jeudi 28 mars 2024

Miguel SERDOURA, luth baroque. Les Baricades mistérieuses (1 cd Brilliant classics)

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yisrael-miguel-luth-xvii-582-594-actualites-1_Miguel-Yisrael,-lutenist(c)Jean-Baptiste-MillotEnregistré en Suisse en décembre 2007, voici le premier album de Miguel Serdoura. C’est un programme à la mesure de l’étonnante personnalité de l’interprète né à Lisbonne: un jeu de filiations et de correspondances, de Chaconnes du plein XVIIè (Saint-Luc et surtout Gaultier) et du premier XVIIIè (Kellner); dans lequel l’auditeur saisi par le raffinement suggestif d’un jeu essentiellement investi et superbement articulé comprend les nuances poétiques passant par exemple, d’une chaconne totalement suspendue, au balancement fait de renoncement et repli serein, à l’énoncé plus agité d’une Passacaille (Weiss).Et d’abord, saluons la nostalgie pudique de Kellner lequel dans sa Chaconne en préambule, produit ce balancement qui pourrait durer à l’infini: tristesse résolue… avec pour ultime développement, un éclatement du matériau musical sous la pression surprenante de variations harmoniques rares qui semblent dissoudre l’unité préservée jusque là.

De Weiss, le plus grand compositeur pour l’instrument en pays germanique, contemporain de Bach et Haendel, Miguel Serdoura joue un Prélude et une Passacaille d’une lumineuse intensité, mêlée d’ivre tendresse et de lyrisme libre. Plus enivrée que la chaconne, la prodigieuse Passacaille sur un même balancement répété à l’infini, exprime la volonté de ne jamais renoncer, ce qui se produit a contrario dans le détachement indicible d’une chaconne. A l’aulne de ses nuances et climats millimétrés, le jeu tout en éloquence et flexibilité du luthiste Miguel  Serdoura étonne, surprend, captive; sa maestrià est saisissante de grâce, retenue, subtilité.


De Barricades en cascade: le luth ensorcelant

Le point le plus admirable de ce programme serti de nombreux joyaux demeure les fameuses Baricades mistérieuses de Couperin (l’air donne son titre au cd, dans son orthographe baroque): au luth, la motricité constante de la partition au sujet de courtoisie et de préciosité française filigranée redouble de mordante électricité plus souple et expressive encore que dans sa version au clavecin; et il n’est pas impossible que l’oeuvre à l’origine ait été conçue pour le luth, instrument du coeur et de l’ivresse des sentiments par excellence. Au rythme presque imperceptible du battement continu des cils de la femme aimée, la pièce se déroule avec une élégance aérienne; la précision arachnéenne et l’intelligence expressive de l’interprète offrent une relecture saisissante de l’un des plus grands tubes du Baroque français

A la chaconne initiale de Kellner, répondent comme échos fraternels, celles des plus anciens, fondateurs d’un âge d’or du luth français au XVIIè: Ennemond Gaultier et son élève, Jacques de Saint-Luc; la Chaconne faite cascade du plus grand (Gaultier 1575-1651, maître luthiste auprès de Marie de Médicis) en aurait à apprendre aux Lully et Marais à venir dans le siècle des vanités : sa tendresse nostalgique superbement ornée ne cède pourtant jamais à l’artifice creux: il faut infiniment de délicatesse expressive et de richesse hagogique pour réussir cette constellation de sentiments graves mis en mouvement: rebonds et accents font ici, en mouvements d’une onde hyperactive et toujours idéalement canalisée, tout l’éclat du jeu de Miguel Serdoura ; une attention constante à la pureté de l’émotion exprimée, à la richesse des thèmes qui paraissent et s’estompent tour à tour en un impressionnisme baroque des plus exaltants.

Jacques Gallot (décédé vers 1685) éblouit par ses éclairs ibériques (Les Folies d’Espagne): le luthiste concilie oeillades chaloupées et distinction d’un Hidalgo de grand style: l’allusion et le suggestif voisinent et dansent avec la frénésie chorégraphique du motif obsessionnel. La transe n’est jamais loin d’une articulation naturellement élégante et le luthiste prodigieusement expressif joue des espagnolades les plus idiomatiques mais avec un tempérament XVIIè français hallucinant.

Ne serait-ce que pour Les Baricades ainsi régénérées et cette Cascade-Chaconne qui assimile poésie et invention, respectivement de Couperin et Ennemond Gaultier, ce disque exceptionnel mérite d’être écouté. Outre les correspondances établies, filiations secrètes et allusives qui font la mythologie d’un instrument au fil du temps et des générations de musiciens, l’album affirme la pleine maturité interprétative du luthiste désormais incontournable et certainement le plus doué de sa génération, Miguel SERDOURA.

Les Baricades Mistérieuses: Miguel Serdoura, luth baroque. 1 cd Brilliant classics. Enregistré en décembre 2007,
Suisse.
5 028421 93701. 55 mn.
Illustration: JB Millot
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