samedi 20 avril 2024

Lyon, Auditorium, le 21 janvier 2012. Berlioz, Koechlin, Satie, Honegger. O.N.L.dir. Ilan Volkov, avec Nathalie Stutzmann, contralto

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« Voyage en Fantaisie », sous-titre le programme du concert ONL conduit par Ilan Volkov. En effet, excellent tour d’horizon avec humour obligé pour partitions du premier XXe. La plus surprenante, ces Bandar-Log d ’un Koechlin en pleine créativité ironique. La plus amusante, avec effets « surréalistes », le Parade satiste. La plus motorique, Trois Mouvements Symphoniques où Honegger ausculte d’abord sa Pacific 231 et le jeu de Rugby. Mais on ne saurait oublier des Nuits d’été poétiquement berlioziennes, dans l’interprétation très émouvante de Nathalie Stutzmann.


Le clavier de la machine à écrire

« Des canons sous des fleurs », disait Schumann admiratif mais un peu effrayé par Chopin. Et un pistolet dans l’orchestre ? Aux temps d’André Breton, on pouvait lire que l’acte surréaliste le plus simple était de descendre dans l’orchestre – pardon, dans la rue ! – avec un pistolet et de tirer au hasard sur la foule. Et vous en connaissez beaucoup d’œuvres symphoniques avec percussionnistes tirant plusieurs coups de pistolet ou jouant du clavier de…machine à écrire ? Même si le simulacre satiste conseille de s’en tenir dans Parade à un genre flingue à bouchons et si l’Underwood O.N.L. 2012 n’est pas un modèle archéologiquement contrôlé, attraction garantie au cœur du concert d’Auditorium le 21 janvier ! Public intrigué, instrumentistes amusés par leurs farces de…collégiens, ce n’est pas tous les jours fête décontractée dans l’orchestre symphonique du XXe. Qu’on y a joute une bande de singes déchaînés se défoulant sur scène (Les Bandar- Log de Koechlin), et une locomotive à vapeur crevant l’écran pour se ruer dans la salle (Honegger, Pacific 231), il y a des soirs où l’Orchestre a plaisante « gueule d’atmosphère »…

Les Bandar-Log en folie

Tel était donc l’original programme d’un Orchestre National de Lyon conduit avec panache, précision et entrain par Ilan Volkov, qui en bon généraliste XIXe et XXe semble tout de même en affinités particulières avec des œuvres dynamiques et toniques, voire à plusieurs degrés de lecture. La partition la plus « neuve » – en tout cas rarement jouée – de ce triple « premier XXe », c’est le Scherzo des singes, ou Bandar-Log, de Charles Koechlin. Un compositeur lui-même fort original dans une époque française plus avare de reconnaissance et d’admiration envers lui que vers un collectif de hasard comme le Groupe des Six – ou du moins ses trois mousquetaires les plus en avant, Honegger, Poulenc et Milhaud. Le regard « animalier » de Koechlin sur le Groupe… des Bandar-Log est évidemment coloré d’ironie, la piaillante troupe représentant les écrivants et critiques de la musique, tendance Philistins visés par Schumann et ses amis ou Beckmesser contre Hans Sachs. Dans le déroulement du scherzo défileront donc des parodies plutôt féroces de ce qu’il ne faut pas faire en composition, en particulier une fugue sur « le bon tabac » qui met en joie les contrebasses. Mais le meilleur est sans doute dans l’évocation – cette fois très wagnériens «murmures de la forêt », voire poésie bartokienne de la nature close sur elle-même –, initiale et terminale, du monde végétal où il arrive aux Bandar-Log de goûter un repos mérité. Le foisonnement de l’énigme dépasse un paysagisme d’habile évocation pour atteindre un mystère troublant.

Ah ! sans amour s’en aller sur la mer…

Avec le solisme vocal des Nuits d’été, total changement à vue et audition. Berlioz y est le magicien orchestral que tout le monde révère, et on y passe en ruptures de ton du « primesaut » (comme le dit Marcel Marnat) d’une Villanelle à la « solitude terrifiée de l’artiste » dans Le Spectre de la Rose et « à l’éthéré et au passionné » du Cimetière….Et c’est pour les quatre mélodies du « milieu » que la voix « baissée, en contralto » et surtout intériorisée, de Nathalie Stutzmann, conduit à la plus belle émotion. Sans l’éloquence parfois brandie par des cantatrices certes éprises de Berlioz mais qui succombent au déploiement (et dépliement) vocal, N.Stutzmann va au plus profond du déchirement funèbre, qui « redescend » du cri « ah ! sans amour… » vers « s’en aller sur la mer » et « que mon sort est amer ! » Avec elle, et un orchestre subjugué, l’immobilisation terminale en murmure de la 3e mélodie est un des moments les plus bouleversants qui puisse traduire la géniale invocation de Berlioz. La simplicité cordiale de comportement et la diction poétique de la contralto ajoutent évidemment à cette façon de « rentrer en Berlioz »….

La locomotive et le XV de France

Il faut bien le temps d’un entracte pour transiter vers les gamineries inspirées de Satie, d’ailleurs moins superficiellement iconoclastes que ne le ferait croire leur réputation – nous retournons en 1917, et faire ainsi s’amuser le public ou les musiciens possède une charge audacieuse qu’aujourd’hui nous évaluons difficilement -, sans oublier que Parade est aussi une musique de ballet, donc que cela donne à imaginer les mouvements du corps-chorégraphique dans l’espace et le cerveau. D’ailleurs les plaisanteries de Satie donnent à réfléchir sur la qualité de compositeur qu’il se reconnaît : « Tout le monde vous dira que je ne suis pas un musicien. C’est juste. Dès le début de ma carrière, je me suis de suite classé parmi les phonométrographes. Le phénomètre à la main, je travaille joyeusement et sûrement. Que n’ai-je pesé ou mesuré ? Tout de Beethoven et de Verdi, etc. C’est très curieux… » .

Quoi qu’il en soit de votre jugement à vous, après audition de Parade, vous aurez remarqué combien l’O.N.L. s’y montre au mieux d’une forme olympique, notamment du côté des percussions et des cuivres dans cette 2nde partie du concert. Car Ilan Volkov conduit ensuite avec même ardeur et précision de belle qualité le triptyque plus attendu d’un Honegger en autoportrait de « bête humaine », rugbyman et puis…quoi ? L e moins intéressant n’y est pas ce Mouvement Symphonique n°3 échappant au titre sinon à ce que Daudet eût nommé « doubles muscles symphoniques », et sur lequel nous sommes priés d’imaginer pré ou post texte. Supposons donc un trajet en Pacific 231 qui nous mène vers le XV de France en représentation, et là, après le match, projection sur écran géant d’un tableau abstrait genre Mondrian. ( A quand le fauteuil O.N.L.+ tribune O.L. , augmenté d’un billet Musée/M.A.C. ? ). Bon, un peu de surenchère comm en Auditorium, n’est-ce-pas ?

Lyon. Auditorium, le 21 janvier 2012. H.Berlioz (1803-1869), Nuits d’été. C.Koechlin (1867-1950), Les Bandar-Log. E.satie (1866-1925), Parade. A.Honegger (1892-1955), Trois Mouvements Symphoniques. Orchestre National de Lyon, direction Ilan Volkov, avec Nathalie Stutzmann (contralto).

Illustration: Nathalie Stutzmann (DR)
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