samedi 20 avril 2024

Sanxay. Théâtre antique, le 9 août 2012. Verdi: La Traviata. Lianna Haroutounian… Didier Lucchesi, direction

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Présentée pour la première fois en 2002, La Traviata de Giuseppe Verdi (1813-1901) revient aux Soirées Lyriques de Sanxay dans une nouvelle production et avec un nouveau plateau vocal. Créée le 6 mars 1853 à la Fenice de Venise La Traviata connait un échec retentissant. Ce n’est qu’un an plus tard, en 1854, que l’oeuvre est redonnée au Teatro San Benedetto de Venise avec un cast entièrement remanié; elle connait enfin un succès éclatant qui ne se démentira plus. Le festival de Sanxay a le mérite de présenter une partition quasi intégrale défendue par des artistes de talent qui donnent le meilleur d’eux mêmes.

La Traviata revient en force au théâtre antique de Sanxay

En 2011 nous avions regretté que Jack Gervais ait proposé une mise en scène inégale de Carmen. Pour Traviata, il propose un travail certes intéressant mais parfois maladroit et statique (comme par exemple la foule qui se détourne de Violetta après qu’Alfredo l’ai offensée tout en chantant « … Fra cari amici qui sei soltanto … » ou des postures étrangement fixes, là où le livret dit clairement que les scènes sont vivantes : la fête chez Flora Bervoix ne décolle jamais vraiment). Cependant l’ensemble reste agréable à regarder et globalement, les décors, les lumières, les costumes font beaucoup dans la réussite de la soirée. En revanche, Gervais est plus inspiré dans cette mise en fil rouge de la mort qui, personnifiée par une douzaine de figurants constamment présents en fond de scène, plane sur la tête de Violetta telle une épée de Damoclès. La force de la soirée vient aussi d’un plateau vocal et d’un orchestre en grande forme ; très inspirés, les musiciens jouent avec beaucoup de conviction.

Dans le rôle-titre, la soprano arménienne Lianna Haroutounian campe une Violetta émouvante
qui ne force ni sa voix ni son talent d’actrice. Elle offre au portrait de la courtisane, une grande palette d’émotions qui permet au public de lire dans ses pensées comme un livre ouvert tant les sentiments contradictoires de la jeune femme alternent avec une aisance et une fraîcheur réjouissantes; et même si nous savons que la mort de Violetta est inéluctable, on se prend au jeu tragique en souhaitant néanmoins la voir survivre à la phtisie. Vocalement, la soprano assume crânement la large tessiture du rôle ; même si elle achève la cabalette du premier acte sans lancer le contre-mi bémol rajouté par une longue tradition, la jeune femme démontre avec éclat qu’elle est Violetta jusqu’au bout des cordes vocales; et pendant toute la soirée Lianna Haroutounian nous offre un feu d’artifices éblouissant dont le final, très émouvant est le point d’orgue malgré… une mise en scène un peu étrange : Violetta paraît alors soutenue par Anina alors qu’elle devrait être sur son lit de douleur dès le changement de décor, alors que la mort, quittant le fond de scène s’affiche au devant du plateau. L’Alfredo du tout jeune ténor roumain Stefan Pop est d’autant plus remarquable qu’il démontre sans efforts une vaillance à la hauteur des plus grands Alfredo passés et présents tant le jeune homme fait montre d’une maîtrise et d’une sûreté de métier confondantes. Pop chante le Brindisi du premier acte avec fermeté et conviction; il aborde l’air et la cabalette du deuxième acte sans trembler ni tomber dans les pièges d’une partition illusoire où beaucoup surchantent; le jeune ténor dont la large tessiture couvre largement le rôle d’Alfredo tient crânement tête à ses partenaires et à aucun moment il ne donne l’impression de forcer aussi bien vocalement que scéniquement. La finesse et l’aisance caractérisent le jeu et le chant des deux protagonistes.

Complétant avec bonheur le trio principal, Fabio Maria Capitanucci campe un Germont dramatiquement humain : incarnant, fusse au prix de la mort de Violetta et du chagrin de son fils, la tradition étriquée et bourgeoise de la Provence du XIXe. Sa petitesse transparaît dans l’émouvante évocation de la soeur d’Alfredo, cette soeur qui semble ne servir de prétexte que pour séparer définitivement le couple illégitime et scandaleux formé par la courtisane et le jeune bourgeois. La belle voix de baryton de l’italien résonne dans le théâtre antique telle une sentence définitive; les deux airs de Germont, aussi émouvants l’un que l’autre, sont chantés avec sensibilité et si le père ne peut se défaire de ses préjugés bourgeois au moins réalise-t-il, même inconsciemment, qu’il agit mal et au détriment de Violetta et de son fils.

Si c’est le final qui fait tomber, trop tard, les barrières sociales, c’est aussi dans cette ultime scène que Verdi écrit ses pages les plus émouvantes, comme pour sublimer le destin fatal de la malheureuse Violetta. Aline Martin incarne une Anina convaincante avec une facilité même qui fait espérer de la revoir dans un rôle plus développé.

Parmi les rôle secondaires, nous retrouvons l’excellent Jean Marie Delpas (Grenvil) qui mériterait de chanter lui aussi un rôle plus long, Florian Sempey (Baron Douphol) dont nous avions par ailleurs salué le Moralès prometteur lors de l’édition 2011 et Sarah Vaysset (Flora Bervoix). Le choeur des soirées lyriques, dont le rôle est presque aussi important que celui des trois principaux protagonistes, est professionnel et tire son épingle du jeu en faisant davantage que de la figuration.

Dans la fosse, Didier Lucchesi dirige l’orchestre des Soirées Lyriques. Visiblement plus inspiré par La Traviata que par Carmen, Lucchesi dirige la musique de Verdi avec une vigueur et un dynamisme qui rendent d’autant mieux justice au compositeur que la partition regorge de pages d’une beauté sans égale. Le chef a d’autant plus de mérite qu’il a choisi la partition quasiment intégrale; c’est ainsi qu’Alfredo chante la cabalette si souvent coupée et que son père prend une consistance d’autant mieux venue qu’ailleurs, les coupures dont ce rôle est généralement affligé, en font malgré lui un personnage falot et borné. Quel dommage que, après autant de choix bienvenus, Violetta soit privée de la deuxième strophe de son air « Addio del passato » au dernier acte; si on peut le regretter, quel plaisir cependant d’écouter des pages qui sont, ailleurs dans la partition, peu données.

Malgré une mise en scène qui, malgré de bonnes idées, reste parfois maladroite et peu inspirée, la production tient ses promesses: elle montre la pertinence du festival lyrique de Sanxay en offrant une porte d’entrée aux jeunes artistes en devenir.

Sanxay. Théâtre antique, le 9 août 2012. Giuseppe Verdi (1813-1901) : La Traviata. Opéra en trois actes sur un livret de Francesco Maria Piave tiré de La dame aux camélias d’Alexandre Dumas fils. Lianna Haroutounian, Violetta Valéry; Stefan Pop, Alfredo Germont; Fabio Maria Capitanucci, Giorgio Germont; Sarah Vaysset, Flora Bervoix; Aline Martin, Anina; Frédéric Diquero, Gastone; Florian Sempey, Baron Douphol; Ronan Nédelec, Marquis d’Obigny; Jean Marie Delpas, Docteur Grenvil; Choeur et orchestre des Soirées Lyriques de Sanxay; Stefano Visconti, chef de choeur; Didier Lucchesi, direction. Jack Gervais, mise en scène et lumières; Laurence Fanon, chorégraphie; Maison Grout (Bordeaux), costumes. Compte rendu rédigé par notre envoyée spéciale à Sanxay, Hélène Biard.

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