vendredi 29 mars 2024

Halévy, La Juive (1835). Paris, Opéra Bastille. Du 16 février au 20 mars 2007

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Jacques Fromental Halévy,
La Juive
, 1835
Paris, Opéra Bastille
Du 16 au 20 mars 2007

Le 16 février 2007, un opéra monumental, comprenant un quintette de protagonistes difficiles à distribuer, des choeurs impressionants, un orchestre fourni, réapparaît sur la scène de l’Opéra de Paris d’où il avait été banni en avril 1934. Comme au moment de sa création, la reprise est d’autant plus attendue qu’elle annonce un plateau vocal exceptionnel: Anna Maria Antonacci dans le rôle de Rachel, Neil Shicoff (spécialiste du rôle de son père adoptif, Eléazar), surtout Annick Massis prêtant sa voix à Eudoxie.

Un sujet fascinant

Quant Meyerbeer compose Les Huguenots, Halévy d’origine juive également, se passionne pour Rachel. Et le titre de son opéra ne fera pas mystère de son identité. La Juive, malgré les critiques immédiates qu’elle suscita, provoqua une fascination irrépressible sur le public parisien et européen, à partir de sa création à l’époque de la Monarchie de Juillet, en 1835, imposant un musicien âgé de 36 ans.
Scribe conçoit d’abord le livret avant de trouver le compositeur digne de le mettre en musique. L’action se déroule à Constance, en 1414.
Comment ne pas succomber à la force de l’intrigue? Ici, un orfèvre juif qui au moment du sac de Rome par les lombards, recueille la fille du magistrat Brogni qui avait pourtant exécuter ses fils et l’avait fait condamner à l’exil. Tu chériras tes bourreaux… et leurs enfants.
Mais Rachel élevée comme une juive découvre que son amant le chrétien Léopold, est l’époux d’Eudoxie, nièce de l’Empereur. Forte et loyale, Rachel dénonce l’adultère qu’elle a commis avec Léopold, vouant à la mort Léopold mais aussi son père Eléazar. Brogni devenu Cardinal, invite la fille et le père à abjurer la religion juive et à se convertir, s’ils veulent échaper à la mort. Il s’entête coûte que coûte à sauver la jeune fille dont il se sent proche. La tentative reste vaine.
Au moment de mourir, Eléazar désigne Rachel comme la fille du cardinal mais il est trop tard, l’ordre a été donné et l’enfant est exécutée. Cruauté originelle de Brogni, vengeance radicale d’Eléazar. Tu as fait exécuter mes fils, je t’ai conduit à condamner ta fille.
Quand Scribe lui raconte l’intrigue, Halévy est subjugué par la violence des passions qui s’y opposent et qui associe, dans la même mouvement, très étroitement chacun des personnages. Prix de Rome précoce, à 20 ans, en 1819, le musicien végète: il n’a pas trouvé l’opportunité de composer une oeuvre d’envergure. Le disciple de Cherubini cherche un sujet. Sa rencontre avec Scribe se révèle donc miraculeuse.

L’ambiguïté d’Eléazar

La fascination du sujet vient du personnage d’Eléazar et des motivations réelles qui l’ont conduit à recueillir la fille de son tortionnaire. Esprit machiavélique capable de feindre la générosité pour se venger de la mort de ses propres enfants? Figure paternelle du pardon, soumis à la loi sadique d’un cardinal cruel?
La question reste entière, et aux côtés du genre du grand opéra, comprenant un fastueux déballage d’effets décoratifs, l’auteur ajoute la profondeur d’un mystère qui plonge dans l’inconscient le plus secret.
Pourtant même si l’on souhaite trouver des indices de la bonté d’Eléazar, il faut reconnaître qu’il aurait pu mieux défendre l’honneur de sa « fille » Rachel, qui s’est auto-accusé d’adultère. Dans ce silence presque criminel, le père inconsolable d’avoir perdu ses fils ne voulait-il pas s’en venger en versant le sang de l’enfant de son ennemi criminel, de surcroît en conduisant celui-ci à proclamer la sentence de mort qui fait abattre sa propre fille? Le sang sacrifié exige un autre sang versé. Terrible engrenage des haines homicides, entretenues et transmises de génération en génération. Car il est bien question de haine profonde dans La Juive: Léopold haït la religion de son aimée. Mais il est aussi prêt à tout quitter pour elle. De son côté, Eléazar abhorre ces chrétiens qu’il prend « plaisir à tromper ». Le juif diabolisé ici par Scribe, retors, calculateur et manipulateur, oeuvre pour la vengeance de l’ombre, silencieuse, implacable d’autant plus effroyable. Quand Brogni lui offre la paix, Eléazar refuse. De même Rachel veut aimer les chrétiens. Pourtant quand se précise la trahison de Léopold qui lui avait caché qu’il était marié, la jeune femme n’hésite pas à le dénoncer et se perdre avec lui.

Vision large, souffle épique

Inextricable liens qui nouent les êtres d’une tragédie qui les emporte tous. Contre la loi de la vengeance, l’opéra n’indiquerait-il pas l’échec de la haine, et donc ne militerait-il pas en faveur du pardon?
Pourtant l’ambiguïté demeure. Et c’est bien la violence et la sauvagerie de la psychologie brossée par Halévy, en une musique exceptionnelle, qui fonde ce drame à grand spectacle. L’intensité des personnages composant ce quintette d’une rare profondeur: Rachel/Eléazar, Léopold/Eudoxie, Brogni donne la chair et la vérité de ce qui n’aurait été par ailleurs, qu’une fresque historique. Or le compositeur pour son premier opéra, sait ouvrager l’éclat et les conflits secrets de chacun des personnages.
La vision qu’apporte Halévy, qui se souvient de Beethoven et de Cherubini, de Weber aussi et de Mozart, impose un souffle irrésistible. Cette grandeur exaltante, presque spontanée, jaillit dans La juive, y explique certaines irrégularités, quelques faiblesses. Or ici, le flot de la musique convoque la force des éléments, les vagues du destin. Une conception contradictoire avec celle de Scribe pour lequel rien ne devait freiner l’unité et la cohérence dramatique.
En digne suiveur d’un Véronèse, Halévy voir grand et large. Mais jamais la justesse et la précision du détail ne sont sacrifiées à l’unité de l’ensemble. Les protagonistes sont virtuoses (pour la création paraissent Cornélie Falcon et Adolphe Nourrit, dans les rôles de Rachel et d’Eléazar), le choeur spectaculaire, l’orchestre flamboyant. Du début à la fin de la partition, le compositeur favorise l’hédonisme des spectateurs. Cette opulence fut immédiatement comprise: elle explique combien le public de la Monarchie de Juillet succomba, avec raison, aux délices pourtant noirs et tragiques, de La Juive.

Les repésentations parisiennes 2007

La première du 16 février a été affecté par quelques dysfonctionnement des lumières à cause d’un mouvement de grève des électriciens de l’Opéra de Paris. Le 20, c’était Neil Shicoff dont on connaît l’anxiété avant chaque représentation en particulier pour le rôle (écrasant) d’Eléazar, qui déclarait forfait, et était remplacé par Chris Merritt, déjà prévu les 3 et 20 mars 2007.
Nul doute qu’à défaut d’une voix bien placée et désormais « ruinée », le ténor américain joue à présent uniquement sur son engagement physique, qu’il aime conduire jusqu’à ses extrêmes limites.
Hélas Chris Meritt étale un français beurré, sans accents, sans mordant, assez laid. Les spectateurs n’ont pas gagné au change. Heureusement il y a la mise en scène, subtilement pensée par Pierre Audi que semblent mieux comprendre la Rachel parfois crispée d’Anna Caterina Antonacci, et surtout le Léopold aux aigus fluides et souples de John Osborn. La révélation de la production est sans conteste Annick Massis qui campe une Eudoxie aimante, ardente, souveraine de port, de grâce, de puissance mêlées. Un prodige de vérité et de prestance qui rend au personnage son émotivité princière. Dans la fosse, Daniel Oren s’en tire plus qu’honnêtement: il rend les climats poétiques d’un grand spectacle dont on comprend que le XIX ème sut s’enivrer jusqu’à satiété (Guillaume Hugues Fernay, les 16 puis 20 février 2007).

CD

Antonio de Almeida, 1989
Pour Philips, et autour de José Carreras, le plateau vocal ne convainc que modérément, exception faite des deux sopranos: Julia Varady et June Anderson. La version comporte de regrettables coupures.

DVD

Deutsche Grammophon a filmé la prestation d’un spécialiste du rôle d’Eléazar, le ténor américain Neil Shicoff, embrasé, éruptif, sur la corde raide. Sa prestation fait l’attrait de la captation en provenance de l’Opéra de Vienne en 2003. A ses côtés, Krassima Stoyanova est une Rachel non moins ardente. D’autant que les options dramaturgiques de Günter Krämer ne manquent pas de piments, riches en tension théâtrale. Lire notre critique complète du dvd de la Juive de Halévy avec Neil Shicoff

Illustrations

Cornélie Falcon, la créatrice du rôle de Rachel en 1835 (DR)
Anna Caterina Antonacci et Neil Shicoff, Opéra de Paris 2007 © R. Walz
Girodet, Attala (DR)

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