mercredi 17 avril 2024

Saint-Sulpice Le Verdon (Vendée). Le 10 août 2011, Festival Musiques à la Chabotterie. « La dernière sérénade de Molière »: Musiques de Marc Antoine Charpentier. Hugo Reyne, direction

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Pour Hugo Reyne, l’année 2011 est celle des célébrations et des caps décisifs: 10 ans de sa direction à la tête du festival Musiques à la Chabotterie; 50 ans en août 2011; 25 ans de son ensemble La Simphonie du Marais … C’est donc pour le maître musicien en ses terres vendéennes, une période riche en symboles. Pour autant peut-on parler d’accomplissements?

La réponse est oui tant le concert de clôture de la 15è édition du Festival vendéen prolonge une recherche et un travail convaincant sur le théâtre français baroque, des XVIIè et XVIIIè: le geste réalisé marque essentiellement la maturité de son projet musical comme serviteur passionné des formes baroques françaises à leur naissance ou dans leur essor. Le chef fondateur de la Simphonie du Marais dont la collection des opéras de Lully chez Accord malheureusement interrompue en 2009, fait toujours autorité, s’obstine et gagne en Vendée le pari du geste défricheur et constant.

En résidence à la Chabotterie (Saint-Sulpice le Verdon), Hugo Reyne et les musiciens de la Simphonie du Marais, en petit effectif, retrouvent à l’été 2011, la verve délirante d’une scène expérimentale, celle des années 1670, où les formes se développent, se renouvellent, où le verbe déclamé ou parlé ne pouvant se suffire à lui- même, réclame sa fusion brûlante avec la musique… Quand le vieux Molière usé et malade et pourtant au zénith de sa carrière et de son génie dramatique rencontre le jeune Charpentier, alors fraîchement revenu de Rome, l’objectif des deux créateurs est bien de réussir cette expression parfaite, équilibrée, que leurs rivaux, plus officiels et mieux en cour, – Lully et Quinault-, font évoluer vers l’opéra dans son enveloppe désormais « classique », en 1673 (création de la première tragédie en musique: Cadmus et Hermione).


Molière, Charpentier: un duo magicien

Dans la Cour d’honneur de La Chabotterie vendéenne, les interprètes ressuscitent le duo prodigieux Molière/Charpentier qui ont participé en particulier sur le mode comique à l’essor du théâtre moderne. De Prologues en sérénades, d’intermèdes en ouvertures, de tableaux amoureux alanguis clairement italianisants, en trios et duos loufoques et délirants, le chef souligne l’invention poétique souvent déjantée de Molière et Charpentier, précisément l’éloquence fantasque de leurs comédies-ballets.

Revenons au titre même du programme: « la dernière Sérénade de Molière, musiques de Marc Antoine Charpentier pour les comédies de Molière » : sérénade, c’est à dire musique du soir: rien de plus indiqué pour ce concert accompagnant dans le bocage vendéen, la tombée du jour, à la fois divertissant et même féerique qui clôture en plein air, le festival Musiques à La Chabotterie 2011.

Le concert est d’autant plus emblématique de cette édition qu’il honore un génie du théâtre français baroque mis à l’honneur sur son affiche officielle : Molière (cf. notre illustration ci dessus).

De surcroît, c’est aussi un Molière inédit, écarté des expérimentations musicales par Lully (avec lequel il avait jusque là collaboré) mais plus désireux de musique que jamais pour ses comédies parlées, et qui quelques mois avant de mourir, rencontre un jeune compositeur, original et virtuose, Charpentier.
Leur duo est aussi méconnu qu’irrésistible: en témoigne la collection de pièces ici retenues qui comporte trois pièces majeures mises en musique pour partie: après l’ouverture de La Comtesse d’Escarbagnas, saluons les intermèdes nouveaux du Mariage Forcé, puis le prologue et le premier intermède du Malade imaginaire; enfin, la Sérénade du Sicilien et son trio des chats-matous, désopilant…

La fusion du texte pointu croustillant, à la grivoiserie millimétrée, et de la musique raffinée et sensuelle, est totale; au rationalisme contrôlé qu’exige la sacrosainte intelligibilité du texte (y compris en onomatopées hilarantes: les « ah, ah, ah » qui accrochent et rythment les rires des trois fous déjantés joués en bis et extraits des Fous divertissants que Charpentier a composé sur les vers d’un dénommé Poisson) répond l’alanguissement souverain d’origine romaine que Charpentier a appris pendant son séjour italien et dont il rapporte en France les perles originales. En cela, l’air de Spacamond à la fin de premier intermède du Malade Imaginaire montre le brio italianisant (et dans la langue de Monteverdi!: volonté de citer et de surclasser le modèle ultramontain?) d’un Charpentier sensuel et d’une subtilité vénitienne (Notte e di v’amo: langueurs ourlées et si subtilement énoncées par l’excellent Romain Champion). La mélodie y contraste immédiatement avec une scène au délire comique proche de Cavalli et de Monteverdi là encore, où la Vieille incarnée par le ténor (taille) Vincent Bouchot cite toute les Nutrice, acerbes, insolentes mais si justes, écoutées sur les planches des théâtres de la Cità lagunaire.

Les trois solistes excellent dans chacun de leurs personnages, portés par la verve du texte et les diableries de la musique; ce avec d’autant plus de mérite qu’il faut en quelques secondes, et d’une mesure à l’autre, varier et colorer, -contraster à l’infini-, la palette des sentiments et la courbe de l’intonation pour relever les défis innombrables d’un kaléidoscope de scènes comiques. La lyre baroque que convoque Hugo Reyne, nous mène ainsi des rives infernales où l’Orphée descendant du H 471 (1683), cité ici comme un hommage à Molière, prélude au trio déjanté, mi cynique mi bouffon du Mariage forcé (1672) où le duo glisse une satire sur la forme même théâtrale et musicale; puis c’est l’intermède « italianisant » du Malade Imaginaire où s’immisce avec un génie poétique si subtil, la référence à la Commedia delle’arte et à l’opéra italien du Seicento… Quant au trio des chats du Sicilien (1679), il augure de la musique délirante elle aussi à venir, celle miraculeuse d’un autre amuseur de génie, et orchestrateur accompli, Rameau (celui de Platée évidemment: même surenchère tragi-comique, même panache mordant, même truculence linguistique aux onomatopées rythmiques euphoriques)…

Même en effectif restreint (car Charpentier devait faire avec peu : le monopole lyrique détenu par Lully empêchait alors tout autre compositeur d’écrire pour le théâtre une musique orchestrale), Hugo Reyne conduit tout en jouant de la flûte et du hautbois, un programme qui recueille le bénéfice des expériences et réalisations passées, c’est l’aboutissement d’un travail très approfondi voire aguerri sur le geste théâtral et la musique dramatique.

Entre théâtre et musique, le chant se cherche encore ici mais en restant au service du texte comique de Molière, il se révèle puissant producteur de tensions et contrastes expressifs: la langue de Jean-Baptiste provoque et stimule constamment l’harmonie d’un Charpentier habile divertisseur, et comme Lully avec ce même degré de finesse mordante, amuseur en diable. Voilà qui bouleverse l’image du compositeur confiné dans sa production sacrée : sa verve favorisée par l’expérience du dernier Molière éclate ici dans toute sa saveur maitrisée … On sort saisi par le sens du drame et l’articulation musicale du texte… Convaincus par une langue théâtrale et musicale souvent irrésistible … qui rappelle avec pertinence le génie profane de Charpentier dont Médée n’est qu’un aboutissement dont il faut retrouver comme ici la source première.

Délirante verve, théâtre en liberté, on applaudit et rit naturellement. La sélection d’ Hugo Reyne fait surgir les figures du théâtre français désormais accompli: les maris cocufiés et les amants éconduits y ironisent amers et satiriques sur la gent féminine; les pédants professeurs sont vertement critiqués dont en premier plan les docteurs diabolisés et ridiculisés …

Sous le ciel étoilé de la Cour d’honneur du Logis de la Chabotterie, Hugo Reyne renouvelle la réussite de ses précédents concerts; après Atys puis Sancho Pancha joués ici même, le chef de la Symphonie du Marais aime à nous divertir en cultivant les contrastes poétiques: mi comique délirant, mi tragique amoureux. Le duo Molière/Charpentier sublime encore cette alliance magique : sa justesse frappe immédiatement dans ce programme divers, épars mais convaincant. Le disque est annoncé sous le label du festival Musiques à la Chabotterie en février 2012.

Saint-Sulpice le Verdon. Le 10 août 2011. Festival Musiques à la Chabotterie. Dernière sérénade de Molière: musiques de Charpentier pour les comédies de Molière. Ouverture du Dépit Amoureux. Ouverture de La Comtesse d’Escarbagnas & Intermèdes nouveaux du Mariage Forcé (H 494, 8 juillet 1672)
Ouverture, prologue et premier intermède du Malade Imaginaire (H 495a, 1674)
Sérénade pour Le Sicilien (H 497, 9 juin 1679). Les Solistes du Marais:
Romain Champion, taille. Vincent Bouchot, basse-taille. Florian Westphal, basse. La Simphonie du Marais: François Costa, premier violon. Anne Violaine Caillaux, second violon. Jean-Luc Thonnérieux, alto. Annabelle Luis, basse de violon. Marc Wolff, archiluth. Yannick Varlet, clavecin. Hugo Reyne, flûte, hautbois, direction et mise en scène.

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