jeudi 28 mars 2024

Max Emanuel Cencic. Actualités cd et concertsEntretien avec Max Emanuel Cencic par Sabino Pena Arcia

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Rencontre entretien avec Max Emanuel Cencic à l’occasion du tour promotionnel de son nouvel album paru chez Virgin Classics, Venezia. Une belle occasion pour se rapprocher du chanteur souvent très occupé. Max Emanuel Cencic, n’est pas seulement une brillante étoile au firmament des contre-ténors actuels, en esthète accompli et autoproclamé (lire l’entretien)il défend depuis ses débuts avec engagement une certaine conception de l’art du chant. Sa créativité et son opiniâtreté égalent l’intensité de son regard d’une fausse innocence ; il s’agit bien d’une vedette au talent non usurpé dont le sourire constant et une chaleur décontractée sont inattendues et d’autant appréciés. Plus que sur le programme Venezia, regroupant plusieurs compositeurs actifs à l’époque où Vivaldi produisait ses opéras sur les planches de la Sérénissime, le contre-ténor se montre loquace à propos de son incarnation d’un grand rôle haendélien, écrit à l’époque pour l’illustre Senesino, Alessandro… Entretien par notre reporter opéra, Sabino Pena Arcia.

SPA: Quels souvenirs gardez-vous d’Artaserse au TCE?

MEC: J’étais malade malheureusement, c’est comme ça. Mais j’ai chanté, ce n’est pas bien d’annuler.

SBA: Concernant votre cd Venezia dont vous faites la promotion en ce moment, quelles sont les particularités du chant propre à la musique vénitienne de la première moitié du 18e siècle?

MEC: Je ne sais pas. C’est un peu difficile de répondre parce que je fais le choix des airs d’opéras de façon plutôt instinctive, je n’y ai pas vraiment pensé d’une manière scolastique, disons que, ce qui importe c’est plutôt mon choix personnel, je me dis « oui, cet air ça me plaît ». Il faut que ça soit beau, que les airs cultivent une certaine atmosphère… Que j’arrive à le chanter aussi! Sinon ça serai terrible! C’est important pour moi.

SPA: Qu’ affectionnez-vous de cette période en particulier?

MEC: Je ne suis pas quelqu’un qui rêve des périodes passées. Je suis très à l’aise de vivre dans le XXIe siècle, je suis très content en fait. Je ne voudrais pas vivre au 18e siècle donc… La musique du 18e, c’est un peu comme de l’archéologie. On découvre quelque chose qu’on ne connaît pas et c’est très intéressant pour moi de plonger dans l’esthétique du passé, certes, mais je n’y cherche aucune particularité précisément, c’est juste une expérience. Je suis plutôt un esthète, donc voilà c’est la beauté qui m’intéresse.

SPA: Quelles difficultés interprétatives dans votre sélection?

MEC: Ça dépend il y a des airs qui ont beaucoup de colorature, d’autres qui sont très hauts, d’autres très bas… Ça dépend vraiment on ne peut pas généraliser parce que pour chaque chanteur les œuvres sont différents, et ils posent des différentes difficultés. Moi, j’ai une certaine stature, une certaine construction de la voix, des points faciles et des points qui me causent des problèmes… Un autre chanteur agit différemment. Donc, c’est très individuel.

SPA: Vous aviez évoqué notre siècle actuel, quelle est votre relation avec la musique de notre temps?

MEC: Je fais parfois des productions de musique contemporaine mais pas beaucoup. Mais ce n’est pas vraiment mon truc en ce moment. Mais on ne sait jamais, il ne faut pas dire dans la vie « jamais ». C’est quelque chose qui peut arriver, en ce moment c’est le baroque qui retient mon intérêt, et il y a plein de projets qui m’intéressent, mais pour la musique contemporaine, je crois que je pourrais en faire davantage quand je serais vieux (rires), comme ça personne ne pourra se rendre de compte si je suis faux dans les notes (rires).

SPA: Un aperçu de vos projets 2013 en France?

MEC: Il y a les concerts pour la sortie de Venezia, puis Alessandro de Haendel à Versailles, et aussi avec Les Cyclopes je vais chanter des Cantates de Bach, mais ne me demandez pas où ni quand (rires).

SPA: Préférez-vous l’opéra mise en scène ou les versions de concert?

MEC: En ce moment j’ai une préférence pour les congés (rires)… Mais bon, je pense que c’est plus relaxant d’avoir 4 semaines de préparation pour une mise en scène. Avec les concerts c’est très stressant parce qu’on a 2 ou 3 jours, parfois seulement un jour de répétition et allez hop! Pas beaucoup de temps pour se préparer, donc assez stressant.

SPA: Revenons à Alessandro. Quelle est votre conception du rôle?

MEC: C’est un rôle qui a été chanté par Senesino, et tous les rôles pour Senesino sont extrêmement durs. Ils exigent beaucoup, ils sont très longs, ils ont des airs très difficiles. Alessandro, Giulio Cesare, Radamisto, tous ces grands rôles chantés par Senesino sont vraiment très exigeants. J’ai attendu beaucoup pour commencer avec ce répertoire parce que j’éprouve beaucoup de respect pour ces rôles. On m’a demandé de chanter Jules César et j’ai refusé précisément à cause de ce respect de la difficulté du chant Senesinien. Maintenant, c’est le moment de ma carrière pour relever les défis de ces rôles. Alessandro est l’un des rôles les plus difficiles qu’il a chanté! Il y a 6 ou 7 airs, deux duos, le chanteur reste 3 heures sur scène et les airs sont dramatiques, souples, avec une certaine ligne vocale… Je me prépare vraiment beaucoup pour attaquer ce rôle-là. Je vais essayer de donner mon mieux.

SPA: Et quelle en sera la mise en scène?

MEC: Je me prépare aussi là-dessus. J’ai déjà discuté avec la metteure en scène au sujet de quelques idées et avec le décorateur… Je pense que ça va être une production très chouette. On a décidé de faire une comédie, parce qu’Alessandro ce n’est pas un opéra seria, c’est un opéra d’une certaine façon semi-comique. Nous allons donner à cet opéra un coté très comique parce qu’il s’agît de trois vedettes de l’opéra qui se produisent sur scène pendant trois heures, Senesino, Bordoni et Cuzzoni dans les rôles d’Alessandro, Lisaura et Rossane. Songez qu’à l’époque de Haendel, les deux divas se sont battues sur scène, entre autres péripéties ; vous-savez Alessandro a été beaucoup plus populaire que Jules César, le plus populaire, parce qu’il réunissait alors 3 grands stars : imaginez-vous un opéra aujourd’hui où vous pourriez voir je ne sais pas… Garanča, Villazón et Netrebko ; et que Netrebko et Garanča se disputent! Et avec les médias qui en parlent de ce que celle-ci à dit de celle-là et tout ça ! Nous voulons maintenant récréer cette hystérie sur scène comme une histoire parall
èle. Alessandro se passe dans un studio cinématographique des années 20, où se déroule le tournage d’un film à la manière de Singing in the rain. Donc il y a les chanteurs qui se présentent et chantent leurs airs comme s’ils enregistraient un film, et après le shooting il y a des problèmes, le chanteur qui annule, l’autre qui veut pas chanter parce qu’il veut plus d’argent, l’autre qui est trop diva qui se plaint parce qu’il fait trop chaud, et des choses comme ça… cela va être une sorte d’histoire parallèle à ce que raconte le livret. Le décorateur a choisi un style baroque des années 20, donc un peu comme les designers Art Déco ont interprété le monde baroque, un peu à la manière « historique » d’Anthony et Cleopatra d’Elizabeth Taylor, c’est cette esthétique là que nous développerons…. Il y a des danseurs, il y a des acteurs, mais c’est pas énorme, il n’y a que 4 danseurs et trois acteurs avec nous, 7 chanteurs, donc voilà, on est 14 sur scène, mais les danseurs vont aussi faire le changement de la scène, ils sont présents tout le temps. Je pense que ce concept sera intéressant. Il faut que cela soit réussi!

SPA: Auriez vous une préférence pour le comique?

MEC: Oui bien sûr! J’adore! Je crois que l’humour dans la vie c’est très important. Si on ne peut pas rire, même dans une situation grave… maintenir l’humour est très important!

Propos recueillis par Sabino Pena Arcia.
Critique du cd Venezia de Max Emanuel Cencic

Le contre-ténor Max Emanuel Cencic prête toute son intelligence et sa virtuosité au chant vénitien de la première moitié du 18e siècle accompagné avec maestria par le jeune orchestre Il Pomo d’oro. Prolongement logique du succès de l’Artaserse (1730) de l’année dernière, le nouveau recueil d’airs paru chez Virgin Classics, Venezia, offre un éventail des sentiments d’une Venise engloutie mais toujours pétillante.

Venezia, inspirations, résistances au début du 18e siècle

La première moitié du 18e siècle est une période difficile pour La Sérénissime ; Venise est une grande ville, riche, puissante et magnanime auparavant. Cependant elle n’a jamais cessé d’être un véritable bastion des arts et de la culture, comprenant pléthore de théâtres accueillant un grand nombre de compositeurs.

La figure emblématique à l’époque est, certes, Antonio Vivaldi, mais elle compte aussi parmi ses créateurs décisifs, les frères Marcello, G. Giacomelli, T. Albinoni, Antonio Caldara. Le recueil commence précisément avec un air de ce dernier, « Barbaro non comprendo » de l’opéra Adriano in Siria, composé et crée pourtant à Vienne en 1732. Le langage harmonique de Caldara avec les très élégants vers de Métastase s’accorde merveilleusement au tempérament électrique de Max Emanuel Cencic, à sa voix d’un zeste indéniable et ses aigus insolents et surprenants. L’air qui suit de Giovanni Porta « Mormorando quelle fronde », est un exemple exquis de cet automne vénitien, bucolique et riche en pathos. Ici, le contre-ténor rend justice à cet air oublié avec une belle ligne vocale complètement maitrisée,d’autant plus convaincant qu’il est accompagné par un orchestre fervent dont nous reparlerons.

La Venise noble et sentimentale est merveilleusement représentée par deux airs sublimes. D’abord, s’impose « Dolce mio ben, mia vita » de Francesco Gasparini, sur les vers d’Apostolo Zeno, architecte du mélodrame d’une sobre beauté dont Métastase exploitera la forme-. Cencic exprime un ardent amour avec une fluidité musicale étonnante et un contrôle total de sa voix. Puis, de Tomaso Albinoni, l’interprète choisit le poignant « Pianta Bella, Pianta Amata ». Dans cet air d’une larmoyante beauté, Apollon chante et s’adresse à une plante (« pianta ») ou gît le beau qu’il aime (« il bel che adoro »), ce qui renvoie immédiatement à l’histoire de son amant Hyacinthe qu’il transforme en fleur, ou même à celle de son amant Cyparisse qu’il transforme en cyprès. Mais dans le libretto anonyme de la sérénade pastorale dont l’air est issu, paraît aussi Daphné, la nymphe transformée en laurier par son père Pénée… Quoiqu’il en soit, il s’agît d’un moment sublime où Cencic exprime de façon touchante la tendresse et la langueur pleine de grâce et de profondeur, alliance typique du maître vénitien du « grazioso modo del cantar ».

Mais qui dit Venise, dit Vivaldi, et en effet le Prêtre roux est privilégié dans l’album en totalisant 5 airs, dont 2 d’attribution incertaine. Ces 2 derniers sont d’un brio tout à fait resplendissant. « Anche in mezzo a perigliosa » particulièrement est un véritable tour de force vocal et instrumental, où perce l’influence napolitaine. L’air de tempête n’est pas sans rappeler « Vo solcando un mar crudele » de l’Artaserse de Vinci. Ici le contre-ténor est sautillant et agité, à l’aigu éclatant sans pourtant perdre conscience de son registre grave. Dans l’air issu de son opéra Motezuma (1733) « Quel rossor che in volto miri », Vivaldi met en musique des vers d’une noble beauté de façon très touchante. Cencic, à son tour, met tout son talent au service du lyrisme vivaldien, il y réalise même un sommet d’expressivité virtuose et bouleversante.

Au mérite du programme ici défendu, s’affirme tout autant l’excellent accompagnement du jeune orchestre Il Pomo d’oro dirigé par le violoniste et chef Riccardo Minasi. Tout au long des 11 airs, l’Ensemble a une présence vive et édifiante, accompagnant avec aplomb les moments de rage vengeresse, de fureur et de tempête ; avec subtilité et raffinement, l’expression des sentiments d’une honnêteté et d’une gravité exquises. Solide accomplissement de la part de tous les interprètes.

concerts

Max Emanuel Cencic est en concert ce vendredi 15 février à 20h au Théâtre des Champs Elysées et de retour à Versailles à l’Opéra Royal le 3 avril 2013 à 20h pour une version de concert du Farnace de Vivaldi, ainsi que le 21 mai et 2 juin 2013 pour une mise en scène d’Alessandro, opéra de Haendel.

Sabino Pena Arcia

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