vendredi 29 mars 2024

Richard Wagner: Le Crépuscule des DieuxParis, Opéra Bastille. Du 21 mai au 16 juin 2013

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Richard Wagner


Le Crépuscule des Dieux

Philippe Jordan, direction
Günter Krämer, mise en scène
Paris, Opéra Bastille. Du 21 mai au 16 juin 2013
Puis du 18 au 26 juin 2013 : le festival Ring 2013

Du 21 mai au 16 juin 2103 (et pour 7 représentations très attendues), Philippe Jordan
dirige le Crépuscule des dieux, concluant ainsi la Tétralogie de Wagner
: c’est la suite du Ring du bicentenaire 2013 et la reprise d’une production déjà présentée en juin … 2011.
Le mythe de Siegfried (héros sacrifié dans le théâtre wagnérien) a
inspiré dès son origine, le projet de Wagner… qui au début concevait
deux grands volets pour son cycle théâtral: la jeunesse puis la mort de
Siegfried. C’est d’ailleurs le livret du Crépuscule (à l’origine
intitulé La Mort de Siegfried) qui est le plus ancien: Wagner y associe
duos, trios choeurs dans l’esprit des opéras romantiques, moins actions narratives que légendes musicales dont il a
lui-même fixé la forme: Tannhäuser et Lohengrin. Ensuite sont apparus les personnages complémentaires, les histoires
parallèles et les noeuds si passionnants qui tissent la riche intrigue
finale.


Dernier volet de la Tétralogie à Bastille

Pour Wagner, Siegfried incarne un être prometteur, à l’enfance
exceptionnelle, capable de vaincre le dragon, conquérir l’or… mais aussi
rater sa vie à cause de sa naïveté. Manipulé, le héros trahit celle qui
l’aime au-delà de tout (Brünnhilde), lui préfère Gutrune; il meurt
pourtant conscient de son échec, ce qui ajoute au tragique bouleversant
de sa mort (assassiné dans le dos par les deux ignobles Gibichungen,
Gunther et surtout Hagen).
La mort de Siegfried est d’ailleurs l’un des passages clé de la
partition du Crépuscule: l’épisode marque la fin de toute espérance et
le triomphe cynique de l’esprit de la tractation, du négoce honteux, du
complot barbare. Seule, l’amoureuse devenue veuve, Brünnhilde laisse
envisager une issue salvatrice dans ce monde désenchanté: elle s’offre
en sacrifice; mais de sa conscience et de son expérience, jaillissent
désormais une autre vision de l’humanité: une promesse… la vision
inespérée d’un monde nouveau à bâtir. La Tétralogie s’achève sur cette
exhortation visionnaire, sur la prière d’une femme éclairée: aux hommes
avertis, c’est à dire aux spectateurs de changer la société en créant un
monde nouveau où jalousie, cupidité, ambition et manipulation seraient
absents!

Au
départ, il s’agissait de représenter l’apothéose du héros (au
Walhalla). Puis Wagner renforce le caractère pessimiste et tragique de
l’opéra, devenu drame musical : sous l’influence de Shopenhauer, le
compositeur développe ce regard réaliste et cynique, amer, sans illusion
sur l’humanité… En imaginant au départ la scène des Nornes,
annonciatrices de la catastrophe finale, Wagner inscrit le destin fatal
du héros dans une fresque désormais universelle et cosmique:
musicalement, la richesse harmonique et le souffle qui s’en dégage,
montrent l’expérience acquise par Wagner depuis l’écriture de Tristan
und Isolde; une maturité nouvelle qui mènera jusqu’à l’enchantement de
Parsifal. Dans le Crépuscule se répand une haleine riche et opulente
colorée au diapason d’une malédiction vénéneuse qui corrompt tous les
hommes et tue toute espérance. Aucun héros loyal ne survit; tout expire
et tout meurt sans qu’une aube nouvelle ne soit annoncée. Il fallait
bien Parsifal pour se remettre d’un tel choc à la fois sombre, lugubre
et sans alternative.

Avec le recul et la perspective des volets antérieurs, La Tétralogie
dirigée par Philippe Jordan à Bastille, convainc par sa clarté, son
approche généreuse mais chambriste, le bénéfice d’une sonorité
wagnérienne qui diffère des orchestres germaniques par sa transparence
et sa brillance : une luminosité interne qui a permis de faire entendre
la très riche orchestration de l’orchestre wagnérien dépouillé enfin de
sa lourdeur et de sa monumentalité. Dans la tempête crue et violente du
Crépuscule, cette quête de splendeur et d’équilibre sonore devrait se
renouveler avec délices… l’équilibre entre plateau et fosse s’y révèle miraculeux : mieux qu’à Bayreuth ? Production événement du bicentenaire Wagner 2013 à l’Opéra Bastille.

Wagner: Le Crépuscule des Dieux. Opéra Bastille, du 21 mai au 16 juin2013.
Günter Krämer, mise en scène. Philippe Jordan, direction. Avec Torsten
Kerl, ténor (Siegfried). Petra Lang / Brigitte Pinter, soprano (Brünnhilde), Hans Peter Köning, baryton (Hagen)… Diffusion en direct sur France Musique, le 18 juin 2011 à 18h.

Le festival Richard Wagner de juin 2013

L’Opéra de Paris reprend en juin 2013, sous la forme d’un festival quasiment en continuité, les 4 volets de la Tétralogie wagnérienne pour célébrer les 200 ans de Richard Wagner. Philippe Jordan est au pupitre : L’Anneau du Nibelung / Ring Wagner 2013, L’Or du Rhin le 18 juin, La Walkyrie le 19 juin, puis Siegfried le 23 juin enfin Le Crépuscule des dieux le 26 juin 2013… consulter les infos pratiques sur le site de L’Opéra de Paris

Le sens du Ring
Deux scènes structurelles fondent toute l’action du dernier acte du Crépuscule, offrant aussi la résolution de tout le drame suscité depuis le prologue L’or du Rhin : ce sont deux solos d’une rare et profonde sincérité celui des deux héros : Siegfried puis Brünnhilde.

L’amour contre l’or

Assassiné par l’odieux et lâche Hagen, Siegfried au moment de mourir se souvient du seul épisode qui a compté pour lui : sa rencontre avec Brünnhilde et la découverte de l’amour, seule source de ravissement dans sa courte vie. Le motif de Brünnhilde s’impose dans l’anéantissement du héros-enfant, comme une révélation, un final éblouissement, faisant de sa fin, un ressourcement poétique d’une intensité inouïe : Wagner se montre dès lors proche de Feuerbach en sacralisant l’amour, vertige essentiel et salvateur, au centre d’une existence écourtée.

Puis une autre solitude absolue s’affirme finalement, celle de Brünnhilde, dans son grand monologue final : celle que fut trahie par Siegfried, revient elle aussi aussi au seul véritable serment qui a compté : son lien à Siegfried et comme Isolde pour Tristan, l’ancienne Walkyrie déchue qui a cependant réalisé le rêve impossible de son père, se sacrifie en un acte ultime, allumant le grand bûcher de la fin totale et peut-être de la résurrection… Tout le cycle se réalise dans ces deux solos qui, exutoires conclusifs, dans l’accomplissement de toute l’action préalable, donnent une manière de réponse à la grande interrogation du cycle entier : l’homme peut-il se sauver de lui-même ? Préférer l’amour à l’or ? Il est évident que Wagner se situe du côté de la religion de l’amour contre la loi des contrats et des spéculateurs. Bouddhiste et Shopenhauerien, il fusionne renoncement et amour, compassion et abstraction, quête mystique et dépassement moral contre ambition et matérialisme. L’idée d’une figure de femme salvatrice et prophétesse renoue avec Tristan und Isolde : Brünnhilde a connu toutes les déchéances, les épreuves, les humiliations (reniée par sa famille, répudiée par son père), la Walkyrie déchue ose défendre le parti de l’amour, c’est à dire protéger le couple incestueux des Welsungen (Sieglinde, Siegmund), braver la loi du père, épouser Siegfried, lui être honteusement désunie … pourtant c’est à elle que revient le mot de la fin et l’expression d’un amour pur, incommensurable, qui pardonne et soigne, apaise et résout toutes tensions …


Brünnhilde, une figure de la fin de la civilisation ?

Il y a de nombreuses interprétations à la fin du cycle : certes l’amour s’impose contre les spéculateurs et l’ordre financier des matérialistes soucieux de posséder l’anneau : une vision qui prend une terrible actualité en 2013 où la crise mondiale se dresse et avec elle, la décadence des sociétés démocratiques comme l’enrichissement démesuré des financiers au détriment de la paix et de l’essor social. Mais le pessimisme Wagnérien se manifeste aussi : si l’amour de Brünnhilde n’a jamais faibli, l’héroïne ne projette pour l’avenir aucune vision claire : pas d’enfants à naître pour une nouvelle société, car au final, les hommes sont enchaînés à leur désir (pouvoir, possession, gloire) : rien ne semble corriger cette malédiction et les catastrophes se répètent toujours, d’Alberich à Hagen. .. jusqu’au cataclysme final où la terre sera enfin nettoyée d’une espèce aveugle, impuissante, maudite. L’homme peut-il sauver la civilisation ? Telle est la véritable question que pose le Ring. La force et l’impact que diffuse la musique de Wagner montrent à quel point l’interrogation depuis 1876 reste juste et d’actualité. Wagner ne serait-il pas le grand prophète de notre civilisation, celui qui en a, avant tout le monde, envisagé la fin après avoir dénoncer sa barbarie morale ?

Illustrations: Richard Wagner, Philippe Jordan (DR)
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