samedi 20 avril 2024

Récital Claude Debussy. Alain Planès, pianoLyon, salle Molière. Le 6 avril 2012

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Lyon, Fortissimo
Récital Debussy

Alain Planès, piano

Lyon, Salle Molière, Fortissimo
Vendredi 6 avril 2012

La saison de musique de chambre Fortissimo, après avoir reçu le Trio Pennetier-Pasquier-Pidoux, Anne Queffélec et A.Rahmann El Bacha, accueille Alain Planès. Le pianiste d’origine lyonnaise, Alain Planès, au ton et parcours si originaux – des Etats Unis à l’Intercontemporain, de Haydn en Schubert et Chopin – rouvre son intégrale debussyste, et commence … par les œuvres de jeunesse d’Achille-Claude, jusqu’à ce « Pour le Piano » qui révèle l’entrée en maturité créatrice.



Le petit Bussyk et la Villa Medicis

Achille Claude avant Debussy : qui était-il, et en toute hypothèse de recherche, que pouvait-il chercher, quelque part entre ses 17 ans – on n’y est pas sérieux, selon Rimbaud – et sa trentaine ? Le longuement indiscipliné, potache de conservatoire qui déteste certains de ses maîtres (Marmontel, Durand) ne s’est pas encore trouvé l’extraordinaire discipline intellectuelle qui fera de lui un disciple pour une méthode valéryenne adaptant Léonard de Vinci. Il tâtonne, essaie, encore loin du Picasso qui, paraît-il, disait : « Je ne cherche pas, je trouve. » Et surtout, notamment au piano, il paraît d’abord butiner quelque part dans les charmes salonnards, du côté de chez Jules (Massenet),en attendant que les voyages d’été en Autriche et Russie – le « petit Bussyk » de Madame von Meck – ne lui ouvrent des horizons « orientaux », et juste le temps de réaliser que son Prix de Rome (une cantate d’Enfant Prodigue) mène à l’impasse « Villa Medicis ». Au retour (précipité) de Rome, il se cultive dans les salons –parfois le mardi chez Mallarmé , auprès des littérateurs, et c’est d’ailleurs en ce monde poétique et pictural qu’il comprendra que la « vraie vie est là », tout autant que dans l’ailleurs de son imaginaire et de sa pensée.

Innocentes bluettes ?

C’est de 1880 jusque vers 1900 que le récital d’Alain Planès emmène ses auditeurs, « à la recherche d’un style » de piano qui serait déjà, fût-ce en filigrane, celui des monuments ultérieurs (Estampes, Images, Masques, Préludes, Etudes). Encore faut-il ne pas prendre à la lettre les…chiffres de dates, car Debussy reprend dans les tiroirs, rassemble, donne à des éditeurs de l’ancien mis au goût du jour. Le groupe le plus « tardif » du récital, « Pour le piano », semble proche de Pelléas et même de La Mer, mais son « 1901» en publication officielle correspond à des écritures de 5, voire 7 ans antérieurs. Il serait donc plus exact d’évoquer un ensemble – par ailleurs disparate et kaléidoscopique – d’une décennie et demi, entre 18 ans et un peu au-delà de 35 ans. Un spécialiste comme Harry Halbreich place ces partitions en deux catégories, « pages de jeunesse avant 1890 » et « œuvres de transition, de 1890 à 1901 ». Non sans dissimuler la faiblesse d’une initiale Danse Bohémienne (1880), « innocente bluette », dont Tchaikovsky, consulté, dit poliment que c’est « une fort gentille chose, mais trop courte ».
Viennent, à date flottante, (entre 1882 et 1891 ), d’autres pièces aux mérites inégaux : une Rêverie dont son auteur jugera plus tard : « chose sans importance, en deux mots c’est mauvais », une Ballade (précisée : slave), qui marque l’influence de Borodine, « avec une paisible conclusion modale d’un rare charme poétique », un Nocturne dont Guy Sacre juge que « ces attendrissements à fleur d’âme et de doigts larmoient complaisamment », tandis qu’H.Halbreich rappelle la formule debussyste « la musique doit humblement chercher à faire plaisir », et que cette pièce est « éphémère point de rencontre entre Debussy et Fauré »…Et une Mazurka, bien sûr hommage à Chopin que Debussy révère entre tous, mais aussi à… la musique russe.

Jardins sous la pluie et clair de lune

Les deux Arabesques (1888 ?) ont de la substance ; le pianiste y marque son goût non pas tant pour la courbe de l’art persan que « les volutes du chant grégorien » ; la souplesse décorative, le naturel et la grâce ingénue convainquent sans peine des beautés à venir. La Tarentelle (pas plus tarentelle que styrienne) module avec une audacieuse aisance et Ravel la jugera assez intéressante pour être orchestrée en 1923. Mais voici arrivé le temps – de 1890 à 1896 – de trois « groupes», qui révèlent une écriture fort neuve, par laquelle Claude affirme sa filiation avec la beauté des formes traditionnelles (« Claude de France », comme il le signera plus tard pour raisons patriotiques), et mettent mieux en valeur ce qu’il vient de « trouver » après avoir « cherché » un peu laborieusement. La Suite bergamasque (1890), chantier qui verra se mettre à part Masques et l’Isle Joyeuse, est d’un ton verlainien où Debussy avance malgré tout un rien … masqué, par écho fauréen (Prélude), modal et Ancien Régime (Menuet, Passepied). Ne serait-ce pas pour mieux faire ressortir le charme, « la miraculeuse réussite du Clair de Lune », devenu rapidement célèbre, et « premier grand paysage vraiment debussyste ».

Et n’est-ce pas déjà dans le Passepied que V.Jankelevitch détecte « ce milligramme de mystère atmosphérique qui met en branle la rêverie » ? Trois « Images Inédites » ( « Oubliées ») de 1894 marquent un attendrissement amoureux ( dédicace à Yvonne Lerolle, la fille du peintre ami de Chausson), et une volonté de se faire, dit le compositeur, « conversations entre le piano et soi ». La 1ère, « lent, doux et mélancolique », est d’un beau raffinement harmonique. La 2nde est… premier état de la Sarabande (« Pour le Piano »), « élégance grave et lente, vieux portrait du Louvre ». La 3e annonce les Jardins sous la pluie, avec leur (r)appel de « nous n’irons plus au bois », … chanson enfantine que Debussy adore et qui lui fait ajouter avec humour « …parce qu’il fait un temps épouvantable » ( là ce serait aussi le souvenir d’un séjour au printemps pourri de Normandie avec la « belle Gaby aux yeux verts »…).

Un grand pianiste réservé

Enfin, « premier et parfait chef- d’œuvre qui révèle au clavier la personnalité en plein épanouissement » (H.Halbreich), Pour le Piano s’inscrit dans le retour aux clavecinistes du XVIIIe : « la très grande liberté de structure et de langage n’empêche nullement la solidité de la forme, la vigueur sonore et expressive ». Prélude et Toccata sont « percussifs et martelés »,tandis que la noble Sarabande, « d’une gravité presque liturgique, semble vouloir faire admirer la somptueuse parure de ses septièmes et neuvièmes, inouïes à l’époque ».

C’est à ce premier sommet que fera parvenir l’art très personnel d’Alain Planès, un des plus grands mais aussi discrets pianistes d’aujourd’hui. Milan Kundera a dit de lui, apprend-on, qu’ « il n’est pas seulement un virtuose mais surtout un grand musicien, coïncidence de plus en plus rare ».
Ce Lyonnais – qui donna ici son 1er concert avec orchestre quand il avait huit ans- est « monté à Paris », y a suivi l’enseignement de Jacques Février, mais rapidement tourné vers les Etats Unis où il a travaillé avec M.Pressler, J.Starker, G.Sebök, il y a aimé particulièrement l’atmosphère et les travaux du Festival de Marlboro, où il avait été remarqué par Rudolf Serkin.

Passionné par la musique d’aujourd’hui, il avait été très tôt choisi par Pierre Boulez pour le clavier de l’Intercontemporain. Chambriste partenaire de Michel Portal, des quatuors Prajak , Talich et Guarneri, il a enregistré avec affinités électives (et volontiers sur instruments d’époque) Chabrier, Janacek, Haydn, Chopin, Schubert. Et bien sûr Debussy, dont il disait en 2005 à P.Gervasoni que « les pièces de jeunesse au style très référencé comportent d’incroyables audaces harmoniques… ». Très amateur de culture picturale, A.Planès apprécie entre tous Joan Miro –une dimension sublimée de l’humour dans les formes-, et souligne volontiers – références d’époque en littérature et arts visuels à l’appui- les pièges de l’assimilation intellectuellement paresseuse de Debussy, « exaspéré de voir sa musique labellisée », au seul impressionnisme, alors que c’était « surtout un symboliste ».

Debussy simple comme une herbe ?

On ne doute pas que ce pianiste subtil et inspiré – qui souscrirait volontiers à la distance de M.Croche devant les « enfantines vanités », portraituré par Debussy : « être supérieur aux autres n’a jamais représenté un grand effort si on n’y joint pas le beau désir d’être supérieur à soi-même » – saura nous conduire au labyrinthe d’Achille-Claude, futur et proche Debussy. Un Achille qui mandait en 1898 à l’un de ses amis : « Comme j’ai à peine de quoi ne pas crever de faim, j’assiste impuissant à la ruine de tout ce que je rêve de beau et de tendre. Cela peut paraître ridicule, mais je vous assure qu’il y a de quoi donner le spleen le plus tenace à quelqu’un de mieux constitué que moi, qui, en somme, suis simple comme une herbe et n’ai jamais demandé qu’à la Musique des choses impossibles. » Debussy, simple comme une herbe ? Je l’irai dire à Rome !

Saison Fortissimo, Salle Molière, Lyon, vendredi 6 avril 2012, 20h30. Claude Debussy (1862-1918), Œuvres de jeunesse, Pour le Piano. Alain Planès

Information et réservation : T.04 78 39 08 39 ou www.fortissimo-musiques.com

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