vendredi 29 mars 2024

Paris. Théâtre de Paris, vendredi 26 septembre 2008. « Master Class », La Leçon de chant. Avec Marie Laforêt (Maria Callas)…

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New York, 1972

New York, février-mars 1972: Maria Callas, 49 ans, qui n’est plus l’excellente cantatrice qu’elle fut dans les deux décennies précédentes, donne son ultime master class. Parmi l’audience de la prestigieuse Julliard School of Music, Terence Mc Nally, futur correspondant pour le New York Times, note préceptes et conseils prodigués par la Divina (elle-même née à New York en 1923). La pièce de théâtre qui en découle, rend compte fidèlement de la personnalité de celle qui fut la « diva » du XX ème siècle.
Marie Laforêt reprend donc du service sur les planches du Théâtre de Paris. Elle connaît le texte qui s’apparente à un « one-woman show ». Après Fanny Ardant, la comédienne et actrice de cinéma, relève en 1999, le défi de cette incarnation magistrale. La femme de théâtre ressent d’autant mieux les secrets multiples de la figure plurielle et éclatée de Callas, qu’elle l’a écoutée puis approchée à deux reprises: constatant ce dilemme criant entre l’aura de la cantatrice et aussi la solitude et les déchirures de la femme.
Aussi sublime fut-elle, Callas est-elle une bonne pédagogue? A l’écoute du texte, dans ces séances de travail qui tourne à la mise à mort du candidat voire à son humiliation, on peut en douter. Mais il faut dire qu’avant d’être Callas, Maria Kalogeropoulos fut grasse, myope, empotée; qu’elle gravit les marches de la gloire et de la beauté pour devenir une icône lyrique et glamour, à force d’un travail et de sacrifices, acharnés. Portant encore la marque et l’épreuve de ses propres choix de vie, l’ancienne diva qui a dû capituler n’ayant plus la voix idéale, confrontée à une armée de vipères critiques, de plus en plus haineuses à son égard, se raconte souvent; trop: elle s’époumone, vocifère, à la fois cynique et d’une auto-dérision plutôt pathétique. Souvent sous cette école de l’exigence et de l’excellence, le masque craque et les déchirures personnelles affleurent.
A l’adresse du public, au pianiste et aux élèves chanteurs, la femme, amère, blessée, se répand: véritable show narcissique imposant ses humeurs et ses états d’âme, … aveux naturels, compréhensibles, de la part de celle qui fut le centre de toutes les oreilles et de tous les regards du monde. En ex prêtresse du chic (quand elle se métamorphose physiquement au début 1954), elle a toute légitimité de proclamer entre autres, combien le look décide de tout. Précepte visionnaire dans notre société où l’image étend sa dictature.

One woman show

En guise de séance de travail collectif, Maria accapare l’attention, se raconte ainsi, …rudoie les candidats chanteurs (certains jusqu’aux larmes), exigeant d’eux le meilleur, leur apprenant l’école qui fut la sienne: celle de la perfection. N’est pas Callas qui veut. Le talent se paye très cher: les privations personnelles, la discipline, l’auto critique… Celle qui est devenue par la force de l’esprit, la déesse lyrique que l’on sait, se confesse sans pudeur: en particulier ses liens profonds avec Aristote Onassis, un être dénaturé par l’argent, passablement vulgaire, direct. Pas un esthète: un manipulateur. Callas dit tout et au-delà des mots: c’est une leçon de vie, un cri déchirant qui dit sa profonde solitude: n’est-elle pas morte seule dans son vaste appartement parisien en 1977? Difficile de décrocher, après la renommée planétaire. Surtout quand il n’y a pas d’enfants, ni de parents (Callas ne s’est jamais entendu véritablement avec sa mère ni sa soeur, la blonde et « délicieuse » Jackie… laquelle fut plus une rivale qu’une confidente)…
Déjà aux débuts des années 1970, la divina connaît une ultime épreuve celle d’Ariane: abandonnée, trahie par son amant Onassis qui lui préfère Jackie Kennedy (les deux se marieront en octobre 1968!).

Celle qui a vécu tant d’épisodes déchirants a bien des occasions d’évoquer sa vie, exceptionnelle et singulière. Elle reste très animée à l’évocation de ses échanges sur le chant avec « Ary », cet homme qui l’a écartée et pour lequel elle a tout donné… Quant à l’art pour lequel elle a tout sacrifié, la diva peut exiger le meilleur de la part de ces jeunes apprentis qui n’ayant connu que le nid chaud et douillet de leurs parents, se voient déjà en haut de l’affiche. Un monde les sépare… Et Callas qui n’a jamais su séparer sa vie mondaine, officielle de diva adulée, et sa vie personnelle, peut tout à fait se répandre ainsi, convertissant l’atelier du chanteur en confession impudique. Pourtant ceux qui connaissent les enregistrements de ses master classes (et que réédite fort opportunément Emi classics, lire ci après), la diva avec sa voix grave et pincée, si caractéristique, restait dans le chant: technicienne et pointilleuse, ne laissant rien passer (de la respiration, de l’articulation, de la couleur vocale, du style, de la vérité du texte…), ne s’économisant guère (chantant aussi à pleine voix), directive et autoritaire, mais souvent respectueuse de ses confrères débutants…

Marie Laforêt, diva du théâtre

Pour dire les mots de Callas, Marie Laforêt, presque septuagénaire a eu la chance d’approcher le mythe lyrique, en l’écoutant chanter, subjuguée par sa présence magnétique; puis en face à face lors d’un dîner mondain, où la chanteuse restait douce et humaine: elle comprend deux figures qui composent le personnage et lui donnent sa composante schizophrénique: la chanteuse, monstre de travail, d’autodiscipline, d’abnégation, de courage; la femme, ivre de sentiments, de passion, de sensibilité, de finesse et d’exigence aussi.
L’actrice sait imposer une Callas dominatrice et conquérante, mais aussi une individualité hypersensible, pleine de rancoeur et de ressentiment, très à l’écoute des spectateurs (son public), dont elle aime rechercher les sursauts de réactions, les rires et les applaudissements (quand elle l’a décidé). Pas exhibitionniste pour un sou, son jeu comme l’ensemble de ses tirades et monologues, s’appuient sur l’élégance et le tact d’un esprit qui ne manquait ni d’humour ni d’auto-dérision. Sublime par ses évocations nostalgiques, mais aussi radicale quand il faut tout donner au nom de l’art, Laforêt-Callas trouve souvent le ton juste. L’excellence se conquiert au prix d’un effort et de batailles, surhumains. Celle qui a conquis la montagne sait combien le chemin est long.
Parce qu’elle a tout donné et qu’au moment où se passe historiquement la masterclass, la diva n’a pas abandonné la scène: elle tentera même un « retour » très attendu (1975, tournée en duo avec le ténor Giuseppe di Stefano)… expérience qui tournera malheureusement à l’échec amer. Pour l’heure, sur les planches du Théâtre de Paris, la lionne rugit encore: celle qui s’est sacrifiée pour le chant, a raison d’exiger l’impossible de chacun de ses élèves chanteurs. A l’incarnation de Marie Laforêt revient le mérite et la subtilité de nous restituer la démesure, les blessures de ce talent mythique. A voir et à entendre sans délai.

Paris. Théâtre de Paris, vendredi 26 septembre 2008. «Master Class» de Terrence McNally. Mise en scène : Didier Long. Avec Marie Laforêt, Leïla Benhamza, Maud Darizcuren, Juan Carlos Echeverry, Olivier Hardouin et Frédéric Rubay. Marie Laforêt reprend le rôle qui la fit remarquer en 1999, à partir du 8 septembre 2008 et pour 60 représentations exceptionnelles au Théâtre de Paris. Tél. : 01 48 74 25 37 et www.theatredeparis.com.

Approfondir
Lire notre dossier Maria Callas réalisé à l’occasion des 30 ans de la mort de Maria Callas (1977-2007)

CD
Emi Classics réédite simultanément à la reprise de la pièce de théâtre « Master Class » au Théâtre de Paris, les airs d’opéras abordés dans la pièce (récit, air et cabalette d’Amina de La Sonnambula de Bellini…), alternés avec deux master classes (Casta diva et l’air de Mimi de La Bohème de Puccini), de 10 mn chacune, enregistrées en 1971 et 1972 à la Juillard School à New York. 1 cd Emi Classics

Illustrations: Marie Laforêt © Philippe Quaisse 2008. Maria Callas (DR)

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