Compte rendu, opĂ©ra. PARIS, OpĂ©ra Garnier, le 29 janvier 2019. Dvorak : Rusalka. Klaus Florian Vogt, Karita Mattila, Camilla Nylund… Choeurs et Orchestre de lâOpĂ©ra. Susanna MĂ€lkki, direction. Robert Carsen, mise en scĂšne. Le Dvorak lyrique de retour Ă lâOpĂ©ra avec la reprise de la production de Robert Carsen du conte Rusalka, dâaprĂšs la mythique crĂ©ature aquatique des cultures grecques et nordiques. La direction musicale du drame moderne et fantastique est assurĂ©e par la cheffe Susanna MĂ€lkki, et une distribution de qualitĂ© mais quelque peu inĂ©gale en cette premiĂšre dâhiver.
Rusalka : la magie de lâeau glacĂ©e
Lâhistoire de la nymphe dâeau douce, immortelle mais sans Ăąme, qui rĂȘve de devenir humaine pour connaĂźtre lâamour, souffrir, mourir et⊠renaĂźtre (!) est inspirĂ©e principalement de lâOndine de La Motte-FouquĂ© et de la Petite SirĂšne dâAndersen. Créé au dĂ©but du 20e siĂšcle, lâĆuvre peut ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme lâapothĂ©ose des talents multiples du compositeur tchĂšque. Il ajoute Ă sa fougue rythmique, un lyrisme Ă©nergique. Il utilise tous ses moyens stylistiques pour caractĂ©riser les deux mondes opposĂ©s : celui des crĂ©atures fantastiques, dĂ©pourvues dâĂąme, mais non de compassion; celui des ĂȘtres douĂ©s dâĂąmes mais aux Ă©motions instables. Un heureux mĂ©lange de formes classiques redevables au Mozart lyrique et proches des audaces lisztiennes et wagneriennes. Parfois il utilise des procĂ©dĂ©s impressionnistes, et parfois il anticipe lâexpressionnisme lyrique.
UNE FROIDEUR LYRIQUE QUI PEINE A SE CHAUFFER⊠Les nymphes de bois qui ouvrent lâĆuvre sont un dĂ©licieux trio parfois Ă©mouvant parfois piquant, interprĂ©tĂ© par Andrea Soare, Emanuela Pascu et Elodie MĂ©chain. Leur prestation au dernier acte relĂšve et de Mozart et de Wagner sous forme de danse traditionnelle. La Rusalka de la soprano finnoise Camilla Nylund prend un certain temps Ă prendre ses aises. Son archicĂ©lĂšbre air Ă la lune du premier acte dĂ©chire les coeurs de lâauditoire par une interprĂ©tation bouleversante dâhumanitĂ© et de tendresse. Câest dans le finale de lâopĂ©ra surtout, lors du duo dâamour et de mort qui clĂŽt lâouvrage, quâelle saisit lâaudience par la force de son expression musicale. Son partenaire le tĂ©nor Klaus Florian Vogt prend Ă©galement un certain temps Ă se chauffer. A la fin du premier acte, il conquit avec son air de chasse, qui est aussi la rencontre avec Rusalka devenue humaine. La prestation est instable et perfectible : il paraĂźt un peu tendu, voire coincĂ© sur scĂšne. Il semble avoir des difficultĂ©s avec des notes ; est parfois en dĂ©calage, mais il essaie de dĂ©tendre sa voix dans les limites du possible, et sa performance brille toujours par la beautĂ© lumineuse et incomparable du timbre comme la maĂźtrise de la ligne de chant. Le duo final est lâapothĂ©ose de sa performance.
La Princesse Ă©trangĂšre de Karita Mattila est dĂ©licieuse et mĂ©prisante au deuxiĂšme acte, sans doute lâune des performances les plus intĂ©ressantes et Ă©quilibrĂ©es de la soirĂ©e. La sorciĂšre de la mezzo-soprano Michelle DeYoung est un cas non dĂ©pourvu dâintĂ©rĂȘt. Théùtralement superbe au cours des trois actes, nous trouvons que câest surtout au dernier quâelle dĂ©ploie pleinement ses qualitĂ©s musicales. Remarquons le duo comique et folklorique chantĂ© avec brio et candeur par Tomasz Kumiega en Garde Forestier et Jeanne Ireland en garçon de cuisine, âŠpeureux, superstitieux, drolatiques Ă souhait. La performance de Thomas Johannes Mayer en Esprit du Lac a Ă©tĂ© dĂ©chirante, par la beautĂ© du texte et du leitmotiv associĂ©, mais comme beaucoup dâautres interprĂštes Ă cette premiĂšre, son chant sâest souvent vu noyĂ© par lâorchestre.
LES VOIX SONT COUVERTES PAR LâORCHESTRE⊠Lâorchestre de la maison sous la baguette fiĂ©vreuse de Susanna MĂ€lkki est conscient des timbres et des couleurs. Lâinstrumentation de Dvorak offre de nombreuses occasions aux vents de rayonner, et nous nâavons pas manquĂ© de les entendre et de les apprĂ©cier. La prĂ©cision des cordes Ă©galement est tout Ă fait mĂ©ritoire. Or, la question fondamentale de lâĂ©quilibre entre fosse et orchestre, notamment dans lâimmensitĂ© de lâOpĂ©ra Bastille, paraĂźt peu ou mal traitĂ©e par la chef. La question sâamĂ©liore au cours des actes, et nous pouvons bien entendre et lâorchestre et les chanteurs au dernier. Un bon effort.
Sinon que dire de la mise en scĂšne Ă©lĂ©gante, raffinĂ©e et si musicale de Robert Carsen ? Jeune de 17 ans, elle conserve ses qualitĂ©s dues Ă un travail de lumiĂšres exquis (signĂ© Peter van Praet et Carsen lui-mĂȘme), qui captive visuellement lâauditoire. Le dispositif scĂ©nique est une boĂźte oĂč un jeu de symĂ©tries opĂšre en permanence, comme le jeu des doublures des chanteurs par des acteurs. Dâune grande poĂ©sie, la transposition sage du canadien ne choque personne, malgrĂ© un numĂ©ro de danse sensuelle au deuxiĂšme acte qui reprĂ©sente la consommation de lâinfidĂ©litĂ© du Prince, ou encore lâinstabilitĂ© et la frivolitĂ© violente des hommes. Si le jeu dâacteur est prĂ©cis, de nombreux dĂ©calages sont prĂ©sents dans lâexĂ©cution et la rĂ©alisation de la production. Une premiĂšre dâhiver qui se chauffe progressivement⊠pour un rĂ©sultat final qui enchante.
A voir Ă lâOpĂ©ra Bastille encore les 1er, 4, 7, 10 et 13 fĂ©vrier 2019. Incontournable.