jeudi 18 avril 2024

Les Temps Modernes: Fedele, Wen Dequing…Lyon, Hôtel de Ville. Mardi 15 novembre 2011

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Les Temps Modernes
Fedele, Wen Dequing…

Lyon, Hôtel de ville
Mardi 15 novembre 2011

Le groupe à géométrie variable instrumentale des Temps Modernes poursuit son chemin,…et parfois est réinvité dans sa Cité. Le 15 novembre, à l’Hôtel de Ville, 5 compositeurs contemporains– trois Français, un Italien, un Chinois- aux langages certes divergents, mais que réunit une écriture à la fois rigoureuse et séduisante, pour explorer des paysages intérieurs.


Eclectisme, hors dogmatisme

Les Temps Modernes, groupe à géométrie variable de musique, et habituellement conduit par Fabrice Pierre, poursuit son action en voyageant – parfois très loin, en Extrême Orient, par exemple -, mais également dans un rayon plus modeste, et régional. Il arrive même aux T.M. d’être prophète…en leur ville de fondation et de résidence. Trop rarement, ajouterons-nous volontiers, aussi faut-il saisir – et cette fois sous les dorures un peu chargées de post-baroquisme, aux Grands Salons de l’Hôtel de Ville- une occasion de concert comme celle de la mi-novembre. D’autant que les cinq compositeurs joués par T.M. sont représentatifs des choix et recherches accomplis par un groupe qui professe l’éclectisme , et en tout cas, hors dogmatisme, ne se sent et ne se dit « porte-parole » d’aucune école dominante, à plus forte raison excluante. Chacun des 5 aime célébrer l’indépendance de son écriture, et en a sans doute déjà largement témoigné.

La mélancolie fondante d’un Aiscrim

Le compositeur italien Ivan Fedele, né en 1953, avait travaillé le piano avec Bruno Canino et l’écriture avec Franco Donatoni, et s’était formé aux mathématiques (par son père) et à la philosophie. Son œuvre (concertos, pièces d’orchestre, musique de chambre) est très jouée en Europe, depuis son Prix Gaudeamus à Amsterdam ; elle fait l’objet de nombreuses commandes (Intercontemporain, IRCAM, Radio-France, Contrechamps), et a été interprétée par E.P.Saalonen et P.Boulez. Elle joue sur « l’interaction permanente dans la composition, la volonté de transmettre des formes facilement identifiables, un rapport éminemment musicien à la technologie, de nouvelles stratégies qui allient certains aspects narratifs du modèle classico-romantique et les innovations ou les nouveaux moyens électroniques d’écriture du dernier demi-siècle ». Son Aiscrim(1984 : n’a-t-il pas eu le temps de fondre ? ), au titre de connotation humoristique – un trait tout à fait « fidelien » – est un trio pour piano, clarinette et flûte. Cette composition est « de caractère léger et plaisant, bien que teintée parfois d’une discrète mélancolie ».

Harmonie pythagoricienne et keplerienne

Alain Gaussin, né en 1943, avait lui aussi reçu une formation scientifique et mathématique avant de bifurquer vers la musique. Au CNSM de Paris, ce fut Messiaen, mais il alla également vers l’électro-acoustique (GRM) et l’informatique (IRCAM). Son « Harmonie des Sphères » (2006) est « empruntée à Pythagore et Kepler, et souligne l’importance poétique et métaphorique de ces références. La partition conserve l’idée des trois dimensions de l’espace ; sa 1ère partie « développe l’entrelacement de lignes-rubans, dédoublées par l’utilisation de différents types de miroir ». La 2nde, « Malaise d’adolescent » -(pourquoi ? amenez votre ado préféré, il vous dira que c’est si peu fréquent à son âge !), « trace une ligne droite sans fin, et, selon l’exemple de Scelsi, avec des sons sphériques et ronds ». La 3e, Mouvements Quantiques, fait pénétrer « dans l’infiniment petit, là où l’univers probablement a été créé. L’ensemble évolue dans une sorte de canevas perlé, démultiplié, pour s’achever au centre d‘une galaxie. »

Les multiples facettes du temps

Jean-Luc Hervé a, lui, étudié la composition avec Emmanuel Nunes et Gérard Grisey, puis s’est tourné vers une formation en IRCAMIE (nouvelles technologies), menant de front recherche et écriture. Il a été en résidence en France, Allemagne et Japon. A Kyoto, en 2001, il dit avoir reçu « un grand choc esthétique, déterminant pour son inspiration. » T.M. a créé en été 2011 au Festival de la Grave son « En mouvement », pour flûte, clarinette, trio à cordes et percussion. En face de « l’instant devenu hégémonique, la musique invite à redécouvrir les multiples facettes du temps : temps musical, temps tournant répétant les événements du cycle naturel, temps de la matière, cosmique, étiré sur des échelles si grandes qu’il semble immobile. La pièce réalise ainsi un parcours : naissance et développement d’une phrase musicale, puis en ralentissant, dérive vers le temps cyclique des phénomènes biologiques… »

L’esprit souffle d’où il veut

Wen Deqing, né en 1958, avait dû conquérir la musique, pendant une enfance socialement très difficile, puis dans les années-prisons de la révolution culturelle chinoise. C’est de 20 à 33 ans qu’il put mener plus normalement dans son pays des études musicales universitaires, qui lui firent prendre contact avec les partitions et les théories jusqu’alors interdites de l’Occident, et il obtint là des diplômes et des Prix (Composition, à Pékin). En 1991, il gagne la Suisse, où il se perfectionne en écriture auprès de Jean Baltassat (et en France, avec Gilbert Amy). Enseignant à New-York mais aussi de retour à Shangaï, il a aussi été en résidence à Davos ; sa musique est jouée notamment en Suisse (commandes de Contrechamps, Festival Archipels, du Quatuor Arditti), France et à Taïwan. L’œuvre ici interprétée par T.M. date de 1994. Qi (Le Souffle) s’inscrit dans la rencontre Orient-Occident que recherche depuis le début ce compositeur fervent du dialogue entre civilisations et époques musicales, mais ici l’inspiration et la structure penchent davantage vers sa propre histoire culturelle et philosophique. « Les Chinois, explique Wen Deqing, considèrent que le yin et le yang se trouvent dès l’origine dans l’univers et que toutes les créatures sont animées par le Qi ». Les notes occidentales ont ici été regroupées et une permutation organisée selon cette alternance yin-yang, et c’est les 64 hexagrammes du Livre des Mutations (ouvrage divinatoire « classique » dont les parties les plus anciennes remontent jusqu’au IIe avant J.C.) qui orientent l’œuvre selon 6 traits masculins et féminins, et six registres…pour six instrumentistes ».

L’univers de Sarn

Une très longue maladie avait forcée Pascal de Montaigne à interrompre jusqu’en 1980 ses activités de composition, mais son catalogue comporte désormais plus d’ une soixantaine d’œuvres. Son langage « indépendant » a été aussi fortement marqué par l’enseignement de l’organiste et compositeur Loïc Mallié, qui l’a aidé à « faire évoluer un style où l’imaginaire, libéré d’ne longue gestation intellectuelle, va s’ouvrir à son propre monde sonore ». A l’intérieur de cette recherche, la série des « Sarn » joue un rôle déterminant. Sarn semble a priori être un phonème de langue indéterminée, et avoir une dimension rituelle, voire conjuratoire. En fait cette « vision d’un très étrange et sauvage univers qu’on peut percevoir en se penchant au dessus de l’abîme, à mi-chemin entre vertige et volupté » a ses sources dans un roman-culte (on dit ainsi, de nos jours) de Mary Webb (1881-1927). La romancière anglaise, qui s’inscrit dans un courant post-romantique, et sera « continuée » (mais dans un tout autre « monde » » culturel) par Virginia Woolf, avait donné avec Sarn un texte visionnaire, en grande part autobiographique, plongé dans un univers hanté, avec ses étangs magiques et dangereux : « L’étang de Plash était plus grand que celui de Sarn, et privé d’arbres, si bien qu’aux endroits où les collines ne l’entouraient plus, les nuages semblaient y naître et me faisaient penser aux grands nénuphars qui fleurissaient aux bords de Sarn. Il y avait à Sarn le trouble des eaux et les cloches d’un village englouti, résonnant dans ses profondeurs. On avait bien raison de dire qu’ici on éprouvait quelque chose de singulier… »

Cette singularité trouvée par la musicienne dès qu’elle eut fait et refait la lecture de Sarn a constitué, sans doute en s’enracinant dans la mémoire des paysages (les choses et les êtres) de l’enfance, un nœud psychique et esthétique. Et qui a accompagné – accompagne encore ? – « de longues années de souffrance »… Il en est sorti l’idée d’une œuvre « en progrès »… calculé : 9 Sarn, dont chaque gradation augmente d’une unité instrumentale. Sarn I est pour le piano, Sarn IV pour le quatuor à cordes, and so on, jusqu’à ce Sarn IX d’aujourd’hui, où piano et quatuor à cordes sont rejoints par flûte, hautbois, clarinette et basson. « En 4 mouvements, Sarn IX procède par accumulation d’éléments mélodiques et rythmiques, pour mieux préparer leur éparpillement dans le perpetuum final. D’abord musique mouvante, fluide et changeante, puis dans le bloc final, la réunion vigoureuse de tout ce qui avait été semé et le projette dans le devenir…comme pour nous faire entendre que, certainement, tout cela devra recommencer, mais où, et quand ? seul le compositeur, peut-être, le sait. » (Loïc Mallié)….

Lyon, Hôtel de Ville. Mardi 15 novembre 2011, 20h30. Temps Modernes, dir. Fabrice Pierre. Œuvres de Ivan Fedele, Wen Dequing, Alain Gaussin, Jean-Luc Hervé, Pascal de Montaigne. Information et réservation T. 06 08 60 29 73 ; [email protected]

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