samedi 20 avril 2024

Nancy. Opéra National de Lorraine, le 1er février 2013. Giuseppe Verdi : Macbeth. Giovanni Meoni, Jennifer Check, Brian Kontes, Giuseppe Talamo. Roberto Rizzi Brignoli, direction musicale. Jean-Louis Martinoty, mise en scène

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Triomphe mérité pour ce Macbeth exemplaire, proposé par l’Opéra National de Lorraine, en coproduction avec Bordeaux. Dans cette première nancéenne, chacun semble donner le meilleur de lui-même, et toute la représentation s’en ressent.


Nancy fait honneur à Verdi

Dès l’ouverture, sombre et oppressante, saisissante par ses climats contrastés, aux cordes graves splendides, dirigée avec un rare art de la phrase et de la couleur verdiennes par Roberto Rizzi Brignoli, on pressent une belle soirée. Le rideau se lève, et la mise en scène de Jean-Louis Martinoty nous emporte dans cette Ecosse de cauchemar, lugubre et gothique, où les forces du Mal règnent en maîtresses. Les sorcières, à double visage telles des Janus maléfiques, se révèlent omniprésentes durant toute l’œuvre. Le décor, constitué de grandes colonnes dont l’une des faces devient miroir, ce sont elles qui le manipulent, tenant l’action entre leurs mains. La scénographie imaginée respecte ici fidèlement le livret et la musique. Reconnaissons que c’est un bonheur de se retrouver entraîné dans cette atmosphère magique, où le fantastique n’est jamais évité, mais au contraire clairement revendiqué. Le kitsch n’est jamais loin, mais tout fonctionne admirablement, grâce également à une direction d’acteurs jamais figée. Tout au plus peut-on regretter que le metteur en scène veuille absolument tout montrer, y compris l’assassinat des enfants de Macduff, que Verdi évoque à peine – mais que Shakespeare a écrit –, alors que l’image de leurs cadavres dévoilés durant l’air de leur père suffirait, par sa force poignante. Et on reste surpris par un ballet étonnant durant le Sabbat, dansé par des poupées Bellmer, sinistres et dérangeantes.

Saluons également l’idée de conserver le final de la création de 1847, où Macbeth clôt l’ouvrage en maudissant la couronne qui a causé sa perte, et, dans un dernier geste, la transmet au souverain futur, comme une passation maudite.

Musicalement, l’Opéra de Nancy a eu la main très heureuse. Aux côtés de seconds rôles très bien tenus, on remarque non sans une certaine nostalgie la Suivante inattendue de Michèle Lagrange. Chez cette immense artiste, la présence scénique est demeurée intacte, ainsi que la voix, autant qu’on puisse en juger à travers les quelques phrases qui lui échoient. L’instrument semble inaltéré, avec toujours cette couleur qui la rend immédiatement reconnaissable, et on l’entend souvent distinctement à travers les chœurs: coup de chapeau pour cette grande dame du chant français.

Le Macduff de Giovanni Talamo s’avère efficace et sonore, malgré une émission un peu serrée et un manque de rayonnement. Néanmoins, il assure vaillamment son air « La paterna mano », l’un des plus beaux écrits par Verdi.

La basse américaine Brian Kontes rend justice à la vocalité de Banco, grâce à sa voix noire et puissante, qui sonne cependant par moments comme engorgée et légèrement artificiellement grossie.

Incontestablement, la plus grande réussite du plateau revient au couple royal. Nous étions heureux de retrouver Giovanni Meoni dans le rôle-titre, qui s’affirme toujours plus comme l’un des meilleurs barytons actuels. Sa prise de rôle, saisissante déjà de maturité, confirme son talent. Non seulement son incarnation du roi dévoré par le remord et les hallucinations se révèle crédible de bout en bout, mais il vit son personnage avec sobriété, lui conférant ainsi une grande noblesse. En outre, il sert son propos avec un respect absolu de la partition et un art du chant de haute école. Le timbre reste toujours clair, l’émission haute et rayonnante, la diction parfaite et l’attention aux mots totale, ainsi qu’un legato à l’archet qui nous vaut un ultime air de toute beauté, au seul service de la musique.
Sa diabolique épouse, formidablement habitée par Jennifer Check, fait figure de révélation, d’autant plus qu’il s’agit, pour elle aussi, d’une prise de rôle. De ce personnage réputé inchantable, la jeune soprano américaine ne fait qu’une bouchée, semblant se promener sur cette tessiture étendue, virtuose, meurtrière. Son entrée en scène, inquiétante et altière dans sa somptueuse robe verte, donne le ton, et ses premières notes, toutes entières dans un piano concentré et ciselé, laissent présager le meilleur. Et lorsqu’elle déploie son instrument, c’est pour dévoiler une voix puissante et riche, au timbre délicieusement affûté et parfait pour ce rôle, superbement émise, toute en ouverture intérieure, aux aigus faciles et percutants, aux graves sonores et aisés, capable de vocalises précises et de trilles parfaitement exécutés. Elle paraît avoir saisi d’emblée toute l’autorité malsaine de cette femme dévorée par la soif de pouvoir, et c’est comme une évidence qu’elle traverse l’œuvre, culminant dans une scène du somnambulisme hallucinée et couronnée par un contre-ré bémol impérial – que ne l’a-t-elle osé pianissimo, ainsi que Verdi l’a écrit, d’autant plus qu’on nous a confié qu’elle le faisait en répétition –. Une Lady Macbeth comme on en n’avait plus entendue depuis longtemps, et qu’on reverra sans doute sur les plus grandes scènes.

Menant de main de maître un Orchestre symphonique et lyrique de Nancy des grands soirs, d’une précision redoutable, d’une homogénéité parfaite, Roberto Rizzi Brignoli démontre une fois de plus qu’il a parfaitement saisi l’écriture verdienne et ses atmosphères, ses brumes et ses tourbillons. Ne cédant jamais au pompiérisme facile, il sculpte au contraire une pâte sonore charnue et profonde, trouvant toujours les tempi justes et déroulant des trésors de rubato, galvanisant ainsi musiciens et chanteurs.
Une grande soirée, qui célèbre en beauté le génie de Busseto dans la cité nancéenne.

Nancy. Opéra National de Lorraine, 1er février 2013. Giuseppe Verdi : Macbeth. Livret de Francesco Maria Piave d’après William Shakespeare.
Avec Macbeth : Giovanni Meoni ; Lady Macbeth : Jennifer Check ; Banco : Brian Kontes ; Macduff : Giuseppe Talamo ; Malcolm : Maurizio Pace ; Suivante de Lady Macbeth : Michèle Lagrange ; Un médecin : Marco Gemini ; Un assassin : David Richards. Chœur de l’Opéra National de Lorraine. Chef de chœur : Merion Powell. Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole. Chef de chœur : Jean-Pierre Aniorte. Orchestre Symphonique et Lyrique de Nancy. Direction musicale : Roberto Rizzi Brignoli. Mise en scène : Jean-Louis Martinoty. Décors : Bernard Arnould ; Costumes : Daniel Ogier : Lumières : François Thouret ; Vidéos : Gilles Papain

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