samedi 20 avril 2024

François Couperin: Intégrale des Sonates. Les Dominos. (Florence Malgoire, 2012)1 cd Ricercar

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Cela commence comme un somptueux lever de rideau imposant ses teintes sombres et solennelles mais d’une majesté éteinte, sensuellement ciselée, portant aussi l’élan intérieur d’une immense nostalgie: serait-ce déjà l’adieu au Roi Soleil, que traite aussi mais dans un autre tableau que celui choisi en couverture, le peintre Watteau, artiste de la fin du règne ? En prologue, cette Sultane n’a rien d’exotique mais différemment, elle porte avec une délicatesse de ton l’empreinte d’un monde aristocratique et raffiné qui s’efface (que renforce encore la gravité concertante des deux basses).

La voici donc cette marque distinctive d’une éloquence superbe grâce au jeu particulièrement nuancé des Dominos. Florence Malgoire, premier violon distinctif (ailleurs si convancante dans les formations orchestrales les plus applaudies) emporte son ensemble avec une flamme poétique remarquable: son chant intérieur éclaire tout ce que l’immense Couperin sait développer sur la source italienne en particulier corellienne: la tendresse pudique, l’éclat mordoré, l’allusion, la demi teinte, ce goût du retrait ciselé et de la somptueuse nostalgie (voir en correspondance les couleurs d’une ineffable variété chromatique des robes et costumes des comédiens peints par Watteau en couverture, – des Italiens justement dans ce chef d’oeuvre pictural conservé à Washington).


Eloquence des goûts réunis


C’est bien François Couperin qui permet l’essor de la Sonate purement instrumentale
, calquée sur le modèle corellien (à part le quatuor de la Sultane à deux parties de basse), toutes les Sonates sont en forme trio, mais avec ce caractère introspectif, et ce balancement tendre (français ?) dont la secrète alchimie tourne jusqu’à l’hypnose; parmi les sept Sonates (Sonades selon le titre de l’époque), certaines sont recyclées dans le recueil majeur (et tardif) des Nations de 1726 (telle La Pucelle d’une vitalité innocente et ses échos et répétitions d’une énergie régénérée, comme c’est le cas aussi des Sonates La Visionnaire la plus tardive du présent enregistrement; L’Astrée et La Convalescente, toutes rebaptisées dans Les Nations: La Française, L’Espagnole, La Piémontaise, L’Impériale)…
Même à l’évocation du front guerrier (La Steinquerque) où les fanfares menacent et trépignent, il s’agit aussi d’exprimer le retrait, la langueur qui sourd, l’expression d’un mystère pudique (clavecin, théorbe…): la mort et la perte plutôt que la victoire et les triomphes fanfaronnants ?

Le secret et les lectures cachées sont au demeurant inscrits dans l’écriture des Sonates de Couperin: chaque titre (L’Astrée, La Visionnaire, La Sultane, La Superbe…) renvoie à une expérience probablement personnelle et intime que le compositeur fixe de manière toujours suggestive… hommages discrets, références et métaphores structurent ce monde des allusions et du miroitement rétrospectif.


Le geste des Dominos
exprime idéalement cette alliance riche et mélancolique avec une grâce irrésistible. Le travail de Florence Malgoire s’intéresse surtout à l’éloquence chambriste des instruments, où chacun mord les accents sans contraindre les autres, dans une écoute qui soigne aussi la fusion et la cohésion sonore. Perfection des phrasés, intelligence de l’architecture, suavité maîtrisée des alliances de timbres… tout ici respire et s’alanguit en une constellation de caractères et de climats très subtilement énoncés : La Superbe éblouit par la perfection de son écriture qui associe le dialogue contrapuntique des deux dessus lesquels expriment ensuite l’esprit d’une gigue et un drame opératique ( » très lentement « )… La Convalescente étonne par ses dimensions et son répertoire foisonnant d’idées (second mouvement:  » vivement et ferme « ); quant à La Steinquerque qui évoque la victoire du maréchal duc de Luxembourg en 1692, Couperin y soigne le caractère des tableaux enchaînés: bruits de guerre et fanfares répétées contrastant avec le vertige de murmures (adagios corélliens): le regard du maître sur la barbarie de la guerre y est superbement original.
Le dernier mouvement de La Visionnaire/L’Impériale (très aboutie) atteste de la maturité raffinée d’un Couperin qui dix ans avant L’Apothéose de Corelli atteint un sommet contrapuntique d’une effusion là encore irrésistible…

Fervent militant pour les goûts réunis, Couperin voit large et d’une hauteur jamais égalée: c’est à la fois l’introducteur en France de la Sonate, sommet de l’écriture purement instrumentale et aussi le premier compositeur véritablement européen de l’ère baroque: synthèse, génie associateur, originalité et universalisme… en somme un précurseur de Bach. Avec infiniment de goût et de style, les Dominos expriment toute la délicatesse suave et tendre d’un esprit génial, raffiné et cultivé. Superbe réalisation.

François Couperin (1668-1733): Intégrale des Sonates. Les Dominos. Florence Malgoire, direction. Enregsitrement réalisé à Saintes, Abbaye aux dames, en mai 2012. 1 cd Ricercar RIC 330. 1h09mn. Coup de coeur de la rédaction cd de classiquenews, novembre 2012.

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