samedi 20 avril 2024

Saint-Sulpice le Verdon. 12 ème Festival Musiques à la Chabotterie, le 23 juillet 2008. Ballet de la Prospérité des armes de France, 1641. La Simphonie du Marais, Hugo Reyne

A lire aussi

A quelques 3 heures (en train) de Paris, le Logis de la Chabotterie (moins de 1h de Nantes) est l’étape incontournable de tout séjour vendéen. Il ne s’agit pas du littoral de Vendée comptant ses escales enchanteresses tels les Sables d’Olonne, ou l’Île d’Yeu…

La Chabotterie
Il est plutôt question d’une étape bucolique en plein paysage naturel et agricole, dans ce « bocage » vendéen à nul autre pareil. Une terre où il fait bon résider, où l’art de vivre perpétue comme rarement, l’élégance et le raffinement avec les plaisirs simples du terroir. La Chabotterie, bâtiment édifié entre la Renaissance et les siècles baroques cultive cette douceur hédoniste, offrant sur le plan culturel et touristique, un exceptionnel équilibre entre architecture et nature. Propriété du Conseil Général depuis 1993, le site offre les délices d’un complexe culturel qui frappe par sa richesse: les amateurs d’histoire « vivront » le parcours historique récapitulant les épisodes spectaculaires et tragiques de la guerre de Vendée. En 20 minutes, grâce à une scénographie automatisée, chacun peut y réviser ses connaissances sur la résistance des « boquins » face aux « avancées » de la Révolution. Contre l’armée de la Convention, après la Terreur, le général Charette, héros local, y a défié avec ses hommes, les troupes républicaines, jusqu’en mars 1796… c’est même à quelques mètres de La Chabotterie que le généralissime fut arrêté (le 23 mars 1796, à 33 ans, en un lieu désormais indiqué par une immense croix de pierre, dite « croix de Charette ») puis emmené à Nantes pour y être exécuté. La table où l’illustre soldat vaincu fut soigné, se voit toujours à l’intérieur du logis.

Festival au bocage

Mais la « Chabot » (prononcez « chabotte ») a bien quelques chose de magique qui tient effectivement du conte de fée. En l’absence d’un chat botté qui y aurait pu tenir gîte, le festival « Musiques à la Chabotterie » y déploie ses enchantements baroques, grâce à l’activité du chef et flûtiste, Hugo Reyne. Devenu lui-même vendéen, le musicien pilote la programmation artistique depuis 2004, et, y a même implanté la résidence de son ensemble, La Simphonie du Marais. Chaque été, dans le cadre d’un cycle Lully, chef et orchestre donnent, entre autres oeuvres, dans la Cour d’honneur, un opéra ou un ballet du surintendant de Louis XIV, grand faiseur de spectacles. L’histoire du ballet français, et plus généralement l’apport de Lully à la musique française, sont deux sujets qui passionnent depuis toujours Hugo Reyne.

Le Ballet du Cardinal
En 2008, le département célèbre Richelieu: c’est qu’âgé de 23 ans, en 1608, le futur grand homme politique faisait son arrivée dans l’archevêché de Luçon. Le Conseil général a commandé un cycle de célébrations dont cette résurrection du ballet de la Prospérité des armes de France, donné par Richelieu en 1641 à Paris, en son Palais Cardinal, première salle italienne construite en France, ancêtre de notre Académie Royale de musique, futur opéra national. Richelieu, acteur-fondateur de notre scène française et prince mélomane ? L’information relève d’une révélation… La (re)découverte de la partition, donnée en « recréation mondiale », en ouverture du festival Musiques à la Chabotterie, était donc un événement.

Défi musical


La tentative tient du défi: réécriture des parties manquantes du manuscrit original (conservé à la BN à Paris), restitution des bandes d’instruments, bandes des hautbois en particulier, bandes des cordes et aussi des luths, autant d’éléments désormais mieux connus de l’orchestre français du premier baroque (règne de Louis XIII), qui comprend cinq parties. Tout l’intérêt de l’approche d’Hugo Reyne réside dans l’option, arbitraire mais passionnante, du dialogue, tout au moins du jeu simultané, des deux bandes qui ne se mêlaient jamais: les hautbois et les cordes. Inimaginable métissage des timbres, les premiers, aigus, étant propres à la Grande Ecurie, les seconds jouant plus bas, réservés à la Chambre, que Lully « osera » réunir dans son orchestre, pour Louis XIV, à partir des années 1660. Du premier baroque, nous étions passés au Grand Siècle… Le fait de tenter l’expérience avec 20 ans d’avance, relève d’une incongruité qui cependant fait tout le sel de la soirée. Interprètes et historiens ont pu préciser l’ampleur de la recherche préliminaire, l’importance de l’oeuvre qui dévoile un aspect méconnu du goût de Richelieu, au cours des « Confidences baroques« , explications offertes aux festivaliers, dès 18h15, en préambule au concert de 21h.

En l’absence des chorégraphies et des danseurs prévus à l’origine, l’engagement des instrumentistes de la Simphonie du Marais, portés par leur chef, facétieux autant qu’argumenté, et même pédagogue, a exprimé ce ballet naissant, voulu par le Cardinal en 1641 et qui sonne comme la récapitulation de sa politique militaire, vis-à-vis des puissances ennemies, Autriche et Espagne: victoires des armées françaises sur terre (Cazal et Arras), sur mer également (acte III). Des cinq actes, les interprètes ne jouent que les quatre premiers: Philidor, copiste inspiré mais incomplet, n’a malheureusement pas transmis la dernière partie. Qu’importe: du tableau initial de l’Harmonie, au triomphe d’Apollon (pour lequel le chef joue son instrument, la flûte, comme à l’époque où il participait aux gravures pionnières de Leonhardt puis de Christie), la partition ressuscitée donne la mesure d’un ouvrage certes politique, mais aussi musical, et même « poétique », comme s’est plu à le souligner Hugo Reyne pendant les Confidences Baroques.

Si le Roi ne danse pas encore dans un ballet qui célèbre sa puissance, les « grands » du royaume sont invités à assurer chaque entrée, tous (marquis de Brézé, comte de la Rocheguyon, duc de Lyunes…), paraîssant selon son rang, et surtout ses mérites: au plus loyaux, serviteurs de la gloire monarchique, l’honneur des rôles éclatants. Art et politique sont ainsi indissociables: le ballet est un acte d’allégeance, le miroir d’une société organisée, dansant autour d’un Souverain vainqueur… « Déjà avant Lully, tous les éléments sont réunis: le premier musicien de Louis XIV n’aura plus qu’à se servir... », ajoute aussi Hugo Reyne.

L’art de mêler les bandes…


Sur le plan musical, l’esprit d’exhumation s’associe au plaisir de l’expérimentation. La bandes des hautbois, située derrière les cordes, a fait entendre ses timbres verts, mordants conférant à la soirée, la saveur unique des « premières » où s’imposent l’audace et le risque: chant bucolique d’une vitalité conquérante, parfaitement en place, (en caractère comme en gouaille) pour les Flamands et leur « pots de bière », comme en noblesse et solennité, dès l’ouverture… Ambassadrices du livret signé Jean Desmaret de Saint-Sorlin, les quatre voix soulignent l’allégorie, moins l’action. Pas encore individualisés, comme le seront les personnages de l’opéra français à venir (1673), les solistes déclament à la façon des madrigalistes italiens, images allégoriques et vers laudatifs du texte de Saint-Sorlin.

Nous sommes bien face à une oeuvre de commande et même de propagande. Chaque début d’acte, après l’ouverture, est ponctué par un « récit »: ceux de l’Italie, laquelle implore l’aide des Français; des Trois sirènes pour l’acte II, celui des victoires navales; récit des muses enfin, au début de l’acte IV, de loin le plus poétique: déjà le père de Louis XIV, y est invité à continuer les effets de sa grandeur: « poursuivez, ô grand Roi, d’étonner l’univers/Par tant de beaux exploits, doux sujets de nos vers »… l’acte s’achève sur l’entrée d’Apollon, figure désormais emblématique des Bourbons français à l’âge baroque. Avant les ors du Grand Siècle, tout le vocabulaire et les références esthétiques sont présents. Louis XIV et Lully les magnifieront encore davantage. L’on ne saurait oublier la plainte, entre langueur et tendresse, des cinq maures esclaves à la fin de l’acte III: les compositeurs de Richelieu dont le luthiste François de Chancy (qui fut aussi son professeur), y soulignent l’humaine douleur des vaincus… subtile nuance d’un ouvrage orfèvré, plus profond qu’il n’y paraît, et dont la redécouverte se révèle légitime. Serait-ce l’effet de cette poésie à la françoise, qui affleure en maints endroits, et dont nous parlait Hugo Reyne?

Que tous ceux qui n’ont pu assister à ce premier concert de la Chabotterie se rassurent: le festival poursuit sa brillante programmation baroque jusqu’aux 12 et 13 août 2008, deux dates conclusives pour lesquelles Hugo Reyne présentera (avec danseurs) les fruits de sa nouvelle exhumation lullyste, le Ballet des Arts du jeune compositeur florentin. Classiquenews s’est déjà entretenu avec le chef à propos de cet événement que Sablé puis Versailles accueillent ensuite, en août puis en septembre 2008 (le disque du Ballet des Arts vient de paraître en juin 2008, chez Accord).

Le label discographique Musiques à la Chabotterie édite à partir du 4 août 2008, en un double album, « Musiques au temps de Richelieu », comprenant outre le Ballet de la Prospérité, un volet de musiques sacrées à l’époque du Cardinal (2 cd Musiques à la Chabotterie. Prochaine critique dans le mag cd de classiquenews.com). Derniers disques de Hugo Reyne édités par Musiques à la Chabotterie: Ulysse de Rebel, 6 Concertos pour flûte de Haendel, deux albums critiqués par classiquenews.com

Saint-Sulpice le Verdon. 12 ème Festival Musiques à la Chabotterie, Cour d’honneur de la Chabotterie, mercredi 23 juillet 2008. Ballet de la Prospérité des armes de France, 1641. 400 ème anniversaire de l’arrivée de Richelieu à Luçon (1608-2008). Avec Dorothée Leclair, Stéphane Lévy, Thomas Van Essen, Sydney Fierro, La Simphonie du Marais. Hugo Reyne, flûte et direction.

Festival Musiques à la Chabotterie, Logis de la Chabotterie,
Saint-Sulpice-le-Verdon (Vendée). Jusqu’au 13 août. Tél. :
02-51-43-31-01. De 8 € à 18 €. Toute la programmation du Festival
Musiques à la Chabotterie: www.chabotterie.vendee.fr.

vidéo: visionner nos entretiens vidéo avec Hugo Reyne, à propos du Ballet de la prospérité des armes de France

Illustrations: Hugo Reyne (DR). La Chabotterie (DR). Deux photos du concert du mercredi 23 juillet 2008 © Accent Tonique 2008

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE CD événement. JULIUS ASAL, piano : Scriabine / D Scarlatti (1 cd DG Deutsche Grammophon)

Voilà assurément un programme fascinant en ce qu’il est aussi bien composé qu’interprété. S’y distingue le tempérament intérieur, d’une...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img