jeudi 28 mars 2024

Marseille. Opéra, le 31 décembre 2009. Jules Massenet: Cendrillon. Cendrillon : Julie Boulianne. Cyril Diederich, direction. Renaud Doucet, mise en scène

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Cendre et technicolor

L’oeuvre. Conte intemporel qui berce en nous un besoin de justice où les bons sont récompensés, Cendrillon, celle de Massenet, subissait un injuste oubli après des débuts triomphants en 1899. Jouée pour la dernière fois à Marseille en 1901 mais, à 110 ans de sa création, notre Opéra lui rend justice. Il serait injuste, encore, de lui opposer Manon, Werther et autres Hérodiade du même Massenet : c’est le même compositeur, mais c’est autre chose et la même qualité, un orchestre peut-être plus léger, et même transparent pour traduire le monde des lutins, des airs bien troussés, assez simples sauf pour la fée, avec certes une facture lyrique moins effusive que dans ses drames. En somme un bon goût sagement français.

Réalisation

Un arc de cercle couronne la scène, souligné d’une fresque de souliers, la fameuse « pantoufle » de Cendrillon, effectivement de verre dans l’original et non de « vair » comme le corrigea peu féeriquement Balzac, motif plaisamment répété sur les costumes des serviteurs. Un «Cendrillon » au néon surmonte le tout, telle une enseigne de théâtre ou de cabaret dans le style des années 1950. L’intérieur de la scène, en perspective de fuite ondulante comme dans certains dessins animés, c’est une cuisine ultra moderne dans le goût de ces années-là, appareils ménagers, four, radio ou télé, cafetière, etc : l’invasion technologique d’une modernité optimiste sur le progrès, le règne glorieux du formica, dans des couleurs criardes qui, dans la palette des comédies américaines, en mettent en sourdine l’agression par l’humour et l’ironie. L’échelle géante des meubles donnera celle de Cendrillon, sortie du four et non de l’âtre, de la fée, non électricité mais télé, crevant l’écran. C’est le palais domestique hypertrophié de la future femme au foyer dont on exaltera, dans un autre tableau, les qualités ménagères qui la rendront digne d’un prince dans une compétition serrée de candidates, univers couleur de rose des rêves naïfs de l’aurore de la société de consommation, de bombons acidulés, de verts stridents d’espérance en l’avenir. L’ensemble, comme plus tard, l’immense Cadillac ou Buick vue par la calandre dans une sorte de Drive in est inventif, amusant, réussi, comme les costumes très Hollywood (à pois, drapés, rubans énormes) tout aussi marqués par l’époque, mais montés en couleurs par la fantaisie débridée d’André Barbe qui les signe ainsi que le décor, sous les lumières de Guy Simard. La marraine fée a la rousse chevelure et coiffure de Lucille Ball, star de ce temps d’ivresse technicoloriste et, même si ces références datées échappent aux plus jeunes, cela fonctionne par sa verve. De même, les reportages projetés en écran de grands mariages des années 50, Grace Kelly et Rainier de Monaco, Rita Hayworth et Ali Khan, sont des signes de contes de fées modernes et les deux héros semblent y figurer aussi en sorte de Farah Diba et le Shah d’Iran. La mise en scène (Renaud Doucet) n’est pas en reste de trouvailles, souvent plaisamment chorégraphiées comme le menuet de la marâtre et les deux sœurs.

Interprétation

La musique de Massenet, toujours adaptée à l’objet, mesurée, ne prête pas à la démesure joyeuse de cette opulence imaginative de la scène. Cyril Diederich la conduit sagement, clairement, attentif aux lignes et timbres. Le texte poétique se souvient du Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, et ses évocations d’insectes minuscules, phalènes, papillons, libellules, verts luisants, moucherons, scarabées, échelle des follets et esprits, et l’on goûte, dans les passages du monde merveilleux, la finesse du glockenspiel, de la harpe, de la flûte, que l’on retrouvera dans celui de Britten. Le chœur (Pierre Iodice) à bouche fermée des lutins fait une poétique auréole aux acrobatiques coloratures de la fée, rôle très étoffé, et aériennement servi par Liliana Faraon au timbre de pur cristal, dont la baguette semble plutôt une spatule de cuisine. Dans le monde des humains, trop humain dans sa faiblesse, et tendre dans ses remords, le père de Cendrillon, François Le Roux, a l’impuissance désolée des faibles, mais avec une puissante voix maîtrisée de basse. Le Roi (Christophe Fel), le Surintendant des plaisirs (Patrick Delcour), le Premier Ministre (François Castel), sont à une juste et cocasse place moliéresque et musicale.

La Cendrillon de Julie Boulianne, mezzo, est douce, sensible, expressive dans sa grisaille de mélancolie, au vibrato joliment perlé et Frédéric Antoun est un Prince aussi charmant par le physique que par la voix. Si les deux sœurs (Julie Mossay et Diane Axentii) ne sont que les échos cocasses de la mère dans d’amusants ensembles, en hautaine, altière, fière Madame de la Haltière, Marie-Ange Todorovitch drapée dans sa prétention, enturbannée, enchapeautée d’une vaste capeline, lunettes d’écaille pointues, en caille encanaillant ses filles pour décrocher le gros lot du mariage princier, d’une voix superbement ronde, mène la ronde de la mégère sinon ménagère non apprivoisée, apprivoisant le mari, inénarrable d’irrésistible drôlerie.

Marseille. Opéra, le 31 décembre 2009. Jules Massenet: Cendrillon. Avec Cendrillon : Julie Boulianne ; Madame de la Haltière : Marie-Ange Todorovitch ; la fée : Liliana Faraon ; Noémie : Julie Mossay . Dorothée : Diane Axentii.
Frédéric Antoun : le Prince charmant ; Pandolphe : François Le Roux ; Le Roi : Christophe Fel ; le Surintendant des plaisirs : Patrick Delcour ; le Premier Ministre : François Castel. Orchestre de l’Opéra de Marseille. Cyril Diederich, direction. Renaud Doucet, mise en scène et chorégraphie

Illustration: Christian Dresse.

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