mardi 19 mars 2024

Rameau : Platée par William Christie et Robert Carsen (2014)

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La Platée de l’Enchanteur Bill … Rameau : Platée par William Christie. 17 février – 2 avril 2014. Vienne, Paris, New York.  Il n’est rien de comparable à la forme délirante, virtuose de la comédie satirique Platée. Rameau y réinvente la langue lyrique, bouleversant les convenances poétiques, réservant à l’orchestre là encore une liberté et une fantaisie inédites. C’est aussi sur le plan de l’écriture vocale une partition sans équivalent à l’époque; où se distingue surtout l’air de la Folie, qui comme Phaéton et son char, a dérobé la lyre d’Apollon : elle est déjantée, fulgurante à l’acte II ; ce sont surtout tout au long de l’ouvrage, les coassements et onomatopées mordantes de la reine des grenouilles ou nymphe de marais, trop vaniteuse, qui se râpait coquette courtisée par Jupiter soi-même, pour laquelle le compositeur se surpasse dans l’écriture d’une langue musicale si proche de la nature et du coeur humain : Platée même ridicule est surtout essentiellement humaine.

 

 

Ridicule et sublime Platée

 

Jelyotte_platee_christie_by_Coypel_En encyclopédiste musicien et fils des Lumières, Rameau le théoricien observe, comprend, rivalise avec le réel. Sa théorie fameuse des corps sonores s’incarne dans Platée avec une fantaisie irrésistible.
Même Rousseau applaudit et Maret synthétise l’accueil et la réception d’une oeuvre forte qui comme Hippolyte (1733) frappe et déconcerte les esprits, du vivant même de Rameau :  » Lully a pu séduire ; mais Rameau aujourd’hui étonne, subjugue, transporte « …
Sur le plan dramatique et même psychologique, la fable mythologique n’est pas qu’un prétexte. Annonçant Offenbach et ses parodies grecques (Orphée aux enfers, La belle Hélène …), Rameau préserve aussi la justesse et la vérité du sujet : le musicien accorde un traitement musical particulier à son héroïne. Même raillée, humiliée, ridiculisée par Jupiter et Mercure – afin d’épingler aussi la jalousie excessive de Junon-, la grenouille Platée démontre une sincérité touchante qui la rend pathétique voire bouleversante. C’est là le génie de Rameau : en maître inégalé des contrastes, le musicien sait divertir autant que toucher l’âme (son grand dessin confessé).

Christie William portrait 290C’est bien le but de la mécanique sonore : autant de science dans l’écriture (que Rousseau lui reproche tant) ne vise in fine qu’un seul but : émouvoir et toucher ; saisir, transporter, … enchanter. Pari réussi. Platée est bien le sommet des comédies lyriques en France au XVIIIè siècle (annonçant La Caravane du Caire de Grétry, Les Troqueurs de Dauvergne – grand continuateur avec Mondonville de Rameau… c’est à dire les jalons à venir dans le genre opéra comique)… Il n’est pas de partitions plus libres et inventives que Platée. A la fois poète et inventeur, le grand faiseur de tragédies lyriques depuis Hippolyte et Aricie,  surprend là où on ne l’attendait pas : la comédie.

Production événement pour les 250 ans de la mort de Jean-Philippe Rameau. Grands spécialistes et défenseurs enchanteurs d’un Rameau aussi  génial que tendre, William Christie et Les Arts Florissants abordent enfin le chef d’oeuvre de Rameau. 13 dates, Vienne, Paris, New-York

Vienne : 6 dates
Theater an der Wien (Autriche)
les 17,19,21,24,26,28 février 2014

 

Paris : 6 dates
Opéra-comique
les 20,22,24,25,27,30 mars 2014

 

New York, version concert
Lincoln center Alice Tully Hall
le 2 avril 2014, 19h30
Illustration : Pierre Jelyotte (1717-1797), interprète légendaire de Platée et ténor favori de Rameau. Portrait de Jelyotte en Platée par Coypel vers 1745, au moment de la création de l’opéra de Rameau

 

 

 

La Platée de Robert Carsen

Christie_william_maxpeopleworld700428Pour exprimer le désir de plaire et de briller donc dévoiler la naïveté d’une proie trop ridicule ; pour épingler tout autant la barbarie et la cruauté de ceux qui en exploite les faiblesses, Robert Carsen transporte l’action mythologique de Platée dans le milieu très chic factice et arrogant donc parisien, de la mode…  Une relecture qui n’oublie pas l’essence satiriqe de la partition et la formidable féerie musicale d’un Rameau au sommet alors de ses possibilités. L’action sur les planches fait la satire des dieux et des mortels ; la fosse réenchante a contrario grâce au seul chant virtuose de l’orchestre, ce théâtre désenchanté.

269 ans après sa création devant le Roi à Versailles, dans le théâtre aménagé dans les Grandes Ecuries face au château, Platée nous parle encore. Il fallait donc retrouver la modernité facétieuse voire séditieuse et un rien insolente de Platée à notre époque. Malgré le statisme formel et le poids des conventions qui gère la continuité du drame de la comédie (chaque acte est conclu par un grand divertissement dansé), l’opéra n’empêche pas la liberté du poète en particulier la fantaisie géniale du compositeur qui y signe l’une de ses partitions les plus inventives. Carsen rétablit l’effervescence tripartite de l’oeuvre qui nous parle aujourd’hui : son sujet antique (très mordant voire cynique), la convention de l’époque de Louis XV, les références (visuelles et scénographiques) à notre époque moderne : Platée se déroule dans le milieu de la mode, faisant paraître défilé, mannequins, jusqu’à la silhouette du créateur vedette Karl Lagerfeld, son catogan, ses lunettes emblématiques…

 

 

 

Nymphe vaniteuse et … touchante

L’acuité du verbe dans Platée s’appuie sur une satire féroce du genre humain et divin : ni les mortels ni les dieux ne sont épargnés. Il n’est qu’une autre œuvre qui égale les pointes sarcastiques du livret : Candide de Voltaire qui lui est postérieure. Ici l’on rit aux dépens d’une reine grenouille trop vaniteuse ; comment peut-elle penser être belle et avoir séduit jusqu’à Jupiter le dieu des dieux ? En fait Platée pourrait comme Falstaff être chacun de nous, proie d’une machination collective qui s’achève en forme de procès et d’humiliation publique. En Platée repose le désir de chacun de vouloir plaire, être aimé. Pour Robert Carsen, Platée est donc une fashion victime, détruite dans les rêts de la politique du tout image. Dans ses rêves intimes, Platée voudrait elle aussi être une déesse, une star, une lolita adulée sur les plateaux. En cela, le personnage de la Folie lui renvoie comme dans un miroir, le visage de son orgueil réalisé. Un monstre délirant et terrifiant, fascinant et spectaculaire.  Le génie de Rameau par sa musique et les milles accents maladroits de son chant si humain, est d’en faire une figure pathétique et touchante.

Platée est une nymphe des marais, moins grenouille que caractère travesti sur la scène lyrique : homme (l’illustre ténor Jélyotte à la tessiture impressionnante et au jeu d’acteur visiblement tout aussi étendu et convaincant) incarnant un rôle délirant bouffon, «  burlesque »,  comme jamais l’opéra français n’en avait livré : monstre de la foire, laideron magnifique et nymphomane maladroite (et donc ridicule) ayant de fait une singularité que Jupiter et sa clique d’intriguants s’entendent à exploiter … pour atténuer la jalousie de Junon. La voix du ténor Jélyotte devait incarner concrètement la voix singulière de Platée. Ici, le cadre pastoral est un prétexte : il s’agit d’un huit clos psychologique, à la fois drame et tragédie domestique qui tourne à la machination sociale.

Après Les Borréades, Armide de Lully, Robert Carsen retrouve la complicité de William Christie : réenchanter la lyre magicienne de Rameau pour qui se développe la sensibilité des acteurs chanteurs sur la scène, car de Platée à La Folie, l’opéra de 1745 regorge de personnages immenses, véritables défis et points d’accomplissement pour les plus grands interprètes, chefs et chanteurs. On se souvient de la Platée de Minkowski avec les Folies mémorables d’Annick Massis et de Mireille Delunsch. Mais la baguette de Minkowski tirait trop la partition vers sa face bouffonne quitte à durcir et épaissir le trait (vers la caricature satirique). William Christie, interprète inégalé d’Hippolyte et Aricie (le premier opéra de Rameau en 1733), de Castor et Pollux ou de Zoroastre, devrait apporter chez Platée, cette once de tendresse humaine, présente en filigrane dans le personnage, une nuance qui rétablit l’immense sensibilité d’un Rameau très fin psychologue (si souvent écarté chez beaucoup de chefs trop rapides voire réducteurs).

Rameau : Platée parsienne par Carsen et Christie

 

Illustrations : le ténor Jélyotte, illustre créateur en 1745 de la nymphe Platée, William Christie, William Christie à Vienne (© MaxPPP) ; La folie par Simone Kermes dans la mise en scène très chic parisien de Robert Carsen (© Monika Rittershaus 2014 Opéra de Vienne). La nouvelle production présentée par l’Opéra Comique à Paris en mars 2014 a été précédemment créée à Vienne en février 2014 sous la direction de Paul Agnew. En mars 2014, Salle Favart, c’est l’immense ramélien William Christie qui dirige ses chers Arts Florissants pour sa première Platée …

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