vendredi 29 mars 2024

Marseille, Palais Longchamp, le 31 août 2011. Mozart: Don Giovanni ossia il dissoluto punito. Textes additifs de Molière, Tirso de Molina. Opéra-théâtre pour tous.

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Oui,
bien que notre Opéra de Marseille soit sûrement l’un des meilleurs de France

et, à coup sûr, le moins cher, il reste malheureusement hors de portée, à notre
époque de crise, de beaucoup de bourses durant la saison. Et ne parlons pas des
grands festivals lyriques d’été de notre région, dont certaines places
atteignent les240 € (Festival
lyrique d’Aix-en-Provence) .
Monter un opéra revient certes très
cher : il y a des chanteurs, des chœurs, un orchestre, un décorateur, un
metteur en scène : cela fait beaucoup de monde à payer. Cela explique,
naturellement, la cherté des places.


L’Opéra-théâtre Pour
Tous

Partant de ce constat, le baryton marseillais Cyril Rovery, secondé par
quelques amis, a fait le pari de créer une compagnie, l’Opéra-théâtre Pour
Tous, dont il est désormais Directeur artistique, qui offrirait, à prix réduit,
des spectacles lyriques de qualité (28 € plein tarif).
Arriver
à cette baisse du prix d’entrée ne va donc pas sans sacrifices : pas
d’orchestre ici, mais un piano seulement pour accompagner les chanteurs (comme
cela se faisait d’ailleurs souventautrefois dans les salons) ; pas de décors (mais souvenons-nous que
Vilar, à Avignon, utilisait des lieux naturels, des cadres fastueux de monuments
locaux) ; et, aussi, des coupures dans des œuvres souvent fort longues. La
pratique n’est pas nouvelle non plus.

Ces
coupures sont compensées ici par l’idée de situer les opéras dans leur contexte
littéraire. Rappelons qu’au théâtre antique ou moderne, l’opéra doit un nombre
incalculable delivrets et parmi
les chef-d’œuvres :Don Juan,
Les Noces de Figaro de Mozart, Le Barbier de Séville de Rossini, Macbeth,
Othello, Il trovatore (le Trouvère), Rigoletto, La force du Destin, Falstaff,
de Verdi, qui n’a puisé son inspiration que dans le théâtre, sa Traviata, c’est
La Dame aux Camélias, roman avant de devenir pièce. Rappelons encore Le Cid,
Pelléas et Mélisande, de Debussy, etc. Bref, l’opéra est allé trouverson
inspiration chez Molière, Guillén de Castro, Corneille, Tirso de Molina,
Beaumarchais, Victor Hugo, Dumas fils, Pouchkine, Maeterlinck, etc,
etc.

Nombre d’opéras se prêtent donc à ce jeu
d’un découpage d’une partie chantée, remplie par une partie littéraire ou
théâtrale qui le resitue ou en éclaire le sens, pas toujours compréhensible
pour un profane aujourd’hui. Cette fusion d’opéra et de théâtre explique donc
le nom de la compagnie : l’Opéra-théâtre Pour Tous, le sigle OPT étant un
peu malsonnant concernant la musique…

L’un
de ses premiers mérites est ainsi cette mise en regard de deux arts de la scène
qui se sont toujours nourris l’un de l’autre. Il y a donc un double intérêt
pédagogique : ouvrir le spectateur lyricomane à l’origine théâtrale de
l’œuvre, l’invitant sans doute à rouvrir le livre original, ou, à l’inverse,
donner à entendre au nouveau venu à l’art lyrique féru de littérature, qu’entre
la parole dite et celle chantée, il n’y a qu’un pas, même un pas de danse, dans
lequel on peut entrer par la volupté de la musique.
De
la sorte, l’ l’Opéra-théâtre Pour Tous a sélectionné quatre opéras qui se
prêtent parfaitement à cette optique Don Giovanni de Mozart, le Barbier de
Séville de Rossini, La Traviata de Verdi et Carmen de Bizet, tirée d’une
nouvelle de Mérimée.

Cyril
Rovery
s’est battu, débattu comme un beau diable pour faire agréer son projet,
qui a reçu l’aide de la Ville. Pendant deux ans, il a organisé des
Masterclasses, pour le dire en français, des cours donnés de grands chanteurs
internationaux : Jean-Pierre Furlan, Véronique Gens, Leontina Vaduva,
Mireille Delunsch, Marie-Ange Todorovitch,… Ces grands artistes ont écouté,
suivi, dirigé, sélectionné de jeunes chanteurs pour les futures productions
chacun pendant une journée. La seconde était consacrée au jeu théâtral avec la
metteur en scène Karine Laleu, et les conseils d’un médecin phoniatre, le
Docteur Marie-Noëlle Grini-Grandval.


Don
Giovanni

Car l’OPT aura eu son épreuve du feu
avec Don Giovanni de Mozart et Da Ponte, Don Juan, qui finit dans les flammes
de l’enfer, dans le cadre de cette merveille aquatique : l’arrivée
féerique du grand Canal de Provence à Marseille, le Palais Longchamp.

Un
demi-cercle, comme deux bras ouverts accueillants, des portiques aux belles
colonnes du palais, qui invitent à gravir les escaliers majestueux. Passée sous
l’arcade, on entre dans ce jardin en pente douce, avec des mélèzes anguleux,
aux massifs taillés géométriquement comme au XVIII e siècle. À l’arrière du
palais, entre deux petites tours d’angles percées de fenêtres, sous une sorte
de fronton et fond néo-classique en creux, on a niché une scène : le lieu,
le décor, si théâtraux, semblaient attendre le théâtre. L’architecture, qui est
musique silencieuse, attendait l’architecture sonore de la musique. Et les
belles lumières (auteur anonyme ?) mettent la pierre en
valeur.

Dans
la nuit, l’ouverture fameuse en gammes montantes et descendantes du thème du
Commandeur résonne au piano à quatre mains : Pierre-Luc Landais seconde
ici Ludovic Selmiqui assurera ensuite tout seul
l’accompagnement et la direction musicale : bel exploit de résistance sur ces
deux heures et demie, même si, parfois, ses tempi semblent peut-être un peu
lents dans certains airs, mais confortables pour les chanteurs, avec une grande
finesse de touche.

Tous
les personnages sont en scène par couples dans l’agitation de ce « drame
joyeux » selon sa définition, Don Juan faisant couple avec son valet.
Seule, Elvire, à part, regarde mélancoliquement des photos de son sac et un
pistolet, simples objets qui cristallisent toute l’ambivalence de ses
sentiments : à la fois son amour et son désir de vengeance de femme
abandonnée. Jolie trouvaille, entre autres (en transparence, lors de la
sérénade, la silhouette de la femme qui se déshabille), de Karine Laleu qui
signe une mise en scène souple et légère, vive, pleine de charme : la
difficile scène du quatuor aux personnages opposés est remarquable de justesse
psychologique et bien venue dans les déplacements. Excellente l’idée de faire
du catalogue ancien manuscrit cette caméra dont usent Leporello, et Don Juan,
filmant femmes et ébats, pour les diffuser sans doute sur internet pour
couronner la gloire du séducteur afin que nul n’en ignore. Cette « pulsion
scopique » joue bien avec les projections, notamment de scènes par le
« trou de la serrure », et la femme nue en ombre chinoise et le
regard (voyeur) du Commandeur aussi projeté.

De
belles images vidéos projetées presque tout au long (Geoffrey Parant) montrent
en introduction un couple nu enlacé dans l’obscurité d’une chambre tandis que
la femme use des mots de la Duchesse Isabelle du Don Juan de Tirso de Molina
pour donner à entendre la situation au public : le séducteur, s’est glissé
la nuit dans le lit de la belle à la place de l’amant Octave : bref, le
coucou dans le nid du cocu. La vidéo de fin : le Commandeur en gros plan
sur le visage masqué qui s’ôte un masque pour en montrer un autre et encore un
autre, qui pourrait aller à l’infini est une mise en abîme très fine du Baroque
et, justement, du personnage éternellement masqué qu’est le héros Don
Juan.

Tous
ces jeunes chanteurs, par ailleurs bien préparés comme acteurs, sont dignes
d’éloge à des nuances près : en Ottavio, Norbert Xerri se tire bien du second
air du rôle (le premier, plus facile, est malheureusement supprimé) aux
terribles vocalises, presque à la fin, malgré un trac sensible. Le Leporello de
Philippe Scarami pâtit d’un vibrato sensible mais c’est un comédien assez bon.
La Zerlina de Marilyn Clément est charnue à souhait, voluptueuse dans son
timbre et son jeu. Bonne idée économique d’avoir confié, comme à la création,
les rôles de Masetto et du Commandeur au même chanteur, ici à la belle basse de
Renaud Talaïa (on regrette aussi la coupure de son air de révolte face au
seigneur cavalier) qui sait glacer son timbre à la fin : la vengeance du
ciel vient donc d’un terrestre paysan contre le « grand seigneur méchant
homme ».

Personnage
sans doute le plus humain de l’œuvre avec le valet, l’Elvire de Valeria Altaver
est sensible et touchante, très convaincante malgré quelque dureté dans l’aigu
de son premier air aux redoutables sauts et, peut-être un souffle un peu court
au second. Donna Anna, c’est Lucile Pessey : présence dramatique remarquable,
une magnifique voix de soprano lyrique toujours plus riche, superbement menée,
compensant et humanisant par d’intelligentes nuances la grandeur héroïque du
rôle. En habits modernes simples, destructurés et souples pour Don Juan, les
hommes parent leur chef de chapeau ou béret selon leur rang, et les dames sont
joliment habillées par Manoukian.

Dans
le rôle titre, en alternance avec Cyril Rovery (que je n’aurai pas entendu)
pour ces six soirées, Laurent Arcaro est aussi bon chanteur que comédien :
aussi mobile physiquement que nuancé dans le chant (sauf un manque de brio dans
l’air si follement vital dit « du champagne »). C’est un Don Juan
jeune, facétieux, toujours en mouvement : le personnage, quoi.
Il
reste que les textes parlé, empruntés à Tirso de Molina (mais qui ne parlait
pas français, autant qu’on sache, son interprète ici reste anonyme contre toute
déontologie), à Molière, les traductions partielle des récitatifs parfois
discutables : le faible « affection » pour ‘afecto’, ici amour)
et quelques ajouts font problème : les styles étant sensiblement divers,
et en vers et prose, pour le connaisseur, les coutures sont trop visibles. Cela
ne s’harmonise pas toujours avec les personnages du drame lyrique, par ailleurs
aux noms différents des pièces à l’opéra. Si la scène au langage burlesque
entre Charlotte et Pierrot est fort agréablement interprétée par les deux
protagonistes, la sotte et ignorante Charlotte normande, qui ne sait pas
parler, n’a rien à voir avec la paysanne espagnole au langage de grande dame
(même si elle n’apparaît pas ici), et guère avec la finaude Zerline de
l’opéra.

Mais
le pari de l’OPT était fou. C’est un pari gagné qui reste à confirmer. Le
spectacle est retransmis su www.radiomozart.net

Marseille, Palais Longchamp, le 31 août
2011. Wolfgang Amadeus Mozart: Don Giovanni,ossia il dissoluto punito. Textes
deLorenzo da Ponte, Molière,
Tirso de Molina. Distribution :Don Giovanni : Laurent Arcaro / Cyril Rovery ; Leporello : Philippe
Scarami ; Donna Anna : Lucile Pessey ; Donna Elvira : Valeria Altaver ;Don Ottavio : Norbert Xerri ;
Zerlina : Marilyn Clément ;Masetto et il Commendatore : Renaud Talaïa. Piano direction musicale :
Ludovic Selmi Mise en scène : Karine Laleu. 2, 3, 6, 7, 9 & 10 septembre
2011 20h30 Palais Longchamp, Marseille.

Illustrations: © Muriel Despiau
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