vendredi 29 mars 2024

L’Orlando finto Pazzo, premier opéra vénitien (1714)

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En novembre 1714, Vivaldi dirige « L’Orlando finto pazzo » à Venise dans le théâtre dont il est l’impresario, depuis l’automne 1713 : le San Angelo. La date est importante : elle inscrit la démarche de Vivaldi, récent auteur lyrique, dans un lieu où il créera la majorité de ses ouvrages à Venise. Ainsi débute la relation du dramaturge et de la Sérénissime pendant presque vingt cinq ans. Son père joue dans la fosse comme violoniste.
Son poste de maestro de’concerti vient d’être renouvelé. Après l’âge d’or de l’opéra Vénitien à l’époque de Monteverdi et de ses élèves, le genre s’est perpétué coûte que coûte, en particulier avec les compositeurs Pollarolo, Lotti et Gasparini auquel Vivaldi a succédé nous l’avons vu à la Piétà. Gasparini par ailleurs avait quitté la lagune en 1713 après la fermeture du teatro San Cassiano qui était lié à sa carrière lyrique. Albinoni a proposé un style qui ne s’est pas non plus maintenu : dans ce contexte marqué par une certaine usure, Vivaldi fait figure de rénovateur.
Le succès triomphal de sa première saison comme directeur du théâtre lui assure une trésorerie confortable qui lui permet alors de voir grand. Le luxe de la nouvelle production comprenant un chœur (spécialement recuté pour l’occasion), des décors élaborés par le père du Canaletto, Bernardo Canal, et comme on le verra un plateau de solistes trié sur le volet, place le San Angelo comme un rival sérieux pour les théâtres concurrents, en particulier le plus prestigieux d’entre eux, le San Giovanni Grisostomo. Pour le livret, Vivaldi a fait appel au poète Grazio Braccio, lequel avait rédigé l’Orlando furioso attribué au compositeur Giovanni Maria Ristori, de la saison précédente. En réabordant le thème du chevalier médiéval, mais cette fois en composant lui-même la musique, Vivaldi voulait-il profiter de la faveur du public vénitien pour la geste de Roland ?
En recrutant Anton Francesco Carli, Vivaldi s’était assuré une voix fameuse du paysage vénitien : dans le rôle-titre, redoutable car principalement écrit en recitatif, le chanteur qui avait coutume de chanter sous les cintres du Grisostomo, confirmait sa confiance dans l’aventure vivaldienne et offrait son tempérament dramatique à ce rôle dense. C’est lui qui avait créer le rôle de Claudio dans Agrippina de Haendel, créé à Venise en 1709. La magicienne Ersilla avait été confiée à la talentueuse autant que capricieuse soprano Margherita Gualandi dont la caractère versatile confinant à l’hystérie faillit user la patience du compositeur. Enfin, indice du goût infaillible de Vivaldi sur le registre vocal, le jeune castrat Andrea Pacini était Argillano. Vivaldi lui composa un air à la mesure de son talent : « E’il destin della nave agittata.. » au III : acrobatie vocale sur fond d’orchestre des plus inventifs. Habitué des opéras de Scarlatti, Pacini allait ensuite faire partie de la troupe de Haendel à Londres pour être Tolomeo dans Giulio Cesare, et surtout Tamerlano…
L’histoire prend prétexte de mille intrigues sentimentales pour exprimer là encore l’emprise de l’irrépressible amour. Antérieur, ce Finto Pazzo, n’a pas la densité ni les fulgurances de l’Orlando Furioso que le musicien composera avec le brio que l’on sait à l’automne 1727 pour la même scène du San Angelo. Pour déjouer le pouvoir de la magicienne Ersilla, Orlando feint d’être un chevalier fou qui se prend pour le paladin légendaire. Travestissements et masques complètent ce tableau des plus compliqués. Or sur ce terreau des plus invraissemblables, Vivaldi développe une liberté d’invention qui cependant directement l’Orlando Furioso à venir.
Sur le plan musical, Vivaldi y montre l’étendue de son imagination dramaturgique dont le souffle et la diversité des options instrumentales sont contenus dans la scène de folie feinte d’Orlando puis au III, la grande scène d’Ersilla où trois pupitres d’alto offrent une leçon d’invention harmonique inédite.
Ambitieuse voire démonstrative, la partition d’Orlando Finto Pazzo affirme la maturité d’un auteur venu relativement tard sur la scène vénitienne. Aucune source ne précise quel accueil fut réservé à l’ouvrage. Il n’empêche qu’avant la déferlante napolitaine, autre combat à venir, cet Orlando premier doit figurer aux côtés du futur Furioso, comme la contribution géniale d’un jeune réformateur de la scène vénitienne.

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