vendredi 29 mars 2024

Rencontres Contemporaines du MézencMonastier, Moudeyres (43), les 2, 4, 12 juin 2011

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Rencontres Contemporaines du Mézenc
Monastier, Moudeyres (43)
Jeudi 2, samedi 4, dimanche 12 juin 2011


Pour leur 17e saison, sur les plateaux vellaves du Mézenc, les Rencontres Contemporaines proposent trois jours de duos, trios instrumental et vocal-organistique, 3 œuvres en création (Schuehmacher, Breschand, Clouteau), et un regard neuf sur la relation texte-musique. Scènes aux champs avec dépaysement certifié…

Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle ?

Naguère – mais jusques à quand, rétrospectivement, faut-il aller à reculons, ça ne « nous » rajeunit guère, nous « les anciens » – , si on commençait : « Ta douleur, Du Périer, sera donc éternelle » il n’y avait plus qu’à réciter au moins trois strophes, et on pouvait au moins conclure par « Et la garde qui veille aux barrières du Louvre N’en défend point nos rois ». Ainsi, on « identifiait fastoche » François de Malherbe, « un baroque mort jeune pour que naisse le premier des classiques » comme l’avait écrit joliment Jean Rousset. Mais maintenant que ça « karchérise grave » dans la culture au sommet de l’Etat et qu’on y flingue sans sommation du côté de Clèves, Chartres et Nemours, ( « dis donc, la guichetière, ça sert à rien qu’un sadique te cause moyen âge !»), et qu’en musique, il ne faut surtout pas mettre en avant et aider les choses trop compliquées qui concernent seulement l’élite ( ?), on a toujours plaisir à retrouver sur les hauts plateaux vellaves (là où ça sent bon les narcisses en mai sinon la vieille France) les Rencontres Contemporaines au Mézenc et leur programmation originale. Là où on ne craint pas, spécialement pour la 17e Edition (2011), de donner parole, haut-parleurs et amplis, à des courants contradictoires : radicalisme hasardeux anti-texte de Cage , ou too much non-sense d’Aperghis, en face de Français – plusieurs générations de compositeurs – qui jouent délicieusement de la référence à la poésie, du baroque hexagonal à l’internationalisme américain ou indien, ou encore cousinent avec free jazz et rock…

Les Larmes de Sainct Pierre coulent à nouveau

Le 3e concert est celui qui renoue le plus ouvertement avec la Haute Tradition revisitée du XVIIe français, lui-même si partagé entre une exacerbation du baroque et l’épuration d’un classicisme par ailleurs fort pessimiste, qui vous fait « la leçon de ténèbres » là où le XVIe laissait s’ébattre les jeunes amants dans la prairie ensoleillée. Il est si « ex-centré » – anticlassique éparpillement, en somme – qu’on ne lui assigne d’axe (ondoyant !) qu’autour de ces malherbiennes Larmes de Sainct-Pierre, revues sinon corrigées par un Pascal Quignard songeant à sa « Haine de la Musique » … Et à un Reniement de Saint-Pierre en effet composé par Marc-Antoine Charpentier « parti à Rome, âgé de 14 ans, pour y apprendre la peinture et en revint musicien », à qui il fait dire dans Les Ombres Errantes : « Je compose des leçons de ténèbres pour des bougies que j’éteins. J’entends des fantômes de plaintes de dieux qui meurent. » Autour de l’orgue tenu par Jean-Christophe Revel, il y aura donc un spectacle imaginé par cet instrumentiste hors-pair qui habite les deux patries baroque et contemporaine , le compositeur Boris Clouteau (né en 1971, formé par Raffi Ourgandjian, Robert Pascal et Gilbert Amy, et travaillant en électronique, spatialisation (Happening de sable, rouille et poussière), enseignant à son tour en Rhône-Alpes), le contre-ténor Marc Pontus et le comédien Manuel Weber. Sera-ce comme si vous regardiez, à travers les Larmes, ici décrites par Malherbe : « Et desjà devant luy les campagnes se peignent Du saffran que le jour apporte de la mer » ?

Une harpe créatrice

Selon J.C. Revel, le Quatuor Clouteau-Weber-Pontus-Revel convoque tour à tour les « tableaux de Georges de La Tour, un parallèle avec le Banquet de Trimalchio (c’est issu de Pétrone, le Satiricon ? ndlr), les scènes issues du Reniement de Saint Pierre par M.A.Charpentier, d’autres pièces de Louis et François Couperin, des méditations de Pascal Quignard, des extraits de Jacques Lenot, et de Gérard Pesson » ( compositeur ô combien immergé avec distanciation ironique et tendre dans la culture littéraire de toujours !) »… Et de s’interroger : « la trahison (de Saint Pierre), mise en regard de textes ou pièces d’aujourd’hui renvoie aux significations pour nos contemporains : « la trahison existe-t-elle encore ne serait-ce qu’à notre esprit, l’infidélité amoureuse est-elle cela, le reniement a-t-il un sens dans nos sociétés désacralisées, désengagées, atones ? » Auditeurs, à vos têtes chercheuses de sens, émoustillées par l’air vif du Mézenc ! Autre errance (4 juin), en trio instrumental celle-là : la harpe, l’alto et la flûte, issue de rencontres et venues antérieures pour Hélène Breschand (harpe) et Vinciane Béranger(alto) accueillant Sophie Dardeau(flûte). La voix y est d’ailleurs en arrière-plan dans le Garten (Jardin de joies et de peines) de Sofia Gubaidulina (1981), sinon dans And then I knew…(Et alors je sus qui était le vent, 1992) de Toru Takemitsu, lui-même si fréquemment inspiré par souffle (physique et spirituel), vent et eau… Car Hélène Breschand, qui donnera aussi en création une de ses pièces – Morsures – aime bien les frontières et leurs franchissements : située entre écritures contemporaines « savantes », électronique, mais aussi jazz et improvisation, elle promet « quelques surprises au gré du spectacle : des solos et du théâtre musical » (et revoilà Aperghis, en compagnie de Marie-Hélène Fournier et de Sylvain Kassap).

L’épine d’une rose meurtrière

Autre encore est le premier concert (2 juin), parfait « mélange » de ce que nous évoquions au début. On y écoutera aussi bien Aperghis (Calmes Plats, « entre somatisation, solitude, désespoir, prosaïsme, Thomas Bernhard et donc monomanies ») que deux Cage « de haute époque » (1942 et 1950), et un peu de l’univers précautionneux, ascétique et lent de Morton Feldman (Only, pour voix de femme soliste). Only (sur un texte de Rilke) peut être, en esprit , un point de jonction avec la « nébuleuse » autour de laquelle travaille le jeune compositeur Gilles Schuehmacher (né en 1977), celle de ces Roses qui marquèrent tant la pensée, la vie et la disparition du poète autrichien. On se rappelle que Rainer-Maria Rilke mourut à la fin 1926 d’une leucémie – dont il voulut vivre en toute lucidité les ultimes assauts, et dont la « porte d’entrée » eût été une piqûre par l’épine d’une rose – : « gravement, douloureusement, misérablement, humblement malade » (comme il l’écrivit dans sa dernière lettre, à Jules Supervielle), et aussi, parlant à son amie Lou Salomé : « la souffrance, elle me recouvre, jour et nuit, où trouver le courage ? ». En écho de ce qu’il « voyait » déjà dix ans plus tôt : « La mort est là, bleuâtre décoction Dans une tasse sans soucoupe » ?

De Rilke à Dürer

G.Schuehmacher – dont le parcours compositionnel a été très marqué par l’enseignement d’Emmanuel Nunes – a déjà puisé pour un recueil de ce qu’il nomme « des œuvres vocales intimistes » au trésor rilkéen (An die Musik…). Il prend pour le « traduire » le cycle ultime de 24 poèmes écrits en français. Tout en posant la question du 24e : « Rose, eût-il fallu te laisser dehors, Chère exquise ? Que fait une rose là où le sort Sur nous s’épuise ? », il précise qu’ici « les musiciens piochent selon leurs envies de façon à créer différemment à chaque fois » … (et alors peut se lever, « idée même et suave, l’absente de tout bouquet », selon le vœu de Mallarmé ?). L’esprit compositionnel en est « assez austère et classique : pas de déconstruction du texte, très peu de vocalise, d’effet de timbres, et avant tout rythmes et intervalles, contrepoint de lignes, diversification des affects, couleurs et teintes plutôt pastel… » C’est le 1er livre de ces Roses qui sera donné en création par la soprano Valérie Philippin (très « bel aujourd’hui » en ses choix, théâtre musical, Intercontemporain, Biennale de Venise, Musica de Strasbourg, enseignement de son art à Paris…) et la contrebassiste Margot Cache ( baroqueuse avec Astrée, Seminario Musicale, Parlement, Musiciens du Paradis ; contemporaine avec H.Holliger, Multilatérale, Instant Donné, créations de G.Pesson, F.Pattar… ; enseignante à Tours et en Ile de France). D’excellents guides pour des duos et des solos où voix et instrument se répondent en « labyrinthe de motifs d’un poème à l’autre, au plus près de l’évidence et de la tendresse rilkéennes », et un Flower Garden, où le poète indien Tagore fait dialoguer la Reine et son Serviteur-Jardinier. Et la contrebasse sera encore en solo pour de courts commentaires d’une des gravures les plus mystérieuses du XVIe européen, voire de toute l’histoire des symboliques « représentées » : la Melancholia de Dürer, qui a inspiré à Philippe Hersant une pièce instrumentale, donc « sans paroles », mais bien sûr en recherche de multiples significations et harmoniques.

Rencontres Contemporaines du Mézenc. 17e saison. 2, 4 et 12 juin 2011. Jeudi 2 juin, 17h, Eglise du Monastier-sur-Gazeille (43), 17h : V.Philippin, M.Cache. Samedi 4 juin, Moudeyres (43), 17h : H.Breschand, V.Béranger , S.Dardeau. Dimanche 12 juin, Monastier, Abbaye Saint-Chaffre, 17h : J.C.Revel, M.Pontus, M.Weber.
Information et réservation T. 04 78 64 82 60, 04 78 27 39 64 ;
[email protected]

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