DVD, compte rendu, critique. Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse (Santon, Niquet, 2015. 1 dvd Alpha). Les comiques composant duo, avec une truculence bon enfant dĂ©sormais populaires, Charlie et Dino, entendez Mr et Mme Benizio reprennent ici du galon et s’encanaillent brut chez le baroque emperruquĂ© XVIIIè, Boismortier, digne contemporain de Rameau. On leur doit dĂ©jĂ d’avoir sĂ©vi pour King Arthur (2008) et La Belle HĂ©lène (2012), leur dernier avatar s’appelle ici Don Quichotte. Créé Ă l’OpĂ©ra-Théâtre de Metz (janvier 2015), le spectacle rĂ©pète tout un système dĂ©jĂ observĂ© dans les rĂ©alisations antĂ©rieures. Grotesque et burlesque, gags et incidents faussement imprĂ©vus (dont la Duchesse hystĂ©rique suspendue au dessus de la scène) revisitent ainsi une partition emblĂ©matique du Concert Spirituel et de son fondateur et chef volontiers provocateur (mais pas toujours très fin), … HervĂ© Niquet : le chef dirige son collectif prĂŞt Ă le suivre dans le comique gentillet, avec lequel au dĂ©but de l’aventure musicale, il avait dĂ©jĂ abordĂ© cette partition Ă©clectique depuis 1988 : c’est donc la reprise d’un ouvrage emblĂ©matique des interprètes ici rĂ©unis qui Ă Versailles, sous les ors de la sublime salle de l’opĂ©ra Gabriel, pur style Louis XV, vivent comme une manière de …. consĂ©cration.
Lorrain de naissance, Joseph Bodin de Boismortier (1689-1755) sait pĂ©nĂ©trer les salons de l’Ă©lite parisienne (grâce Ă une solide rĂ©putation de faiseur de Sonates raffinĂ©es (plusieurs livres de Sonates pour flĂ»tes et cantates, Ă©ditĂ©es et prisĂ©es Ă Paris) ; il sait aussi imposer un tempĂ©rament taillĂ© pour le drame et la comĂ©die comme chef d’orchestre aux Foires Saint-Laurent (citĂ©e dans le spectacle Ă Versailles) et Saint-Germain, dans ses trois opĂ©ras-ballets : Les voyages de l’Amour (1736), Daphnis et Chloé (1747) et donc ce Don Quichotte chez la Duchesse (créé Ă l’OpĂ©ra-Comique en fĂ©vrier 1743, soit Ă une Ă©poque oĂą Rameau ne tarde pas Ă ĂŞtre reconnu comme le compositeur le plus important de son temps, et donc nommĂ© compositeur officiel de la Cour de Louis XV… en 1745). Le livret signĂ© du gĂ©nial Charles-Simon Favart, auteur du sublime Arlequin-Dardanus de 1740 ou La Querelle des Théâtres, ou la Veuve d’Ephèse (VOIR notre clip vidĂ©o), rassemble toutes les pĂ©ripĂ©ties et les sĂ©quences d’une perle bouffone dans le pur esprit parisien de la Foire. A la façon des grandes enchanteresses et magiciennes amoureuses que l’OpĂ©ra met en scène, la Duchesse reçoit ici Quichotte, et souhaite le retenir en suscitant une sĂ©rie de tableaux illusoires propre Ă capter sa curiositĂ©, saisir et capturer sa ridicule loyautĂ© Ă DulcinĂ©e… HystĂ©rique, colĂ©rique, la Duchesse ne cesse de sĂ©duire le chevalier espagnole et voudrait l’Ă©pingler Ă son tableau de chasse. Mais face Ă l’imagination dĂ©bordante et dĂ©lirante de la sĂ©ductrice, le chevalier illuminĂ©, demeure fidèle Ă DulcinĂ©e. Sa constance est saluĂ©e dans une conclusion oĂą les petits esprits critiques cĂ©lèbrent une telle constance.
HervĂ© Niquet depuis 1988, avait repris Don Quichotte en version scĂ©nique en 1996, avant la tournĂ©e 2014/2015 comptant plusieurs lieux comme ici Ă Versailles, dans l’Ă©crin très officiel de l’OpĂ©ra royal. Ce qui fonctionnait mieux chez Arthur, s’Ă©puise dans ce Quichotte dont le grille de lecture rĂ©pète les procĂ©dĂ©s dĂ©jĂ vus : dĂ©calages, gags hors musique et pitreries potaches (le chef chante mĂŞme en attendant le train…. sifflet en bouche; puis joue la comĂ©die en costume grandguignol : d’abord en Quichotte lui-mĂŞme, refusant d’ailleurs au dĂ©but de rendre la lance du chevalier, puis en torĂ©ador des faubourgs), exacerbation du comique (originellement parodique chez Boismortier). Ravi d’ĂŞtre surpris et parfois dĂ©contenancĂ©, le public, s’encanaille, surpris et amusĂ© de voir un maestro se parodier lui-mĂŞme (qui prend prĂ©texte du théâtre et du divertissement dans l’opĂ©ra pour offrir plusieurs parodies symphoniques, intermèdes divers et totalement dĂ©lurĂ©s pour combler un vide dans le dĂ©roulement de la soirĂ©e). Est-ce que cela sert pour autant la lisibilitĂ© de la partition ? Pas vraiment. Mais le narcissisme des interprètes lui est exposĂ©, valorisĂ©, flattĂ© (on sait jouer nous madame). Mais alros que l’entrain bas son plein, on aurait souhaitĂ© alors plus de dĂ©lire dans l’opposition bon enfant et la concurrence complice Ă laquelle se livrent le chef en fosse et le Duc/Dino.
Pourtant la verve est bien prĂ©sente (et se suffit Ă elle-mĂŞme) dans une partition qui cisèle des mĂ©lodies prenantes, avec une prĂ©cision et un raffinement que n’auraient pas reniĂ© les grands baroques français, dont Rameau ou Dauvergne. PrĂ©cisĂ©ment Boismortier connaĂ®t son Rameau : son sens dramatique, l’Ă©conomie et l’intelligence dans l’enchaĂ®nement des Ă©pisodes : poĂ©tiques, satiriques, graveleux, hĂ©roĂŻques et sentimentales… convainquent absolument. Le compositeur maĂ®trise sans rĂ©serve les enjeux du théâtre.
Hervé Nique en perte de poésie ressuscite le joyau de Boismortier
Gags et saillies potaches font-ils un spectacle complet ?
Osons dire que le geste du chef depuis 1988 et 1996 s’est …. caricaturĂ© : nerveux, tranchant, vif pas toujours très articulĂ©, parfois droit et martial; plutĂ´t prĂ©cipitĂ© et expĂ©ditif. Comme on aurait aimĂ© plus de tendresse, de sensualitĂ© trouble, de douceur, de mystère. De poĂ©sie. Certes mĂŞme si le sujet reste majoritairement comique, la musique et certains passages auraient gagnĂ© Ă ĂŞtre plus mĂ©lancoliques et introspectifs : comme par exemple, le solo de la Duchesse parodiant un air pastoral de Rameau (avec flĂ»te obligĂ©e), assise sur sa balançoire, portĂ©e par un angĂ©lisme tendre et sĂ©ducteur : pour se jouer de la naĂŻvetĂ© (et de la loyautĂ©) du Chevalier Quichotte, la duchesse aimerait tant le dĂ©griser et le sĂ©duire pour qu’il soit enfin infidèle Ă sa DulcinĂ©e, si souvent sollicitĂ©e… A trop vouloir nous dĂ©montrer la saveur facĂ©tieuse de l’ouvrage, le chef tend Ă en rĂ©duire la perception, car Boismortier est aussi ambivalent que Rameau : comique et nostalgique. Favart a façonnĂ© un livret plein de pĂ©ripĂ©ties dont les astuces visuelles et les Ă©pisodes dramatiques annoncent indiscutablement et Monty Pyhton et aussi la comĂ©die musicale française (d’ailleurs, le choeur n’hĂ©site pas Ă basculer l’un des divertissements dans une parodie Ă la Michel Legrand). Autre rĂ©ussite incontestable la traversĂ©e sur un cheval de bois (Ă bascule) des deux hĂ©ros (Quichotte et Pancha) qui yeux bandĂ©s Ă©prouvent une sĂ©rie d’Ă©pisodes spectaculaires, musicalement finement caractĂ©risĂ©s (tempĂŞte et chevauchĂ©e avant de vaincre un monstre, nain puis gĂ©ant…).
Pourtant on remarque illico les beautĂ©s de cette partition mĂ©connue, qui prĂ©figure par son intelligence et son acuitĂ© dramatique, les meilleures perles de l’opĂ©ra comique Ă venir : ouverture dense, vitalitĂ© des contrastes poĂ©tiques d’un tableau Ă l’autre, chaconne finale… Parmi les joyaux de cette rĂ©vĂ©lation, retenons l’air de conclusion de la Japonaise dĂ©fendu par la soprano Chantal Santon dont la voix ample et agile, brillante et charnue, malgrĂ© son articulation encore perfectible convainc, sĂ©duit, saisit mĂŞme par son brio dĂ©lirant et nuancĂ©. La soprano incarne une Duchesse dĂ©jantĂ©e, prĂŞte Ă tout pour dĂ©niaiser le preux mystique dont la fidĂ©litĂ© Ă DulcinĂ©e l’agace prodigieusement. Chantal Santon est le pilier de cette vision dĂ©lirante et rien que comique. HĂ©las, l’autre protagoniste qui devait ĂŞtre un pilier lui aussi, François-Nicolas Geslot, déçoit continĂ»ment : faiblesse de sa prĂ©sence scĂ©nique, voix Ă la ligne alĂ©atoire aux aigus tendus et serrĂ©s, surtout style et intonation uniformes d’un bout Ă l’autre, son Quichotte pas assez humain, trop caricatural, est le maillon faible de la production. Visiblement la soirĂ©e de la captation n’Ă©tait pas le soir du tĂ©nor.
Parmi les autres rĂ´les : distinguons le Pancha très vocal et bien chantant de Marc Labonnette ; comme l’excellent Merlin de Virgile Ancely ; la paysanne de Marie-Pierre Wattiez (qui chantait le rĂ´le dĂ©jĂ en 1996 : c’est elle que l’on fait passer pour DulcinĂ©e pour fixer Quichotte Ă la Cour ducale. Son parler vrai et son dialecte de vraie maraĂ®chère du village produisent le contraste idĂ©al avec le monde hĂ©roĂŻque hĂ©bĂ©tĂ© de Quichotte ; l’amante d’Agathe Boudet au charme bien trempĂ© qui Ă©lève le niveau scĂ©nique souvent potache. Le berger sĂ©ducteur et lascif du sopraniste Charles Barbier... En duc, le corĂ©alisateur de la mise en scène Dino soi-mĂŞme, dans un rĂ´le parlĂ©, affirme un naturel sĂ»r et très rodĂ©, une bĂŞte de scène, faussement benĂŞt, possĂ©dant un vrai mĂ©tier théâtral. Indiscutable.
Dans une mise en scène aux costumes gĂ©nĂ©reux, et contrastes dramatiques favorisĂ©s, la production sait sĂ©duire le public, souvent de façon un rien racoleuse. L’inattendu nĂ© de la prĂ©sence des comiques dĂ©lirants dans un théâtre baroque raffinĂ©, peut sĂ©duire. N’empĂŞche on a dĂ©jĂ vu tout cela, et les ficelles de ce comique potache dĂ©tourne l’attention du public des vraies attraits d’une partition savoureuse, plus raffinĂ©e et ambivalente qu’il n’y paraĂ®t. MalgrĂ© l’excellente Chantal Santon, notre apprĂ©ciation est donc rĂ©servĂ©e.
DVD, compte rendu, critique. Joseph Bodin de Boismortier : Don Quichotte chez la duchesse.
Ballet comique en trois actes, livret de Charles-Simon Favart
Créé Ă l’AcadĂ©mie royale de musique, le 12 fĂ©vrier 1743
Mise en scène : Corinne et GIlles Benizio
Décors : Daniel Bevan
Costumes : AnaĂŻs Heureaux et Charlotte Winter
Lumières : Jacques Rouveyrollis
Chorégraphie : Philippe Lafeuille
Don Quichotte : François-Nicolas Geslot
Sancho Pança : Marc Labonnette
Altisidore / La Reine du Japon : Chantal Santon-Jeffery
Montésinos / Merlin / Le Traducteur: Virgile Ancely
La Paysanne : Marie-Pierre Wattiez
Une Amante / Une Suivante : Agathe Boudet
Un Amant : Charles Barbier
Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, direction
Enregistrement rĂ©alisĂ© Ă l’OpĂ©ra royal de Versailles en fĂ©vrier 2015. 1 dvd Alpha.