vendredi 19 avril 2024

CRITIQUE CD événement. « SECRET LOVE LETTERS » / Lisa Batiashvili, violon : Franck, Szymanowski, Chausson. Philadelphia Orchestra, Y Nézet-Séguin [1 cd Deutsche Grammophon -2022]

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CRITIQUE CD événement. « SECRET LOVE LETTERS » / Lisa Batiashvili, violon : Franck, Szymanowski, Chausson. Philadelphia Orchestra, Y Nézet-Séguin [1 cd Deutsche Grammophon -2022] – En abordant l’élégantissime et si subtile Sonate pour violon et piano de César Franck (1886), la violoniste Lisa Batiashvili affirme un tempérament artistique aussi ambitieux qu’original. Elle étire une sonorité riche en nuances, soignant l’intensité du chant, sa profondeur, sa grande pudeur élégiaque. En étroite fusion avec son partenaire familier, le pianiste Giorgi Gigashvili, le violon rayonne de souplesse, de couleurs, de nuances… n’écartant ni la puissance mélodique, ni la complexité de l’architecture qui unifie chaque mouvement, les accordant en un continuum organique au souffle souverain, soulignant combien chacun découle du précédent grâce au principe cyclique.
En soignant la plasticité hédoniste de la sonorité comme la clarté de la ligne et des contrechamps, la violoniste affirme une réelle et profonde compréhension de l’écriture franckiste dont le défi le plus important est d’accorder l’abstraction d’une pensée musicale avec sa forme d’une impériale et vibrante volupté.

 

Deutsche Grammophon signe l’un de ses meilleurs cd 2022

Incandescence, flamboyance, irisation hallucinée…
le violon magnétique de Lisa Batiashvili

 

 

 

Lisa Batiashvili choisit surtout dans ce programme aussi dense que très juste par ses rapprochements, « Poème » de Chausson, premier accomplissement né de l’évidente complicité entre la soliste, le chef Nézet-Séguin et l’orchestre américain. L’élève immensément doué de Franck, signe alors en 1896, une œuvre aussi bouleversante et énigmatique que la mythique Sonate de Vinteuil. Sa matière hallucinée, produit d’une romantisme exacerbé [son titre originel était « chant de l’amour triomphant »] mais ici plus sombre comme empoisonné que réellement tendre, annonce directement dans le feu intense, entre songe féerique et envoûtement, leurs crépitements expressifs et crépusculaires, le trop rare Concerto de Szymanowski composé 20 ans plus tard et conçu lui aussi comme un mouvement unique à la texture inouïe, d’une poésie aussi inédite qu’irrésistible. Il est très pertinent pour l’écoute [et la compréhension] de chaque partition de les rapprocher ainsi, mais alors dans un ordre non chronologique ; d’abord Szymanowski puis sa « source » : Chausson. Lisa Batiashvili aborde la partition pour ce qu’elle est et diffuse : un vague à l’âme, une brume entêtante, fruit d’un état second entre hypnose ou ivresse, support à maintes visions surréalistes…
En réalité très proche du « poème élégiaque » d’Eugène Ysaÿe, l’ami et l’inspirateur de Chausson, « Poème » est une pièce majeure du romantisme wagnérien à la française, qui selon Debussy admiratif n’exprime pas le sentiment : il est lui même sentiment. Son « Beau soir » qui referme le programme, est une réflexion sur la mort en hommage à la poétique somptueuse et vénéneuse de Chausson.

Pièce maîtresse de ce poliptyque passionnel, le Concerto n°1 du polonais Karol Szymanowski écrit pendant la première guerre en 1916, semble recueillir la richesse et la sensibilité de Richard Strauss et des symphoniques Français dans les modalités harmoniques d’une partition à la fois romantique, expressionniste, impressionniste, d’un raffinement fauve qui cultive avec une finesse inédite l’hallucination et la féerie. C’est comme Chausson et son ami Ysaÿe, une œuvre conçue avec la complicité d’un violoniste et ami, le violoniste Pawel Kochanski [créateur de l’œuvre à Philadelphie en 1924]. Inspirée par ce lourd héritage et magnifiquement assumé, Lisa Batiashvili joue l’opus 35 dans le lieu même de sa création [Academy of music, Philadelphia]. Comme les grands compositeurs français, Szymanowski, comme pour enrichir encore le raffinement poétique de son ouvrage, s’inspire aussi dans le développement, du poème de Tadeus Micinski (« Nuit de mai »), qui évoque lui-même le chant fantasmagorique des oiseaux nocturnes selon des mythes anciens.

Fantasque et imprévisible, le jeu funambule aux nuances ciselées éblouissent littéralement dans cette odyssée musicale qui rugit, hulule, murmure, caresse et envoûte tour à tour. En fusion jusqu’à l’incandescence avec le chef Yannick Nézet Seguin (dont la précision de la baguette produit cette transparence « française » légitimée enter autres par une citation littérale de la Symphonie avec orgue de Saint-Saëns!), la violoniste joue comme un peintre, dessinant tout un monde inconnu, flamboyant, vertigineux dont le parcours s’insinue comme une transe d’une subtilité réellement inouïe. Magistral. Voici certainement l’enregistrement le plus convaincant de DG Deutsche Grammophon pour l’année 2022.

 

 

 

 

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CRITIQUE CD. « SECRET LOVE LETTERS » / Lisa Batiashvili, violon : Franck, Szymanowski, Chausson. Philadelphia Orchestra, Y Nézet-Séguin [1 cd Deutsche Grammophon – enregistré à Philadelphie puis Berlin respectivement en janvier puis avril 2022] – Clic de Classiquenews Automne 2022.

 

 

 

 

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