jeudi 28 mars 2024

Orange. Chorégies, les 10 et 13 juillet 2012. Puccini, la Bohème, 10 juillet 2012. Mozart, Requiem, 13 juillet. Orchestre Philharmonique de Radio-France. Myung Whun Chung, direction

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Premier chapitre du Tout-Puccini à Orange 2012. C’est
une Bohème (ndlr: avant Turandot avec Roberto Alagna, non moins
attendue…), très lisiblement mise en scène, et superbement conduite
par Myung Whun Chung. Un Rodolphe ardent (Vittorio Grigolo) donne
réplique spectaculaire à une Mimi très émouvante (Inva Mula). Ensuite,
très beau concert cernant le Requiem de Mozart en sa lumière la plus
spirituelle.


Les jours en accord

Il y a des jours en accord et sans crainte de passages en force. Le ciel
au dessus du Mur, à la nuit tombante de juillet, ne fait redouter nul
orage attardé en Vallée du Rhône ou débordant des hauteurs
vauclusiennes, et le dieu-mistral consent à n’être que brise ondulante.
Ajoutons les promesses d’un orchestre, de choeurs et de solistes
aguerris mais non point blasés – certains découvrant le lieu et ses
contraintes-, tous placés sous l’autorité tutélaire d’un chef inventif
comme Myung Whun Chung. Et un travail de mise en scène conduit par Nadine Duffaut, dont on apprécie le classicisme raisonnablement moderniste…


La tragique histoire d’amour

Promesses
en effet tenues. Le décor apparu avant « l’ouverture » a des allures de
théâtre sinon pauvre, du moins austère, et annonce l’alternance à
travers le récit (intimisme du début de l’acte I, exubérance du Café
Momus puis du Réveillon, dénuement de la Barrière d’Enfer et du retour à
la mansarde) : encore faut-il « habiter » ces espaces si différents
demouvement (foules des moments agités, Quatuor des Bohèmes) où prend
place, comme dans un écrin dérangeant, la belle puis tragique histoire
d’amour. C’est bien, au-delà des variations sur les décors, question de
gestuelle en groupes ou en individualités. Nadine Duffaut
concilie les contradictions, car elle connait la technique si
particulière d’Orange : curseurs parallèles « collés » à la verticalité
du Mur et limités par la fosse d’orchestre. Décidant de ne pas jouer sur
« l’ascensionnel » – mansarde sur le même plan que la rue,simples
portants pour dire le dedans et le dehors, le haut et le bas -,
N.Duffaut se concentre sur les glissements et étagements qu’elle arrive
aussi à isoler en petits tourbillons, suscitant dans les scènes
collectives l’intérêt pour une atmosphère apparemment improvisée, mais à
rigueur sous-jacente.


Drapeaux rouges

On lui sait gré de ne pas verser dans un bric à brac citationnel, clin
d’œil fréquent de nos jours où on n’oserait pas nier la situation
historique du texte tout en multipliant les références décalées pour ne
pas avoir l’air de… Ici apparaissent avec discrétion des signes – les
drapeaux rouges, les costumes, les cortèges – replaçant Bohème dans la
lutte des classes françaises du XIXe, ici « tirée » vers la Commune
alors que Murger travaille sur la Révolution de 1848 : mais c’est sans
insister, et N.Duffaut n’a pas trot de voir dans les artistes du Quatuor
de jeunes bourgeois assurés de leurs arrières dans la société. Reste
Mimi, rendue à sa pauvreté d’ouvrière, de fille et de phtisique : où
situer la coupure idéologique entre elle et son jaloux de Rodolphe ?
(Ajoutons que le lit mortuaire descendant en coda au 3e Sous-Sol – la
malheureuse n’a rien d’un Don Giovanni foudroyé, ni d’une réplique
métaphorisue involontaire d’un atrabilaire dostoievskien ! – nous semble
bizarrerie disgracieuse et de piètre signification…)


Une si douce héroïne

En tout cas, les personnages ont une vraie vie théâtrale et musicale. Le Trio (Ludovic Tézier, Lionel Lhôte et Marco Spotti)
s’amuse et amuse sans vulgarité, entre potache et bohème, avec coparses
agiles (Lionel Peintre en propriétaire court-circuité, J.M.Frémeau en
Alcindor berné). Une « primo-arrivante » à Orange, Nicola Beller-Carbone,
est une inventive Musette, silhouette et jeu sortis de chez
Toulouse-Lautrec. Quant au couple-Maître, il s’individualise avec force.
Le beau a maintien scénique de Vittorio Grigolo (un Gérard
Philipe resurgi des archives d’Avignon-naguère ? ) va de pair avec une
voix de soleil – parfois à la limite de bravoure exacerbée -, dont on
admire la passion généreuse, l’éclat et l’assurance dramaturgiques. Mais
c’est à Inva Mula que va notre tendresse, car nous n’oublions pas ce
que Puccini « pensait » de sa douce héroïne, et qu’il eût aimé cette
incarnation, portant à l’incandescence spirituelle une pureté qui «
dépasse » le vaillant Rodolphe. La mort de Mimi bouleverse, fin d’une
trajectoire qui se consume : Inva Mula y apparaît en messagère
du monde des lieder, son Voyage d’Hiver nous fait comprendre des noces
avec le destin, et ce questionnement angoissé que le post-romantisme a
légué aux véristes….


Le dépassement de l’égo

Bien sûr, tout cela n’existerait pas avec tant d’évidence s’il n’y avait Myung Whun Chung,
maître d’œuvre subtil, aux larges desseins, totalement engagé dans une
partition dont, dirigeant de mémoire, il épouse grandes lignes et
courbes, qu’il fait sentir à ses interprètes comme une aspiration sans
faiblesse vers le sublime et donc le dépassement des ego les plus
légitimes. L’O.P.R.F (et les chœurs associés)vibrent ,d’une belle
qualité d’âme. Malgré l’espace démesuré , le travail du Symphoniste
exalte l’écriture instrumentale puccinienne, si originale, l’étagement
des plans sons sonores, les couleurs du matin qui se figeront pour la
Barrière glaciale et deviendront le crépuscule tragique du 4 acte : par
moments, véritable mélodie de timbres qui enrichit notre regard sur ce
compositeur multifotme et sous tant d’aspects méconnus.


Rex tremendae majestatis

Il est passionnant de voir ensuite à l’œuvre mozartienne les mêmes musiciens de l’O.P.R.F et les chœurs de Radio-France (Mathias Brauer),
et de nouveaux solistes, tous guidés par l’opératique chef coréen. On
sait gré à tous de donner un Requiem désencombré de dramaturgie
véhémente. Le Mur redevient « lui-même », à peine recoloré en rouge et
ocre, avec ses alvéoles d’ombres traquées par la lumière. La solennité
austère du génie antique attire le regard vers la hauteur, là où la main
levée de l’Empereur montre du doigt…mais quoi ? « Rex tremendae
majestatis », le ciel des dieux, ou celui du Dieu ultérieur et vengeur ?
Mais ce sera surtout le mystère de la mort vécu par Mozart, non selon
la légende à grand spectacle du commanditaire masqué, mais dans la
confrontation avec le risque du néant et une certitude malgré tout
espérante.


Contre la démesure

Contre la démesure que pourrait favoriser le si grand nombre – choral,
et spectatorial , une Symphonie des (Huit) Mille, à elle seule ! -, le
chef choisit un paradoxal huis clos. Certes les implacables tensions
rythmiques, les zébrures instrumentales, les voix lancées comme injures
de parlando dans le Dies Irae, l’implacable mécanique du Confutatis, les
flammèches circulaires sonores au début de l’Offertoire sont là, avec
quelle éloquence ! Mais des clairières (Recordare), des fins de
séquences magiques (« réquiem sempiternam », chuchoté), une simplicité
de l’espriut chambriste (Benedictus)apaisent et mènent en profondeur. Le
quatuor vocal – Patrizia Ciofi, Nora Gubisch, Topi Lehtipuu, Gunther Groissböck
– efface ses talents solistissimes pour aller vers la pensée
mozartienne la plus authentique. Et quand cordes et chœur reviennent
pour murmurer l’Ave Verum, joyau ultime de la sérénité retrouvée, on
entre dans une nuit calme qui établit le pardon, la fin des menaces, le
règne d’une autre Beauté.

Festival Chorégies d’Orange. 10 juillet 2012. Giacomo Puccini
(1858-1924), La Bohème. Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), Requiem.
Orchestre et Chœurs Radio-France, solistes, direction Myung Whun Chung.

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