CRITIQUE, CD Ă©vĂ©nement. GLUCK : Don Juan, Semiramis (ballets de Angiolini) – Le Concert des Nations. Jordi savall, direction (1 cd Alia Vox)  -  Un impi arrogant qui choque et provoque par son esprit aussi querelleur que mĂ©prisant⊠le « Dom Juan » rĂ©digĂ© par Calzabigi, exprimĂ© en musique par Gluck (pour le ballet dâAngiolini) sert une toute autre vision du mythe que celle quâont choisi aprĂšs lui Mozart et Da Ponte. Voici donc une vision diffĂ©rente du mythe fascinant de Don Juan. La vivacitĂ© du trait que pilote et dĂ©fend avec une grande Ă©nergie (Allegro presto, plage 13) Jordi Savall se rĂ©vĂšle passionnante ; elle met en lumiĂšre entre autres, ce qui sĂ©duit tant chez Rousseau : ce Gluck trĂ©pidant, direct et franc dont les instrumentistes expriment jusquâĂ la frĂ©nĂ©sie, la transe qui sâenivre dâelle-mĂȘme.
DĂšs la sinfonia dâouverture, sâentend le chant Ă©lectrisĂ© de la guitare, doublant les cordes qui porte avec beaucoup dâacuitĂ© expressive lâĂ©lan, la force du dĂ©sir de possession qui anime le chevalier indĂ©cent : sa lascivitĂ© sĂ©ductrice et racĂ©e (Chaconne espagnole, plage 20) mais aussi sa cour gracieuse (pas de deux avec la niĂšce du commandeur, plage 22). Le Ballet suit la trame originelle espagnole et met en scĂšne de fait, la statue du Commandeur qui paraĂźt au festin de Dom Juan, avant dâinviter ce dernier Ă souper dans son propre mausolĂ©e de pierre ; voilĂ qui explique le sous titre de la piĂšce de Tirso de Molina « Dom Juan ou le festin de pierre ».
Le tableau le plus spectaculaire Ă©tant le dernier, celui des enfers, oĂč entĂȘtĂ©, mĂ©prisant, Dom Juan est poursuivi par les dĂ©mons jusquâaux profondeurs de la terre, par les furies et leurs serpents qui inspirent le fameux finale, des plus mĂ©lodiquement et rythmiquement envoĂ»tants. Ce que souligne la musique ici câest aprĂšs la vanitĂ© et la morve supĂ©rieure du hĂ©ros, son effondrement psychique, la conscience de sa finitude face aux gĂ©missements des Ăąmes impies comme lui : la sĂ©quence exprime cette chute existentielle dans la violence de lâorchestre, cordes et cuivres mordants, fouettĂ©s, incisifs et sinueux. Les cors sont mis en avant, et les bois percutants, emportĂ©s par la tempĂȘte des cordes, en un cataclysme qui sâĂ©tire et sâallonge jusquâĂ lâexpiration / lâexpiation du pĂȘcheur vaniteux. LâintĂ©rĂȘt de cette intĂ©grale est de restituer la sĂ©quence des Furies, habituellement jouĂ©e seule au concert, sans le parcours dramatique et philosophique qui a prĂ©cĂ©dĂ©. VoilĂ qui rĂ©tablit chez Gluck, la maĂźtrise du dramaturge comme lâacuitĂ© du psychologue.
Jordi Savall en gluckiste irrésistible :
Les ballets fantastiques dâAngiolini,
La musique frénétique et psychologique de Gluck
MĂȘme frĂ©nĂ©sie parfois Ăąpre et sardonique (relief des bassons) dans le ballet qui suit Semiramis des mĂȘmes Gluck, Angiolini, Calzabigi. Ici lâhypertension des cordes offre une autre facette du style frĂ©nĂ©tique de Gluck, au moment surtout oĂč la Reine est saisie et forcĂ©e par le spectre de Ninus dâentrer dans le mausolĂ©e : sĂ©quence dâenlĂšvement terrifiante et fantastique. Jordi Savall sait enrichir la palette des ressources expressives de lâorchestre au delĂ dâune seule description narrative de lâargument conçu par Calzabigi. Le sentiment dâhorreur est la clĂ© de toute la partition ; les effets dramatiques comme la musique convergeant vers lâissue finale, en tout point, terrifiante voire choquante ; comment les dieux refuseraient-ils Ă SĂ©miramis, souveraine toute puissante Ă Babylone, son choix dâĂ©pouser ce⊠Ninias ? Câest que ce dernier Ă©tant son fils sans ĂȘtre connu ainsi de lui-mĂȘme et de la Reine, ne peut Ă©pouser celle qui lui a donnĂ© le jour.
Lâintrigue qui les en empĂȘche et qui les Ă©limine tout simplement offre Ă la musique de Gluck, cette construction directe, efficace, dramatiquement fulgurante. En cela proche du temps chorĂ©graphique, car le mouvement prĂ©cipite lâaction et renforce les contrastes comme sublime les coups de théùtre ; Gluck soigne particuliĂšrement les formes serrĂ©es, courtes. Autant de sĂ©quences dramatiquement fugaces qui cependant se succĂšdent avec une grande unitĂ© de ton. Fort de ce constat, serviteur dâun temps dramatique autant que psychologique (grĂące Ă la somptueuse musique de Gluck), Jordi Savall prend indĂ©niablement plaisir Ă ciseler les couleurs et les timbres gluckistes pour intensifier comme caractĂ©riser chaque sĂ©quence (bien documentĂ©e selon le livret de Calzabigi qui est Ă©ditĂ© dans la notice). Il soigne le rire des cors, la fiĂšvre des cordes, le chant argentĂ© des bois. Ce travail sur la vivacitĂ© des timbres est Ă©videmment permise par lâorchestre sur instruments dâĂ©poque, Le Concert des Nations, collectif dâindividualitĂ©s formidablement bien Ă©lectrisĂ©es sous la coupe du maestro plutĂŽt inspirĂ© par ce rĂ©pertoire. La musique de ballet, Ă©videmment profite ici du gĂ©nie de Gluck ; mais elle regorge de teintes et nuances qui en fait une remarquable tapisserie sonore, digne de lâopĂ©ra, comme des chefs dâoeuvres symphoniques de la fin du siĂšcle (Haydn, MozartâŠ). Du Gluck pur et historiquement percutant. Saisissant.
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CRITIQUE, CD Ă©vĂ©nement. GLUCK : Don Juan, Semiramis (ballets de Angiolini) – Le Concert des Nations. Jordi Savall, direction (1 cd Alia Vox). CLIC de CLASSIQUENEWS Ă©tĂ© 2022. EnregistrĂ© en janvier 2022, Ă Cardona (Catalogne, Espagne).