vendredi 19 avril 2024

Phèdre et Hippolyte: analyse d’un mythe féminin

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Phèdre et Hippolyte,
ou Artémis brûlant la politesse à Aphrodite

La Monnaie de Bruxelles commence sa saison 2007 – 2008 avec la relecture moderne et musicale d’un mythe de l’Antiquité : Phèdre et Hippolyte. Ceux et celles qui auront vu l’affiche sauront, en tout état de cause, que l’histoire évoque une femme… Et quelle femme.
C’était un temps où l’Antiquité était encore une donnée forte, une denrée inattaquable, un produit non marketing. C’était un temps où Russell Crowe n’était pas Spartacus, et Colin Farrell encore moins Alexandre le Grand. Ah, charmant Oliver Stone, qui croit que les héros grecs doivent avoir de gros muscles et beaucoup de sueur sur le visage. Heureux réalisateur pour qui un combat en face-à-face se résume au lancer d’un cri pendant une minute interminable, poussé d’une voix virile et, bien sûr, assurée.

Non, je vous parle d’un temps que les moins de trente siècles ne peuvent avoir connu. C’est dire s’ils ne sont guère nombreux, ceux qui connurent ces amours tragiques, cette histoire mythologique dont pléthore d’auteurs, d’Euripide à Racine en passant par Ovide et Sénèque, ont traité avec délectation. C’est un mythe qui met aux prises deux déesses – Aphrodite, la patronne de l’amour physique – et Artémis – la déesse de la chasse. Que diable allaient faire Hippolyte et Phèdre dans cette maudite galère? Ils étaient les jouets du ressentiment de l’une, causé par une adoration qui s’adressait à une autre qu’elle. En d’autres termes, le jeune homme vigoureux qu’était Hippolyte, « celui qui lie les chevaux » comme nous l’indique son étymologie, et qui eût dû s’adonner aux délices du culte d’Aphrodite, préférait celui d’Artémis. À cela, il est une raison historique : c’est que la mère d’Hippolyte, Antiopè, était une Amazone, s’adonnant « naturellement » à ce culte. Bon sang ne saurait mentir. Au lieu des jeunes filles en fleurs, Hippolyte privilégiait les chevaux et la compagnie de jeunes hommes de son âge. Au lieu de faire des prières à la déesse de l’amour physique, il préfère la chasteté et la pureté de la déesse chasseresse. Aphrodite prend cela plutôt mal, et projette alors de se débarrasser de cet individu goujat (imaginez un instant que vous disiez à un adolescent à la fois rebelle et boutonneux que vous préférez Jacques Brel à Marilyn Manson, et vous comprendrez cette ire).
Hippolyte doit donc mourir. Le stratagème d’Aphrodite est terrible : elle va rendre folle amoureuse Phèdre d’Hippolyte. Balivernes, dites-vous? Point du tout, puisque Phèdre, par ailleurs deuxième fille du roi de Crète Minos, n’est autre que l’épouse du héros grec – athénien, même – Thésée. Qui, dans un mouvement un peu rapide, fit autrefois un enfant à la reine des Amazones, enfant dont le nom délicieux est… Hippolyte. L’action se passe dans une cité grecque, Trézène. Thésée n’est pas là, retenu aux enfers – ou en Thrace- pour d’obscures raisons mythologiques. Veuillez rappeler plus tard, s’il vous plaît, ou laisser un message. Aphrodite rappellera plus tard, et d’ici là va se venger.

Belle vengeance, beaux chants de rancune
La tragédie déroule son tapis dramatique. Phèdre se meurt d’amour pour son beau-fils. Cette folle passion débute lors d’une confrontation entre les deux personnages, lors des très énigmatiques Mystères d’Eleusis. Phèdre languit, s’affaiblit, son beau-fils s’en méfie, la nourrice déballe toute la vérité, provoque la colère foudroyante d’Hippolyte et celle de sa maîtresse par contrecoups et isole encore plus les deux protagonistes. Finalement le point culminant arrive: Phèdre, désespérée, simule un viol, fracturant sa porte et déchirant ses vêtements. Thésée revient alors. Il découvre sa femme et les éléments accusateurs et condamne immédiatement son fils Hippolyte à un trépas effroyable, en invoquant Poséidon à cet effet – en effet, ce dernier, père de Thésée, lui avait promis trois souhaits.Thésée en profite allègrement.
Quelle belle vengeance, quels beaux chants de rancune… Mais ce n’était pas fait pour durer : un messager arrive et raconte la mort d’Hippolyte, qui s’est fait surprendre, dirigeant son char, par un gigantesque taureau. Le char fait un écart de côté et Hippolyte tombe, se brisant les os. Le récit, magnifique, est profondément émouvant et constituera un des plus beaux morceaux de la littérature française, sous la plume de Racine. La description est déjà formidable chez Euripide, et sans doute constitue un des éléments qui valurent, cette année-là, le premier prix du concours tragique à Euripide.
En apprenant la mort de celui qu’elle aimait – quand même -, Phèdre se pend (telle Jocaste dans l’épopée œdipienne lorsqu’elle apprend qu’elle a couché avec son fils) et Thésée se rend compte de son abominable erreur. D’aucuns prétendent qu’il s’en repentit éternellement, ou qu’il fut chassé par les habitants de Trézène, tout comme Oedipe l’avait été après la peste sur Thèbes et les morts multiples qui l’avaient accompagnée.
La pièce que je raconte ici est grecque, elle est tragique, un tantinet excessive, et s’achève dans un bain de pleurs, à la suite des révélations ultimes distillées perfidement par Artémis. Après tout, elle n’en était pas à une mesquinerie près, cette charmante déesse. À celui qui l’avait vue nue, sortant du bain, le chasseur Lycaon, elle réserva un sort peu enviable : la mort, à l’unanimité de ses voix. Les exécutants de l’ordre? Les chiens du chasseur. Il faut dire qu’Artémis transforma alors Lycaon en biche, ça aide. La mythologie grecque est un fonds inépuisable pour la tragédie et pour l’opéra. En racontant l’histoire d’Hippolyte, de Phèdre et de Thésée, on comprend bien pourquoi.

Phaedra, nouvel opéra de Hans Werner Henze. Bruxelles, La Monnaie, du 15 au 20 septembre 2007.

Illustration
Pierre Narcisse Guérin: Hippolyte et Phèdre (DR)

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