jeudi 28 mars 2024

Leo Delibes: Coppélia (Bart, 2011)1 dvd Opus Arte

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Divina Coppélia

Avec Gisèle, Coppélia est l’emblème du ballet romantique français. L’ouvrage découle d’une collaboration riche et fructueuse entre Léo Delibes (mélodiste et orchestrateur de premier plan) et le danseur et musicien, Arthur Saint-Léon, lequel fournit au jeune compositeur, idées, astuces mais aussi mélodies glanées pendant ses voyages nombreux entre Paris et Saint-Pétersbourg où le mène sa carrière paneuropéenne, plutôt très active. L’écrivain archiviste à l’Opéra de Paris, Charles Nuitter adapte pour eux, l’intrigue d’après la nouvelle de ETA Hoffmann (Der Sandmann, 1816) dont s’est aussi largement inspiré Offenbach pour son premier tableau des Contes d’Hoffmann (acte d’Olympia): Nathanaël tombe amoureux de la fille du professeur Spalanzani: Olympia, une créature divine qui n’est… qu’une automate, créé par Spalanzani avec la collaboration du savant délirant Coppélius (Coppola). Mais les deux géniteurs se disputent et la poupée en fait les frais: elle perd ses yeux… Nathanaël témoin de la bagarre, comprend qu’il a été trompé et devient fou. Clara sa fiancé apaise un temps son tourment mais le jeune homme, aveuglé et trahi, se suicide du haut du clocher de l’église, après avoir aperçu dans la foule au-dessous, le mystérieux Coppélius. Fantastique et tragique se mêlent ici pour créer un spectacle à la magie illusoire; l’onirisme cède le pas au vertige de l’amertume et de la tromperie… Le ballet a été conçu par Saint-Léon qui travaille en très étroite complicité avec le compositeur Delibes.
Dans la transcription pour l’Opéra impérial, Nuitter édulcore la gravité originelle et l’ambivalence onirique et fantastique du drame: il en fait une comédie légère non dénuée de profondeur et d’éclairs mystérieux: ainsi naît le ballet Coppélia ou la fille aux yeux d’émail présenté à l’Opéra le 25 mai 1870. Olympia devient Coppélia; Nathanaël, Franz; Clara, Swanilda. Le succès est immédiat; l’Empereur conquis ne ferma pas les yeux pendant la création, (c’est dire!) et après 40 représentations, le ballet est transféré au Palais Garnier flambant neuf en 1875, devenant l’un de ses spectacles emblématiques.
L’Opéra national de Paris profite de la reprise de l’ouvrage en 1996 pour actualiser la version originelle de Saint-Léon. L’ex danseur et maître de ballet à l’Opéra, Patrice Bart, réécrit le profil des personnages (Spalanzani devient l’assistant du professeur Coppélius qui est un aristocrate déçu par l’amour), ajoute des musiques complémentaires d’autres partitions de Léo Delibes (extraits de Lakmé, du Roi l’a dit…) … il fusionne aussi les figures de Coppélia et de Swanilda: car pour raviver l’amour et la flamme (le goût à la vie) de Coppélius, Spalanzani s’engage à prendre l’âme d’une innocente afin d’en doter la poupée qu’ils ont fabriqué. Mais à mesure que la jeune femme perd sa flamme au profit de la poupée, Coppélius se sent attirer par la jeune femme ainsi dépossédée. Tableau essentiel, dans l’atelier de Spalanzani, Swanilda revêt le costume de la reine des blé, puis danses des figures espagnoles et écossaises, s’identifiant à la ballerine dont fut tant épris Coppélius… la danseuse réelle éblouit par son élégance: elle dépasse même ce que fit la poupée.
Patrice Bart approfondit le rôle de Frantz: il est étudiant (et non plus silhouette à peine élaborée du ballet de Saint-Léon où le rôle était traditionnellement dansé par une femme!). Pas de deux, pas de trois, le personnage du jeune homme prend ici de l’épaisseur… C’est lui qui sauve Swanilda du piège tendu par les deux hommes mûrs prêts à ravir son âme trop enviable.

La production présentée en mars 2011 au Palais Garnier souligne la part du fantastique et du rêve, tout en permettant aux deux jeunes amants de se retrouver dans un duo triomphal. Ni le port altier de prince blessé mais digne qui s’ouvre enfin à l’amour de José Martinez, ni la grâce aérienne de Dorothée Gilbert, sans compter l’excellent et malicieux Fabrice Bourgeois (Spalazani équivoque et idéal) n’affectent l’excellente réalisation de cette Coppélia 2011 dans la vision en rien datée de Patrice Bart: la dramaturgie reconstituée par le chorégraphe et ex danseur étoile de l’Opéra de Paris, délivre toujours ses qualités visuelles et théâtrales. Même le Frantz de la jeune étoile (parfois fébrile dans ses enchaînements, Mathias Heymann) défend avec conviction un personnage totalement repensé… Les ensembles sont soignés; le duo des jeunes amoureux rééquilibre absolument l’action du ballet romantique et les options parisiennes (décors et danse) savent régénérer ce caractère de féerie et de mystère, de fantastique entre illusion et réalité, tragédie et art qui font de Coppélia, l’un des ballets romantiques français les plus captivants. Dommage cependant que l’Orchestre Colonne n’exprime en rien la finesse instrumentale de la partition, l’un des joyaux du romantisme musical… que les orchestres d’époque, Les Siècles en tête, savent si superbement transfigurer. A quand une reprise de Coppélia avec orchestre d’époque? Le bénéfice musical en sortirait largement gagnant comme la magie de la réalisation scénique et chorégraphique. Un spectacle où l’illusion et l’imaginaire pèsent de tout leur poids, le mérite définitivement.

Production magistrale qui mérite absolument sa publication en dvd. Swanilda: Dorothée Gilbert. Frantz: Mathias Heymann. Coppélius: José Martinez. Spalanzani: Fabrice Bourgeois. Corps de Ballet de l’Opéra national de Paris. Orchestre Colonne. Koen Kessels, direction. Chorégraphie: Patrice Bart (1996). Filmé à Paris, Palais Garnier, mars 2011. 1 dvd Opus Arte

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