Parsifal par Graham Vick et Omer Meir Wellber (Palerme, janvier 2020)

hunold-kundry-parsifal-582-vick-palermo-classiquenewsL’OPERA chez vous. PARSIFAL par Graham Vick, Ven 10 avril 2020, 15h. Dans la mise en scène du mordant Graham Vick, Omer Meir Wellber dirige le dernier opéra de Wagner au Teatro Massimo di Palermo : une représentation filmée en janvier 2020, rendue accessible ce vendredi 10 avril 2020 et jusqu’au 9 juillet 2020. Une production prometteuse, poétique et virulente avec la Kundry de notre mezzo française Catherine Hunold, vrai format wagnérien d’une présence irrésistible… à voir évidemment.

 

 

 

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VISIONNER PARSIFAL par Graham Vick / Omer Meir Wellber :
https://www.arte.tv/fr/videos/094805-000-A/richard-wagner-parsifal/

 

 

Distribution
Richard Wagner : Parsifal, 1882

Music Director / direction musicale : Omer Meir Wellber
Director / mise en scène : Graham Vick
Avec Julian Hubbard, Tómas Tómasson, John Relvea, Alexej Tanovitski, Thomas Gazheli, Catherine Hunold
Choreography: Ron Howell
Italy 2020, 3h45 min – prochaine critique sur classiquenews.com

 

 

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LIRE aussi notre critique complète de Lohengrin de Wagner avec l’Ortrud onctueuse, sirène incandescente de… Catherine Hunold (Nantes, sept 2016)

HUNOLD catherine-hunold1Vocalement, c’est l’Ortrud magnétique de Catherine Hunold qui vole la vedette : l’acte II – acte où la sirène manipulatrice sème dans l’esprit d’Elsa le poison du doute, est son acte;  port de magicienne implacable et majestueuse dans la lignée des Médée et des Armide, des opéras baroques et préclassiques, la mezzo voluptueuse sait injecter sa suffisance impériale quitte dans un rapport sadique à dominer voire humilier ses proies trop complaisantes : évidemment Telramund le prince accusateur d’Elsa dont elle fait le bras armé de sa vengeance  (très convaincant Robert Hayward qui façonne et nuance lui aussi son personnage : sa grande aisance scénique ajoute à sa crédibilité); et quand la sorcière noire invoque l’esprit de Wotan et de Freia – claire préfiguration du Ring à venir,  Catherine Hunold fait valoir la souplesse jamais forcée de ses graves vénéneux en somptueuse déité wagnérienne…

 

 

 

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LIRE ici notre présentation des

OPERAS CHEZ SOI pendant le confinement

 

 

 

 

Opéras et ballets de l’Opéra national de Paris de mai 2020

 Opéras accessibles depuis le site du Metropolitan Opera de New York

 

 

 

 

et aussi

 

Musées et expositions en ligne

 

 

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COMPTE-RENDU, critique, opéra. NANCY, le 17 oct 2019. REYER : Sigurd. Frédéric Chaslin (version de concert).

SIGURD-REYER-opera-de-nancy-production-nouvelle-annonce-critique-opera-classiquenewsCompte-rendu, opéra. Nancy, Opéra national de Lorraine, le 17 octobre 2019. Reyer : Sigurd. Frédéric Chaslin (version de concert). Pour fêter le centenaire de la construction de son théâtre actuel, idéalement situé sur la place Stanislas à Nancy, l’Opéra de Lorraine a eu la bonne idée de plonger dans ses archives pour remettre au goût du jour le rare Sigurd (1884) d’Ernest Reyer (1823-1909) – voir notre présentation détaillée de l’ouvrage http://www.classiquenews.com/sigurd-de-reyer-a-nancy/ Qui se souvenait en effet que le chef d’oeuvre du compositeur d’origine marseillaise avait été donné en 1919 pour l’ouverture du nouveau théâtre nancéien ? Cette initiative est à saluer, tant le retour de ce grand opéra sur les scènes contemporaines reste timide, de Montpellier en 1994 à Genève en 2013, à chaque fois en version de concert. On notera que Frédéric Chaslin et Marie-Ange Todorovitch sont les seuls rescapés des soirées données à Genève voilà six ans.

D’emblée, la fascination de Reyer pour Wagner se fait sentir dans le choix du livret, adapté de la saga des Nibelungen : pour autant, sa musique spectaculaire n’emprunte guère au maître de Bayreuth, se tournant davantage vers les modèles Weber, Berlioz ou Meyerbeer. La présence monumentale des choeurs et des interventions en bloc homogène traduit ainsi les influences germaniques, tandis que l’instrumentation manque de finesse, se basant principalement sur l’opposition rigoureuse des pupitres de cordes, avec une belle assise dans les graves et des bois piquants en ornementation. La première partie guerrière tombe ainsi dans le pompiérisme avec les mélodies faciles des nombreux passages aux cuivres, il est vrai aggravé par la direction trop vive de Frédéric Chaslin, … aux attaques franches et peu différenciées. Le chef français se rattrape par la suite, dans les trois derniers actes, lorsque l’inspiration gagne en richesse de climats, tout en restant prête à s’animer de la verticalité des inévitables conflits. Malgré quelques parties de remplissage dans les quelques 3h30 de musique ici proposées, Reyer donne à son ouvrage un souffle épique peu commun, qui nécessite toutefois des interprètes à la hauteur de l’événement.

SIGURD à Nancy
un souffle épique peu commun
un superbe plateau…

 

 

C’est précisément le cas avec le superbe plateau entièrement francophone (à l’exception du rôle-titre) réuni pour l’occasion : le ténor britannique Peter Wedd (Sigurd) fait valoir une diction très satisfaisante, à l’instar d’un Michael Spyres (entendu dans un rôle équivalent cet été pour Fervaal https://www.classiquenews.com/compte-rendu-opera-montpellier-le-24-juil-2019-dindy-fervaal-spyres-schonwandt). Les quelques passages en force, bien excusables tant le rôle multiplie les difficultés, sont d’autant plus compréhensibles que  Peter Wedd multiplie les prises de risque, en un engagement dramatique constant. On lui préfère toutefois le Gunter de Jean-Sébastien Bou, toujours impeccable dans l’éloquence et l’intelligence des phrasés. Des qualités également audibles chez Jérôme Boutillier (Hagen), avec quelques couleurs supplémentaires, mais aussi un manque de tessiture grave en certains endroits dans ce rôle.

Vivement applaudie, Catherine Hunold (Brunehild) fait encore valoir toute sa sensibilité et ses nuances au service d’une interprétation toujours incroyable de vérité dramatique, bien au-delà des nécessités requises par une version de concert. On ne dira jamais combien cette chanteuse aurait pu faire une carrière plus éclatante encore si elle avait été dotée d’une projection plus affirmée, notamment dans les accélérations. L’une des grandes révélations de la soirée nous vient de la Hilda de Camille Schnoor, dont le velouté de l’émission et la puissance ravissent tout du long, en des phrasés toujours nobles. A l’inverse, Marie-Ange Todorovitch (Uta) fait valoir son tempérament en une interprétation plus physique, en phase avec son rôle de mère blessée, faisant oublier un léger vibrato et une ligne parfois hachée par un sens des couleurs et des graves toujours aussi mordants. On soulignera enfin les interventions superlatives de Nicolas Cavallier et Eric Martin-Bonnet dans leurs courts rôles, tandis que les choeurs des Opéras de Lorraine et d’Angers Nantes se montrent très précis tout du long, surtout coté masculin.

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COMPTE-RENDU, critique, opéra. Nancy, Opéra national de Lorraine, le 17 octobre 2019. Reyer : Sigurd. Peter Wedd (Sigurd), Jean-Sébastien Bou (Gunter), Jérôme Boutillier (Hagen), Catherine Hunold (Brunehild), Camille Schnoor (Hilda), Marie-Ange Todorovitch (Uta), Nicolas Cavallier (Un prêtre d’Odin), Eric Martin-Bonnet (Un barde), Olivier Brunel (Rudiger), ChÅ“ur de l’Opéra national de Lorraine, Merion Powell (chef de chÅ“ur), ChÅ“ur d’Angers Nantes Opéra, Xavier Ribes (chef de chÅ“ur), Orchestre de l’Opéra national de Lorraine, Frédéric Chaslin (version de concert). A l’affiche de l’Opéra national de Lorraine les 14 et 17 octobre 2019. Photo : Opéra national de Lorraine.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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APPROFONDIR (NDLR)*
L’actuelle exposition à Paris : DEGAS à l’opéra a mis en lumière le goût musical du peintre indépendant qui a exposé avec les impressionnistes. Degas a applaudi éperdument la soprano ROSA CARON créatrice du rôlede Brunnhilde dans SIGURD  de REYER. L’enthousiasme du peintre, inventeur de l’art moderne en peinture à l’extrême fin du XIXè fut tel que Degas écrivit même un poème pour exprimer l’émotion qui lui procurait Sigurd (applaudi plus de 36 fois à l’Opéra de Paris)… Degas était partisan du grand opéra à la française quand beaucoup d’intellectuels parisiens préféraient alors l’opéra “du futur”, celui de Wagner…  LIRE notre présentation de l’exposition « DEGAS à l’opéra » jusqu’au janvier 2020 :

http://www.classiquenews.com/degas-a-lopera-presentation-de-lexposition-a-orsay/

* note / ajout de la Rédaction

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, le 1er mars 2019. R. STRAUSS: Ariane à Naxos. Fau, Hunhold, Savage. Orch Nat Capitole. E.ROGISTER

COMPTE-RENDU, opéra. TOULOUSE, Capitole, le 1er mars 2019. R. STRAUSS: Ariane à Naxos (nouvelle production). Fau, Belugou, Fabing, Hunhold, Savage, Morel, Sutphen. Orch National du Capitole. E.ROGISTER, direction. Donner l’opéra le plus élégant de Richard Strauss et Hugo von Haufmannstahl, le plus exigeant au niveau théâtral avec des voix hors normes, toutes surexposées, est une véritable gageure que Christophe Ghristi, nouveau directeur de l’auguste maison toulousaine, relève avec brio. Il a trouvé en Michel Fau un homme de théâtre respectueux de la musique, capable de donner vie à Ariane à Naxos en un équilibre parfait entre théâtre et musique, entre le prologue et l’opéra lui-même.
J’ai toujours jusqu’à présent trouvé que la partie musicale dépassait le théâtre et que des deux parties l’une dominait l’autre. Au disque la musique sublime de bout en bout de l’opéra s’écoute en boucle et sans limites, à la recherche de timbres rares et de vocalités exactes. A la scène souvent le prologue est trop ceci ou pas assez cela ; et en fait ne convainc pas ; trop souvent l’opéra peut s’enliser. Pourtant je parle de productions à Aix (avec  l’Ariane de Jessye Norman) ou Paris (avec la Zerbinetta de Natalie Dessay)… Je dois dire que ce soir le travail extraordinairement intelligent et délicat de Michel Fau mériterait une analyse de chaque minute.  L’humour y est d’une subtilité rare et sur plusieurs plans. La beauté des costumes (David Belugou)  et des maquillages (Pascale Fau)  ajoutent une élégance rare à chaque personnage quelque soit son physique.

Ariane à Naxos de Strauss/Hofmansthal
Production géniale à Toulouse

STRAUSS-ariane-capitole-toulouse-opera-critique-annonce-classiquenews-critique-opera-Issachah-Savage-(Bacchus)-et-Catherine-Hunold-(Ariane)---crédit-Cosimo-Mirco-Magliocca

C’est également David Belugou qui a réalisé deux décors intelligents et qui éclairés avec subtilité par Joël Fabing, semblent bien plus complexes et profonds qu’ils ne paraissent. Il est rarissime de trouver à l’opéra travail théâtral si soigné dans un respecte absolu de la musique. Dans la fosse les instrumentistes de l’orchestre du Capitole choisis pour leur excellence jouent comme des dieux sous la baguette inventive et vivante d‘Evan Rogister. Il aborde par exemple le prologue de l’opéra avec une allure presque expressionniste et sèche avant de colorer toute la subtile orchestration de Strauss en son poids exact. N’oublions pas que les 38 instrumentistes demandés par Strauss sont évidement de parfaites solistes ou chambristes avérés, mais ensemble ils sonnent comme un orchestre symphonique complet (dans le final).

Que dire des chanteurs à présent ? Ayant chacun les notes incroyables exigées et des timbres intéressants, dans un tel contexte, ils n’ont qu’à chanter de leur mieux pour devenir …divins dans un environnement si favorable. Jusqu’aux plus petites interventions, chacun est merveilleux. L’Ariane de Catherine Hunold est sculpturale, sa prima Donna caricaturale.  En Bachus,  le ténor Issachah Savage,  est éblouissant de panache vocal avec une quinte aiguë et une longueur de souffle qui tiennent du surnaturel ;  dans le prologue, sa brutalité pleine de morgue un est vrai régal de suffisance, pardonnée après le final. Car la puissance du duo final justement, est historique ; une telle plénitude sonore dépasse l’entendement. La Zerbinetta d‘Elisabeth Sutphen mérite des éloges pour un équilibre théâtre-chant de haut vol, alors qu’il s’agit d’une prise de rôle. Elle passe du moqueur au profond en un clin d’ oeil ; virtuose ou languide, elle peut tout.
Le trio de voix, rondes et nuancées, qui tiennent compagnie à Ariane sur son rocher sont d’une qualité inoubliable que ce soit Caroline Jestaedt,  en Naïade, Sarah Laulan en Dryade ou Carolina Ullrich en Echo. Les quatre messieurs qui accompagnent Zerbinetta ne sont pas en reste au niveau vocal mais jouent également avec beaucoup de vivacité et d’énergie (Pierre-Emmanuel Roubet,  Scaramouche ; Yuri Kissin,  Truffaldino ; Antonio Figueroa,  Brighella).  Philippe-Nicolas Martin, en  Arlequin ajoutant une belle touche de vraie-fausse mélancolie dans son lied.
Dans le Prologue, le compositeur d’Anaïk Morel est très sympathique ; c’est vraiment Strauss lui-même qui se questionne sur la folie d’oser composer des opéras dans un monde si absurde. La réponse est OUI :  la beauté, l’intelligence, la finesse sont le remède à l’absurdité et la bêtise du monde. Aujourd’hui à Toulouse, le flambeau a été rallumé avec panache. Oui en une soirée la beauté peut ragaillardir tout un théâtre et le succès public a été retentissant. Les mines réjouies en quittant la salle du Capitole en disent long sur la nécessité de croire, et ce soir de l’avoir vue réalisée, en cette alchimie subtile  qui se nomme opéra. Génialement, unanimement appréciée, la production capitoline aborde le rivage de la perfection !

 STRAUSS ARIANE A NAXOS capitole critique opera classiquenews mars 2019

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COMPTE-RENDU, opéra. Toulouse, Capitole, le 1er Mars 2019. RICHARD STRAUSS (1864-1949) : ARIANE à NAXOS, Opera  en un acte et un prologue, Livret  de Hugo von Hofmannsthal, Création  le 4 octobre 1916 au Hofoper de Vienne, Nouvelle production du Théâtre du Capitole/Opéra Orchestre  national  de  Montpellier – Occitanie.  Michel Fau,  mise en scène ; David Belugou,  décors et costumes ; Joël Fabing,  lumières ; Pascale Fau ,  maquillages.  Avec : Catherine Hunold,  Primadonna / Ariane ; Issachah Savage,  Ténor / Bacchus ; Anaïk Morel,  Le Compositeur ; Elisabeth Sutphen,  Zerbinetta ; Philippe-Nicolas Martin , Arlequin ; Pierre-Emmanuel Roubet,  Scaramouche; Yuri Kissin,  Truffaldino ; Antonio Figueroa,  Brighella ; Caroline Jestaedt,  Naïade ; Sarah Laulan,  Dryade ; Carolina Ullrich,  Echo; Florian Carove,  Le Majordome ; Werner Van Mechelen,  Le Maître de musique ; Manuel Nuñez Camelino,  Le Maître à danser; Alexandre Dalezan, Le Perruquier ; Laurent Labarbe,  Un Laquais ; Alfredo Poesina,  L’Officier ; Orchestre national du Capitole ; Evan Rogister :   direction musicale. / Photos: © Cosimo Mirco Magliocca / Capitole de Toulouse 2019

Compte rendu, opéra. Nantes, Cité des Congrès, le 18  septembre 2016. Wagner : Lohengrin, version de concert. Daniel Kirch, Catherine Hunold,… Orch. nat. des Pays de la Loire. Pascal Rophé, direction.

lohengrin- vignette 160 ANO-16-18-20-septembre-2016-ano-lohengrin-skryscraper-160-600Compte rendu, opéra. Nantes, Cité des Congrès, le 18  septembre 2016. Wagner : Lohengrin, version de concert. Daniel Kirch, Catherine Hunold,… Orch. nat. des Pays de la Loire. Pascal Rophé, direction. Plateau solide et efficace, surtout orchestre dans la puissance et la nuance. … ce Lohengrin made in Nantes, de surcroît en version de concert …. vaut bien des Bayreuth;  inutile de bouder votre plaisir, Jean-Paul Davois, directeur bien inspiré d’Angers Nantes Opéra, confirme une belle intuition : en programmant sur la scène de la Cité des Congrès de Nantes, ce Wagner sans décors ni costumes, le directeur général nous offre une immersion dans la grande forge wagnérienne ; car c’est bien le chef et l’orchestre qui en sont les vedettes;  instruments acteurs, au verbe foisonnant et aux accents millimétrés, tant la direction du chef Pascal Rophé nous satisfait, et même nous comble par une sobriété soucieuse de couleurs ; habile et ductile dans l’enchaînement des épisodes dramatiques ; très convaincante dans l’équilibre des pupitres, jouant sur le relief  des cuivres omniprésents  (l’enjeu ici à travers de nombreux passages militaires est bien là préservation de l’Empire allemand); jouant tout autant de la rutilante harmonie des bois…  d’un magicien angélisme quand paraît à chaque fois la trop candide Elsa (flûtes aériennes, évanescentes).

davois et maestro rophe lohengrin nantes angers opera critique classiquenewsPascal Rophé se saisit du drame wagnérien où triomphe supérieur, souverain, le venin haineux d’Ortrud, seule capable de chasser l’unique chevalier venu de Montsalvat pour sauver la jeune ( et si démunie) duchesse de Brabant, et surtout le succès des armées impériales. Malgré la lumière que convoque chaque apparition du  chevalier au cygne, Lohengrin, Wagner conçoit un opéra viscéralement noir, et sans issue, soulignant combien aimer en confiance est impossible, combien les hommes ne méritent pas la chance de salut qui leur est, une fois dans leur vie, accordé. La féerie médiévale est conduite par une vision désespérée d’un compositeur qui est lui-même, à l’époque de la conception de son opéra, inquiété, pourchassé, rendu fugitif en Europe. Photo ci contre : Jean-Paul Davois et le maestro Pascal Rophé (DR), nouvelle coopération prometteuse, déjà riche en arguments convaincants grâce à ce Lohengrin de début de saison 2016-2017… 

 

 

 

Angers Nantes Opéra réussit à réunir chanteurs, chœurs, orchestre et chef en une production convaincante

Une offre wagnérienne à Nantes et à Angers qui ne se refuse pas…

 

 

Dès l’ouverture, la direction de Pascal Rophé affirme une conception volontaire et très précise du drame ; la clarté du geste saisit ; la construction réalise ce prodigieux rêve d’Elsa dont l’éclat (premier coup des timbales) marque l’implosion prodigieuse qui se transmet jusqu’au chevalier qui ayant entendu sa prière, descendra du ciel, pour la sauver… Directeur musical de l’Orchestre national des Pays de la Loire depuis 2014, Pascal Rophé tout au long de la soirée se montre un wagnérien captivant ; on suit le chef sans sourciller, le laissant nous conduire d’un acte à l’autre avec une subtilité sobre réellement habile et très juste. La coopération entre le chef, son orchestre et Angers Nantes Opéra se révèle en ce sens positive, et … prometteuse.

 

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HUNOLD catherine-hunold1Vocalement, c’est l’Ortrud magnétique de Catherine Hunold qui vole la vedette : l’acte II – acte où la sirène manipulatrice sème dans l’esprit d’Elsa le poison du doute, est son acte;  port de magicienne implacable et majestueuse dans la lignée des Médée et des Armide, des opéras baroques et préclassiques, la mezzo voluptueuse sait injecter sa suffisance impériale quitte dans un rapport sadique à dominer voire humilier ses proies trop complaisantes : évidemment Telramund le prince accusateur d’Elsa dont elle fait le bras armé de sa vengeance  (très convaincant Robert Hayward qui façonne et nuance lui aussi son personnage : sa grande aisance scénique ajoute à sa crédibilité); et quand la sorcière noire invoque l’esprit de Wotan et de Freia – claire préfiguration du Ring à venir,  Catherine Hunold fait valoir la souplesse lohengrin angers nantes opera tenor telramund xQwnPoCliLHGVlwXm5aDyhoc_Rwabpz8-z21pnh5zb0jamais forcée de ses graves vénéneux en somptueuse déité wagnérienne;  on lui doit cet aplomb convaincant qui avait fait la réussite de sa Bérénice de Magnard à l’Opéra de Tours (avril 2014) comme la valeur de sa flamboyante Sémélé, cantate de Dukas Prix de Rome, qui lui doit d’avoir été ainsi remarquée au disque (CLIC de classiquenews, octobre 2015).

kirch daniel ohengrin nantes angersChez les hommes, le roi Henri l’oiseleur de Jean Teitgen, impose une belle ardeur de juge médiateur malgré la raideur de son jeu d’acteur : c’est bien le seul qui ne regarde jamais ses partenaires pendant le spectacle ni ne se retourne vers le choeur qui assure pourtant nombre de ses entrées. Le Lohengrin de Daniel Kirch (photo ci contre) fait valoir les mêmes qualités que son Paul dans La Ville Morte de Korngold, somptueuse production présentée par Angers Nantes Opéra, et pour nous fleuron de sa saison 2015 – 2016 (mars 2015) : le ténor allemand qui chante depuis longtemps et Lohengrin et Parsifal, possède l’exacte couleur du caractère, même si parfois quand se déploient les tutti de l’orchestre, la voix couverte devient inaudible. Mais son “In fernem Land“, quand le Chevalier dévoile son identité divine et miraculeuse, le ténor sur un tapis orchestral murmuré, se fait diseur, d’une sincérité qui touche (saluons dans ce sens, l’intelligence nuancée du chef). Familier des productions baroques et préromantiques, de Rameau à Salieri et jusqu’à Méhul, le baryton Philippe-Nicolas Martin réussit toutes ses déclarations déclamées en Héraut bien chantant et naturellement puissant. D’abord un peu terne voire trop lisse, l’Elsa de Juliane Banse dont le mérite est justement de s’être économiser depuis le début, réussit incontestablement sa dernière scène (de jeune épousée) dans laquelle celle qui doit tout au Chevalier se dévoile agitée, en panique, insistant lourdement auprès de Lohengrin, exigeant que son sauveur lui révèle enfin son nom et d’où il vient. Elle avait pourtant juré de ne jamais poser la question. En se parjurant ainsi, la pauvre oie blanche perd tout et permet à celle qui l’a manipulée, de vaincre définitivement.

 

pascalrophe-ouestfrance-3La vivacité dramatique du chef s’avère une grande réussite ; l’implication des instrumentistes et des choeurs  (engagés, nerveux, dans l’action), la prestation globalement convaincante des solistes font toute la  valeur de ce Wagner à voir absolument à Angers le 20 septembre prochain au Centre de Congrès  (19h), ultime représentation. Quand Bayreuth continue de décevoir soit par l’absence des grands chanteurs, soit par l’indigence ou l’outrance de mises en scènes trop décalées, Angers Nantes Opera vous propose un Wagner de grande classe qui à juste titre place chanteurs et instrumentistes sur le plateau et au devant de la scène… une invitation en ouverture de sa nouvelle saison 2016 – 2017 qui ne se refuse pas.

 

 

 

 

Compte rendu, opéra. Nantes, Cité des Congrès, le 18  septembre 2016. Wagner : Lohengrin, version de concert. Daniel Kirch, Catherine Hunold, Robert Hayward, Juliane Banse, Jean Teitgen, Philippe Nicolas Martin.., choeurs d’Angers Nantes Opéra, de l’Opéra de Montpellier, Orchestre national des Pays de la Loire. Pascal Rophé, direction.

Illustrations : Catherine Hunold (Ortrud) et Pascal Rophé (DR)

 

 

A Strasbourg, Catherine Hunold chante au pied levé Pénélope

HUNOLD catherine-hunold1Strasbourg, Opéra. Catherine Hunold chante Pénélope… Pour la générale de Pénélope, opéra de Fauré, recréé à l’Opéra du Rhin, la soprano Anna Caterina Antonacci a renoncé à chanter le rôle-titre : c’est l’excellente soprano française Catherine Hunold qui l’a remplacée au pied levé. Hier Bérénice de Magnard (avril 2014), plus récemment au disque  Sémélé de Paul Dukas, Catherine Hunold saisit par son sens de la phrase, son art de la prosodie, son timbre ample, charnel et cristallin. Elle est l’une des rares cantatrices dont on comprend chaque mot. Pénélope inattendue et envoûtante. Pénélope est un ouvrage captivant à découvrir sur la scène de l’Opéra national du Rhin  à Strasbourg les 29, 31 octobre puis 3 novembre 2015, les 20 et 22 novembre 2015 à La Filature de Mulhouse. LIRE aussi notre présentation de Pénélope de Gabriel Fauré à Strasbourg et à Mulhouse

Anna Caterina Antonacci programmé depuis le début de la production a bien assuré pour sa part le rôle de Pénélope dès la Première (23 octobre dernier). Catherine Hunold, doublure, a confirmé le temps de la générale son exceptionnel tempérament dans l’opéra romantique français. Diffusion prévue sur ARTE en mars 2016.

Strasbourg, Opéra. Pénélope de Fauré. Du 23 octobre au 3 novembre 2015.

Antonacci pianoStrasbourg, Opéra. Pénélope de Fauré. Du 23 octobre au 3 novembre 2015. Trois noms devraient assurer la réussite de cette nouvelle production de Pénélope de Fauré à l’Opéra du Rhin : le chef Patrick Davin, le metteur en scène Olivier Py et surtout la cantatrice qui a déjà chanté le rôle : la soprano Anna Caterina Antonacci.  Après Strauss et Puccini, compositeurs si inspirés par la féminité, Fauré emboîte le pas à Massenet (Esclarmonde, Manon, Thaïs, Cléopâtre, Thérèse…) et Saint-Saëns (Hélène, 1904), Fauré aborde le profil mythologique de Pénélope, épouse loyale qui attend le retour de son mari Ulysse, parti batailler contre les Troyens. Son retour fut mis en musique par Monteverdi au XVIIè ; Fauré, mélodiste génial s’intéresse au profil de la femme fidèle que l’attente use peu à peu… L’ouvrage créé à l’Opéra de Monte-Carlo le 4 mars 1913 pâtit du livret très fleuri et sophistiqué, un rien désuet d’un jeune poète dramaturge René Fauchois : le jeune homme comédien dans la troupe de Sarah Bernhardt, avait été présenté à Fauré par la cantatrice Lucienne Bréval qui souhaitait ainsi chanter un opéra du Maître. C’est pour Fauré un défi de la maturité et suivre son tempérament taillé pour l’élégance, l’intériorité, le raffinement, éprouvé par la nécessité du théâtre, reste passionnant. Il ne cesse de rabrouer son jeune librettiste, lui reprochant toujours son “verbiage”. A Monte-carlo, le succès n’est que d’estime ce qui désespère l’auteur. Il faut vraiment attendre la reprise parisienne à l’Opéra-Comique en 1919 avec Germaine Lubin pour que l’ouvrage suscite une passion publique.

 

 

faure-penelope-opera-du-rhin-octobre-2015-presentation-review-critique-CLASSIQUENEWSRetour de l’éternelle attente… Pénélope a trouvé la parade aux prétendants qui souhaitent l’épouser car il faut redonner à l’île d’Ithaque, un roi et un nouvel avenir après le départ d’Ulysse. La souveraine défait chaque soir l’ouvrage qu’elle a tissé pendant la journée : elle a fait le voeu en effet d’accepter un nouvel époux quand son métier serait achevé. Pour faire antique, Fauré compose donc une fresque épurée, sensuelle, colorée de danses « orientales », soit un cadre vraisemblable et riche pour mettre en avant la cantatrice vedette dont le rôle exige tempérament, constance, vérité et profondeur tragiques. La musique de Fauré, consciemment ou non, interroge la formulation et le sens de l’attente : il faut l’espérance pour oser prétendre à l’inespéré. Mais Pénélope qui patiente et attend, a-t-elle conscience de son propre avenir qui est à l’extrémité de son attente ? Qu’espère-t-elle au demeurant ? Quel enseignement va-t-elle découvrir à la fin de son attente ?

 

faure gabriel portrait gabriel faure CLASSIQUENEWSGabriel Fauré voulait un sujet mythologique pour son opéra. Les derniers chants de l’Odyssée inspire un livret resserré mais Homère est ici réactualisé dans le Paris de 1907, année où Fauré commence sa partition. Olivier Py estime la poésie du librettiste et rappelle qu’au moment de l’écriture de Fauré, le Titanic a sombré emportant avec lui toute une époque, celle de Fauré. justement. Dans Pénélope, Fauré cible l’abstraction, c’est à dire une action universelle : l’attente de Pénélope (Fauré concentre son action sur la figure féminine au point que le personnage de Télémaque a disparu) désire comprendre mais elle reste absente à tout discernement, et demeure aveugle à sa propre actualité (au point d’ailleurs dans l’opéra de ne pas reconnaître Ulysse qui est revenu…) : Fauré, c’est Pénélope qui ne voit pas venir le marxisme, la Guerre mondiale, ce gouffre terrible qui va surgir. La couronne de Télémaque et d’Ulysse jetées dans une flaque d’eau : tel est le défi de base proposé par Olivier Py à son responsable des décors, Pierre-André Weitz. Il en découle un dispositif scénique continûment mobile, composé de plateaux tournants, posés sur une étendue d’eau… qui fait vaciller l’ensemble du décor et de la machinerie : c’est un prodige d’ombres, de formes évanescentes qui trouble l’entendement du spectateur. De sorte que nous sommes exactement dans cette perte de la conscience qui a peu à peu enseveli la raison de celle qui attend et s’est perdue. La dramaturgie est nourrie d’espérance déçue, d’attente, de pudeur très noble (pas de place pour le burlesque et le comique ou l’ironie). Le cadre choisi est celui d’un éternel retour…

HUNOLD catherine-hunold1Une autre voix pour la générale… Dernière minute : c’est Catherine Hunold (photo ci-contre), sublime diseuse et voix ample et timbrée qui a assuré finalement le rôle de Pénélope pour la Générale : la diva française a confirmé ainsi ses affinités avec le récitatif fauréen, subtile prosodie entre chant et parole… Elle poursuit une série de prise de rôles de plus en plus convaincants : Bérénice à Tours (recréation saluée par CLASSIQUENEWS), et dernièrement au disque, Sémélé, cantate pour le prix de Rome de Paul Dukas présentée malheureusement en 1889 : un coup de génie bien peu reconnu par l’Institution.Il existe seulement deux enregistrements : l’un en live par Ingelbrecht  avec Régine Crespin (1956), l’autre en studio par Charles Dutoit avec Jessye Norman (1980). 

 

 

 

boutonreservationPénélope de Fauré à l’Opéra de Strasbourg
7 représentations à ne pas manquer
Les 23, 27, 29, 31 octobre puis 3 novembre 2015.
A Mulhouse (La Filature), les 20 puis 22 novembre 2015

Direction musicale: Patrick Davin
Mise en scène: Olivier Py
Décors et costumes: Pierre-André Weitz
Lumières: Bertrand Killy

 

Pénélope: Anna Caterina Antonacci
Ulysse: Marc Laho
Euryclée: Élodie Méchain
Cléone: Sarah Laulan
Mélantho: Kristina Bitenc
Phylo: Rocío Pérez
Lydie: Francesca Sorteni
Alcandre: Lamia Beuque
Eumée: Jean-Philippe Lafont
Eurymaque: Edwin Crossley-Mercer
Antinoüs: Martial Defontaine
Léodès: Mark Van Arsdale
Ctésippe: Arnaud Richard
Pisandre: Camille Tresmontant

ChÅ“urs de l’Opéra national du Rhin
Maîtrise de l’Opéra national du Rhin – Petits chanteurs de Strasbourg
Orchestre symphonique de Mulhouse
Éditions Heugel

LIRE aussi notre compte rendu du cd  Hélène de Camille Saint-Saëns (1904) / entretien avec Guillaume Tourniaire

 

 

 

REPORTAGE vidéo : Bérénice de Magnard à l’Opéra de Tours (4,6,8 avril 2014)

Bérénice de Magnard (1909) ressuscite à l'Opéra de ToursREPORTAGE vidéo : Bérénice de Magnard à l’Opéra de Tours. Jean-Yves Ossonce engage toutes les forces vives de l’Opéra de Tours pour offrir une nouvelle production de l’opéra oublié d’Albéric Magnard, Bérénice, composé en 1909, créé en 1911 à l’Opéra Comique. Wagnérien et pourtant d’une inventivité inédite, puissante et originale, Magnard renouvelle la figure antique traitée avant lui par Racine et Corneille : le compositeur réussit le portrait du couple amoureux que la politique défait malgré eux. C’est pourtant leur profondeur morale et émotionnelle qui intéresse Magnard : son opéra est une épure dramatique et psychologique, conçu comme un huit clos théâtral, qui atteint au sublime à l’égal des tragédies raciniennes mais désormais enrichi et comme réchauffé par le flamboiement raffiné de l’orchestre. Grand Reportage vidéo avec Catherine Hunold (Bérénice), Jean-Sébastien Bou (Titus), Jean-Yves Ossonce (directeur musical de l’Opéra de Tour), Alain Garichot (mise en scène)…. Reportage exclusif © CLASSIQUENEWS.COM 2014

CLIP vidéo. Bérénice de Magnard à l’Opéra de Tours

BERENICE Opéra de Tours avril 2014 © François Berthon  6145CLIP vidéo : Bérénice de Magnard à Tours. Recréation majeure à l’Opéra de Tours : la nouvelle production de l’opéra Bérénice d’Albéric Magnard (1911) créée l’événement les 4,6 et 8 avril 2014. D’une grandeur humaine raffinée, ciselée comme une épure tragique, l’écriture de Magnard assimile et Wagner et Massenet avec une sensibilité instrumentale et une vitalité rythmique, originales, souvent inouïes. Dans la fosse, Jean-Yves Ossonce, détaillé, dramatique, réunit un plateau idéal : Catherine Hunold et Jean-Sébastien Bou, dans les rôles principaux : Bérénice et Titus, offrant aux figures antiques, une intensité poétique très convaincante.

Ayant perdu sa mère alors qu’il n’avait que 4 ans, Magnard peint dans le portrait de Bérénice, une figure de femme admirable, mesurée, loyale, d’une intégrité morale exemplaire qui laisse la place peu à peu au renoncement ultime après avoir été passionnément amoureuse. Saisi par Tristan und Isolde de Wagner, découvert à Bayreuth en 1886, Magnard se destine à la musique, devenant l’élève de Dubois, le proche de Ropartz. La pulsation rythmique rappelle Roussel, les raffinements harmoniques, Dubois ; et le caractère langoureux extatique, le Wagner de Tristan et de la Walkyrie. Bérénice est une Isolde française, un hommage personnel et puissamment original à l’Å“uvre wagnérienne.

Nouvelle production événement. CLIP vidéo exclusif CLASSIQUENEWS.COM

Lire notre compte rendu critique de Bérénice d’Albéric Magnard à l’Opéra de Tours avec Catherine Hunold et Jean-Sébastien Bou

Compte rendu, opéra. Tours. Grand Théâtre, le 4 avril 2014. Albéric Magnard : Bérénice. Catherine Hunold, Jean-Sébastien Bou, Nona Javakhidze, Antoine Garcin. Jean-Yves Ossonce, direction musicale. Alain Garichot, mise en scène

BERENICE Opéra de Tours avril 2014 © François Berthon  6145Pour le centenaire de la disparition d’Albéric Magnard, l’Opéra de Tours a eu le nez fin en programmant pour trois soirées sa rare Bérénice (4,6, 8 avril 2014), ces représentations n’étant que les secondes depuis la création de l’œuvre en décembre 1911. En 2001, l’Opéra de Marseille avait osé redécouvrir cette tragédie lyrique après la lettre, et puis plus rien.
Disciple de Jules Massenet, Théodore Dubois et Vincent d’Indy, échaudé par l’échec de ses ouvrages lyriques précédents, Yolande et Guercœur, et peinant à trouver un nouveau sujet pour la scène, Magnard se voit suggérer en 1904 la figure de Bérénice, qui finit par le hanter tout à fait.
Plutôt que mettre en musique les vers de Racine, geste qu’il considérait comme un affront au génie de l’auteur, le compositeur décide d’écrire son propre livret en s’inspirant de diverses sources, allant jusqu’à puiser dans une Bérénice égyptienne. C’est ainsi que la reine de Judée se trouve rajeunie, que Titus ne monte sur le trône de son père défunt qu’au deuxième acte, et que Bérénice achève l’œuvre en offrant sa chevelure, symbole de sa féminité, à la déesse Vénus, comme un renoncement à ses charmes fermant ainsi pour toujours son cœur à l’amour.

Racine à l’opéra

La partition s’ouvre par une introduction respirant le large et les embruns, résumant à elle seule les thèmes qui seront développés durant le drame, servie par une écriture qui rappelle irrésistiblement Berlioz et son Île inconnue.

 

 

BERENICE Opéra de Tours avril 2014 © François Berthon  6018

         

 

 

Par la suite, le langage utilisé par le compositeur est celui de la déclamation mélodique, couvrant un large ambitus mais toujours au service du texte, sous lequel se tisse une harmonie qui rappelle aussi bien Wagner que Debussy, et préfigurant par instants déjà Poulenc. Racine est bien entendu présent, par la majesté des personnages, en particulier le rôle-titre, à la fierté impériale, alors que Titus ploie sous les doutes et les tourments. Un ouvrage qui se noue comme un dialogue, les répliques des autres personnages ne venant que conforter les deux protagonistes dans leurs choix et leurs résolutions.
La richesse de l’orchestration met en valeur le travail effectué par Jean-Yves Ossonce et son Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, débordant de la fosse jusqu’à occuper les loges supérieures de l’avant-scène. La cohésion des musiciens se révèle remarquable, sans faiblesse du début à la fin malgré la densité de l’écriture musicale et les difficultés qui en découlent. Tout au plus pourrait-on souhaiter encore davantage de subtilité et de liquidité dans les accents des cordes, mais la performance de l’ensemble est à saluer bien bas.
Invisibles, les chœurs servent avec bonheur leurs parties, chansons calomniant Bérénice autant que voix des marins manœuvrant les rames du navire emportant la jeune femme loin de Rome.
Tenant les rênes de cette soirée, le chef confirme ses affinités avec ce répertoire, dont il souligne autant les filiations que les particularités et qu’il sert avec un bonheur communicatif.
Grâce à douze années passées à la Comédie Française, Alain Garichot connaît bien ce sujet célèbre entre tous, et sert son illustration lyrique avec un immense respect. Il imagine une scénographie dépouillée et intemporelle, offrant à voir tantôt une colonne dorique, tantôt une statue, l’ouvrage culminant sur une proue de bateau couronné de sa voile, représentation simple et efficace du départ de Bérénice sur les flots. Des images dont la majesté conviennent admirablement à l’œuvre et qui permettent à la musique de se déployer pleinement.
La direction d’acteurs est à l’avenant, centrée sur les deux amants déchirés par le devoir. Bérénice demeure toujours altière, mesurée dans ses mouvements, retenue jusque dans la colère, les sentiments la dévorant de l’intérieur sans qu’elle laisse paraître son trouble autrement que par ses mots ; contrairement à Titus qui ne cesse de se mouvoir, agité par son trouble, implorant, à genoux, étendu aux pieds de sa maîtresse, sans parvenir à trouver la paix. Une opposition saisissante, qui fait écho à la partition, d’une grande justesse.
Entourant le couple central, les seconds rôles remplissent parfaitement leur rôle.
Nona Javakhidze incarne une Lia aussi bien maternelle que sévère, faisant admirer son beau mezzo rond et ample, mais que davantage de luminosité aurait aidé à servir ce répertoire dans toute sa clarté. Mucien au cœur sec, Antoine Garcin met à profit la profondeur de sa voix de basse pour incarner le devoir, rude et inflexible.
L’ouvrage trouvant sa palpitation au cœur de la passion qui anime les deux amants, il fallait trouver deux interprètes à même de rendre justice à cette musique. Aussi dissemblables que complémentaires, Jean-Sébastien Bou et Catherine Hunold délivrent une prestation d’une qualité exceptionnelle.
Lui confirme la place qu’il occupe actuellement dans le paysage lyrique français, grâce à sa voix de baryton claire et puissante, jamais grossie mais toujours percutante, à l’aise dans l’aigu, ciselant son texte avec la précision de ses grands aînés. Il se donne tout entier dans ce Titus torturé par le devoir, abhorrant le pouvoir avant d’avoir régné, d’une grande vérité dramatique dans sa vulnérabilité.
Elle démontre une fois encore qu’elle est bien ce soprano dramatique à la française qu’il nous manquait depuis longtemps. L’instrument se déploie peu à peu, paraissant grandir au fur et à mesure que le drame se joue, mais jamais au détriment des mots, énoncés à fleur de lèvres. Si le bas-médium et le grave surprennent par leur peu d’appui – sécurité pour permettre au registre supérieur de durer tant en vaillance qu’en longévité ? – l’aigu éclate, solide et puissant, d’un impact tétanisant. Parfois un rien tendu dans les sauts d’intervalles, il trouve sa plénitude dans les longues tenues lorsqu’il est préparé et détendu, ainsi que l’exigent les grandes voix. L’abandon devenant inéluctable, la fureur s’apaise, laissant place à d’ineffables nuances, faisant irradier un « je t’aimerai toujours » suspendu, comme arrêtant le temps, à la sincérité bouleversante.
Dotée d’un port de reine et d’un magnétisme scénique évident, elle occupe le plateau par sa seule présence, stature d’airain et noblesse jusque dans le sacrifice. Tant de qualités qui nous font rêver à une Reine de Saba de Gounod et, dans un tout autre répertoire, à une Norma qui augure du meilleur.
Une redécouverte majeure, un pari risqué de la part de l’Opéra de Tours mais remporté haut la main, qui réhabilite l’originalité d’Albéric Magnard. A quand Guercœur ?

Tours. Grand Théâtre, 4 avril 2014. Albéric Magnard : Bérénice. Livret du compositeur d’après Racine. Avec Bérénice : Catherine Hunold ; Titus : Jean-Sébastien Bou ; Lia : Nona Javakhidze ; Mucien : Antoine Garcin. Chœurs de l’Opéra de Tours et Chœurs Supplémentaires ; Chef de chœur : Emmanuel Trenque. Orchestre Symphonique Région Centre-Tours. Direction musicale : Jean-Yves Ossonce. Mise en scène : Alain Garichot ; Décors : Nathalie Holt ; Costumes : Claude Masson ; Lumières : Marc Delamézière

Illustrations : © François Berthon 2014