mardi 19 mars 2024

LIVRES, compte-rendu critique. Giacomo Meyerbeer par Violaine ANGER (Bleu Nuit éditeur)

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meyerbeer-annonce-livre-par-classiquenews-giacomo-meyerbeer-bleu-nuit-editeur-clic-de-classiquenewsLIVRES, compte-rendu critique. Giacomo Meyerbeer par Violaine ANGER (Bleu Nuit éditeur) – Né à Berlin au sein d’une riche famille Juive (comme l’autre génie romantique qui l’a précédé : Mendelsohn), Giacomo Meyerbeer (1791-1864) affirme en France un puissant génie lyrique qui livre ses éblouissants accomplissements avant le Second Empire principalement dans le genre du grand Opéra français où la couleur de l’orchestre, la richesse et l’impact visuel des décors, l’éclat du ballet et de ses danseuses principalement, la force des portraits individuels comme le mouvement crédible des fresques collectives comptent à égalité. L’opéra selon Meyerbeer est autant musical que visuel et s’il était né au XXeme siècle, le compositeur aurait été au cinéma l’équivalent d’un Orson Wells… c’est dire.

CLIC_macaron_2014Condisciple apprenti de Weber dans la classe de leur professeur l’abbé Vogler, le Meyerbeer trentenaire se forge une première réputation en Italie sur le scène de La Fenice de Venise (triomphale partition et déjà aboutissement d’une série de premiers opéras italiens très convaincants : Il Crociato in Egitto de 1824) ; puis dans les années 1830 période dorée du romantisme français, le quadra suit Rossini (son contemporain ; seuls 6 mois les séparent) à Paris, et rivalisant avec son « modèle », Meyerbeer s’impose par une série de chefs-d’œuvres d’une modernité dramatique absolue, nouvel aboutissement de l’art total dans le sillon parallèle de Wagner : Robert le diable (concluant en 1831, une manière de trilogie composée avec La Muette de Portici d’Auber de 1828 et Guillaume Tell de Rossini de 1829, – soit une trilogie confirmant Paris, telle la capitale mondiale de l’innovation lyrique) ; puis Les Huguenots (1836), surtout œuvre clé de la maturité Le Prophète (1849).

 

meyerbeer classiquenews 220px-Meyerbeer_d'après_P._Petit_b_1865Avec son librettiste familier Scribe (auquel tout un chapitre est dédié : il était temps de réévaluer le poète dramaturge le plus passionnant du temps ; aussi prolixe à l’opéra que Hugo, son contemporain, aussi argenté grâce à sa plume), Meyerbeer fixe un nouveau modèle lyrique au moment où Verdi façonne son propre théâtre et avant que Wagner ne réalise son idéal théâtral et musical à Bayreuth, une éthique artistique et un idéal esthétique encore magnifiquement illustrés dans son ultime ouvrage L’Africaine (1865), lequel pose les jalons de ce que devrait être depuis le Guillaume Tell de Rossini de 1829, un certain art de la déclamation française depuis la tragédie lyrique transmise au xviie et xviiieme par Lully et Rameau. Enfin on ne saurait compléter le tableau des oeuvres majeures de Meyerbeer sans citer Le Pardon de Ploërmel dit aussi Dinora (1859) dont l’invention mélodique, les effets dramatiques, l’intelligence des possibilités scéniques renouvellent alors le genre de l’opéra comique.

 

Edité par Bleu Nuit, le texte de l’auteure a le mérite de la subjectivité et osant certaines assertions polémiques, suscite un débat qui doit inévitablement arriver : ainsi dans la « conclusion », relevons ce paragraphe au contenu assez étonnant pour ne pas dire déconcertant : « un certain discours affirme que Wagner est la seule voie historique de l’opéra, et Debussy le seul opéra français valable au XXè. Dans ce cas, on comprend trop souvent L’Orfeo de Monteverdi comme premier opéra et Meyerbeer comme une voie de garage ». Jusque là rien de surprenant. La suite est plus « problématique » : « Toute la production russe, anglaise… passe à la trappe. verdi survit comme in contre poids à Wagner (ah bon !!!???) : on ne peut pas être seul, et d’ailleurs dans ses dernières œuvres, il se rapproche de l’esthétique de Bayreuth » (donc Falstaff et Otello de Verdi sont « wagnériens » ???). Plus « intéressant » : « De Verdi et Wagner sont issus Strauss et Puccini, dont le mauvais goût reste un problème » : voilà qui mérite explication…

 

 

Génie de l’opéra romantique français

 

 

scribe-eugene-portraitNonobstant cette question, et la citation de ce paragraphe qui suscite des interrogations (il aurait fallu nous expliquer le « mauvais goût » de Strauss et Puccini), saluons la vision large qui restitue Meyerbeer dans son siècle, la révolution lyrique qu’il apporte, de complicité avec son fidèle librettiste, Eugène Scribe, lui aussi, précisément réhabilité, et loin de l’image d’un auteur décoratif et creux (c’est lui l’inventeur des ateliers d’écriture, préfiguration des bureaux de réalisateurs et scénaristes pour l’industrie actuelle du cinéma et des séries en plein essor…) – Scribe gagne une stature réévaluée dans un texte qui recherche à souligner le génie de l’écrivain, véritable architecte du drame moderne, capable de concilier spectaculaire et sens (n’en déplaise à Wagner), temps musical et temps dramatique, situations et cohérence de l’action… ; bien au contraire, les deux hommes, poète et compositeur, Scribe et Meyerbeer prolongent les avancées d’Auber dans le genre du grand opéra ; ils prennent le temps de concevoir des drames qui précisent la conception du fatum, l’illustration d’une impuissance certaine qui musèle l’homme, le héros à un destin contraire qui le dépasse ; comme chez Verdi, Meyerbeer façonne un modèle lyrique dans le genre grand opéra qui propose une vision finalement pessimiste de l’humanité, ce avec d’autant plus d’acuité et de pertinence qu’il intègre les dernières possibilités techniques mises à disposition pour la scène lyrique et aussi usant d’un nouveau réalisme, qui de fait, n’a rien à voir avec cette réputation abusive d’un opéra décoratif et pompeux. Dans le théâtre de Meyerbeer, aucun héros ne trouve le bonheur sur cette terre ; il est même écrasé par le mouvement collectif. Ainsi meurent à la fin des Huguenots, les protestants massacrés, Raoul et Valentine ; ainsi meurent dans un incendie salvateur, le fils et sa mère dans Le Prophète… et dans la dernière scène de L’Africaine, l’héroïne Sélika pourtant amoureuse de Vasco, se sacrifie pour lui, afin qu’il puisse fuir avec celle qu’il aime depuis toujours, Inès… Dans chaque drame, la grandeur d’un personnage fait la valeur déchirante de l’action, mais aussi la violence terrifiante de la vision : que vaut l’héroïsme d’un seul coeur, face au grand souffle cynique de l’histoire ? On croirait de fait assister à un opéra verdien. Mais verdi comme Moussorgski ne connaissaient-ils pas chaque drame de Meyerbeer ? Il n’y a peut-être que Dinora de 1859 qui sur un registre apparemment plus léger compense ce fatalisme répétitif. Mais l’auteur jamais creux y glisse et réalise avec ses librettistes Carré et Barbier, un troublant jeu sur l’illusion et les tromperies de l’image… A chaque drame, une réflexion très pertinente sur le genre concerné.

L’intérêt de l’auteure se concentre sur le sens et les enjeux esthétiques des 6 premiers opéras italiens (soit les origines du compositeur (de Romilda de 1817… à Il Crociato in Egitto de 1824), puis l’auteure analyse chaque drame nouveau de la maturité, soulignant combien Meyerbeer a su avec génie réaliser les vertus d’un ouvrage réussi : souffle de l’histoire dans les scènes collectives, puissance sacrificielle des sentiments individuels. Sont remarquablement restitués dans leur intelligence spécifique : Robert le diable (« un opéra qui fait date ») ; l’opus central : « Les Huguenots, ou l’affirmation d’un genre » (en l’occurence le genre historique non fantastique) ; Le Prophète (1849, pilier de l’époque de la gloire internationale) ; …

Il était temps de dédier une biographie complète, argumentée, illustrée comme celle publiée par Bleu Nuit éditeur, au génie de l’Opéra français, un pilier dont la compréhension est préalable et nécessaire dans le champs florissant des résurrections actuelles, dédiées au romantisme français. Fort heureusement, parfois polémique, mais juste quant à la révélation du génie de Meyerbeer, le texte édité par Bleu Nuit rétablit la mesure d’un immense créateur pour l’opéra : le maillon essentiel entre Rossini et Verdi, créateur de l’opéra romantique le plus captivant. A quand une renaissance et une véritable réhabilitation de Giacomo Meyerbeer, outrageusement et honteusement oublié ? Cet essai biographique tend à souligner l’urgence d’un regain d’intérêt pour l’auteur de Dinora et de L’Africaine, nos deux ouvrages préférés du grand Giacomo. CLIC DE CLASSIQUENEWS DE MARS ET AVRIL 2017.

 

 

 

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LIVRES, compte rendu critique. GIACOMO MEYERBEER par Violaine ANGER. Bleu Nuit éditeur, collection “horizons”. Parution : le 14 avril 2017. CLIC de CLASSIQUENEWS 2017

 

 

 

Meyerbeer_d'après_P._Petit_b_1865

 

 

 

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