CRITIQUE, opĂ©ra. GENĂVE, GTG, le 3 mars 2022. LULLY: Atys. AlarcĂłn / Preljocaj. AprĂšs l’arrivĂ©e du chef, en fosse, les instrumentistes jouent l’hymne ukrainien, hommage important et soutien lĂ©gitime et pourtant dĂ©risoire, d’une nation martyre, soumise Ă la barbarie la plus abjecte… la guerre. Celle dont il est question sur la scĂšne du grand théùtre de GenĂšve ce soir est d’ordre amoureux. PerpĂ©trĂ©e par l’impĂ©rial CybĂšle, la dĂ©flagration [et une manipulation effarante] foudroie les deux cĆurs Ă©pris, Atys et Sangaride….
Voici un Atys trĂšs convaincant dont le mĂ©rite tient Ă cette fusion rĂ©ussie entre danse et action ; ce dĂ©fi singulier renforce la cohĂ©sion profonde du spectacle conçu par le chorĂ©graphe (et metteur en scĂšne) Angelin Preljocaj lequel a travaillĂ© l’Ă©loquence des corps qui double sans les parasiter le chant des solistes lesquels jouent aussi le pari d’un opĂ©ra dansĂ©, chorĂ©graphiant avec mesure et justesse airs, duos, trios ; mĂȘme le chĆur est sollicitĂ© offrant {entre autres} dans le sublime tableau du sommeil (acte III), cette injonction collective qui vaut invective car alors que la dĂ©esse CybĂšle avoue son amour Ă Athys endormi, chacun lui rappelle ici qu’il ne faut en rien dĂ©cevoir la divinitĂ© qui a choisi dâabandonner lâOlympe pour aimer un mortel…
CHORĂGRAPHIQUE ET PUDIQUE, le superbe Atys dansĂ©
d’Angelin Preljocaj
Ici l’Ă©pure, les contrastes froids dans une atmosphĂšre minĂ©rale soulignent le huis clos amoureux tandis que les danseurs font des corolles expressives, suggestives, d’un esthĂ©tisme discret. Ils expriment aussi allusivement la mĂ©tamorphose qui Ă©branle alors Atys [vrai sujet de l'Ćuvre] : celui qui s’Ă©tait construit dans la maĂźtrise et la dissimulation, libĂšre son cĆur, s’abandonne Ă la vĂ©ritĂ© de ses sentiments. Sa passion peu Ă peu rĂ©vĂ©lĂ©e, fait tout le sel de lâaction. De courtisan, il devient humain.
Sangaride pourtant promise au roi de Phrygie aime Atys; celui qui feint l’indiffĂ©rence est en rĂ©alitĂ© un cĆur trop tendre qui ne veut pas aimer pour ne pas souffrir. Or il avoue Ă Idas, son amour pour Sangaride alors que CybĂšle va descendre pour nommer son grand sacrificateur…
La mise en scĂšne soigne la clartĂ© des gestes qui associĂ©s Ă l’intensitĂ© du chant, souligne combien il s’agit ici dune tragĂ©die racinienne oĂč chaque protagoniste expose sa solitude et son impuissance face Ă l’amour. Du reste la fin hautement tragique marque un point inĂ©dit dans l’histoire du genre lyrique en France : Lully y Ă©gale en tout point l’inĂ©luctable sacrificiel que l’on ne voyait jusque lĂ que sur la scĂšne du théùtre parlĂ©. Dans ses proportions idĂ©alement restituĂ©es, le spectacle dĂ©ploie tout ce qui fait alors le caractĂšre de l’opĂ©ra baroque français : la concision de la langue, sa prosodie Ă la fois souple et dense que contrepointe dans la [fausse] dĂ©tente [si maĂźtrisĂ©e] la grĂące libre des danseurs. De ce point de vue la production est captivante ; elle confirme les vertus d’une lecture scĂ©nographique toute entiĂšre portĂ©e par un chorĂ©graphe. VoilĂ qui fait danser la musique de Lully autrement… Et l’on attend ce qu’il pourrait apporter dans la foulĂ©e de cet Atys sĂ©duisant, aux opĂ©ras de Rameau.
Dans la fosse, AlarcĂłn, Ă la tĂȘte de sa Capella Mediterranea, veille au nerf de l’action, son explicitation, le dĂ©ploiement progressif de l’effroi tragique.
Des solistes se distinguent surtout la Sangaride, sincĂšre, touchante et naturelle de Ana Quintans ; la basse prĂ©cise, autoritaire, magnifiquement timbrĂ©e de Michael Mofidian (dont le relief vocal – en songe funeste-, fait aussi tout le charme trouble du Sommeil au III) ; et dans le rĂŽle dâAtys, le tĂ©nor amĂ©ricain Matthew Newlin, vraie voix claironnante de haute contre Ă la projection franche et directe, malgrĂ© des passages dans l’aigu parfois tirĂ©s et une articulation pas aussi homogĂšne que sa partenaire Sangaride. Signalons aussi le CĂ©lĂ©nus, promis Ă Sangaride dâAndreas Wolf, au chant solide et timbrĂ© lui aussi. La CybĂšle de Giuseppina Bridelli reste d’une froide retenue, trop glacĂ©e Ă notre avis dans son grand air de victime amoureuse, – plus et rien que divinitĂ© marmorĂ©enne plutĂŽt que dĂ©esse Ă la fragilitĂ© mortelle – (« Espoir si cher et si doux, pourquoi me trompez-vous ? »).
Minces rĂ©serves tant la production, dans sa globalitĂ© agissante offre un spectacle de grande tenue qui conforte la qualitĂ© des opĂ©ras de Lully trop absents des scĂšnes lyriques. De fait on comprend que Atys fut un choc Ă sa crĂ©ation, « l’opĂ©ra du roi » (cf. les lettres des tĂ©moins de la crĂ©ation en 1676) qui en fredonnait les airs Ă sa guise, probablement heureux de compter ainsi sur une authentique crĂ©ation spĂ©cifiquement versaillaise : la tragĂ©die en musique. Photos : GTG Grand Théùtre de GenĂšve © G. Batardon 2022.
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CRITIQUE, opĂ©ra. GENĂVE, GTG, le 3 mars 2022. LULLY: Atys. AlarcĂłn / Preljocaj. A lâaffiche du Grand Théùtre de GenĂšve, encore les 6 (15h), 8 et 10 mars 2022 Ă 19h30. RĂ©servez vos places sur le site du Grand Théùtre de GenĂšve : LIRE notre prĂ©sentation dâATYS de Lully, nouvelle production prĂ©sentĂ©e par le Grand Théùtre de GenĂšve
Spectacle Ă l’affiche du ChĂąteau de Versailles, du 19 au 23 mars 2022 (4 reprĂ©sentations, les 19, 20, 22 et 23 mars 2022) : https://www.chateauversailles-spectacles.fr/programmation/lully-atys_e2460
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VOIR le teaser VIDEO :Â
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LULLY : ATYS – Alarcon / Preljocaj - Nouvelle production
3h30
Matthew Newlin, Atys
Ana Quintans, Sangaride
Giuseppina Bridelli, CybĂšle
Andreas Wolf, Celaenus, Le Temps
Gwendoline Blondeel, Iris, Doris, Divinité fontaine, La Déesse Flore
Michael Mofidian, Idas, Phobetor, Un songe funeste
Valerio Contaldo, Morphée, Dieu de fleuve
José Pazos, Phantase
Luigi De Donato, Le Fleuve Sangar
Lore Binon, Melisse, Divinité fontaine
Nicholas Scott, Zéphyr, Le Sommeil
ChĆur du Grand Théùtre de GenĂšve
Ballet du Grand Théùtre de GenÚve
Cappella Mediterranea
Leonardo GarcĂa AlarcĂłn, direction
Angelin Preljocaj, mise en scÚne et chorégraphie
Prune Nourry, décors
Jeanne Vicérial, costumes
Eric Soyer, lumiĂšres