CD, compte rendu critique. « VERISMO » : Boito, Ponchielli, Catalani, Cilea, Leoncavallo, Mascagni, Puccini, airs dâopĂ©ras par Anna Netrebko, soprano (1 cd Deutsche Grammophon). De La Wally Ă Gioconda, dâAdrienne Lecouvreur Ă Marguerite, sans omettre les pucciniennes Butterfly, LiĂč et Turandot, aux cĂŽtĂ©s de Manon Lescaut, Anna Netrebko confirme son immense talent dâactrice. En plus de lâintensitĂ© dâune voix de plus en plus large et charnelle (medium et graves sont faciles, amples et colorĂ©s), la soprano Ă©merveille et enchante littĂ©ralement en alliant risque et subtilitĂ©. Câest Ă nouveau une rĂ©ussite totale, et aprĂšs son dernier album Iolanthe / Iolanta de Tchaikovsky et celui intitulĂ© VERDI, la confirmation dâun tempĂ©rament irrĂ©sistible au service de lâĂ©largissement de son rĂ©pertoire⊠Au trĂšs large public, Anna Netrebko adresse son chant rayonnant et sĂ»r ; aux connaisseurs qui la suivent depuis ses dĂ©buts, la Divina sait encore les surprendre, sans rien sacrifier Ă lâintelligence ni Ă la subtilitĂ©. Ses nouveaux moyens vocaux mĂȘme la rendent davantage troublante. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2016.
De Boito (nĂ© en 1842), le librettiste du dernier Verdi (Otello et Falstaff), Anna Netrebko chante Marguerite de Mefistofele (créé Ă La Scala en 1868), dont les Ă©clats crĂ©pusculaires prĂ©figurent les vĂ©ristes prĂšs de 15 annĂ©es avant lâessor de lâesthĂ©tique : au III, lugubre et tendre, elle reçoit la visite du diable et de Faust dans la prison oĂč elle a Ă©tĂ© incarcĂ©rĂ©e aprĂšs avoir assassinĂ© son enfant. « Lâaltra notte in fondo al mare » exprime le dĂ©sespoir dâune mĂšre criminelle, amante maudite, Ăąme dĂ©chue, espĂ©rant une hypothĂ©tique rĂ©mission. MĂȘme Ă©criture visionnaire pour Ponchielli (nĂ© en 1834) qui compose La Gioconda / La Joyeuse sur un livret du mĂȘme Boito : Ă©galement créé Ă La Scala mais 8 ans plus tard, en 1876, lâouvrage affirme une puissance dramatique premiĂšre en particulier dans lâair de Gioconda au dĂ©but du IV : embrasĂ©e et subtile, Netrebko revĂȘt lâĂąme dĂ©sespĂ©rĂ©e (encore) de lâhĂ©roĂŻne qui dans sa grande scĂšne tragique (« Suicidio ! ») se voue Ă la mort non sans avoir sauvĂ© celui quâelle aime, Enzo Grimaldi⊠lâespion de lâInquisition Barnaba aura les faveurs de Gioconda sâil aide Enzo Ă sâenfuir de prison. En se donnant, Gioconda se voue au suicide.
JUSTESSE STYLISTIQUE. Une telle dĂ©mesure Ă©motionnelle, dâessence sacrificielle, se
retrouve aussi chez Flora dans La Tosca de Puccini (nĂ© en 1858), quand la cantatrice Ă©change la vie de son aimĂ©e Mario contre sa pudeur : elle va se donner Ă lâinfĂąme prĂ©fet Scarpia. Anna Netrebko Ă©blouit par sa couleur doloriste et digne, dans sa priĂšre Ă la Vierge quâelle implore en fervente et fidĂšle adoratrice⊠(« Vissi dâarte » au II).
Mais Puccini semble susciter toutes les faveurs dâune Netrebko, inspirĂ©e et maĂźtresse de ses moyens. Sa Manon Lescaut, dĂ©fendu aux cĂŽtĂ©s de son Ă©poux Ă la ville, – le tĂ©nor azerbaĂŻdjanais Yusif Eyvazov-, se rĂ©vĂšle Ă©vidente, naturelle, ardente, incandescente, ⊠dâune candeur bouleversante au moment de mourir. Le velours de la voix fait merveille. Le chant sĂ©duit et bouleverse.
MĂȘme finesse dâintonation pour sa Butterfly : « Un bel dĂŹ vedremo », autre expression dâune candeur intacte celle de la jeune geisha qui demeure inflexible, plus amoureuse que jamais du lieutenant amĂ©ricain Pinkerton, affirmant au II Ă sa servante Suzuki, que son « époux » reviendra bientĂŽtâŠ
TURANDOT IRRADIANTE⊠Plus attendus car autrement pĂ©rilleux, les deux rĂŽles de Turandot (lâouvrage laissĂ© inachevĂ© de Puccini) : deux risques pourtant pleinement assumĂ©s lĂ encore qui rĂ©vĂšlent (et confirment) lâintensitĂ© dramatique et la justesse expressive dont est capable la diva austro-russe. Pourtant rien de plus distincts que les deux profils fĂ©minins : dâun cĂŽtĂ©, la pure, angĂ©lique et bientĂŽt suicidaire LiĂč ; de lâautre, lâimpĂ©riale et arrogante princesse chinoise (elle paraĂźt ainsi en tiare dâor en couverture du cd) : Turandot dont la diva, forte de ses nouveaux graves, dâun mĂ©dium large et tendu Ă la fois, sait dĂ©voiler sous lâĂ©crasante pompe liĂ©e Ă sa naissance, le secret intime qui fonde sa fragilité⊠(premier air de Turandot: « In questa reggia »). Le souci du verbe, la tension de la ligne vocale, lâĂ©clat du timbre, la couleur, surtout la finesse de lâimplication imposent ce choix comme lâun des plus bouleversants, alors quâil Ă©tait dâautant plus risquĂ©. « La Netrebko » sait ciseler lâhypersensibilitĂ© de la princesse, sa pudeur de vierge autoritaire sous le dĂ©corum (quâelle sait plus Ă dĂ©ployer dans le choix du visuel de couverture du programme ainsi que nous lâavons soulignĂ© prĂ©cĂ©demment). Est-ce Ă dire que demain, Anna Netrebko chantera le rĂŽle dans son entier sur les planches ? La question reste posĂ©e : rares les cantatrices capables de porter un rĂŽle aussi Ă©crasant pendant tout lâopĂ©ra.
SOIE CRISTALLINE POUR PURS VĂRISTES. Aux cĂŽtĂ©s des prĂ©curseurs visionnaires, – ici Boito et Ponchielli, place aux vĂ©ristes purs et durs, crĂ©ateurs renommĂ©s, parfois hautains et exclusifs, au sein de la Jeune Ecole (la Giovane Scuola), ainsi quâen avant-gardistes dĂ©clarĂ©s, il se nommaient ; paraissent ici Giordano (1867-1948), Leoncavallo (1857-1919), Cilea (1866-1950). Soit une dĂ©cennie miraculeuse au carrefour des deux siĂšcles (1892-1902) qui enchaĂźne les chefs dâoeuvres lyriques, vrais dĂ©fis pour les divas prĂȘtes Ă relever les obstacles imposĂ©s par des personnages tragiques (souvent sacrificiels), « impossibles ».
Pour chacun dâeux, Anna Netrebko offre la soie ardente de son timbre hyperfĂ©minin, sachant sculpter la matiĂšre vocale sur lâĂ©crin orchestral que canalise idĂ©alement Antonio Pappano. Lâaccord prĂ©vaut ici entre chant et instruments : tout concourt Ă cette « ivresse » (souvent extatique) des sentiments qui trĂšs contrastĂ©s, exige une tenue rĂ©flĂ©chie de lâinterprĂšte : Ă©conomie, intelligibilitĂ©, intelligence de la gestion dramatique autant quâĂ©motionnelle. La finesse de lâinterprĂšte Ă©blouit pour chacune des sĂ©quences oĂč perce lâenivrement radical de lâhĂ©roĂŻne. Sa Nedda (Pagliacci de Leoncavallo, créé en 1892), exprime en une sorte de berceuse nocturne, toute lâardente espĂ©rance pourtant si fĂ©brile
de la jeune femme malheureuse avec son Ă©poux Canio, mais dĂ©munie, passionnĂ©e face Ă lâamour de son amant le beau Silvio. Plus mĂ»re et marquĂ©e voire dĂ©passĂ©e par les Ă©vĂ©nements rĂ©volutionnaires, Madeleine de Coigny (AndrĂ© ChĂ©nier de Giordano, créé en 1896) impose lâautoritĂ© dâune Ăąme amoureuse qui tout en dĂ©nonçant la barbarie environnante (incendie du chĂąteau familial oĂč meurt sa mĂšre, fuite, errance, dĂ©chĂ©ance, misĂšreâŠ), sâouvre Ă lâamour du poĂšte ChĂ©nier, son unique salut.
Mais en plus de lâintensitĂ© dramatique – fureur et dĂ©passement, Anna Netrebko sait aussi filer des sons intĂ©rieurs qui ciselĂ©s – câest Ă dire dâune finesse bellinienne, donc trĂšs soucieux de lâarticulation du texte, illuminent tout autant le relief des autres figures de la passion : La Wally (de Catalani, 1854-1893) et sa cantilĂšne Ă©thĂ©rĂ©e, comme lâadmirable scĂšne quasi théùtrale dâAdrienne Lecouvreur (de Cilea,), regardent plutĂŽt du cĂŽtĂ© dâune candeur sentimentale, grĂące et tendresse oĂč lĂ encore lâinstinct, le style, lâintonation confirment lâimmense actrice, lâinterprĂšte douĂ©e pour la sensibilitĂ© Ă©conome, lâintensitĂ© faite mesure et nuances, soit la rĂ©surgence dâun certain bel canto qui par sons sens des phrasĂ©s et dâune incarnation essentiellement subtile approche lâidĂ©al bellinien. La diversitĂ© des portraits fĂ©minins ici abordĂ©s, incarnĂ©s, ciselĂ©s sâoffre Ă la maĂźtrise dâune immense interprĂšte. Chapeau bas. « La Netrebko » nâa jamais Ă©tĂ© aussi sĂ»re, fine, rayonnante. Divina.
CD, compte rendu critique. « VERISMO » : Boito, Ponchielli, Catalani, Cilea, Leoncavallo, Mascagni, Puccini, airs dâopĂ©ras par Anna Netrebko, soprano. Orchestre de lâAccademia Santa Cecilia. Antonio Pappano, direction. Enregistrement rĂ©alisĂ© Ă Rome, Auditorium Parco della Musica, Santa Cecilia Hall, 7 & 10/2015; 6/2016 â 1 cd Deutsche Grammophon 00289 479 5015. CLIC de CLASSIQUENEWS de septembre 2016. Parution annoncĂ©e : le 2 septembre 2016.
Impériale diva
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CD. Anna Netrebko : Verdi  (2013)  âŠÂ     Anna Netrebko signe un rĂ©cital Verdi pour Deutsche Grammophon dâune haute tenue expressive. Soufflant le feu sur la glace, la soprano saisit par ses risques, son implication qui dans une telle sĂ©lection, sâil nâĂ©tait sa musicalitĂ©, aurait Ă©tĂ© correct sans plus ⊠voire tristement pĂ©rilleuse. Le nouveau rĂ©cital de la diva russo autrichienne marquera les esprits. Son engagement, sa musicalitĂ© gomment quelques imperfections tant la tragĂ©dienne hallucinĂ©e exprime une urgence expressive qui met dans lâombre la mise en pĂ©ril parfois de la technicienne : sa Lady Macbeth comme son Elisabeth (Don Carlo) et sa Leonora manifestent un tempĂ©rament vocal aujourdâhui hors du commun. Passer du studio comme ici Ă la scĂšne, câest tout ce que nous lui souhaitons, en particulier considĂ©rant lâimpact Ă©motionnel de sa Leonora âŠÂ En LIRE +
CD. SimultanĂ©ment Ă ses reprĂ©sentations new yorkaises (janvier et fĂ©vrier 2015), Deutsche Grammophon publie lâopĂ©ra oĂč rayonne le timbre embrasĂ©, charnel et angĂ©lique dâAnna Netrebko, assurĂ©ment avantagĂ©e par une langue quâelle parle depuis lâenfance. Nuances, richesse dynamique, finesse de lâarticulation, intonation juste et intĂ©rieure, celle dâune jeune Ăąme ardente et implorante, pourtant pleine de dĂ©termination et passionnĂ©e, la diva austro-russe marque Ă©videment lâinterprĂ©tation du rĂŽle de Iolanta : elle exprime chaque facette psychologique dâun personnage dâune constante sensibilitĂ©. De quoi favoriser la nouvelle estimation dâun opĂ©ra, le dernier de TchaĂŻkovski, trop rarement jouĂ©. En jouant sur lâimbrication trĂšs raffinĂ©e de la voix de la soliste et des instruments surtout bois et vents (clarinette, hautbois, basson) et vents (cors), TchaĂŻkovski excelle dans lâexpression profondes des aspirations secrĂštes dâune Ăąme sensible, fragile, dĂ©terminĂ©e : un profil dâhĂ©roĂŻne idĂ©al, qui rĂ©pond totalement au caractĂšre radical du compositeur. Toute la musique de TchaĂŻkovski (52 ans) exprime la volontĂ© de se dĂ©faire dâun secret, de rompre une malĂ©diction⊠La voix corsĂ©e, intensĂ©ment colorĂ©e de la soprano, la richesse de ses harmoniques offrent lâĂ©paisseur au rĂŽle-titre, ses aspirations dĂ©sirantes : un personnage conçu pour elle. VoilĂ qui renoue avec la rĂ©ussite pleine et entiĂšre de ses rĂ©centes prises de rĂŽles verdiennes (Leonora du trouvĂšre, Lady Macbeth) et fait oublier son erreur straussienne (Quatre derniers lieder de Richard Strauss). LIRE notre dossier complet ” IOLANTA par Anna Netrebko “
CD. Anna Netrebko : Souvenirs (2008) âŠÂ   Anna Netrebko nâest pas la plus belle diva actuelle, câest aussi une interprĂšte Ă lâexquise et suave musicalitĂ©. Ce quatriĂšme opus solo est un magnifique album. Lâun de ses plus bouleversants. Ne vous fiez pas au style sucrĂ© du visuel de couverture et des illustrations contenues dans le coffret (lequel comprend aussi un dvd bonus et des cartes postales!), un style maniĂ©riste Ă la Bouguereau, digne du style pompier pure origine⊠Câest que sur le plan musical, la diva, jeune maman en 2008, nous a concoctĂ© un voyage serti de plusieurs joyaux qui font dâelle, une ambassadrice de charme⊠et de chocs dont la tendresse lyrique et le choix rĂ©flĂ©chi des mĂ©lodies ici regroupĂ©es affirment une maturitĂ© rayonnante, un style et un caractĂšre, indiscutables. EN LIRE +
Prochains rĂŽles dâAnna Netrebko :
Lady Macbeth dans Macbeth de Verdi : 18,21, 27 dĂ©cembre 2016 Ă lâOpĂ©ra de Munich
Leonora dans Il Trovatore de Verdi : 5-18 fĂ©vrier 2017 Ă lâOpĂ©ra de Vienne
Violetta Valéry dans La Traviata de Verdi : 9-14 mars 2017, Scala de Milan
Tatiana dans EugÚne Onéguine de Tchaikovski : 30 mars-22 avril 2017, Metropolitan Opera New York
puis Ă lâOpĂ©ra Bastille Ă Paris, du 16 au 31 mai 2017, rĂŽle assurĂ© en alternance avec Sonya Yoncheva (juin 2016)