mardi 19 mars 2024

Genève, Grand Théâtre. Le 25 janvier 2017. Cavalli : Il Giasone, 1649. LG Alarcon / Serena Sinigaglia, mise en scène

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Il GasioneGenève, Grand Théâtre. Le 25 janvier 2017. Cavalli : Il Giasone, 1649. LG Alarcon / Serena Sinigaglia, mise en scène. GRANDE EXPLORATION DE L’OPERA VENITIEN… Un livre-disque dédié à Cavalli et l’opéra vénitien (à travers ses héroïnes tragiques : « Heroines of the venetian baroque » 2cd Ricercar), une récente résurrection à l’Opéra Garnier à Paris (Eliogabalo, ultime ouvrage cavallien sur un livret de Busenello / Paris, septembre 2016)…, le chef Leonardo Garcia Alarcon poursuit son exploration de la lyre vénitienne baroque  à Genève avec ce Giasone pétillant, plutôt riche en gags, dont la partition autographe (du moins l’un des manuscrits d’époque) se trouve toujours à la Bibliothèque Marciana de Venise (face au Palais des doges). Le mythe de la toison d’or comptant le chef des Argonautes partis à sa recherche, Jason, y gagne en rebondissements et séquences contrastées, selon la libre invention propre à l’opéra vénitien, l’un des plus imaginatifs depuis l’arrivée in loco du génie du genre, Claudio Monteverdi à partir de 1613. Composé en 1649 soit quasiment au milieu du Seicento (XVIIè italien), Il Giasone trouve ici un habillage fantaisiste dont les nombreux gadgets et références à toutes les époques, de la Renaissance à notre modernité, soulignent ce goût des Vénitiens pour le mélange des genres, voire un éclectisme qui n’oublie pas aussi une leçons mordante de réalisme psychologique. La mythologie et ses avatars est un prétexte à peindre la folie humaine mais sur un mode facétieux et satirique.

Il GiasoneEmblème de cette réalisation où prime le plaisir du jeu scénique, le contre ténor vedette Valer Sabadus, sopraniste en réalité aux aigus aussi acides que finement caractérisés dont la présence dramatique et une certaine subtilité avaient fait les délices déjà de la production d’Elena à Aix en Provence (2013) puis sur la scène d’Angers Nantes Opéra. Un disque DHM récital lyrique mettant en avant son timbre très identifié (Valer Sabadus, Caldara, Nuovo aspetto, novembre 2015), idéal pour les héros ou travestis à l’identité trouble et ambivalente nous avait de la même façon totalement convaincus : Sabadus est d’emblée plus naturel que ses « rivaux » actuels, eux aussi mis en avant par leur ainé à tous, ME Cencic :  le surestimé David Hansen, à la ligne vocal souvent étrangle,  et surtout Franco Fagioli dont on avait constaté la petitesse du volume sonore, dans le vaste espace de Garnier (Lire notre compte rendu d’Eliogabalo, ci dessus mentionné). Volage, habile, et pourtant déloyal – Giasone a fécondé deux femmes différentes dont il a eu des enfants de chacune-, le héros ici brossé avec panache et engagement trouve néanmoins de véritables élans amoureux crédibles voire saisissants, grâce au couple fusionnel que le chanteur réalise avec la mezzo-soprano Kristina Hammarstöm, interprète de Médée. Leur deux timbres produisent une alliance captivante sur scène qui donne chair et intensité à leur passion contrariée.

L’autre grand rôle féminin, rivale de Médée : Isifle, trouve en Kristina Mkhitaryan, une figure touchante par sa sincérité angélique, rafraîchissante et d’une candeur directe (sublime lamento final). Comme Sabadus, la soprano articule et soigne ses récitatifs, qui rappelons le sont un éléments fondamental de la continuité du drame musical vénitien (VOIR ici notre grand reportage sur le récitatif italien baroque / grand reportage vidéo Atelier vocal / récitatif italien et français du XVIIè). Ainsi se précise le théâtre vénitien du premier baroque, dans la veine du maître de Cavalli, Monteverdi : délire satirique et justesse des sentiments exprimés. Quand s’énonce une pique parodique ou cynique, la langueur grave de sentiments vrais n’est jamais loin. Voilà en quoi, l’opéra baroque « inventé » par Monteverdi à Venise (au début des années 1640, avec l’Incoronazione di Poppea) continue de nous interroger par l’équilibre des registres poétiques qu’il permet et sait cultiver.

Autre élément piquant et tout autant impliqué dans la facétieuse galerie de portraits ainsi présentée, l’Oreste à la fois noble et amusé du très respectable Willard White, plus familier des grandes productions romantiques… le cuivre patiné et magnifiquement poli de ses graves sonne idéalement comme ceux d’un grand héros de l’Antiquité. Ajoutons l’Egée de Raul Gimenez, stylé et racé, qui avec son valet Démos (épatant Migran Agadzhanyan, en volume comme en expressivité) forme une paire, dramatiquement irrésistible. Leur donnent la réplique l’Alinda délirante de Mariana Flores (épouse à la ville du chef Alarcon), le Cupidon déjanté de Mary Feminear, enfin la Delfa rien que lascive et paillarde du contre ténor Dominique Visse qui a fait des rôles travestis du théâtre vénitien, une spécialité toujours autant piquante.

Alarcon soigne l’articulation et les rebonds expressifs de son ensemble Capella Mediterranea. On souhaiterait parfois davantage de ciselure suggestive car souvent c’est l’emphase drôlatique qui prend le dessus, au détriment des épisodes plus introspectifs. Mais la volupté et l’ardent désir qui stimulent et excitent la tension collective s’accomplissent souvent dans une production qui aurait pu sombrer dans l’étalage et la confusion des détails. L’attention aux climats, atmosphères et paysages (tempête, nuits et sommeils, scènes de pure comédie, folies et confrontations amoureuses… y sont allégories de l’âme) est pourtant préservée, de sorte que l’on sort du spectacle, comme c’est le cas des meilleurs opéras montéverdiens : l’esprit à la fois déconcerté par la vivacité des séquences satiriques, mais aussi envoûté par le charme d’une musique érotique. A voir et à applaudir indiscutablement.

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Genève, Grand Théâtre. Le 25 janvier 2017. Cavalli : Il Giasone, 1649. Dramma musicale en un prologue et 3 actes. Livret de Giacinto Andrea Cicognini. Créé le 5 janvier 1649, Venise, Teatro San Cassiano. Version remaniée par Leonardo García Alarcón. Serena Sinigaglia, mise en scène. Nouvelle production. A l’affiche de l’Opéra de Genève jusqu’au 7 février 2017. https://www.geneveopera.ch/programmation/saison-16-17/il-giasone/

Diffusion sur Espace2 / Radio Télévision Suisse / Samedi 18 février 2017 à 20h

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