jeudi 28 mars 2024

Gustav Mahler: Symphonie n°7. David Zinman, 2008. (1 cd RCA Red Seal)

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Symphonie du coeur

Une partition de caractère « essentiellement serein »: après les déflagrations introspectives de la 6è, « tragique », prise dans le vaste mouvement convulsif du cosmos (et qui entraîne avec lui le héros démuni, impuissant), la 7è serait-elle un temps de pause et d’approfondissement? Expurgé de toute amertume, grimace aigre et blessée, de toute déchirure… On aimerait croire le compositeur présentant ainsi son oeuvre à un impresario et agent de concert. Mais chez lui, le mode de la confession et de la sincérité n’étant jamais éloigné du pur sarcasme, on peut douter de sa parole… tout au moins de unique son premier degré.
Or nous voici au centre d’une symphonie du coeur, celle qui achève la trilogie des symphonies purement orchestrales, parmi les plus énigmatiques de leur auteur: David Zinman signe là son meilleur ouvrage, en compréhension, en aisance, en souffle, en éloquence aérée. Jamais épaisse ni démonstrative ou exhibitionniste, sa direction déploie des trésors de pudeur murmurée qui sous l’apparente diffraction de la sensibilité, offre plutôt dans le déroulement musical, une unité et une souplesse organique absolument stupéfiante. C’est un Mahler humain, humble, sincère qui s’offre ainsi à nous: la cohérence et l’équilibre des pupitres (cordes, bois, cuivres…) dessinent un paysage continûment profond, d’un fini de rêve. En architecte inspiré, le chef du Tonhalle Orchestra de Zürich sculpte avec tendresse le cadre symétrique du plan symphonique conçu par Mahler à l’été 1904: deux mouvements périphériques encadrent deux sublimes Nocturnes qui encadrent un Scherzo central.
Ici, l’homme trouve une fusion salvatrice avec le milieu naturel, ce motif qui chaque été dans les Dolomites, ou dans sa résidence estivale de Maiernigg au bord du lac de Wörth, exprime comme une totalité désormais réconciliée, les affres douloureuses et les cimes bienheureuses: paysage grandiose qui entre les lacs, les montagnes et les forêts redessinent la carte des sentiments humains: ce qui fait l’identité d’un être. Dès le premier mouvement, la sagesse rayonnante qui émane à partir de 11:34 montre ce recul apaisant et cette mise à distance d’un être sauvé désormais de lui-même, de ses récurrentes plaies conflictuelles. Gravité et renoncement face à l’opulente nature dont la fanfare de tenorhoorn (saxhorn baryton de la famille des tubas) doit résonner comme si la mère nourricière bramait du fond des forêts.


Per aspera ad astra

Les Nocturnes s’immergent avec une nouvelle conscience dans ce même sentiment de plénitude enchantée: la symphonie porte d’ailleurs le sous-titre de « chant de la nuit ». Per aspera ad astra, de l’ombre à la lumière (comme dans Fidelio), Mahler semble suivre le plan dessiné par Beethoven: errance et traversée dans les gouffres obscurs puis contemplation éblouie (lumineuse) du miracle de la vie. Le dernier mouvement serait d’ailleurs une évocation directe de la lumière du jour. De la matière s’élève le pur esprit transfiguré par sa compréhension intime du monde. Zinman embrasse le cycle entier avec une vision d’architecte, à la fois équilibrée et hédoniste, mais toujours d’un fini époustouflant par sa clarté et son allant. Ni contrastes hypertendus, ni dilution par trop de détails: le chef avance sans sourciller, sans retenue avec une sincérité désarmante. Somptueux, l’appel du cor (étagé entre écho et exposition grâce à la prise sacd) qui ouvre le premier Nocturne et ce caractère de forêt magique qui suit dans les bois et les vents… frémissements des éléments tapis dans l’ombre, caresse déjà amoureuse (plus encore dans le Nocturne II nettement indiqué « amoroso ») et vertiges émotionnels. La Nachmusik I fait aussi entendre, au rythme d’une marche qui fanfaronne, à la fois pleine d’espérance et de lyrisme sincère, les bruits des cloches des vaches dans les verts pâturages: évocation idyllique d’une nature chérie, tendrement embrassée: seul havre de paix et de réconfort (clameur conquérante des bois et des vents pareille au gazouillis bienheureux des oiseaux libres) pour l’auteur conquis… souvent exténué dans sa vie terrestre.
Le Trio central du Scherzo « axial » insiste davantage sur les rythmes hallucinés, en transe de ce mouvement versatile, d’une étonnante activité multidirectionnelle: là encore, orchestre et chef se montrent époustouflants: maîtrise et panique, précision et vibration délectable des timbres, danse exacerbée des cordes. Cela tient de la bacchanale sur un volcan, avec des éclairs parfaitement lustrés, d’un poli admirable: quelle sonorité!

La Nachtmusik II condense tout ce que le romantisme depuis Wagner a cherché en matière d’innocence et d’enchantement retrouvés (introduction au violon solo). Berceuse, immersion enchantée et nocturne, tout le mouvement recherche l’inconscience, l’insouciance des épisodes flottants et caressants d’une vie qui en compte si peu… Mahler sous la baguette de Zinman retrouve un état d’enfance bouleversant (clarinette et guitare/mandoline, scintillantes, à l’effusion tendre). La sérénité qui se dégage des deux Nachtmusik découle de l’absence totale de cynisme comme de dérision sarcastique, ailleurs si familière dans l’écriture du compositeur: rares épisodes d’un rêve attendri à écouter dans son premier degré.

Du final, dévoilement presque trop brutal, de la lumière, laide voire indécence dans un climat précédent d’intimes allusions, Zinman exprime la course répétitive d’un rondo qui erre en son mouvement suspendu, cavalcade où le chant des cloches reparaît de façon triomphale: le chef décuple des forces nouvelles vers une ascension en forme de victoire et de déferlement (grondements de janissaires), de secousses presque buffa, où perce souvent l’autodérision, une surenchère de traits grotesques (cependant mesurés par cette tendresse enchantée et permanente qui déborde des Nachtmusik): tous les pupitres répondent à sa direction endiablée, sautillante, énergique qui, au terme de son finale à la liberté orgiaque et primitive, signe l’un des plus beaux chapitres de son intégrale Mahler. Dans la versatilité des climats, David Zinman préserve construction et précision. Du grand Mahler: une voie médiane entre Bernstein et Haitink, entre un débraillé exhibitionniste et le sens du destin prébrucknérien. Chapeau bas maestro!

Gustav Mahler (1860-1911): Symphonie n°7 en ré mineur. Orchestre de La Tonhalle de Zürich (Tonhalle orchestra Zürich). David Zinman, direction. 1 cd RCA red seal. Durée:
1h18mn. Enregistré les 22-25 septembre 2008 (Suisse, Tonhalle de Zürich). Parution: juillet 2009

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