jeudi 28 mars 2024

Ken Russel: The Music lovers, la symphonie pathétique1 dvd Bel Air classiques (réédition du film de 1971)

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Ken Russell : The music lovers (1971, réédition). En 1971, le réalisateur provocateur Ken Russel (1927-2011) auteur des Diables (fantaisie baroque tout aussi déjantée), futur auteur de Mahler, Lisztomania et de Valentino (avec Noureev), s’empare ici de la vie de Tchaïkovski pour en faire un biopic psychédélique, souvent hystérique mais aussi façonné dans ses délires exacerbés comme une comédie musicale qui déborde de son propos classique vers la pure fiction débridée version Terry Gilliam ou les Monty Python. Aujourd’hui, c’est moins l’histoire traitant d’un mythe homosexuel qui heurte que la forme déjantée de l’objet cinématographique dont bon nombre d’effets et de séquences confinent à l’opéra, empruntant au genre musical des poses et des situations plutôt artificielles, excessives voire parodiques : Russel semble donc pleinement assumer ses emprunts au genre parfois larmoyant d’un surromantisme sirupeux (pas une scène sans ses cris, ses élans passionnés, ses déchaînements en tout genre).


biopic psychédélique

Comme souvent chez Russel, l’homme y passe un scanner complet, dévoilant ses tares, ses faiblesses, ses vertiges non analysés qui devant la caméra produisent la pathologie d’une démence individuelle et collective (c’était le même sujet dans les Diables). Le héros Piotr est traité tel un animal passionné donc exacerbé, aux sursauts excessifs qui voisinent avec la surenchère la plus débridée. Les puristes et musicologues n’y retrouveront certes pas le compositeur, bourgeois et secret, réservé et pudibond dans ce portrait au romantisme caricatural, semé de visions défigurées où les gros plans sur les visages, les mouvements de caméras et les nombreux plans séquences, superbement réalisés d’ailleurs, indiquent toutes les obsessions jusqu’à la folie d’un  » héros  » plutôt habité par l’obsession et l’angoisse de l’échec amoureux. Piotr veut se fondre dans le moule social au risque de se perdre dans un mensonge dangereux: exit son amant fortuné (Chilouski/Christopher Gable), mais mariage expédié avec Antonia Milioukova (Glenda Jackson) dont Russel fait une nymphomane libérée qui après avoir séduit un officier éthylique, fait l’assaut du compositeur déjà fragilisé par ses pulsions mal vécues (Richard Chamberlain)… le professeur au Conservatoire de Moscou croise aussi le chemin de la Comtesse Von Mack (Izabella Telezynska) qui mélomane névrosée s’éprend elle aussi jusqu’à la folie de la musique du divin Piotr. Toute la matière du film balance entre ses 3 personnages, chacun favorable et protecteur puis sombrant soit dans la haine dénonciatrice (l’amant éconduit), soit dans le lynchage (la comtesse) ou la … folie (Nina).

Et la musique est omniprésente, structurant même les développements imagés, inféodant à la caméra ses mouvements, sa chorégraphie propre; les cadrages serrant au plus près les protagonistes selon le rythme de chaque partition choisie. A l’époque où Piotr rencontre et épouse Nina, il compose l’opéra Eugène Onéguine dont la fameuse lettre des aveux écrite par Tatiana (à Onéguine) se confond dans le film de Russel, avec celle que lui adresse alors Antonina tombée amoureuse du musicien… L’air de la lettre (chanté en anglais) inspire une scène parmi les plus kitsch du film conférant à la sensibilité du réalisateur britannique un style proche du musical. L’imagerie de Russel nourrit les visions terrifiantes de Piotr-Chamberlain: quand ses ennemis tirent au canon dans sa direction pour mieux l’abattre… tout cela réalise une fiction expressionniste, hallucinogène et magistralement décadente, dont les tares cachées du musicien sont outrageusement dévoilées sous la lorgnette du cinéaste voyeur avec ce goût assumé pour les envolées lyriques non dénuées d’humour et de délire (voir la scène de la nuit dans le train quand les mariés quittent saint-Pétersbourg pour Moscou: chevauchée terrifiante pour le musicien confronté à la nudité du corps et du sexe féminin !).

Evidemment tout cela paraît un rien soit outrancier soit systématique, mais la réalisation des plans séquences, l’imaginaire si fantasque et cynique d’un Russel séditieux sur le motif tchaïkovskien relève d’une forme personnelle qui saisit par son sens du rythme et des passages contrastés : Milos Forman en fera bon usage dans son Mozart à venir : l’illustration des fantasmes qu’inspire à Nina la musique de Piotr jouant son Concerto pour piano et cette chevauchée en calèche qui court selon la digitalité enfiévrée du compositeur est emblématique de tout le film : délirant, déjanté et finalement souvent comique.

Même si l’irrévérence du cinéaste défigure l’image de Tchaïkovski, par sa liberté formelle et ses audaces d’écriture, le film de Russel reste saisissant, réussissant en particulier le choc du cinéma et de la musique classique en une course échevelée aux visions hallucinées.


Ken Russell : The music lovers. La Symphonie pathétique. Réédition. 1 DVD Bel Air Classiques (2012). BAC 091

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