Rameau, maĂźtre Ă danser par William Christie : jusqu’au 22 novembre 2014. Sur les traces des Ă©blouissantes danseuses devenues lĂ©gendaires Ă l’Ă©poque baroque, La Camargo ou Marie SallĂ©, que Rameau a su mettre en avant dans ses ballets Ă©clatants, William Christie et  ses Arts Florissants soulignent la verve enchanteresse du Dijonais sur la scĂšne chorĂ©graphique dans un nouveau programme … âRameau maĂźtre Ă danserâ… câest le titre prĂ©cis de ce nouveau spectacle façonnĂ© par les Arts Florissants. William Christie pour lâannĂ©e Rameau 2014 nous offre deux ballets Ă redĂ©couvrir (tous deux reprĂ©sentĂ©s Ă Fontenaibleau) dont un ballet peu connu (la Naissance d’Osiris) créé pour la naissance du Dauphin, futur Louis XVI, le 12 octobre 1754. Avant la vogue Retour dâEgypte Ă venir, Rameau aborde lâexotisme de lâAntiquitĂ© Ă©gyptienne en cĂ©lĂ©brant la naissance dâun dieu, Osiris. Dieu majeur du panthĂ©on nilotique qui incarne, thĂšme central de la ferveur antique, la rĂ©surrection aprĂšs la mort. Câest selon la vision de Rameau, toujours soucieux de reprĂ©senter les mĂ©canismes et phĂ©nomĂšnes de la nature, une pastorale heureuse et rĂ©jouissante (commande royale oblige) oĂč Jupiter descend des cintres, interrompt la danse des bergers, pour annoncer lâĂ©vĂ©nement heureux : lâamour et les grĂąces sâassocient aux mortels pour cĂ©lĂ©brer la naissance divine. Ni spectaculaire fracassant, ni apparitions fantastiques (quoique) mais la seule et miraculeuse activitĂ© de la danse ; ici rĂšgne sans partage essor chorĂ©graphique (gigue, gavotte, sarabande, tambourins et menuets charmants) mais aussi incursion dĂ©veloppĂ©e de la pantomime. En pleine Querelle des Bouffons, oĂč les clans sâaffrontent, les uns pour les Italiens, les autres pour la grande machine lyrique française, Rameau inflĂ©chit son style : il sâitalianise (les deux ouvertures sont Ă lâitalienne : vif-lent-vif). William Christie prĂ©sente dans la continuitĂ© et comme le 2Ăšme acte d’un vaste opĂ©ra ballet, Daphnis et ĂglĂ© qui dans la vision scĂ©nographie de Sophie Daneman, ex soprano vedette des Arts Florissants, ici, metteur en scĂšne, poursuit l’enchantement musical, lyrique et dansĂ© d’Osiris…
Lire notre compte rendu critique su spectacle Rameau, maßtre à danser (création en Caen en juin 2014). Prochaines dates de la tournée sous la direction de William Christie : 27 septembre (Mortagne au perche), puis 5 dates en novembre 2014 : Luxembourg (le 4), Moscou (les 6 et 7), Dijon (le 14), Londres (le 14), Paris, Cité de la musique, les 21 et 22 novembre.
La Naissance dâOsiris, ballet en un acte
Daphnis et Eglé, pastorale
nouvelle production
William Christie, direction
Sophie Daneman, mise en scĂšne
âšOpĂ©ra Théùtre de Caen
âšLes 4, 5, 7 et 8 juin 2014
âšCaen, ManĂšge de lâAcadĂ©mie
Les Arts Florissants choeur et orchestre / William Christie, direction musicale
Sophie Daneman, mise en scÚne / Françoise Denieau, chorégraphie / Nathalie Adam, Robert Le Nuz, assistants à la chorégraphie / Gilles Poirier, répétiteur / Alain Blanchot, costumes / Christophe Naillet, lumiÚres et scénographie
Reinoud van Mechelen, Daphnis / Elodie Fonnard, EglĂ©e / Magali LĂ©ger, Amour (D&E), Pamilie (Naissance) / Arnaud Richard, grand prĂȘtre / Pierre BessiĂšre, Jupiter / Sean Clayton, un berger (La Naissance)
Robert Le Nuz, Nathalie Adam, Andrea Miltnerova, Anne-Sophie Berring, Bruno Benne, Pierre-François Dolle, Artur Zakirov, Romain Arreghini, danseurs
Reprises les 14 juin puis 27 septembre 2014
Ce spectacle est Ă©galement prĂ©sentĂ© le samedi 14 juin au ManĂšge du Haras National de Saint-LĂŽ et le samedi 27 septembre Ă Mortagne au Perche dans le cadre de Septembre Musical de l’Orne.
Génie chorégraphique de Rameau
Daphnis et EglĂ©, 1753. La partition s’inscrit au nombre des Ćuvres commandĂ©es par la Cour Versaillaise, offrant un divertissement recherchĂ© pour une cĂ©lĂ©bration dynastique, en l’occurrence la naissance du petit prince Xavier Marie Joseph (Duc d’Aquitaine) survenue le 8 septembre 1753, – comme clairement La Naissance d’Osiris est associĂ©e Ă la naissance du Duc de Berry, survenue le 23 aoĂ»t 1754. Autant de fĂȘtes propres Ă dĂ©montrer la santĂ© du couple delphinal … Daphnis est créé en octobre 1753, prĂ©sentĂ© couplĂ© avec Les Sybarites (prĂ©sentĂ© en novembre suivant) : Rameau entend y affirmer l’excellence de son style en concurrence avec les spectacles prĂ©sentĂ©s Ă l’AcadĂ©mie royale, alors trĂšs (trop) ouverts Ă la vogue italienne : la Querelle des Bouffons bat son plein.
Daphnis est une entrĂ©e pastorale en un acte sur un livret de CollĂ©. Le librettiste d’abord trĂšs enthousiaste Ă l’Ă©gard de Rameau (il fait partie des rameauneurs ardents au sein de la sociĂ©tĂ© du Caveau, contre les lullystes) n’Ă©crira plus de texte pour le musicien : de toute Ă©vidence, leur collaboration tourna court et aprĂšs cette triste expĂ©rience, CollĂ© n’eut de cesse de dĂ©prĂ©cier Rameau, l’homme et son Ćuvre. L’intrigue trĂšs lĂ©gĂšre souligne les frontiĂšres poreuses entre amitiĂ© et amour : les bergers Ă©voluent en une nature fĂ©conde et protectrice, se dĂ©clarent leur tendresse puis en un trio langoureux et triomphal qui unit Daphnis, EglĂ©, Amour. Les deux hĂ©ros peuvent ĂȘtre issus d’un tableau de Boucher : leur mise simple et rustique, dans un dĂ©cor bucolique est prĂ©texte Ă un cycle enivrant de danses et d’Ă©pisodes contrastĂ©s (tonnerre matĂ©rialisant la prĂ©sence de Jupiter, air du grand prĂȘtre avec chĆur, tendre ariette pastorale de Daphnis : “chantez oiseaux, chantez dans ces bois Ă©cartĂ©s…”)… De toute Ă©vidence, Rameau assimile totalement et idĂ©alement l’esthĂ©tique nouvelle des opĂ©ras italiens mais en en resserrant la trame, soignant l’effet saisissant des contrastes pour mieux exprimer la vitalitĂ© des situations. Parmi les nombreuses danses de Daphnis, distinguons : les Ă©lĂ©ments du divertissement proprement dit, vĂ©ritable essor chorĂ©graphique pur : la Musette pour les grĂąces, les jeux, les plaisirs…, la pantomime pour deux jeunes bergers, la contredanse rustique qui conclut la piĂšce.
La naissance d’Osiris, 1754. Pour cĂ©lĂ©brer la naissance du Duc de Berry, le 23 aoĂ»t 1754, Rameau compose Ă la demande de la Cour, un nombre impressionnant de divertissements en un acte, ou entrĂ©es dont La naissance d’Osiris. En vĂ©ritĂ©, Osiris sert de prologue ou prĂ©ambule Ă deux autres entrĂ©es jouĂ©es dans la foulĂ©e : Pygmalion et Les Incas du PĂ©rou (transfuge des Indes Galantes). Les Menus Plaisirs font preuve d’une libertĂ© exceptionnelle dans un tel programme, laissant Ă Rameau (et son complice d’alors Cahusac) une activitĂ© propre oĂč l’inventivitĂ© et l’originalitĂ© servent l’importance du prĂ©texte dynastique et politique. Comme Daphnis, Osiris dĂ©ploie une couleur nettement pastorale (hautbois en verve dĂšs l’ouverture), on y retouve aussi l’importance du rĂŽle du grand prĂȘtre de Jupiter (mĂȘme grande scĂšne : ample air avec choeur, d’une virtuositĂ© inhabituelle pour un rĂŽle de basse). Comme dans Daphnis, Rameau y semble touchĂ© par la grĂące et la meilleure inspiration : d’un bucolique jamais affectĂ© ni artificiel, son Ă©criture symphonique y affirme un vrai tempĂ©rament pour la musique pure, portĂ©e par la tension de l’Ă©lan chorĂ©graphique (Tambourins et musettes).
Une Egypte pastorale et galante. L’esprit bucolique des deux piĂšces, le personnage central de Jupiter, l’esthĂ©tique italianisante si francisĂ©e (dramatique, resserrĂ©e, contrastĂ©e) les rapprochent immanquablement. Les jouer aujourd’hui renouvĂšle la pratique mĂȘme de Rameau et de Cahusac lorsque pour la Cour, les deux crĂ©ateurs fournissaient un programme de divertissements en recyclant plusieurs entrĂ©es de danse, originellement distinctes. Avant la vogue lancĂ©e par l’expĂ©dition de Bonaparte en Egypte Ă la fin du siĂšcle, L’Egypte dont il est question n’est qu’un prĂ©texte, essentiellement pastoral et bucolique, pour Ă©voquer les amours champĂȘtres des bergers amoureux… ni orientalisme ni folklore exotique, mais la grĂące d’un divertissement puissamment construit sur le mouvement et la danse afin d’exprimer la libertĂ© des cĆurs enivrĂ©s dans une nature idĂ©alisĂ©e.