samedi 20 avril 2024

LIVRES. Sibelius, les cygnes et le silence par Richard Millet (Gallimard)

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sibelius  richard millet gallimard essai musiqueLIVRES. Sibelius, les cygnes et le silence par Richard Millet (Gallimard). L’intérêt du livre édité par Gallimard pourrait se mesurer à l’énoncé de deux interrogations que nous avons relevées : «  Pourquoi un si grand pianiste s’obstine-t-il à composer ? », «  Pour qui vais-je à présent composer ? ».  Deux questions essentielles redevables à la pensée et au travail du plus grand compositeur finlandais du XXème siècle. La première concerne Busoni et épingle l’ivresse illusoire dans une vie de créateur de la pure virtuosité voire de l’ambition formelle creuse… la seconde dévoile le compagnon d’une vie, le catalyseur et le soutien qui dans l’ombre a fait que Sibelius compose comme il a composé, le baron Axel Carpelan que l’auteur tire de l’oubli avec une finesse de trait aussi évocatrice et sensible que l’ensemble de son texte. A travers l’évocation en épisodes et séquences combinées – ce n’est pas un essai continu ni une biographie déguisée- de la vie et surtout de la pensée Sibélienne, Richard Millet approche par fragments, le secret de Sibelius : son exigence et son silence. Le compositeur retiré dans sa villa d’Ainola, sublime maison nichée au coeur du massif arboré au bord d’un lac miroitant à toute heure de la journée, qui s’est laissé pénétré par le souffle des légendes nordiques du Kalevala, eut le génie de livrer à son pays, ses Symphonies inclassables dont l’ardente énergie intérieure expriment plus qu’un élan et une finalité nationalistes : la claire volonté d’égaler les plus grands, Beethoven, Brahms, Schumann et déjà ses contemporains, Bruckner, Mahler, Strauss : être un symphoniste capable d’une nouvelle liberté esthétique et poétique qui pense à la place de l’homme dans l’univers, aux phénomènes de la nature, au sens de la vie…

Sibelius : l’immensité, les cygnes, le silence

On comprend aussitôt qu’on aurait tort de réduire la création de Sibelius à un unique fait patriotique et dont témoigne il est vrai Finlandia. Le vrai propos du livre est le témoignage et l’hommage d’un mélomane, qui a écouté et compris de l’intérieur la musique de Sibelius, lui restituant la force de son génie, la justesse de ses visions, l’évidence de son silence pendant les 30 dernières années de sa vie, lui qui avait finalement tout dit.  Sibelius comme en cela le Mahler des 6è et 7è Symphonies, célèbre le tumulte recréateur de la nature, sans le raconter, il l’exprime. un bouillonnement fécond qui exalte la sensibilité de l’homme taillé comme un viking.

sibelius jeune homme romantiqueLa parallèle avec Faulkner, même aspiration et culte des immensités naturelles, des failles infinies dans le ciel – que seul le vol des cygnes blancs ou des grues peuvent réellement mesurer- est juste. Comme les chapitres destinés à retracer les rapports (subtilement entretenus à distance) avec ses contemporains et confrères, apportent des éclairages opportuns dans le portrait du grand solitaire : un ours relié à la mère nature plutôt qu’aux illusions de la ville riche en beuverie collective. L’auteur tire vers le haut cet idéal artistique devenu éthique quotidienne à Ainola. Sa vision est fine, intransigeante voire dévalorisante pour nombre de musiciens contemporains ou proches (Nielsen s’en prend plein les dents), mais la sincérité du ton qui conserve intacte sa pure admiration, ne dévie pas d’un pouce : Sibelius est un dieu de la musique, aussi génial et bouleversant que Leonardo pour les arts graphiques et la peinture : au nombre restreint d’opus se mesure la hauteur d’un œuvre qui frappe par sa qualité, sa densité, sa défiance à toute répétition. Les néophytes comprendront combien le compositeur fut un idéaliste d’une inflexible intégrité (y compris vis à vis des Russes comme des nazis – contrairement à Knut Hamsun, lui aussi bien épinglé) ; un créateur un vrai qui se donna tous les moyens en une temporalité pensée et réfléchie pour réaliser son oeuvre. Nous restent les épopées inspirées des légendes scandinaves, surtout les 7 Symphonies, toutes une à une, magnifiquement présentées (enjeux à la clé) : la 8ème étant celle sublime du silence enfin retrouvé. Les sibériens -comme nous- se délecteront d’un hommage personnel indiscutablement sincère. Donc convaincant.

Richard Millet, Sibelius, les cygnes et le silence, Gallimard, octobre 2014, 144 p., 14,90 € . ISBN 978 2 07 014563 8.

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