vendredi 29 mars 2024

Rouen. Théâtres des Arts, le 11 octobre 2009. Léo Delibes : Lakmé. Petya Ivanova, Jean-François Borras, Patrice Berger. Roberto Fores Veses, direction. Richard Brunel, mise en espace

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Epure orientale

Avant de débuter une trilogie consacrée à Beaumarchais qui s’annonce fort belle, l’Opéra de Rouen invite son public à un voyage jusqu’en Inde, celle imaginée par Léo Delibes à travers sa célèbre Lakmé.
Peu jouée de nos jours, cette œuvre recèle pourtant de véritables trésors, joyaux qui ne sont saisissables, c’est vrai, que lorsqu’ils sont bien chantés et vécus intensément.
Assigné à une simple mise en espace, le metteur en scène Richard Brunel a su faire, et avec brio, de nécessité vertu. Outrepassant même sa mission originelle, il a réglé avec beaucoup d’art une authentique mise en scène, très épurée, à la direction d’acteurs fouillée, d’un dépouillement fort poétique.
Loin de tout orientalisme de pacotille, cette vision de Lakmé concentre toute sa force autour des personnages, seuls le turban de Nilakantha et les saris stylisés du chœur gardant une connotation géographique, Lakmé, vêtue d’une simple robe noire et gardant la blondeur de son interprète, devenant simplement une femme. Des pupitres disposés sur la scène symbolisent les arbres, et c’est de l’un d’entre eux dont se servira Gérald pour « prendre le dessin d’un bijou ».

Quelques voiles représentant le fleuve et mettant à nu les relations entre les personnages, des éclairages d’une grande beauté, et l’histoire d’amour interdite entre la jeune hindoue et l’officier britannique éclate dans toute sa force et son intemporalité.
Détail qui a semblé irriter certains spectateurs, Lakmé fait son entrée en scène assise sur un fauteuil roulant. Parfois soulevé dans les airs, la jeune femme y étant attachée, et se balançant au-dessus de la scène, il symbolise avec force le difficile rôle de divinité auquel la jeune Lakmé est enchaînée bien malgré elle par son père et le peuple qui l’honore. Ce sera juchée sur ce fauteuil que la jeune femme chantera son très attendu air des Clochettes, loin de toute démonstration de virtuosité, mais vécu comme un moment de terreur intense, d’une grande justesse dramatique, puisque c’est forcée par son père qu’elle interprète cet air, afin que, attiré par la voix de celle qu’il aime, Gérald se trahisse et puisse être tué. Beau moment de théâtre, vraiment.

Remplaçant Amira Selim initialement prévue, la jeune soprano bulgare Petya Ivanova fait montre d’un grand talent. Sa belle voix, à la fois légère et puissante, capable de suraigus puissants, de belles demi-teintes et de piani délicats, d’une vibration toute slave, alliée à sa petite taille et sa silhouette délicate, lui permet d’incarner avec une grande crédibilité la jeune femme voulue par Delibes. Sa diction française est par ailleurs digne d’éloges, d’une grande précision. Gageons qu’elle est à l’aube d’une grande carrière.
Son amant, Jean-François Borras, est une révélation. Doté d’un timbre d’une grande beauté et d’une technique d’une rare perfection, il est à suivre de très près. Legato superbement déployé, aigus parfaitement placés et d’une grande facilité, puissance vocale autant que raffinement dans la voix mixte, instinct musical jamais pris en défaut, autant de qualités qui annoncent un des grands de demain.

Patrice Berger fait merveille dans le rôle du père vengeur, avec sa grande présence physique et son impact vocal saisissant. On pourrait souhaiter davantage de noirceur dans sa voix, mais le rôle est peu aisé à distribuer, requérant le « creux » d’une basse et les aigus percutants d’un baryton.
Pourtant, la performance du baryton français est d’une grande efficacité dramatique.

En Mallika, Marie Gautrot fait miroiter la douceur voluptueuse de son timbre sombre de mezzo, notamment dans un duo des Fleurs admirablement caressé.
Très jeune ténor, Davy Cornillot se pose en réelle promesse dans le court mais fort beau rôle du serviteur Hadji. Le soutien reste encore à affermir, mais la technique vocale se montre déjà remarquable de délicatesse dans l’émission, lui permettant de passer l’orchestre sans effort.
Le quatuor des anglais est caractérisé avec beaucoup d’humour et de finesse, notamment le Frédéric de Christophe Gay, d’une belle présence vocale et scénique, déjà fort applaudi dans le rôle de Papageno au festival de Saint-Céré cet été.
L’Orchestre de l’Opéra de Rouen, quant à lui, aime visiblement cette musique et la sert avec un beau lyrisme, emmené par le jeune chef espagnol Roberto Fores Veses qui démontre sa passion pour le répertoire français et, en véritable maestro concertatore, offre aux chanteurs un tapis sonore sur lequel déposer leurs voix.
A travers cette représentation, l’on peut enfin prendre conscience à quel point, avec une mise en espace libérée de tout décorum et de tout artifice, servie par une équipe jeune, musicale et admirable technicienne, l’opéra français, si souvent mal considéré, peut faire éclater sa beauté et son actualité.

Rouen. Théâtre des Arts, 11 octobre 2009. Léo Delibes : Lakmé. Livret d’Edmont Gondinet et Philippe Gille d’après Le Mariage de Loti de Pierre Loti. Avec Lakmé : Petya Ivanova ; Gérald : Jean-François Borras ; Nilakantha : Patrice Berger ; Mallika : Marie Gautrot ; Hadji : Davy Cornillot ; Frédéric : Christophe Gay ; Miss Ellen : Maïlys de Villoutreys ; Miss Rose : Charlotte Baillot ; Mistress Bentson : Blandine Folio. Choeur de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie ; Chef de chœur : Daniel Bargier ; Orchestre de l’Opéra de Rouen Haute-Normandie. Direction musicale : Roberto Fores Veses ; Chef assistant : Frédéric Rouillon. Mise en espace : Richard Brunel ; Assistante mise en espace : Angélique Clairand ; Scénographie : Anouk Dell’Aiera ; Création lumières : Laurent Castaingt ; Dramaturgie : Catherine Ailloud-Nicolas. Chef de chant : David Zobel

Compte-rendu mis en ligne par Adrien De vries. Rédigé par Nicolas Grienenberger

Illustrations: Leo Delibes (DR). Production de l’Opéra de Rouen 2009 © Jean Pouget

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