mercredi 17 avril 2024

Saint-Riquier. Abbatiale, le 9 juillet 2009. Festival de Saint-Riquier. Concert d’ouverture. François Fayt: Stabat Mater. Mozart (1756-1791): Laudamus Dominum, Messe du Couronnement

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Ouverture de la 25è édition

Concert d’ouverture du 25è Festival de Saint-Riquier. D’emblée l’interaction de la musique choisie avec le lieu spectaculaire (la nef de l’Abbatiale gothique) est idéale: voici un volume à la fois ample et à mesure humaine qui se prête aux célébrations collectives, en particulier lorsque comme c’est le cas du programme de ce soir, le sujet touche au fond de l’expérience humaine et individuelle: dans son Stabat Mater, François Fayt (présent dans l’auditoire) touche cet infini de la douleur, celle d’une mère confrontée au sang versé, à la vie qui s’est éteinte, ceux de son Fils.
François Fayt (né à Argences en février 1946) fait ses études musicales au Conservatoire de Versailles puis à l’Ecole Normale Supérieure de Musique de Paris. Il suit les cours de perfectionnement de Marcel Ciampi et Aldo Ciccolini, et étudie la composition avec Eugène Kurtz, professeur à l’Université du Michigan et de New-York. A partir de 1984, quand il rencontre l’homme de théâtre Marcel Maréchal, le compositeur aborde en particulier la musique de scène et l’opéra (l’Arbre de Mai, créé en 1993). Jean-Marc Luisada (Quintette à cordes avec piano), mais aussi, Svetlin Roussev, super soliste de l’Orchestre Philharmonique de Radio-France,(Epilogue, pour violon et piano) lui passent commande: son style clair, intense et immédiatement accessible continue d’être reconnu, et apprécié en particulier lorsqu’il choisit d’aborder musicalement un texte. C’est le cas de son Requiem, de l’Evangile selon Saint Jean, et donc de ce Stabat Mater qui confirme les qualités d’une inspiration lumineuse, servie par un sens de la structure. Le compositeur entend à Saint-Riquier, en création mondiale, la version originelle de la partition qu’il a écrite en 2005: pour soliste, choeur et orchestre. Créée en 2007 (pour voix et synthétiseurs), la partition mêle très habilement texte traditionnel du Stabat Mater, chanté par le choeur, et exhortation lyrique d’après le texte de Charles Péguy, incarnée par la voix sombre et ardente du baryton basse (ici, l’excellent Jean-Philippe Courtis). Le texte du Poète- extrait du Mystère de la charité de sa pièce Jeanne d’Arc-, exacerbe la portée déchirante de la scène: Marie y sombre dans la souffrance indicible, et la musique grave l’ascèse obligée de son deuil insurmontable, dans l’infini de sa solitude. L’écriture déploie un champs dévasté de solitude aux cordes: les moments les plus expressifs sont soulignés par l’intervention du xylophone: même supérieur dans sa plainte agonisante et amère, le chanteur ne peut dire in fine la puissance de la douleur infligée à la Mère. En tension et projection investie d’un texte très lyrique, où la compassion attendrie et aussi la tendresse démunie se dévoilent, la partition sait être puissante et austère à la fois, et il appartient au choeur d’élever une dernière prière, exclamation imprévue qui fait jaillir la lumière: le Stabat Mater de François Fayt, à la différence de beaucoup, ne s’achève pas dans la contrition ni le recueillement, mais en une montée irrésistible, pleine d’éclat et d’espérance.

Même phénomène de lévitation grâce au morceau qui ouvre la seconde partie: Laudate Dominum (K339, 1780) de Mozart: 6 minutes de tendresse extatique ciselée par la soprano Sylvie Sullé, qui chante sur le souffle avec une musicalité riche en piani parfaitement maîtrisés, malgré les intervales redoutables exigés à la voix. L’interprète pourtant mûre fait planer sur l’assistance une ligne vocale fluide, magistralement négociée, et attendrie qui caresse les oreilles.

En conclusion, la Messe en ut majeur du Couronnement, créée la dernière année (1791) de la trop courte vie du Salzbourgeois pour le couronnement de l’Empereur comme roi de Bohême, fait entendre l’engagement du choeur imposant, et la direction ferme et active du chef Jean-Paul Penin, à la tête de son orchestre Praguois: orchestre de chambre du Théâtre national de Prague. Choix légitime: on sait combien les Praguois ont aimé et compris (plus que les Viennois?) la musique du divin Mozart.
Les interprètes savent s’engager et aussi colorer l’Incarnation et l’évocation de la Crucifixion dans ce basculement des tonalités qui verse brutalement dans l’intériorité a contrario de la solennité du début: c’est là que l’intériorité grave et la vérité du coeur jaillissent dans une oeuvre tissée pour la grandeur, contexte de création oblige.

Sincérité et solitude chez Fayt; solennité mais si tendrement humaine (chant des hautbois) de Mozart: tout est dit, préservé, réussi. Ce premier concert d’ouverture réalise à nouveau, par sa cohérence, ce qui compose le défi et la fascination de chaque festival de Saint-Riquier: la vérité des interprètes dans un écrin de pierre propre à en exalter la justesse et la sensibilité. Si Saint-Denis ou Ambronay puisent leur identité artistique de leur nef emblématique, pour chacune de leur programmation (Basilique ici, Abbatiale là), Saint-Riquier s’inscrit dans une semblable création: l’ample vaisseau de son abbatiale absolument unique (et même à couper le souffle dans l’harmonie et l’équilibre de ses proportions) donne à repenser la présence tangible du sacré, et d’une façon plus prosaïque, l’accord musique et architecture. Que l’on soit croyant ou pas, l’expérience même d’y écouter un concert, est un instant à part: mémorable et révélateur. Grâce à la féerie du lieu… grâce à la vérité des oeuvres produites. Souhaitons encore longue vie à l’un des rares festivals estivals au nord de Paris (25 ans en 2009!) pour lequel il faudrait dédier a minima 1 semaine entière afin d’y mesurer la richesse et la polyvalence de l’offre artistique.

Saint-Riquier. Abbatiale, le 9 juillet 2009. Concert d’ouverture. François Fayt (né en 1946): Stabat Mater, version pour choeur et orchestre (première mondiale). Soliste: Jean-Philippe Courtis, basse. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791): Laudamus Dominum, Messe du Couronnement (K 317). Solistes: Sylvie Sullé, soprano. Noëlle Courtis-Santandrea, mezzo. Georges Wanis, ténor. Jean-Philippe Courtis, basse. Choeur Musicaa. Orchestre de chambre du Théâtre National de Prague. Jean-Philippe Penin, direction.

Illustrations: Jean-Philippe Courtis chante le etxte de Charles Péguy. François Fayt et Jean-Philippe Courtis. Solistes: Sylvie Sullé, soprano et Noëlle Courtis-Santandrea, mezzo. Festival de Saint-Riquier 2009, P. Guillaume

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