vendredi 29 mars 2024

Henry Purcell: Didon & Enée. William Christie Arte, lundi 1er février 2010 à 22h30

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Henry Purcell
Didon et Enée
, 1692



Arte
Lundi 1er février 2010 à 22h30

Belle vision poétique et nuancée qui semble, à ses débuts, nous faire pénétrer dans le beau jardin de Didon, reine carthaginoise. Mais la souveraine est une amoureuse trahie, impuissante et démunie… comme la belle et solitaire Echo qui à défaut de ne pouvoir dialoguer avec le beau Narcisse, adolescent chasseur du daim (comme il est dit et narré en ouverture de l’opéra dans les 10 premières minutes), répète toutes ses dernières phrases au risque de malentendus douloureux, s’alanguit et désespère de ne jamais pouvoir étreindre le bel apollon de ses rêves… A son amorce le spectacle présenté à l’Opéra Comique en 2009 ne manque pas de piquant. Hélas les choses se gâtent ensuite en raison d’une mise en scène bien terne, et surtout d’une direction musicale, bien ennuyeuse, sêche, systématique et sans guère de nuances; est ce vraiment le « grand Christie » qui dirige?

Avant l’opéra, l’intermède théâtral met en parallèle le destin de deux victimes de l’amour. Ainsi Echo, ainsi Didon … âme désespérées et solitaires, vouées à la mort qui partagent le sort de toutes les femmes désespérées et abandonnées. Le vertige d’une souffrance indicible est leur lot commun. La belle et sombre Didon, dès le début de la mise en scène, dans sa robe jaune passée, s’inquiète et s’effondre de dépit. Elle est déjà dans l’autre monde, celui des spectres errants, dépossédée du seul amour terrestre qui l’empêchait de succomber. Et quand Enée la quitte, la pauvre femme souffle ses derniers instants en un lamento final parmi les plus saisissants de l’histoire baroque.

Pour relever et épicer la palette des contrastes, Purcell sait éclairer d’une couleur âpre et violente la tristesse vénéneuse de Didon en imaginant au début du II, le tableau surnaturel et fantastique de la sorcière qui invoque les esprits les plus effrayants, suscitée pour soumettre davantage le destin de la reine indigne. Contrairement à d’autres versions dirigées également par Christie, la prophétesse infernale est ici un alto féminin (aux ports de voix bien peu musicaux). Avec ses deux suivantes, la magicienne qui déteste Didon, s’encanaillent en poses vulgaires et aigres… Vocalement parfois engagées, les chanteuses finissent par en faire trop, surenchère, mère de lourdeur… quand simultanément à leur serment empoisonné, de vrais équilibristes suspendus dans les airs, devraient donner un peu de légèreté (!!).

Le spectacle manque d’ailleurs de fraîcheur comme d’originalité: on a cent fois vu une vieille haineuse fumer la cigarette (ce que ne nous épargne pas la sorcière devenue un temps une nouvelle Carmen de l’âge baroque); on a vu et revu cent fois, ces effets d’ombres chinoises, et en fin de tableaux, comme au début de leur présence sur les planches, entendu les cris d’enfants et de choristes… Les idées au début intéressantes finissent pas lasser, trop systématiques.

Parmi les solistes, la Belinda de Judith van Wanroij, pose, s’applique, sans vraiment sortir du cadre joli qui est apparemment de rigueur ici; l’Enée de Christopher Maltman se distingue nettement par un engagement moins affecté: même s’il n’oppose qu’une bien mince résistance à la volonté des dieux désireux de le voir partir et quitter la souveraine, le baryton offre une évidente épaisseur à son texte. Il partira certes mais la mort dans l’âme…; et Malena Ernman que nous avions tant apprécié dans Julie de Philippe Boesmans, semble étrangement absente du début à la fin. Sauf sa dernière confrontation avec Enée où elle prononce elle-même l’ordre du départ de son aimé… L’air halluciné depuis le début se fait ici non sans justesse, visage d’une blessée déjà morte… et sa mort atteint un pathétique digne d’une tragédie classique.
Sans posséder réellement l’éloquence baroque ni l’articulation purcellienne, la soprano s’améliore en cours d’action. Et sa fin est le sommet de l’interprétation.

Cela suffit-il pour imposer cette lecture trop sage à notre avis? Ceux qui ne connaissent pas l’oeuvre de Purcell, son chef d’oeuvre d’efficacité et de franchise juste et sincère, mais qui passa inaperçu de son vivant (à peine mentionné dans les témoignages de l’époque) pourront trouver ici prétexte à découverte honnête et lisible. De la part de Christie, on espérait plus incandescent, plus expressif et contrasté, plus ardent et sanguin. Tout est bien british, propre voire lisse. Osons dire notre déception. La lecture sans vraiment être indigeste, reste polie, « à la Christie ».

Lire aussi notre dossier spécial Didon et Enée de Purcell

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