vendredi 19 avril 2024

Philippe Boesmans, Julie (2005)

A lire aussi

Philippe Boesmans
Julie

, 2005

Opéra en un acte. Livret de Luc Bondy et de Marie Louise Bischofberger d’après Mademoiselle Julie d’August Strindberg.

Un 24 juin, à la fin du XIX ème siècle, dans un château perdu dans la campagne suédoise, domestiques et propriétaires fêtent la Saint-Jean, dans la cuisine du château. Julie est le quatrième opéra de Philippe Boesmans (né en 1936), tissé sur le même registre que Reigen, comme un opéra de chambre. Troix voix, un orchestre réduit exprime le jeu des séductions qui transgressent le code social. Mais l’orage qui a lieu, révèle les aspirations et les angoisses tenues cachées.

Orage et catastrophe

D’un côté une jeune aristocrate qui ayant rompu ses fiançailles, ne craint pas de séduire le valet de son père, Jean. De l’autre, ce même Jean, est un domestique sans scrupule, enclin à quitter sa livrée pour gagner fortune et gloire. L’action attise les frustrations, souligne le ressentiment de deux êtres qui ont raté leur vie. Anti romantique, l’oeuvre met en scène deux anti héros qui frustrés d’amour et de pouvoir, n’ont ni la grandeur d’âme ni le courage d’agir. En définitive, l’intrigue se développe pendant une nuit d’orage, la tension ambiante fait tomber le masque des convenances sociales et Boesmans qui s’inspire de la pièce de Strindberg, dévoile névrose et mal être. La lente descente aux enfers de Julie découle de sa fragilité psychique. La partition indique comment entre les deux individus se produit leur aimantation perverse, choquante du point de vue de la morale. Les paroles ne font que souligner leur lâcheté chronique. Si tous deux cèdent à leur pulsion sexuelle, leur union éphémère ne fait que renforcer ce qui ici est déjà condamné. Cette union sans avenir se précipite en un cauchemar de péripéties.
Boesmans souligne non sans cynisme, mais aussi tendresse, la médiocrité de deux êtres faibles dont l’écoeurement face à la vie se révèle fatal pour l’un d’entre eux.

Aucun répit pour Julie

Même si son rang la favorise a priori, Julie, fille d’un comte, est en réalité une victime. Ses parents ne l’ont jamais aimé. En perte de repères, la jeune femme est déconstruite. Et le temps de l’opéra, est celui de ses dernières heures. Tout indique l’imminence de la catastrophe. La nuit de la Saint-Jean porte l’aspiration des êtres: l’esprit de la fête, de la danse et de l’alcool berce chacun d’eux dans une ivresse illusoire qui fait chavirer les dernières résistances.
L’orage qui retentit sur la scène comme une déflagration psychologique indique que tout est désormais fini. Julie a signé son arrêt de mort.

Philippe Boesmans

En résidence à La Monnaie depuis 1986, Philippe Boesmans poursuit avec Julie son travail sur le théâtre lyrique. A l’invitation de Gérard Mortier puis de Bernard Foccroulle, le compositeur a pu présenter l’ensemble de son oeuvre sur la scène lyrique bruxelloise. Participant à l’élaboration des programmations de chaque saison, le musicien a aussi aiguisé sa connaissance de la dramaturgie. En choisissant sur la proposition de Luc Bondy, le texte théâtral de Strindberg, Boesmans a souhaité renouer avec une narration dense et serrée, propre au théâtre. L’action intime, quasi étouffante, permet à la musique de pénétrer immédiatement dans l’esprit des personnages, d’en exprimer la tempête et les tourments intérieurs. La relation inextricable qui se développe entre les trois personnages, et les enchaînent désormais en une nuit implacable, offre au compositeur une excellente occasion d’écrire une musique psychologique, très expressive. D’autant que la solitude de chacun, leur désarroi, leur incommunicabilité dessinent une multitude de miniatures, orchestralement ciselées, qui sont autant de facettes d’une dépression collective.
La peinture des caractères est saisissante. Au mezzo agité et passionné de Julie correspond le baryton aigre, orienté dans le calcul, la lâcheté et la dissimulation du personnage de Jean. Confronté à l’écriture montéverdienne du Couronnement de Poppée, adapté pour La Monnaie en 1989, Boesmans soigne aussi dans Julie, l’interaction du texte et des images musicales, comme le choix des tessitures selon les portraits psychologiques. Ainsi, le compositeur suit l’évolution du personnage de Julie dont le chant ornementé au début, se dépouille progressivement. La jeune femme se livre ainsi totalement, prenant de plus en plus à coeur, ce qui n’aurait pu être qu’une anecdote de cuisine sans conséquence. Le pouvoir de la musique et les options dramatiques font basculer la narration dans le rêve, la demi conscience, une suite de vertiges qui basculent rapidement en un cauchemar sanglant…

Lire notre critique du dvd Julie de Philippe Boesmans par Kazushi Ono (Bel Air Classiques). Boesmans a élaboré une partition extrêmement serrée, sans dilution, aux
effets de timbres et de textures millimétrés. Le jeu des acteurs sous
la caméra de Vincent Bataillon qui reste fidèle à l’esprit d’une
représentation théâtrale, est proche de l’excellence: dense, éprouvé,
habité, avec de superbes lignes d’acteurs, qui donnent à la relation
« je te hais mais j’ai besoin de toi », toute sa déchirante contradiction. Ailleurs
la finesse clinique de la mise en scène renforce le profil des
caractères et leur délire désespéré. Dans la fosse, Kazushi Ono qui
avait dirigé la création mondiale de l’opéra sur les planches de La
Monnaie de Bruxelles (8 mars 2005), avant Aix, se montre, quelques mois
après, d’une efficacité d’horloger

Lire notre entretien avec Jacques-François Suzzoni, responsable de l’édition chez Bel Air Classiques. Créé en mai 2004, l’éditeur de dvd, BelAir Classiques affiche déjà un catalogue indiscutable, comptant de nombreuses captations d’opéras en
provenance du Festival d’Aix en Provence (où paraît entre autres la
soprano Mireille Delunsch), de l’Opéra de Paris, du Théâtre Bolchoï, de
l’Opéra de Zurich, du Grand Théâtre de Genève et bientôt du
Mariinski… Opéras, mais aussi ballets, sans omettre quelques perles
indispensables à l’adresse des cinéphiles tel le Molière d’Ariane Mnouchkine… Jacques-François Suzzoni, responsable de l’édition, répond à nos questions.

Crédit photographique
Malena Ernman (Julie) et Garry Magee (Jean) © R.Walz
Malena Ernman (Julie) © E.Carecchio
Malena Ernman (Julie) et Kerstin Aveno (Kristin) © E.Carechio

- Sponsorisé -
- Sponsorisé -
Derniers articles

CRITIQUE, concert. LILLE, Nouveau Siècle, le 18 avril 2024. SIBELIUS : symphonie n°7 [1924] – BEETHOVEN : « GRAND CONCERTO » pour piano n°5 « L’Empereur » [1809]....

SUITE & FIN DU CYCLE SIBELIUS... La 7ème est un aboutissement pour Sibelius pour lequel l'acte de composition est...
- Espace publicitaire -spot_img

Découvrez d'autres articles similaires

- Espace publicitaire -spot_img