Pourtant en 1952, trente ans après la fin du cinéma muet, le scénariste et réalisateur Russel Rouse y revient avec L’espion, The thief, un film que Rouse lui même présente comme un « film sans dialogues » puisqu’il y a une bande son. La musique qui accompagne le film est du jeune guitariste et compositeur picto charentais Jérémy Baysse : « Il y avait bien une musique originale mais je ne l’ai pas trouvé terrible, c’est pourquoi j’ai composé une musique qui me semblait plus en harmonie avec ma perception du film » nous dit il en substance. Avec The thief, Jérémy Baysse n’en n’est pas à son coup d’essai : « J’ai déjà accompagné cinq ou six films muets, des classiques comme ceux de Buster Keaton par exemple, et je voulais sortir des sentiers battus ».
Rouse, Baysse : renaissance du Thief
The Thief n’ayant jamais été diffusé en France, il est resté pendant six décennies, au fond des tiroirs, oublié de tous, même des distributeur français. Jérémy Baysse nous dit d’ailleurs : « Ce film était tombé dans un oubli quasi total. Pendant mes recherches, je n’ai trouvé qu’une seule ligne dans un magazine spécialisé et même le distributeur du film l’avait oublié, le laissant dormir pendant toutes ces années au fond d’une étagère. J’ai cherché pendant deux ou trois ans avant de trouver la perle rare. The thief m’a inspiré et donné des idées pour composer une musique de film pour un quintette et non pour un instrument soliste ou pour un trio comme lors de mes précédentes expériences ». Et la musique du guitariste picto charentais, plutôt sombre, alternant savamment mouvements lents et mouvements rapides, colle parfaitement au film dont la noirceur ressort avec plus d’intensité.
Inspiré par le film, Jérémy Baysse compose une musique qui se trouve être à la croisée des chemins, mélangeant avec talent diverses influences (variété, jazz, musique moderne et contemporaine …) auxquelles il a été confronté tant pendant ses études universitaires et musicale que depuis ses début en tant que compositeur et guitariste. Habitué à accompagner des films muets, généralement des classiques des années 1900 à 1920, Jérémy Baysse n’a vraiment composé pour un ensemble qu’avec une enième diffusion de La croisière du Navigator (Buster Keaton), film pour lequel il jouait alors en trio.
Russel Rouse réalise un film sur la guerre froide alors qu’elle est à son paroxysme avec son contingent d’espions d’un côté comme de l’autre. Si cela peut poser question, il ne dérape à aucun moment et reste concentré sur l’espion, le docteur Allan Fields, l’espion démasqué par un malheureux hasard – l’accident mortel d’un relai – alors que le microfilm était en route pour l’aéroport; et le FBI qui récupère l’objet destiné à l’Egypte harcèle si habilement son suspect qu’il ne peut que finir par se rendre. La programmation de The thief est l’occasion pour le jeune compositeur de passer un ton au dessus avec une musique pour quintette ; il entre d’emblée dans une nouvelle dimension. Et le pari, improbable, est d’autant plus réussi que le travail en amont, long et fastidieux du fait que le film était totalement inconnu en France voire oublié, a permis à Jérémy Baysse de réfléchir à son travail de composition ; après l’avoir visionné maintes fois, le spectateur contemporain s’immerge aussitôt dans l’ambiance ; le compositeur manifestement inspiré et engagé s’y est dépassé ; il a produit une musique sans fioritures qui fait retourner le public d’entrée de jeu soixante ans en arrière.
The Thief a beau être un film muet des années 1950, il n’en donne pas moins une vision réaliste de la guerre froide sans jamais tomber dans la caricature. Quant à Jérémy Baysse il prend le film à son compte ; il l’accompagne s’appuyant sur la complicité de musiciens talentueux qui utilisent, pour certains, plusieurs instruments (flûtes, clarinettes, saxos …). Le groupe a d’ailleurs enregistré la musique du film ; le cd est annoncé en février prochain.
Poitiers. Théâtre, le 15 janvier 2013. Russel Rouse : The Thief (film muet, 1952); Jérémy Baysse, guitare et composition. Jérémy Baysse Quintette
