samedi 20 avril 2024

Rhin, fleuve sacré. Orch nat de Lyon. Christian Zacharias Lyon, Grenoble. Les 4, 5 et 6 mars 2010

A lire aussi
Rhin, fleuve sacré
Christian Zacharias

Orchestre National de Lyon. Christian Zacharias, dir. et piano, … K.P.E.Bach, Schumann, B.A.Zimmermann.


Jeudi 4 et samedi 6 mars 2010
Lyon, Auditorium

Vendredi 5 mars 2010
Grenoble, MC2

Les paysages extérieurs et intérieurs du Rhin allemand sont toile de fond pour le concert qu’à trois reprises donne l’ONL., sous la direction de Christian Zacharias. Le pianiste y sera aussi soliste dans un concerto du fils prodigue de J.S.Bach, Karl Philip Emmanuel. La 3e Symphonie de Schumann et son grand choral en hommage au fleuve immémorial voisineront avec des Danses de kermesse, elles aussi rhénanes, de B.A.Zimmermann, l’auteur tourmenté de l’opéra des Soldats.

Qui était le Grand Bach ?

Vous auriez « habité » les années 1760, et on vous aurait parlé du « grand Bach », vous auriez dit aussitôt « ah oui ? Karl-Philip-Emmanuel… ». Cette évidence historique – rappelée par une remarquable notice de Joël-Marie Fauquet – souligne la relativité du « jugement de goût » kantien, rectifiée-sociologie-de-l’art. Qui, de nos jours, – hormis les « spécialistes » – clicquant sur Bach ne s’étonnerait pas de voir apparaître d’abord non Johann Sebastian, mais K.P.E., ou Wilhelm-Friemann, ou Johann-Christian ? Et pourtant les Fils musiciens – chacun avec son parcours et sa personnalité de compositeur – ont eu leur importance, à vrai dire reconnue par leurs successeurs immédiats et géniaux. Ainsi de Johann-Christian, « le Bach de Londres » – pour Mozart qui en était admirateur inconditionnel – ou de Wilhelm-Friedmann, aux intuitions étonnantes et à la vie tourmentée. Mais K.P.E.attira encore plus les hommages des trois Grands Classiques Viennois : Mozart encore (K.P.E. est le père, nous sommes les enfants »), Haydn (« Tout ce que je sais, je le lui dois »), et même Beethoven. Il fut d’abord le « Bach de Sans-Souci » (le Versailles de Frédéric II, prince et flûtiste), influencé par la musique de France et d’Italie, avant que de devenir « le Bach de Hambourg », encore plus adonné à son individualité tourmentée. Il introduisit dans la musique post-baroque (et même « archaïque » de son père !) le concept appliqué de l’empfindsamkeit (sensibilité, à défaut d’un meilleur terme en français), encore plus insoumis aux règles de toutes sortes – bienséance de l’expression, logique du discours des émotions – que le légèrement ultérieur Sturm und Drang, à quoi donnèrent ses lettres de noblesse la littérature passionnée de Goethe et ses amis et se rallièrent en accès de fièvre Haydn symphoniste et le jeune Mozart, dans les années 1770. C’est son frère Wilhelm Friedmann qui inventa le bi-thématisme, mais il diffusa le principe et les modalités dans sa propre cvomposition. K.P.E fut l’ami du philosophe Lessing, des dramaturges et poètes Lessing, Klopstock et Claudius, auprès desquels il trouva l’approbation, et parfois une grande réserve vis-à-vis de ses recherches ; vers la fin de sa vie (il disparaît un an avant la Révolution française), il « passa de mode », même s’il acceptait, suivant sa propre expression, de « mettre du sucre » pour ne pas effaroucher son public…
Intermittences du coeur
Il n’est guère étonnant que ce « curieux » et promeneur Christian Zacharias mette K.P.E.B à son programme , et n’entraîne l’O.N.L. dans deux œuvres des années 1748 (deux ans avant la mort du Père) et 1756 (la naissance de Mozart), dont on entendra tout de suite qu’y souffle par avance l’esprit fiévreux du Sturm und Drang La Symphonie Wq. 179 « encadre » son larghetto rêveur de pur sentiment par deux « rapides » intenses. Le Concerto pour clavier Wq.23 illustre encore davantage la façon dont K.P.E. entend « la véritable manière de toucher du clavier » (c’est le titre de son Essai théorique et pratique) pour mieux faire en « concertation » – lutte et dialogue – avec l’orchestre : pathétisme, dramaturgie permanente, silences qui trouent le discours par moments imprévisible, force de l’armature jamais scolastique. On y approche ce par quoi le génie solitaire du compositeur aura marqué son époque et même ce que Beethoven appellera « un temps à venir » : ses improvisations (clavecin, piano-forte, piano, tout est bon pour essayer d’en faire sentir l’étrange violence intérieure !) où le clavier recueille les intermittences du cœur et de l’esprit, rondos, fantaisies, mouvements de sonates. Peut-être, spectateurs réclamant quelque bis, pousserez-vous le chef à se remettre au clavier pour un « petit K.P.E. » ?

Sur le Vater Rhein

Année de deux anniversaires, on ne peut plus l’ignorer. A l’orchestre, ce sera évidemment Schumann et sa 3e Symphonie dont les mélomanes n’ignorent guère qu’elle a, comme la 1ère(« Printemps ») un surnom, « Rhénane ». Et tiens, si on cherchait en ce concert un lien entre Schumann et la part K.P.E.Bach, on le trouverait dans E.T.A. Hoffmann l’indispensable ( pour les amateurs de fantastique, et surtout pour Robert, qui puisa là ses Kreisleriana) : le Maître de chapelle Johannes Kreisler, évoquant son enfance, y raconte que dans les séances familiales de musique, on jouait « et prononçait avec vénération (le nom de)¨Philippe Emmanuel Bach »….Cette 3e, Schumann la compose pourtant dans sa dernière époque avant La Chute : en 1850, il a été installé dans ses fonctions de chef permanent à Düsseldorf,il a reçu un accueil chaleureux à l’image de la cordialité ici traditionnelle, et la maison du couple musicien –Robert, Clara, les enfants – « on ne saurait en avoir trop », avait dit…le père) – permet de contempler le fleuve, ce « Vater Rhein » (Père Rhin), pour la pensée allemande toute une symbolique. Le pays rhénan – dont l’atmosphère ouverte, plus gaie, semble au premier abord « faire du bien » au « bi-polaire » qu’a toujours été Robert – permet au musicien de se remémorer les textes poétiques de sa jeunesse – à 19 ans, il chantait le fleuve « calme, pacifique, grave et fier comme un ancien dieu » – et de retrouver ce que jadis il célébrait dans « le pays fleuri et ses environs paradisiaques ». La cathédrale de Cologne, toute proche et que le couple va bientôt visiter, impressionne, et s’agrandit dans l’imaginaire ; Robert l’avait déjà inscrite dans le Dichterliebe de 1840, sur les poèmes de Heine.

Les fêtes d’un archevêque à Cologne

Comme avec le tableau de leur contemporain Schinkel (La cathédrale au bord d’un fleuve »)….où figurent des mariniers…à l’image de ceux qui sortiront Robert du fleuve glacé quand, 4 ans plus tard, il aura voulu se suicider par noyade. Mais n’anticipons pas : en 1850, Schumann compose vite, large, profond, et en assemble les éléments dans un cadre qui dément sa réputation de classicisme-romantisé : 5 mouvements pour la Symphonie, dont le centre de gravité spirituelle de l’œuvre se situe en avant-dernier temps, après l’animé initial, le scherzo empli de danses joyeuses, et un grand Lied. Peu importe que ce Maestoso rende « socialement » hommage à l’archevêque de Cologne promu cardinal : sous les pavés d’un prétexte festivo-ecclésiastique, la plage de l’hymne extasié au Fleuve, aux eaux nourricières mais captivantes (et potentiellement ravisseuses), la méditation philosophique sur le Temps où « Tout s’écoule » selon la pensée du Grec Héraclite….Et il y a dans ce mouvement d’une rare originalité comme l’écho solennel et intime à la fois d’une poésie en recherche, qui fait penser au destin d’un autre « foudroyé par les dieux », Hölderlin, qui chantait un demi-siècle plus tôt « loin des montagnes abandonnées, goûtant le repos d’un lent voyage à travers les campagnes allemandes, lorsqu’il donne apaisement à sa nostalgie, ce Bâtisseur du pays, le Rhin, le Père ! »

Le moine rhénan

C’est aussi près de Cologne, en pays rhénan, qu’était né Bernd Aloïs Zimmermann, à la fin de la 1ère Guerre Mondiale. L’un des musiciens allemands du XXe les plus porteurs d’angoisse et de mystère, qui, profondément dépressif, se donna la mort en 1970, avait parfois écrit des œuvres plus « joueuses », hors du monde métaphysique dont son recours aux textes de Jacob Lenz – l’opéra « Les Soldats » -, Dostoievski ou Joyce constituait la part sombre d’une inspiration tourmentée. Et d’une écriture qui mettait en coexistence la rigueur post-sérielle, le jazz, le folklore et l’électronique… Comme le rappelle P.A.Castanet, c’est plutôt le « côté moine rhénan » (ou rhénan tout court ?) qui domine dans les Danses de kermesse (écrites dans les années Cinquante) cinq courtes pièces pour instruments à vent, « issues de schémas archétypiques relativement simples, manières de la tradition musicale populaire sur le Rhin allemand, dans l’illustration des valeurs d’hybridation esthétique autour de dualités contrastantes ».
Une double culture
La composition d’un tel programme porte en tout cas la marque d’un esprit ouvert à multiples talents et facettes comme celui de Christian Zacharias, pianiste (ancien Prix des Concours Van Cliburn et Ravel), chef d’orchestre (actuellement « permanent » de la Chambre de Lausanne), dont l’éblouissante culture esthétique – à double source, allemande et française – a fait aussi l’un des conférenciers et écrivains sur la musique (essai sur l’espace poétique de Schubert…) les plus passionnants de notre époque. Son film, réalisé pour l’I.N.A., « Schumann : le poète parle » ne sera-t-il pas en arrière-plan de la 3e Symphonie, qu’il fait jouer par les musiciens de l’O.N.L. ? Et des paysages « rhénans » de Zimmermann, eux-mêmes échos du scherzo de la 3e, dans un temps soustrait au destin tragique des deux compositeurs allemands, du XIXe et du XXe ? Sans oublier le jeu de miroirs entre pianiste et directeur symphoniste que C.Zacharias aime instaurer, et qui passera ici par la médiation du génial et imprévisible 2e fils du « Grand Bach »…

Lyon. Auditorium. Jeudi 4 mars 2010, 20h30, samedi 6, 18h ; Grenoble, MC 2, vendredi 5, 20h.Orchestre National de Lyon, Christian Zacharias (direction et piano). K.P.E.Bach (1714-1788), Concerto clavier Wq.23, Symphonie Wq 179 ; R.Schumann (1810-1856), 3e Symphonie ; B.A.Zimmermann (1918-1970), Danses de kermesse. Information et réservation : T.04 78 95 95 95 ; www.auditorium-lyon.com. T. 04 76 00 79 00 ; www.mc2grenoble.fr

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE CD événement. JULIUS ASAL, piano : Scriabine / D Scarlatti (1 cd DG Deutsche Grammophon)

Voilà assurément un programme fascinant en ce qu’il est aussi bien composé qu’interprété. S’y distingue le tempérament intérieur, d’une...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img