora : sorte de lamento de 8mn au coeur du programme) : la coloratoura se pare de mille nuances expressives qui colorent avec finesse, une incarnation qui soupire et sombre dans la mort et le renoncement. Un absolu irrésistible et l’un des joyaux de ce nouveau récital lyrique édité par DECCA.

 

 

premières impressions

divine CECILIA BARTOLI …
sur les traces de l’ange Farinelli

 

 

 

 

Bartolomeo Nazarie - Portrait of Farinelli 1734 - Royal College of Music LondonAinsi ressuscite le chant de Farinelli, ce maître chanteur qui jusqu’à la fin de sa vie sut envoûter les grands de son époque dont les souverains espagnols à Madrid alors que Domenico Scarlatti était le maître de clavecin atitré. Un âge d’or du beau chant permis aussi par l’inspiration d’un compositeur napolitain de première valeur, Nicola Porpora, -né en 1686, vrai rival de Handel à Londres dans les années 1730, et qui dans ce récital très attendu a la part belle : pas moins de 5 airs ici sur les 11, dont 3 sont extraits de Poliphemo ; n’est-il pas avec le frère du chanteur vedette – Riccardo Broschi, le compositeur préféré de Farinelli ? De toute évidence fidèle à son travail de défrichement, Ceilia Bartoli pousruit l’exhumation de signatures virtuoses pour l’opéra ; hier, il s’agissait de Steffani. Aujourd’hui, jaillit le diamant expressif et dramatique de Porpora, professeur de chant à Naples des castrats Farinelli, Senesino, Porporino…, adulé à Londres, maître de Haydn, mort oublié en 1768 (à 81 ans). La diva romaine sait rendre hommage à travers ce portrait vocal de Farinelli à Porpora, génie napolitain dans le genre seria.

Voici nos premières impressions avant la grande critique du cd FARINELLI à paraître le 8 novembre 2019.

1 – Porpora / Polifemo : air d’exaltation et de jubilation comme d’espérance amoureuse (éclairé par les trompettes victorieuses) où s’affirme l’agilité acrobatique de la voix coloratoure.

2 – Porpora / La Festa d’Imeneo : plus intérieur, comme enivré par un rêve amoureux, l’air rappelle la maîtrise du souffle et la lisibilité comme la tenue de la ligne vocale, aux couleurs d’une tendresse extatique / expression d’un ravissement (« Vaghi amori, grazie amate »), déjà entendue dans le film Farinelli.

3 – Hasse : Marc’Antonio e Cleopatra. La mezzo exprime les vertiges d’une amoureuse trahie, en fureur, prête à mourir sur le trône. Le portrait d’une Cléopâtre qui assène par vocalises et coloratoure ascensionnels, l’intensité de sa colère et l’ampleur de sa détermination,à la fois héroïque et déjà fatale. Dans cet emploi de femme forte, passionnelle, exacerbée, radicale, « La Bartoli » captive par son chien et son abattage dramatique. La justesse de sa couleur et du caractère vocal s’imposent naturellement.

FARINELLI-cecilia-bartoli-classiquenews-cd-critique-review-farinelli-cecilia-bartoli-fall-septembre-2019-annonce-cd-review-critique-classiquenews-DECCA-cd-critique4 – Porpora / Polifemo : « Lontan… lusingato dalla speme ». Voilà assurément comme on l’a dit précédemment, le joyau du programme (et qui nuance l’image d’un Porpora uniquement virtuose et acrobatique). Contraste oblige, à la fureur de Cléopâtre (de Hasse qui précède) répond la tendresse de cet air plus intérieur, dont la couleur est celle d’une âme touchée au cÅ“ur… tel un rossignol qui soupire. Ce positionnement vocal dans le medium grave et sombre s’amplifie encore dans l’air, long lui aussi plus de 8 mn de Giacomelli : « Mancare o Dio mi sento » (Adriano in Siria, plage 7).

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Notons parmi les autres perles de ce récital événement : La morte d’Abel de Caldara : « Questi al cor finora ignoti » / Ces cœurs inconnus jusqu’à présent… prière épurée comme une extase dans la mort et d’une couleur elle aussi sombre qui fait surgir le relief du texte.

HASSE : Marc Antonio e Cleopatra : « A Dio trono, impero a Dio » (plage 10). Le relief du recitatif et l’ampleur dramatique, la couleur tragique de l’air qui suit, exprime cette échelle des passions d’une irrépressible intensité qui va crescendo et qui s’accomplit, entre imprécation et combat, rage et ardeur hallucinée, dans l’architecture des vocalises, portées par la coloratoure de la mezzo romaine. Un parlé chanté : « Addio trono… » qui témoigne de la résistance de la reine à renoncer. Bartoli ne chante pas, elle incarne et exprime avec une intelligence du texte (ce que ne font pas la majorité de ses consœurs)

et la fin : Porpora : Polifemo : « Alto Giove », rendu célèbre par le même film Farinelli. Parce qu’il y faut maîtriser l’intensité et la longueur du souffle, une spécialité de Farinelli, outre sa couleur étonnamment sombre pour un castrat soprano). Sans omettre l’ambitus de la tessiture (jusqu’à 3 octaves et demi) et qui dans la bande originale du film cité, exigeait deux chanteurs (soprano et contre ténor). Cecilia Bartoli personnifie l’épaisseur du personnage ; creuse l’interrogation en suspension de la souveraine atteinte.

Un nouveau programme qui s’annonce d’autant plus réussi que support idéal aux lignes tragiques de la diva diseuse, si proche du texte, les instrumentistes d’Il Giardino Armonico, sous la direction de leur fondateur et directeur musical Giovanni Antonini, suivent les pas de la tragédienne qui articule, nuance en mille demi teintes graves, hallucinées, la charge émotionnelle de chaque texte. Un continuo essentiellement composé de cordes, où les cuivres et les bois sont rares. A suivre. Grande critique le jour de la parution du cd FARINELLI par CECILIA BARTOLI, annoncé le 8 nov 2019.

 

 

 

farinelli cecilia bartoli fall septembre 2019 annonce cd review critique classiquenews DECCA cd critique

 

 

 

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LIRE aussi notre annonce du cd FARINELLI par CECILIA BARTOLI

 

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 Farinelli jeune (DR)

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Livre événement, annonce & critique. Domenico Scarlatti, par MARTIN MIRABEL (Actes Sud, 2019)

domenico-scarlatti-portrait-classiquenews-portrait-concert-festival-critique-classiquenewsLivre événement, annonce & critique. Domenico Scarlatti, par MARTIN MIRABEL (Actes Sud, 2019). L’oeuvre dévoile et précise le profil d’un auteur qui se dérobe… La question est donc posée : Mais qu’est-ce qu’une sonate de Scarlatti ? « Un monde miniature. L’infiniment grand dans l’infiniment petit. Un télescope dans lequel on voit se mouvoir les planètes dans un univers en expansion. De la vie condensée et de la fantaisie cadenassée par les mathématiques.Des “comprimés de bonheur†comme écrivait Giono… Et beaucoup d’autres choses que l’on va découvrir dans cet ouvrage…. « . Complétons la présentation de l’éditeur, en particulier l’expression de l’amour secret inavoué du maître professeur pour son élève si douée, Maria Barbara, jeune princesse de Lisbonne, bientôt Reine d’Espagne.
Chacune des 555 Sonates de Domenico Scarlatti le fils (1685 – 1757) ne serait-elle pas le fruit d’un pacte secret, entre la souveraine et le compositeur qui fut son professeur de clavecin depuis sa première adolescence ? En explicitant la genèse de ces Å“uvres inclassables, pochades dont la rapidité fulgurante le dispute à la volubilité expressive, l’auteur, dans un style remarquablement fluide – comme l’art de Domenico, touche au plus juste : ce qui fonde ici l’amitié et l’estime entre le serviteur et la reine ; le mentor et la bien née inacessible, et pourtant si complice.
La figure de Carlo Broschi, c’est à dire Farinelli lui même, le plus grand sopraniste et castrat napolitain du XVIIIè croise le chemin et la destinée romanesque de ce couple impossible. Dans une relation intime avec le couple royal, Maria Barbara et son époux Ferdinand VI en poste à Madrid dès 1746, Domenico livre toute la musique personnelle, de connivence avec le responsable des divertissements royaux, Farinelli. On se prête alors à fantasmer aux duos savoureux entre Farinelli et la Reine accompagnés par Scarlatti II au clavier.
scarlatti domenico biographie portait livre martin mirabel actes sud critique review livre classiquenewsPersonnalité lunaire, presque saturnienne même, c’est à dire rêveuse, secrète et pudique, Scarlatti se dévoile à pas comptés dans un texte qui ressuscite le cercle de ses proches, les acteurs de sa vie musicale : sa rencontre avec son futur disciple à Madrid, Padre Soler qui sous la dictée du Maître, copie chaque Sonate pour les archives de la Reine (aujourd’hui 15 volumes conservés à Venise, et qui furent ainsi vendus après la mort de Farinelli en 1782, récupérés par la Sérénissime pour la Marciana). Mais si Scarlatti l’homme a gardé ses secrets (dure relation avec le père ; trop discrète vie sentimentale, ses goûts musicaux, etc…), l’impact de son art, la fascination qu’exercent toujours ses exercices improvisés, heureusement notés pour partie dans les partitions qui nous sont parvenues (Essercizi) produisent un effet immédiat dès après sa mort : comprenant qu’ils ont affaire à un génie du clavier, avec Bach, Clementi, Liszt, - Chopin même, le jouent, le comprennent, l’estiment. Plus tard, Schumann admiratif, en transmet le culte au jeune Brahms, qui aimera consulter et jouer les presque 250 essercizi de sa collection personnelle. Mais au delà de la virtuosité technique que Scarlatti pose d’emblée à tout interprète défricheur, comme condition sinequanon, Wanda Landowska, la pionnière pour sa réhabilitation au début du XXè rétablit le lien vital qui unit la musique dansante de Scarlatti avec la rue grouillante et populeuse. La vie plutôt que la sophistication muséale. La pulsion du désir plutôt que la technicité métronomique… Le secret de Scarlatti est là : exprimer le flux du sang, la vitalité suractive des artères, la saine palpitation de la rue bariolée. Texte captivant et limpide. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2019.

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CLIC D'OR macaron 200Livre événement, annonce & critique. Domenico Scarlatti, par MARTIN MIRABEL (Actes Sud, 2019) – 10,0 x 19,0 / 176 pages – ISBN 978-2-330-12225-6 – Prix indicatif : 17 € – CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2019

CD événement, annonce. FARINELLI par CECILIA BARTOLI (DECCA, 8 nov 2019)

CD événement, annonce. FARINELLI par CECILIA BARTOLI (DECCA, 8 nov 2019)… Le nouveau disque de la mezzo romaine CECILIA BARTOLI est dédié au castrat légendaire Farinelli, soliste d’exception, champion de la troupe de Porpora à Londres dans les années 1730, au grand dam de Haendel son rival qui ne pouvait lui compter que sur le lustre virtuose du castrat Caffarelli… Après des récitals titres défendus par ses confrères Jaroussky, surtout Vivica Genaux ou Ann Hallenberg, vraies tempéraments pour ce répertoire riche en acrobaties vocales, Cecilia Bartoli prolonge dans ce nouveau programme « FARINELLI » (annoncé le 8 novembre 2019), son précédent album intitulé SACRIFICIUM (2009) où la diva dénonçait le sort de milliers de garçons à Naples, soumis à l’épreuve ignoble et dangereuse de la castration.
Après la dénonciation (2009), voici le temps de la … jubilation (soit 10 ans plus tard), celle incarnée par celui qui incarne l’âge d’or du beau chant napolitain du XVIIIè et qui fut adulé tel un dieu vivant à la Cour de Madrid où à l’invitation de la Reine Isabelle, Farinelli chantait uniquement pour le souverain Philippe V, dépressif et malade.. (deux airs de l’Artaserse de Hasse… chaque soir) puis pour Ferdinand VI, sa voix ayant gagné en profondeur et gravité, arborant moins d’artificielle virtuosité.

farinelli cecilia bartoli fall septembre 2019 annonce cd review critique classiquenews DECCA cd critique10 ans après SACRIFICIUM… Sur la cover de l’album, Cecilia Bartoli paraît travestie en homme mûr et brun, latin, barbu… ce qui n’a pas manqué de susciter de vives réactions… La diva italienne a semé le trouble parmi ses fans, certains en mal de références plus anciennes, n’hésitant pas à comparer son visage à celui du chanteur travesti autrichien Conchita Wurst. Alors Cecilia farinellisée serait-elle plus Wurst ou christique ? Vaine polémique pour celle qui s’exhiba crâne chauve et pistolet dégainé quand il fallait légitimement ressusciter le génie du compositeur baroque Agostino STEFFANI, (CD « MISSION » 2012) ; s’agissant aussi d’une diva habituée à se travestir comme actrice dans maintes productions lyriques… En réalité, son nouveau look barbu syriaque n’a rien à voir avec les portraits officiels de Farinelli, plutôt très soigné, perruqué, poudré… De toute évidence, la cantatrice n’en est pas à sa dernière transformation. Ce qui compte reste la qualité et la pertinence de sa lecture des airs pour Farinelli, là où tant d’autres chanteurs se sont risqués. Vivaldienne et Gluckiste, Haendélienne et Steffanienne, la diva de tous les défis, relèvera-t-elle celui de Farinelli ? Réponse dans notre prochaine critique à venir dans le mag cd dvd livres de classiquenews, d’ici début novembre 2019. Et peut-être avant, en avant-goût, nos premières impressions du cd reçu, avant la grande critique développée… A suivre…

 

 

 

 

 

Programme annoncé : 12 airs des opéras de Brischi, Porpora, Giacomelli, Caldara, Hasse…

‘Nell’attendere mio bene’ from Polifemo by Porpora

‘Vaghi amori, grazie amate’ from La festa d’imeneo by Porpora

‘Morte col fiero aspetto’ from Marc’Antonio e Cleopatra by Hasse

‘Lontan… Lusingato dalla speme’ from Polifemo by Porpora*

‘Chi non sente al mio dolore’ from La Merope by Broschi

‘Come nave in ria tempesta’ from Semiramide regina dell’Assiria by Porpora

‘Mancare o Dio mi sento’ from Adriano in Siria by Giacomelli

‘Si, traditor tu sei’ from La Merope by Broschi*

‘Questi al cor finora ignoti’ from La morte d’Abel by Caldara

‘Signor la tua Speranza… A Dio trono, impero a Dio’

from Marc’Antonio e Cleopatra by Hasse

‘Alto Giove’ from Polifemo by Porpora

* world premiere recording

 

 

farinelli cecilia bartoli fall septembre 2019 annonce cd review critique classiquenews DECCA cd critique

 

 

 

A propos de Farinelli et l’art des castrats…
LIRE aussi sur Classiquenews

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CD SACRIFICIUM (DECCA, 2009)
http://www.classiquenews.com/cecilia-bartoli-sacrificium2-cd-decca/

CD MISSION : Agostino STEFFANI (DECCA, 2012)
http://www.classiquenews.com/cecilia-bartoli-chante-agostino-steffani1-cd-mission-decca/

CD, compte rendu critique. FARINELLI, a portrait / un portrait, par Ann Hallenberg (Aparte, Live in Bergen, 2011)
http://www.classiquenews.com/cd-compte-rendu-critique-farinelli-a-portrait-un-portrait-par-ann-hallenberg-aparte-2011/

CD. Franco Fagioli : Arias for Caffarelli (1 cd Naïve)
http://www.classiquenews.com/cd-franco-fagioli-arias-for-caffarelli-1-cd-naive/

CD. Philippe Jaroussky. Airs de Porpora pour Farinelli (1 cd Erato)
http://www.classiquenews.com/cd-philippe-jaroussky-airs-de-porpora-pour-farinelli-1-cd-erato/

 

 

 

 

 

Portrais d’époque de Farinelli

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Il n’y a pas de rapport direct entre le visuel barbu choisi par Cecilia Bartoli et les portraits historiques du castrat napolitain Farinelli, plutôt connu pour son visage poupin et glabre…

 

 

 

FARINELLI portrait classiquenews Jacopo_Amigoni_-_Retrato_de_Carlo_María_Broschi,_Farinelli_-_Google_Art_Project

 

Bartolomeo Nazarie - Portrait of Farinelli 1734 - Royal College of Music London

Portrait de Farinelli (Carlo Broschi) – DR

 
 

VENISE, cité de la musique sur ARTE

arte_logo_2013ARTE. Mer 28 nov 2018, 22:30. Ce soir, pleins feux sur la Venise musicale, celle libérée, parfois lincencieuse du plein XVIIIè. En liaison avec le sujet de l’exposition au Grand Palais, « Venise l’insolente », c’est à dire la capitale des plaisirs encensée par Casanova et depuis quelques années, Philippe Sollers, le documentaire présenté par Arte se concentre sur les éléments et caractères qui ont forgé le mythe de Venise au XVIIIè. Carnaval, libertinage… la sereine République vit au XVIIIè son déclin économique (surtout commercial et méditerranéen, depuis le milieu du XVIIè), mais connaît un essor remarquable des arts. Le terreau est riche et familier car déjà au XVIIè, Venise a inventé les délices de la musique instrumentale, et surtout l’opéra public (dès 1637), offrant aux compositeurs les plus doués, un écrin désigné : Monteverdi puis Cavalli. Au XVIIIè, dans son premier tiers, officie et triomphe Vivaldi (presque 500 concertos et pas moins de 45 opéras), virtuose du violon (les Quatre Saisons), maître de choeur à l’Ospedale della Pietà, bientôt détrôné par les Napolitains, partout favoris dans les cours européennes. Porpora et Hasse y fixent cet engouement des styles venus de Naples : désormais l’opéra ne sera plus vénitien vivaldien mais napolitains.

 

 

VENISE EBLOUISSANTE : le XVIIIè retrouvé

 

 

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A l’époque des castrats, – fleurons des opéras du jeune Haendel, alors en formation en Italie, se développe toujours l’activité des orphelines musiciennes des Ospedale de Venise, institutions charitables où instrumentistes et chanteuses se produisent derrière des grilles de pudeur, suscitant chez les auditeurs, dont Jean-Jacques Rousseau, des vertiges et fantasmes délirants, objets de spasmes extatiques demeurés célèbres. La passion des voix divines se focalise surtout sur le cas de Carlo Broschi dit Farinelli, sopraniste légendaire qui enchante ensuite à Madrid les nuits d’insomnies du roi Philippe V ; et sur la diva Faustina Bordoni, soprano vedette qu’a peint la portraitiste pastelliste, Rosalba Carriera. Au XVIIIè, Venise incarne un âge d’or de la civilisation, où ce sont les musiciens et compositeurs qui fascinent, moins les peintres (à la différence du XVIIè). Pourtant l’intérêt de l’exposition parisienne est de dévoiler l’essor des peintres tels Piazzetta aux côtés des plus illustres vedutistes, Guardi et Canaletto… Documentaires événement.

 

 

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ARTE, Venise, la cité de la musique (XVIIIè). Merc 28 nov 2018, 22h30. Autour de l’exposition présentée à Paris au Grand Palais : «  Venise l’insolente ». LIRE aussi notre présentation de l’exposition VENISE L’INSOLENTE

 

 

CD. Franco Fagioli, contre ténor. Porpora il maestro (1 cd Naïve, juin 2013).

fagioli franco porpora cd naive il maestro porporaCD. Franco Fagioli, contre ténor. Porpora il maestro (1 cd Naïve, juin 2013). En moins de 5 ans, – un micro intervalle dans l’histoire d’une carrière, le contre ténor Franco Fagioli dit “monsieur Bartoli”, parce qu’il partage avec la diva romaine, le tempérament dramatique, le feu éruptif, l’intensité et jusqu’à la couleur du timbre…-, est devenu un phénomène – osons le dire, beaucoup plus intéressant que Philippe Jaroussky qui se cantonne par exemple et de dépuis le début de son parcours musical et lyrique toujours au même registre (larmoyant et langoureux : cette réserve n’ôte rien à son talent). en revanche dans le cas de Fagioli, l’étendue des possibilités expressives est indiscutablement plus large, l’étoffe vocale comme le tempérament, plus novateurs et audacieux.

Parmi les contre ténors de la nouvelle génération (avec David Hansen, autre personnalité saisissante mais lui sopraniste), Fagioli fait figure de modèle par son audace, sa volonté d’en découdre à chaque récital ou rôle lyrique … comme s’il jouait sa vie sur l’instant.  En abordant à ce moment de sa carrière, pourtant encore courte, l’immense dieu de la voix et du chant napolitain, Niccolo Porpora (1686-1768), maître et mentor des Farinelli, Senesino, ou Cafarelli (soit les plus grands castrats du XVIIIème)-, Fagioli s’inscrit d’emblée très haut dans l’intention et l’interprétation : ses moyens sont certes très grands. De fait, le résultat satisfait la promesse qu’il a laissé suspendue, tant par l’intelligence stylistique, que l’audace surtout, et l’imagination des moyens vocaux: le chanteur affirme ici un sacré tempérament.

Dans son hommage à Porpora, Franco Fagiolo affirme un tempérament vocal irrésistible

Monsieur Bartoli embrase la lyre porporienne…

CLIC D'OR macaron 200Comme galvanisé par l’écriture elle-même pyrotechnique et acrobatique du compositeur napolitain, Fagioli se dépasse lui-même (trilles, coloratoure, ligne vocale illimitée, sauts d’intervalles, passages entre les registres, agilité comme expressivité, projection comme intonation…) tout relève chez Fagioli d’un interprète au calcul millimétré qui rétablit la pure virtuosité technicienne avec la profondeur et la vérité poétique. alliance auparavant incertaine, désormais réalisable, c’est un exemple pour tout.
Fagioli semble faire renaître par son intensité et cette couleur si habitée ce bel canto spécifique incarnée au XVIIIè par Cafarelli ou Farinelli, divinis, diseurs et acrobates capables ne l’oublions pas d’enchanter et d’apaiser la torpeur mélancolique du Roi d’Espagne Philippe V. Le plus grand maître de chant à son époque … on veut bien le croire à l’écoute du seul premier air de Valentiniano extrait d’Ezio (un standard de l’opéra seria métastasien mis  en musique par tous les grands dont Handel ; Porpora rétablit immédiatement la pure virtuosité avec les inflexions intérieures d’une âme agitée conquérante qui exprime sa vision de l’aigle victorieux… Agité et même inquiet, l’air de Scitalce (vorrei spiegar l’affanno) de Semiramide riconosciuta développe à travers un air long (plus de 6mn), la panique intérieure d’une âme touchée, en pleine effloresence émotive que le timbre épanoui, flexible, agile du contre ténor argentin embrase littéralement.

fagioli franco opera magazine Porpora_04Les deux airs les plus longs de ce récital porporien (qui donne la mesure du génie virevoltant éclatant d’un Porpora, – vrai rival de Haendel à Londres dans les années 1730, donne la pleine idée du talent dramatique de Fagioli et de sa souplesse vocale dans des cascades de vocalises et des aigus étourdissants, couverts et longs, soutenus avec une intensité égale (une performance admirable!) : d’abord: l’air d’Adalgiso extrait de Carlo il Calvo : Spesso di nubi cinto (plus de 7mn45) : un air qui use de la métaphore solaire avec une finesse éloquente et une caractérisation scintillante à laquelle Fagioli maître absolu des vocalises en mitraillette apporte une sincérité de ton, irrésistible. L’ultime séquence est la plus longue (presque 10 mn : air de Vulcain de Vulcano, cantate a voce sola : non lasciar chi t’ama tanto… il exprime avec pudeur et subtilité le désarroi d’un Vulcain impuissant, démuni, épris de l’inaccessible Venus (qui lui préfère Mars): jouant moins sur l’acrobatie, l’écriture offre des variations de couleurs sur la tenue de la voix dont le vibrato et l’accentuation doivent être millimétrés. Imaginer un Vulcain en contre-ténor et non plus en basse ou bayrton profond relève d’une sensibilité juste : la couleur même de la voix trahit l’émotion et l’impuissance du dieu amoureux…  Ici rien d’affecté ni d’artificiel grâce à la maîtrise exemplaire du souffle et de la ligne, des trilles tenues, des passages sur la durée.. en un arc tendu, souverrain d’un esprit funambulesque. La voix exprime l’intensité de l’âme éprouvée avec un tact et une élégance étonnante… qui font le brio et l’éclat intérieur de ce style galant dont Porpora est passé maître depuis Venise dans les années 1720, puis qu’il a ensuite développé à Londres.
Evidemment, l’ombre du grand Farinelli, l’élève et la créature favorite du système Porpora, est évoqué dans l’air de Polifemo (1735), composé à Londres  pour le castrat légendaire : dans le 2 airs sélectionnés (Nell’attendere il mio bene puis alto Giove…), le berger Acis chante son émoi nouveau à l’idée de l’apparition de la belle Galatée… il remercie ensuite Jupiter / Giove en un air de gratitude, littéralement irradié. L’ivresse, l’extase qui se dégagent du chant d’un Fagioli ému, pudique (bien à rebours de la soi disante artificialité d’un Porpora rien que performant et creux) emportent toute réserve : la franchise et l’intensité du timbre, l’égalité du souffle, la couleur du timbre s’imposent d’eux mêmes. Jamais démonstratifs ou surexpressifs, les instrumentistes de l’Academia Montis Regalis dirigés par Alessandro de Marchi savent s’inscrire au diapason de ce chant mesurée, fin, subtil. Voici l’affirmation d’un immense vocaliste et d’un interprète au chant irrésistible.

fagioli franco porpora cd naive il maestro porporaFranco Fagioli, contre-ténor. Propora il maestro : airs d’opéras de Niccolo Porpora : Carlo il calvo, Didone abbandonnata, Ezio, Il ritiro, il verbo in carne, Meride e Selinunte, Polifemo, Semiramide riconosciuta, Vulcano (cantate). Academia Montis Regalis. Alessandro De Marchi, direction. Enregistrement réalisé en juin 2013 à Mondovi (Italie). 1 cd Naïve V 5369.

CD. Rivals : David Hansen, contre ténor(1 cd DHM)

Rivals. David Hansen, contre-ténor
1 cd DHM (De Marchi, 2013)

Le titre renvoie à cette rivalité historiquement documenté, opposant les divos à l’heure baroque, quand Farinelli et d’autres n’hésitaient pas à se mesurer pour les écraser à leurs confrères tout aussi arrogants et déterminés. Cohérent avec le titre de cet album décoiffant, l’australien David Hansen faisant son entrée tonitruante dans l’arène discographique surprend ici et convainc totalement ; il rivalise donc, cd interposé, avec son contemporain Philippe Jaroussky, lui-aussi récent acteur d’un programme dédié au castrat italien légendaire (quand Fabio Fagioli préfère lui rendre hommage au divo handélien par excellence, Cafarelli).
David Hansen a une voix bien accrochée,plutôt intense et puissante avec une intensité à la Bartoli, un éclat même supérieur et une agilité toute aussi pétaradante. C’est dire le tempérament du jeune homme, l’égal dans ce répertoire d’un autre admirateur de la diva romaine, le déjà nommé “FF” ou Fabio Fagioli (surnommé depuis non sans raison, ” il Bartolo “).

David HansenInspiré par les Cafarelli, Farinelli, Bernacchi et Manzuoli, Hansen ose tout, se risque souvent, et relève les défis multiples de ce récital hors normes.
En outre, audacieux défricheur, Hansen nous gratifie généreusement de plusieurs inédits dont quelques airs que le frère de Farinelli, Carlo Broschi, composa pour son parent prodigieux… (Son qual Nave… restitué avec les notations du créateur de l’air).
Plein de santé juvénile et osons dire de testostérone prête à dégainer vocalement, le divo au look ravageur a décidément tout pour réussir et affirmer une très plaisante carrière. Les Cencic ou Scholl connaissent à présent leur successeur. Ce gars là a apparemment une présence, bientôt scénique, à revendre : voilà qui changera des voix étroites au physique maladroit. Pour ses prises de risques, son sens de l’équilibre sur le fil, ce disque est exemplaire et si le talent se confirme ici, voici à n’en pas douter l’un des meilleurs représentants de la jeune génération de haute contre réellement sensationnels.

CD. Philippe Jaroussky. Airs de Porpora pour Farinelli (1 cd Erato)

CD. Philippe Jaroussky. Airs de Porpora pour Farinelli (1 cd Erato)   … Après un précédent album Virgin classics dédié au mezzo ample de Giovanni Carestini (1705-1760), rival de Farinelli et castrat vedette de Haendel à Londres, le phénomène Philippe Jaroussky s’intéresse pour le label Erato ressuscité, au mythe castrat, Farinelli dont on sait combien sa flexibilité de sopraniste avait ébloui à son époque. A la source du miracle Farinelli, Nicolo Porpora, compositeur qui fut son maître et son mentor à Naples pendant sa formation de chanteur. Car il s’agit aussi de restaurer la stature et l’oeuvre de celui qui façonna Farinelli à Naples : Porpora.

Porpora_farinelli_philippe_jaroussky_visuel_porpora2Jaroussky privilégie surtout les airs que Porpora a composé pour son élève favori, le plus doué de sa génération, ceux spécifiquement doux, centraux, plutôt lyrique voire élégiaque c’est à dire d’une virtuosité médiane, plutôt confortable pour sa tessiture : en témoigne le très développé air d’Aci, issu de Polifemo (Londres 1735) : Alto Giove … qui suit la prière en duo des deux amants, deux coeurs à jamais inséparables (Placidetti zefiretti chanté avec la complicité de Cecilia Bartoli). l’Alto Giove d’Aci (Acis) pose clairement le cadre d’une écriture napolitaine purement virtuose et extatique qui met surtout en avant la puissance nuancée de la voix sur un mode langoureux et très intérieur (Acis remercie la protection de Jupiter qui le comble en lui restituant son aimée, Galatée).

Langueur et pâmoison de Porpora

La langueur et la déploration semblent d’ailleurs couronner l’inspiration de Porpora pour son élève dans cet autre lamento extrait d’Orfeo créé aussi à Londres en 1736, et composé au moment où l’élève quitte son professeur et père, pour Madrid. Orfeo est le dernier opéra qui associe les deux tempéraments. Déchirement à peine pudique, et d’une écriture moins démonstrative qu’intérieure : c’est l’époque (1732) où le castrat adulé dans toute l’Europe reçoit les conseils de l’Empereur Charles VI à Vienne (chantez plus beau moins spectaculaire). Inflexion nouvelle qui colore son chant comme sa technique d’une profondeur et d’une gravité renouvelées.
De fait, l’activité de Farinelli sur la scène d’un théâtre s’achève en 1737, marquant aussi la rupture de collaboration entre Porpora et son élève. En outre, la notice accompagnant le texte des airs, précise sans l’élucider, un incident dans les relations du père au fils, du maître à l’élève : Porpora qui se serait rendu ” coupable ” d’une mauvaise action à l’égard de son élève, paraît en 1759 sous la plume de Métastase qui écrit à Farinelli, implorant de ce dernier une mansuétude bienheureuse pour le pauvre compositeur s’enfonçant dans la solitude, l’oubli et la misère.

De tous ces airs ciselés, émane un esthétisme de contemplation vocale, suspension et vertiges, pâmoison, surtout comme on l’a dit langueur. Un goût qui allait détrôner Handel à Londres au début des années 1730.
Si la voix de Jaroussky est encore capable de legato, on regrette tout au long du récital un manque de vrais nuances, une palette finalement restreinte dans la caractérisation poétique des arias : toutes sont abordées de la même façon rendant interchangeable chaque texte et chaque situation. Les défauts de la voix évoluant, on note aussi les mêmes nouvelles limites du chant que dans son dernier album dédié à Jean-Chrétien Bach, en particulier dans le passage dans les aigus, ces derniers étant souvent tirés, à peine couverts ; même l’agilité du premier air, de pure virtuosité (air d’Alceste d’Arianna e Teseo, Florence 1728) demeure souvent tendue, crispée, plus convulsée qu’agile et coulante.
Autre air parmi les inédits du présent récital, celui d’Achille (plage 9 : Nel già bramoso petto) extrait d’Ifigenia in Aulide (Londres, 1735) : Ifigenia affronte alors à Londres la concurrence d’Alcina de Haendel associé à son castrat vedette, Carestini : au mérite de Porpora revient ici la fine caractérisation d’une âme saisie dans les rets d’un amour incertain qui s’exprime ici naturellement offrant d’Achille, le portrait d’un coeur inquiet dont Jaroussky transpose idéalement les déchirures premières, comme les atermoiements d’une âme atteinte qui va s’évanouir. Cet ample air de 8mn30 est aussi une sorte de lamento tragique qui s’étire au fil des phrases du texte de déploration émotionnelle.

C’est donc plus dans les lamentos languissants, amoureux ou déploratifs, à la tessiture médiane donc plus confortable plutôt que dans les airs de caractère et d’agilité que le contre ténor français réussit à convaincre : de ce point de vue l’air de Mirteo de Semiramide riconosciuta (Venise 1729) est aussi le mieux investi, bénéficiant d’une assise vocale plus assumée et visiblement plus à l’aise (sauf les quelques suraigus systématiquement tirés).
A ses côtés, Andrea Marcon assure un continuo honnête, qui pourtant mériterait nuances plus subtiles dans l’intériorité des airs alanguis, essentiellement introspectifs que nous venons de distinguer.


Philippe Jaroussky : Porpora, arias pour Farinelli
  (1 cd Erato). Venice Baroque Orchestra. Andrea Marcon, direction

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CD, critique. Cecilia Bartoli: Sacrificium (2 cd Decca, 2009)

sacrificium cecilia bartoli cd critique annonce classiquenews dossier castrats par cecilia bartoli salzbourg pentecote 2018 withsun 2019CD critique. Cecilia Bartoli: Sacrificium (2 cd DECCA, 2009). En un double album particulièrement soigné sur le plan éditorial, les enregistrements réalisés en février et mars 2009 en Espagne à Valladolid éclairent en particulier l’acrobatie vocale coloratura de l’écriture de Nicola Porpora (1686-1768), maître essentiel de la musique pour castrats au XVIIIè siècle. Ambassadrice de choc et de charme pour la cause des castrés devenus chanteurs, Cecilia Bartoli ajoute les manières d’autres compositeurs dont les opéras sérias mettaient en scène les divins “musici” dans des airs de virtuosité dramatique, taillés pour leur divin gosier… ainsi 2 airs de Carl Heinrich Graun (circa 1703-1759), extraits de ses ouvrages Demofoonte et Adriano in Siria (1746) qui touchent par leur tendresse digne et blessée; mais aussi paraissent Leonardo Leo (1694-1744), Leonardo Vinci (circa 1696-1730), Francesco Araia (1709-1770)… soit 11 airs enflammés entre tendresse hallucinée et rage expressionniste, atteignant des cimes vocales vertigineuses.

La diva romaine ajoute également en un 2è cd, les 3 airs les plus significatifs et les plus intenses de la littérature pour castrati/musici: l’époustouflant “Son qual nave” extrait d’Artaserse (1734) du frère de Farinelli, Riccardo Broschi (circa 1698-1756), monument de vocalises tissé pour la voix légendaire de… Farinelli… enfin, le nom moins célèbre “Ombra mai fu (Serse de Haendel, 1738) et “Sposa, non mi consci”, de Merope de Geminiano Giacomelli (circa 1692-1740): sombre prière d’Epitide frappé par le destin, proche de l’accablement et de l’anéantissement des forces vitales… En plus d’une étendue de registres surprenante, ayant gagné de superbes graves aux côtés de ses aigus décochés et brillantissimes (écouter ici les extrêmes des registres dans Qual farfalla de Porpora), Cecilia Bartoli apporte une science nuancée du verbe qui lui permet de colorer par le sentiment autant que par la puissance et l’agilité, chacun des airs sélectionnés.

En presque 1h40 de rêve vocal et de voyage parthénopéen à remonter le temps, la magicienne Bartoli, à l’agilité de souffle et d’expression souveraine, s’impose sans rivale. Son beau chant devient aussi architecture du sentiment et du sens: c’est là que se glisse et s’affirme l’apport capital de la cantatrice, réfléchie, déterminée, pugnace, outre son habituel tempérament dramatique pour défricher, surprendre… séduire et convaincre. Si le chant des castrats demeure un mythe, l’approche de la diva assoluta Bartoli réalise un tour de force qui ajoute à la fascination de ce phénomène d’ivresse lyrique.

CLIC D'OR macaron 200L’édition dite “deluxe” en 2 cd comprend une notice documentaire très argumentée qui permet de comprendre la démarche de la cantatrice admirative de ses prédécesseurs baroques à Naples. L’album en hommage aux castrats sacrifiés sur l’autel de la perfection vocale, contient ainsi “le précis du castrat”, véritable somme encyclopédique qui présente classés par entrées alphabétiques, de très nombreux articles sur le monde des castrats: compositeurs, villes, opération, anecdotes, évidemment chanteurs parmi les plus légendaires dont Caffarelli, Farinelli, Senesino… mais aussi Porporino, Carestini, Balatri… auquel un article biographique est dédié.

Gravure événement (donc élue ” CLIC ” de CLASSIQUENEWS) dont la sortie officielle est annoncée au 5 octobre 2009.