Baroqueux du monde entier
Toutes les salles de la Cité avaient été rebaptisées pour l’occasion du nom de l ‘une des villes autrefois fréquentées par Bach: l’auditorium Eisenach (sa ville natale), les salles Leipzig, Coethen, Lunebourg, Muhlhausen, Dresde, Weimar, la Grande Halle de Lubeck, les salons Arnstadt et Zell.
La comparaison de ces trois interprétations, tout en ayant révélé les intéressantes différences de sensibilité musicale de chaque soliste, révèle les points communs aux trois ensembles, notamment la vitesse d’exécution des mouvements rapides, qui semble être un paramètre actuel de l’interprétation des mouvements les plus allants de Bach. Dans l’interprétation du dernier jour (le dimanche), les trois concertons ont été joués en moins de 45 minutes, ce qui donne entre autres une vitesse proprement vertigineuse pour les traits de virtuosité du concerto pour 2 violons: la maestria d’Alina Ibragimova et de Renaud Capuçon n’en a été que plus saisissante, laissant l’auditeur à la fois émerveillé, essoufflé, époustouflé, …pantois.
Histoire d’Evangélistes
La violoniste russe Alina Ibragimova s’était déjà singulièrement distinguée (le samedi, salle Dresde) dans l’interprétation des sonates n° 2 et 3 pour violon seul, de J.S. Bach, respectivement en la mineur et ut mineur (BWV 1003 et 1005). En effet, l’expressivité du jeu d’Alina se trouve décuplée par le spectacle qu’elle donne d’une sorte de danse avec le violon, dans laquelle son corps épouse étonnamment le contour de la mélodie: elle monte, descend, s’accroupissant presque, puis remonte comme l’éclair à l’octave, se balance dans les mouvements arpégés comme une liane au vent d’automne: féerie visuelle à l’unisson de l’auditive, une merveille, un miracle!
Le Quatuor à Cordes Amadeo Modigliani (Philippe Bernhard, violon, Loïc Rio, violon, Laurent Marfaing, alto, François Kieffer, violoncelle) a donné un récital le vendredi à la FNAC, toujours dans le cadre de la Folle Journée. Au cours de leur interview, ils ont mentionné l’extraordinaire histoire des Evangélistes: Saint Matthieu, Saint Marc, Saint Luc et Saint Jean, dont les portraits ont été gravés sur les cordiers des instruments, « et ces quatre bougres-là ne se quittent pas« , a déclaré le violoniste Eric Rio car il s’agit de leurs instruments qui ont été réalisés en 1863 par le luthier français Jean-Baptiste Vuillaume, s’inspirant de la configuration du célèbre Stradivarius Le Messie de Paganini. Le célèbre luthier les réalisa dans le même bois d’arbre pour plus d’homogénéité dans la sonorité des quatre instruments jouant ensemble: c’est dire qu’on ne pouvait les séparer; et c’est bien ce qu’avait compris Etienne Vatelot qui confia un jour ces merveilles de sonorité « en unisson d’harmonie » au tout jeune Quatuor Amadeo Modigliani.
Ce jour-là, les Modigliani interprétèrent en première mondiale la transcription du Prélude de Choral « O Mensch, bewein’ deine Sünde grob » du compositeur japonais Toshio Osokawa (né en 1955 a Hiroshima), réalisée à la demande de René Martin spécialement pour la Folle Journée de Nantes (laquelle sera exportée au Japon au mois de mai prochain).
Côté piano
La pianiste chinoise Zhu Xiao Mei jouait jeudi au Forum de la FNAC (dans le cadre de la Folle Journée), interprétant quelques numéros des Variations Goldberg qu’elle affectionne particulièrement depuis (au moins) trente ans. Interrogée sur la manière dont la musique occidentale pouvait faire vibrer l ‘âme chinoise, elle a déclaré, après quelques considérations sur l’interdiction de cette même musique sous Mao, que Bach répondait en quelque sorte à la culture bouddhique et à la sagesse du « plus grand philosophe chinois, Lao Tseu« , a tel point qu’on pouvait le considérer, a-t-elle dit, comme « le plus grand musicien chinois »! Voilà un scoop! De plus, et comme pour couronner le tout, Zhi Xiao Mei a réitéré sa satisfaction d’avoir choisi la France « dont l’esprit est en parfaite conjonction avec l’esprit chinois », a-t-elle conclu.
Côté voix
Le groupe vocal des 32 chanteurs d’Accentus, fondé et dirigé par Laurence Equilbey, s’exprime autant a cappella qu’accompagnés par les instruments. En l’occurrence, le samedi, la salle Lunebourg accueillait le groupe en compagne des Nouveaux Caractères, ensemble orchestral d’instruments anciens (violes de gambe, théorbes, violone, orgue positif, violons…). Laurence Equilbey a dirigé l’ensemble du collectif avec sa maestria habituelle, devant le professionnalisme, le sérieux, la puissance expressive et sonore qui caractérise, de l’avis général en France comme à l’étranger, le bel ensemble Accentus.
… et bidons
Dans la grande Halle de Lubeck, le mercredi à 20h30, le jeudi à 19h, le vendredi à 19h45, dans l’auditorium Eisenach le samedi à 9h, de nouveau dans la Grande Halle de Lubeck le samedi à 12h45 et enfin le dimanche à 12h30, on vit débarquer un ensemble de divers barils à pétrole qui, une fois organisés dans un ordre précis, se transformèrent en autant d’instruments de musique maniés de main de maître par les instrumentistes brandissant un petit marteau caoutchouté. Et tout d’un coup éclata la Toccata et Fugue en ré mineur de Bach, d’une manière peut-être encore plus précise et plus puissante encore qu’à l’orgue, devant un public absolument médusé comme hors de lui.
Interrogé, le chef a précisé que le Renegades Steel Band venait de Trinidad & Tobago et que les bidons d’acier avaient été travaillés de manière à pouvoir reproduire le son de n’importe quel instrument: c’est ainsi que les steel bands (en français: orchestres de tambours d’acier) formés de drums (tambours) et de pans (batteries) existent dans ces îles depuis plus de soixante et même soixante-dix ans et connaissent toujours un succès qui ne se dément guère, succès maintenant exporté à l’étranger, comme en témoigne la présence mémorable de cet ensemble à la Folle Journée de Nantes.
Nantes. Cité Internationale des Congrès, du
mercredi 28 janvier au dimanche 1er févier 2009. La Folle Journée 2009: De Schütz à Bach