Livres. Nikolaus Harnoncourt : La Parole musicale (Actes Sud). Coquille sur la couverture : contrairement Ă ce qui est indiquĂ©, les propos recueillis ici ne concernent pas uniquement les compositeurs romantiques⊠A moins que Mozart (et ses ultimes Symphonies dont la centrale K550 en sol mineur) soit lui aussi romantique⊠ce qui nous comblerait de joie (!), car sa modernitĂ© et sa sensibilitĂ© visionnaire ne peuvent selon nous ĂȘtre rangĂ©es dans aucune case⊠trĂȘve dâobservations de dĂ©tail : car câest bien de plusieurs textes dĂ©cisifs et lumineux dont il est question dans ce nouvel opus Ă propos de Beethoven, Schubert, Schumann, Brahms, Bruckner et mĂȘme Bizet et Verdi (mais pas de Strauss ni de Mahler : Harnoncourt nâa jamais cachĂ© quâil les jugeait lâun et lâautre « trop bavards »). Comme directeur musical de son festival Styriarte en Autriche, Nikolaus Harnoncourt a pu aborder nombre de compositeurs, lyriques et symphoniques auxquels il a consacrĂ© des discours et prĂ©sentations trĂšs dĂ©taillĂ©s, surtout trĂšs militants. Le texte liminaire le plus pertinents demeure celui sur Mozart et le sens profond de sa Symphonie axiale / centrale au sein de la trilogie des trois derniĂšres : 39, 40 et 41 « Jupiter ». La K 550 en sol mineur rĂ©sonne comme une dĂ©flagration, par sa sonoritĂ© inĂ©dite et inclassable qui fait imploser la forme elle-mĂȘme et le tissu mĂ©lodique comme harmonique. Sa signification profonde sâentend avec les deux autres qui lâencadrent. Jamais Harnoncourt, exceptionnel mozartien (il a dirigĂ© les opĂ©ras majeurs Ă Salzbourg) nâa Ă©tĂ© ici plus argumentĂ©, mieux inspirĂ©, dans un texte rĂ©digĂ© pour les 250 ans de Mozart au Mozarteum de Salzbourg (2006). Pour passer des intentions Ă la pratique le lecteur se reportera Ă lâexcellent double cd Ă©ditĂ© simultanĂ©ment chez Sony classical, dĂ©diĂ© justement au 3 derniĂšres Symphonies conçu comme « un oratorio instrumental », CLIC de classiquenews du mois de septembre 2014.
Au-delĂ de lâexercice hommage (lĂ©gitime), Harnoncourt argumente en faveur du sens profond de lâart dont les grandes Ćuvres doivent demeurĂ©es accessibles et vivantes pour le plus grand nombre. Ainsi se prĂ©cisent les valeurs dâun chef « exemplaire » qui repousse toujours plus loin lâexercice collectif (chef et orchestre) de la musique, comme une expĂ©rience humaniste et spirituelle Ă partager avec les publics. . A travers les textes de confĂ©rence et de prĂ©sentation liĂ©s aux Ă©ditions du festival Styriarte, mais aussi grĂące Ă lâapport de plusieurs entretiens traduits, le chef Harnoncourt aborde des thĂšmes variĂ©s (De Beethoven Ă Berg, 1990 ; la rhĂ©torique musicale chez Beethoven, la Missa Solemnis (Salzbourg 1992), les contrastes de Schubert redĂ©couverts⊠Ainsi se profile aussi une connaissance aiguĂ« de ce quâest une certaine musique autrichienne typiquement viennoise, de Schubert Ă Johann Strauss (en passant par Bruckner) : une maniĂšre dâĂ©crire la musique et aussi un regard sur la vie oĂč se mĂȘle musique populaire (danses traditionnelles), Ă©lĂ©gance, nostalgie⊠Pour comprendre une Ă©criture, il faut Ă©videmment revenir Ă ses origines et connaĂźtre absolument le manuscrit autographe : avant lâĂ©dition qui est la variation rĂ©ductrice et tronquĂ©e, les notes manuscrites du compositeurs offrent un champs polysĂ©mantique dâune richesse inouĂŻe :la preuve en est donnĂ©e chez Bruckner et aussi ici chez Bizet dont la Carmen prĂ©sente une palette exceptionnellement dĂ©taillĂ©e de nuances et dâindications dynamiques (hauteur, intensitĂ©, durĂ©e, caractĂšre de la note ou de la phraseâŠ). Ailleurs pour Harnoncourt, Genoveva de Schumann est un sommet dans le genre opĂ©ra psychologique et mental, et Aida de Verdi, de la pure musique de chambre, ⊠mĂȘme Brahms y paraĂźt tel « un vieux garçon usé ». Lâesprit de Nikolaus Harnoncourt nâa jamais cessĂ© dâĂȘtre depuis ses dĂ©buts comme pionniers des relectures baroqueuses sur instruments anciens, dâune verve neuve, en dĂ©fricheur et en rĂ©volutionnaire : depuis 60 ans de pratique musicale, il ne cesse de nous ouvrir des horizons originaux et passionnants sur les Ćuvres. Un modĂšle et une personnalitĂ© Ă part⊠en ses temps de standardisation et de fadeur. Lecture indispensable.
Nikolaus Harnoncourt : La Parole musicale. SĂ©lection de textes, confĂ©rences, entretiens, traduits de l’allemand par Sylvain Fort. Actes Sud Beaux Arts, Hors collection. Septembre, 2014 / 10 x 19 / 240 pages. ISBN 978-2-330-03407-8. Prix indicatif : 22, 00âŹ