vendredi 19 avril 2024

Saint-Céré. Château de Castelnau-Bretenoux, le 3 août 2009. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Marion Tassou, Raphaël Brémard, Christophe Gay, Burcu Uyar, Patrick Schramm. Joël Suhubiette, direction.

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L’esprit de la troupe pour une Flûte enchanteresse

Saint-Céré, un festival unique en son genre. Ambiance familiale, chaleureuse, passionnée, on s’y sent accueilli, et comme chez soi. Un cadre qui semble profiter tant au public qu’aux artistes, qui construisent visiblement entre eux un véritable esprit de troupe.
La Flûte Enchantée, y-a-t-il plus belle œuvre pour débuter une carrière ? Les personnages y sont hauts en couleurs, l’action délicieusement féérique et les lignes vocales déployées par Mozart d’un raffinement extrême, bien que d’une apparente facilité. Une technique aguerrie, un sens musical affirmé ainsi qu’une aisance à fouler les planches sont nécessaires pour triompher des pièges et des épreuves tendus à l’intérieur de ce bijou. Qualités dont sont pourvus tous les acteurs de ce projet audacieux.

Ils évoluent dans un cadre rare, celui du château médiéval de Castelnau, environnement empli de magie et de mystères, sentiments propres à galvaniser les passions. La mise en scène imaginée par Eric Pérez utilise à loisir les couleurs, comme un arc-en-ciel vivant et vibrant. Le plateau, nu au commencement, voit ses dalles retournées par ses occupants au fur et à mesure de l’action, jusqu’à une apothéose de coloris. Utilisant volontiers des teintes acidulées, notamment pour caractériser la coquetterie et le charme séducteur des trois Dames ainsi que l’espièglerie des trois garçons, le metteur en scène fait également évoluer les costumes du couple princier : l’initiation les pare de vêtements de plus en plus colorés. A la Reine de la Nuit seule échoit un costume sombre, et pourtant sensuel, la rendant terriblement ambiguë dans ses sentiments envers Tamino : déploration et exhortation d’une mère, mais également séduction de la femme.
Certains détails de la mise en scène sont d’un symbolisme très évocateur, notamment le grand miroir devant lequel se trouve Pamina lors de son air, seule face à elle-même, et cette vitre derrière laquelle se tient Tamino, désemparé, et contre laquelle Pamina s’appuie, espérant un geste de tendresse de son amant, geste qu’il ne peut lui donner, interdit qu’il est par son vœu de silence, cette mise en espace mettant à nu leur incapacité, à cet instant, à communiquer. Belle idée de théâtre, vraiment.

Vocalement, les solistes sont tous plus que prometteurs. Le Tamino de Raphaël Brémard est très crédible, doté d’un joli timbre et d’une belle musicalité. La technique pourra encore s’affiner vers davantage de souplesse et de luminosité dans l’émission, mais le potentiel est réel.
Christophe Gay, véritable bête de scène, offre, tant vocalement que physiquement, un portrait saisissant du joyeux oiseleur Papageno. Faisant des planches son univers, il occupe l’espace à chacune de ses interventions, dans une esthétique faisant souvent penser à la commedia dell’arte. Il trouve en Sarah Laulan une compagne à sa (dé)mesure, désopilante en bimbo décatie, formant avec elle un couple survolté.
Reine de la Nuit à la sombre séduction, Burcu Uyar démontre que, malgré une transition vocale vers des rôles plus lyriques, elle garde la maîtrise de ses agilités et de ses notes aiguës, bien qu’on la sentira dès le lendemain audiblement plus à l’aise dans la tessiture (plus centrale) de Violetta. Basse à la profondeur remarquable, Patrick Schramm incarne avec solennité le grand-prêtre d’Isis et d’Osiris. Il pourrait cependant chercher une légèreté supplémentaire dans sa façon d’émettre la voix, ce qui lui permettrait de gagner en legato et de transformer le sage imposant en figure paternelle tendre.
L’Orateur d’Alain Herriau est à ce titre remarquable : beauté du timbre, noblesse de la caractérisation, ligne de chant admirablement conduite, il est l’incarnation même de la sagesse. Personnage veule et animal, Monostatos est personnifié avec fougue et violence par Marc Larcher.
Souvent mal assortis, les rôles tricéphales sont ici à saluer bien bas. Le trio de Dames est d’une homogénéité rare, d’une complicité à toute épreuve et d’un engagement scénique total. Rarement on aura eu l’occasion de voir des Dames aussi gourmandes et autant attirées par le beau prince évanoui. Mention spéciale au timbre sombre et somptueux d’alto de Mélodie Ruvio.
Les trois garçons – ici féminisés –, unis comme trois mousquetaires, sont tout simplement exquis, tels qu’on peut les imaginer.


Pamina révèle Marion Tassou

Mais la révélation de cette édition du festival, elle est à chercher en Pamina. Marion Tassou allie tout simplement la beauté à la perfection vocale. Pour la première audition d’une jeune chanteuse fraîchement diplômée, c’est un coup de maître. Elle semble d’instinct avoir compris les complexités de Pamina, et les fait siennes aux yeux de tous avec une finesse et une pudeur rarissimes. Son désespoir est exprimé avec retenue, sa joie avec tendresse. Le temps de son air, l’écoulement du temps s’était arrêté, laissant flotter, au milieu d’un silence absolu, suspendu, recueilli, sa voix, d’une pureté comparable à l’éclat du diamant, conduite avec l’art d’une orfèvre et la sensibilité d’une grande artiste.

A la tête d’un orchestre aux dimensions légèrement plus réduites qu’à l’ordinaire – et paradoxalement d’une richesse sonore bien plus grande que bien des ensembles baroques dotés d’un effectif plus important –, Joël Suhubiette offre à un public ravi une lecture de l’œuvre simple et directe, car inspirée tout naturellement de la partition de Mozart.

Saint-Céré. Château de Castelnau-Bretenoux, 3 août 2009. Wolfgang Amadeus Mozart : Die Zauberflöte. Livret d’Emmanuel Schikaneder. Avec Pamina : Marion Tassou ; Tamino : Raphaël Brémard ; Papageno : Christophe Gay ; La Reine de la Nuit : Burcu Uyar ; Sarastro : Patrick Schramm ; Papagena : Sarah Laulan ; Première Dame : Dorothée Leclair ; Deuxième Dame : Sabine Garonne ; Troisième Dame : Mélodie Ruvio ; L’Orateur : Alain Herriau ; Monostatos : Marc Larcher : Premier enfant : Agathe Peyrat ; Marielou Jacquard : Deuxième enfant ; Troisième enfant : Albane Meyer ; Premier homme d’arme : Samuel Oddos ; Deusième homme d’arme : Mathieu Toulouse. Orchestre du Festival de Saint-Céré. Joël Suhubiette, direction ; Mise en scène : Eric Perez. Assistant à la mise en scène : Damien Lefèvre ; Décors et lumières : Patrice Gouron ; Costumes : Jean-Michel Angays et Stéphane Laverne ( Studio Fbg 22-11) ; Maquillage : Pascale Fau ; Chef de chant : Corine Durous.

Article mis en ligne par Adrien DeVries. Rédigé par Nicolas Grienenberger.

Illustrations: © B.Benichou 2009

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